Claude Quétel

Le mal de Naples. Histoire de la syphilis

Paris, Seghers, 1986

Fiche réalisée par Océane Bayon, étudiante en Khâgne au lycée Claude-Fauriel en 2011-2012.

Claude Quétel retrace l’histoire et étudie l’impact psychologique durant cinq siècles de la syphilis considérée comme « la plus grave des maladies vénériennes », voire « une maladie honteuse » (p. 7-8). A la fin du XVIIIe jusqu’au début du XIXe siècle, apparaît une évolution dans la nature de la vérole. De mal, elle devient maladie, créant un bouleversement dans le monde médical. Alors que le Dictionnaire des sciences médicales définit, en 1821, la vérole comme : « une maladie contagieuse qui se gagne de tant de manières, qui se présente sous des formes si variées et si multipliées, qu’elle n’est pas susceptible de définition philosophique » (p. 139), se pose le problème de son unicité. Ce débat sans fin oppose notamment durant cette période, John Hunter (uniciste) et Balfour (son opposant), deux célèbres médecins du XVIIIe siècle. Son origine est également amplement débattue par les médecins de l’époque. D’abord considérée comme un châtiment de Dieu puis comme un phénomène astrologique à son apparition, le début du XIXe siècle voit apparaître la thèse de l’origine américaine de la maladie liée aux conquêtes des européens. Cependant, même si cette maladie suscite des interrogations, les médecins s’accordent tous quant à son lien avec la prostitution et le libertinage ainsi que sur les remèdes pour la combattre tel que le mercure. Selon Hunter, « le mercure est dans la vérole comme dans la chancre, le grand remède spécifique, et il n’y a aucun sur qui on puisse autant compter » (p. 108). La thérapeutique mercurielle devient essentielle à la guérison de la vérole même si son mode d’administration peut revêtir différentes formes. Ainsi, on peut citer chronologiquement l’emploi d’onctions, de fumigations, de frictions, de lavements antivénériens et l’administration orale de mercure gommeux, de calomel et de sublimé corrosif. Mais la nature inqualifiable de la syphilis laisse le champ ouvert aux charlatans et aux empiristes qui ne cessent de profiter de cette opportunité afin de développer un commerce fructueux. Nous pouvons noter entre autres le cas de Keyser, l’inventeur des dragées antivénériennes au XVIIIe siècle dont la composition a été toujours tenue secrète et qui eut un succès considérable. Pourtant, elles n’ont guéri aucun malade.

Parallèlement à cette description problématique de la maladie, C. Quétel aborde la question de la représentation de la syphilis dans la société. Cette maladie est devenue un véritable topos littéraire à l’époque puisque les auteurs eux même en sont atteints. Cette littérature se présente sous deux formes littéralement opposées : syphilitique (Balzac, La Cousine Bette) ou antisyphilitique (Paul Vérola, L’infamant). La littérature antisyphilitique suscite la peur chez son lecteur au même titre que la propagande. En effet, pour lutter contre cette maladie, son rôle s’accroît au lendemain de la grande guerre. Les organismes antivénériens diffusent des milliers d’affiches, de tracts, d’articles de presse, de brochures aux effets coup de poing.

C. Quétel établit également une chronologie de la maladie. Alors que la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle se trouve dans une impasse et que le XXe siècle marque un grand tournant dans la maladie, il dresse le bilan durant cette période des actions politiques et des progrès médicaux en lien avec cette maladie. En effet, il faut attendre le XXe siècle et les travaux d’Alfred Fournier (1832-1914) pour que la syphilis soit de nouveau au cœur de l’actualité médicale. Interne du docteur Ricord à l’hôpital du Midi, il devient docteur en médecine en 1860. Se spécialisant à son tour dans le traitement de la syphilis, il publie en 1857 une première étude intitulée Recherche sur la contagion du chancre. Il devient ainsi le premier syphiligraphe à l’hôpital Saint-Louis en 1879. Il étudie notamment « l’incubation de la syphilis, l’induration syphilitique primitive, le pseudo chancre du tertiarisme, le chancre céphalique, infectant et extra génital » (p. 166). Mais c’est surtout la découverte de l’origine syphilitique de la paralysie générale donnant aux accidents nerveux de la syphilis tertiaire une place prédominante qui va le propulser comme le maître à penser de la lutte contre la syphilis. Cet événement va donc contribuer au vote de l’assemblée générale du programme de Fournier composé d’un ensemble de mesures administratives afin de surveiller la prostitution, l’armée et la marine, de mettre en place des organismes d’hospitalisation et de traitement ainsi que sensibiliser les médecins à la syphilis.

La prostitution est en effet dès le début assimilée à cette maladie dans l’opinion commune. Or, leurs clients de prédilections sont les militaires. Ainsi, selon une enquête réalisée sur 35 militaires vénériens, trois prostituées seulement sont à l’origine de leurs maux. Il s’agit alors pour Fournier d’éviter le plus possible la contamination en tentant de modifier le comportement des principales victimes de cette maladie. Continuant ses recherches, il fonde en 1901 la Société française de prophylaxie sanitaire et morale après avoir expliqué à la première conférence internationale pour la prophylaxie de la syphilis en 1899 que cette maladie était un fléau social. Sur le modèle de cette société, des sociétés identiques sont créées en Belgique, en Italie, en Allemagne, au Danemark, au Canada, et un peu plus tard au Japon. Alfred Fournier a donc été « le premier syphiligraphe de son temps et probablement de tous les temps » si l’on reprend les termes de Léon Daudet dans Devant la douleur grâce à ses travaux qui ont permis de donner un nouveau souffle au traitement de cette maladie en lui attribuant un véritable statut. Claude Quétel a donc voulu écrire l’histoire de cette maladie afin de rétablir la vérité sur cette maladie, encore actuelle aujourd’hui, dont la réelle gravité échappe à chacun.

– Ce compte rendu a été réalisé dans le cadre de la préparation du concours de l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, suite au colloque organisé au lycée Claude-Fauriel, en octobre 2011, en partenariat avec l’Ecole Nationale Supérieure de Sécurité Sociale (EN3S) et le Comité d’Histoire de la Sécurité Sociale (CHSS).

– Compte rendu publié dans F. Thénard-Duvivier (coord.), Hygiène, santé et protection sociale de la fin du XVIIIe siècle à nos jours, Paris, Ellipses, 2012 : extrait et sommaire.