Compte-rendu réalisé par Mathias Pérodeau, étudiant en Hypokhâgne au lycée Pothier d’Orléans (2013-2014).

L’auteur :

Historien né en 1964, il est renommé pour son savoir dans le domaine des relations politiques internationales. Spécialisé dans le renseignement, le militaire et la première moitié du XXe siècle, il est agrégé et docteur en histoire. Reconnu dans le milieu universitaire, il a été professeur à Saint-Cyr, maître de conférence à l’université Jules Verne ainsi que chercheur à Paris I et II. On peut le qualifier d’expert dans le domaine qu’il traite dans cet ouvrage grâce à sa carrière.

Résumé de l’œuvre :

Introduction :
Pour cet ouvrage, il a utilisé en particulier les archives des services concernés par son étude. Grâce à cela, il utilise une source très fiable et qui plus est très abondante. Le but de ce livre est de décrire ce qu’est la défense, la politique et le pouvoir pendant la période définie dans le titre. Mais la nuance que Forcade souhaite apporter dans ce travail est son angle d’étude puisqu’il s’intéresse aux coulisses de cette histoire : l’histoire secrète permettrait de comprendre le fonctionnement hors cadre de « la grande histoire ».

Première partie : Les Services Secrets militaires, les pouvoirs publics et le République 1871-1914

Chapitre 1 : Les héritages de l’espionnage d’État en 1918
Tout d’abord on divise en trois les services qui forment le renseignement d’État. Il y a d’abord le corps diplomatique, le plus ancien a être concerné par cette tâche dès le Moyen Age puis la police dès l’ancien régime, et enfin l’armée sous le Second Empire. La IIIe République va d’abord accroître le rôle joué par l’armée dans le renseignement en créant en 1871 le 2e Bureau. Le système d’information tend à se centraliser avec d’abord de grosses difficultés d’efficacité. La gendarmerie s’occupe essentiellement du contre-espionnage, elle liste les alliés (carnet A) et les ennemis (carnet B) de la France. La police va prendre une place plus importante sur le plan national avec la création de la Sûreté générale en 1895, laissant aux militaires le soin de s’occuper de l’international. Il y a une rivalité des différents ministères dans la construction du renseignement moderne. La frontière allemande concentre une part importante des services. La Première Guerre mondiale est le théâtre d’une amplification de la recherche d’information afin d’avoir une longueur d’avance sur l’adversaire, le renseignement aérien nait avec cette guerre. Le Ministère de la Guerre va éprouver et améliorer son système pendant le conflit. Les États deviennent de plus en plus dépendants du renseignement pour prévoir les actions de leurs adversaires et ne pas être devancés. Il y a une course à l’information et elle-même élargir ses domaines de recherche : la guerre totale qu’est la Première Guerre impose un renforcement du renseignement économique. Celui-ci doit servir à prendre de court l’Allemagne en connaissant ses réseaux de ravitaillement pour que les forces armées les coupent.

Chapitre 2 : Les rouages de l’État secret
Après guerre, une fracture se crée au sein du renseignement de l’armée. L’hégémonie de l’armée de terre est remise en cause par la création des Bureaux de la Marine puis plus tardivement de l’Air. Pourtant les services cherchent tout de même à créer une coopération efficace entre les trois armées. On peut penser notamment aux attachés militaires, véritables chevaux de Troie de l’armée dans le système diplomatique. Ainsi, pendant l’entre-deux-guerres, les différentes armées vont déployer un grand réseau d’attachés pouvant s’informer sur place de la situation des pays ayant des relations diplomatiques avec la France. Bien qu’ils ne soient pas autorisés par le Quai d’Orsay à agir clandestinement, ils ne s’en privent pas généralement, et peuvent utiliser les valises diplomatiques pour transmettre l’information et les documents importants à Paris. Le Ministère de la Guerre doit donc travailler avec ceux de l’Intérieur et des Affaires étrangères. Ce dernier cherche essentiellement à se prémunir de l’action des deux autres surtout si elle est illégale, car cela nuit à la qualité de ses relations avec les autres pays. Le Ministère de l’Intérieur lui cherche à jouer son rôle dans le renseignement sur le plan national, en particulier dans le contre-espionnage. L’efficacité de celui-ci est bridée en particulier dans la répression par la loi de 1886, jugée trop laxiste par le SR-SCR (service de renseignement et service de centralisation du renseignement). Il réclame donc une nouvelle loi, ce qui aboutit après de nombreux aléas en 1934 à une loi permettant enfin de prononcer la peine capitale pour les espions et les traîtres. Le problème du secret et de la confidentialité est également traité par le droit, les secrets de défense naissent à cette époque et permettent à l’État de protéger du public des actions et des connaissances.

Chapitre 3 : Les espions de la République
Les chefs des services spéciaux militaires sont responsables de la politique des services spéciaux : ils doivent également suivre les directives de l’EMA (État-major des armées). Ils cherchent à harmoniser la coordination entre les différents services du renseignement. Tout cela à partir de la Centrale, c’est à dire Paris, où les informations collectées sont organisées, analysées, interprétées. C’est là que les effectifs du renseignement sont les plus nombreux, bien qu’au total il n’y ait jamais plus de 50 officiers travaillant ensemble. Les informations sont collectées par les agents du renseignement, il y a pour les recruter des officiers. Ensuite les agents sont en liaison avec un chef de mission qui leur donne des directives et récupère le fruit de leur travail. Sont recrutées en général des personnes issues des minorités des pays adverses, ou des traîtres ayant des rancœurs contre leur patrie. Des militaires sont aussi utilisés bien qu’ils n’aient pas réellement de formation, la professionnalisation des espions est lente, aucune institution n’assumant cette fonction. Les agents de réserve sont un contingent important, utilisé lorsqu’il est nécessaire : leur participation est épisodique, ce sont des agents intérimaires profitant de leur expérience dans d’autres domaine pour fournir un travail de qualité dans certains types de missions. Les agents du renseignement ne sont pas forcément rémunérés pour leur services, ils peuvent être bénévoles. Les antennes locales des services de renseignement s’occupent de la création de réseaux.

Chapitre 4 : L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires de 1918 à 1939
L’Allemagne est le principal ennemi de la France pendant cette période, à ce titre les services de renseignement se focalisent sur cet ennemi dans une optique défensive. Un nombre important d’antennes sont installées aux frontières, le poste de Belfort est un des principaux. La fin de la guerre a d’abord été un moment de crise, la démobilisation des hommes et des moyens impose des restrictions dans toute l’armée. Au bout de 7 ans la réorganisation est achevée, l’occupation de la Rhénanie est un moyen d’infiltrer l’Allemagne car l’armée est présente sur le territoire, il y a une excellente collecte de l’information de ce fait. Cependant avec la montée du nazisme et la fin de l’occupation le renseignement va souffrir d’une perte d’efficacité avec une forte répression par ce régime et une fragilisation des réseaux. La centrale parisienne crée un système de communication pour maintenir le lien avec les antennes. L’écoute et la saisie clandestine d’informations est cruciale dans le travail de renseignement, pourtant la France abandonne progressivement cet outil pour se concentrer sur les agents et les agents doubles. Le faible investissement dans ce domaine est aggravé par le codage de l’information par l’adversaire (notamment Enigma qui est décryptée seulement en 1940 grâce essentiellement aux infiltrés rapportant des machines et des documents). Les services de décodage sont trop peu nombreux, la France est alors incapable de tenir tête à l’Allemagne. Elle perd de plus en plus pied. La TSF est peu utilisée par les services de renseignement. Si la France modernise sur cette période son système de renseignement et surtout l’agrandit considérablement elle n’y est pas à la pointe technologiquement. Cependant son système fonctionne, il est efficace et tentaculaire malgré la baisse des moyens après la guerre.

Deuxième partie : La France, la guerre secète et l’invention de la « Sécurité Nationale »

Chapitre 5 : Les coopérations internationales des services secrets français
La France n’est bien sûr pas la seule à se renseigner, la compétition est internationale dans ce domaine. Elle travaille avec les services anglais de l’Intelligence Service. Si la guerre a été un moyen de renforcer cette coopération internationale, l’entre-deux-guerres est plutôt marquée par une prise de distance et surtout un refus total de systématiser les échanges d’informations. La France est particulièrement responsable de cette situation cependant, la menace d’Outre-Rhin grandissant, les deux services vont malgré leurs différents échanger des informations intéressant la défense nationale. Les pays neutres jouent aussi un rôle, la Belgique bien qu’elle soit dénigrée par la France et officiellement neutre aide les services français, mais l’inverse est loin d’être réciproque. Pourtant les liens sont maintenus au fur et à mesure que l’Allemagne devient plus menaçante. La Hollande par sa position géographique est un carrefour d’informations, de nombreux documents transitent par ce pays, les agents de tous pays y sont nombreux. Bien que le gouvernement y soit plus enclin à aider le Royaume-Uni et l’Allemagne, la France aussi obtient un soutien de la police locale. La Suisse joue un rôle important pour les pays européens du fait des institutions qui y sont implantées telles que la SDN, cependant elle est très hostile aux espions qui « infestent » son territoire. Il est de plus en plus difficile d’y travailler du fait de la politique répressive des autorités locales et de la supériorité allemande, le SR-SCR est privé de ses oreilles dans ce centre international. Les alliés de la France à l’Est sont nombreux, la Tchécoslovaquie est par exemple fort utile pour les services français : menacée à cause des Sudètes notamment, elle accepte de travailler main dans la main avec eux dans le cadre de la Petite Entente que la France soutient. Cette Petite Entente souhaite se protéger de l’URSS aussi. Mais la Tchécoslovaquie est effrayée par l’alliance avec la Pologne et craint que la France ne lui transmette des informations. La Yougoslavie est également un soutien, elle-même menacée par l’Italie. Cette dernière tire parti de chaque État pour surveiller l’Allemagne et l’URSS, les deux menaces qui hantent le gouvernement. Cependant les attentes de chaque État créent des conflictualités qui nuisent à ce puissant réseau. Finalement la Pologne n’apporte pas le soutien escompté, ni la Tchécoslovaquie.

Chapitre 6 : La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie
Les services français surveillent étroitement la vie politique et économique de l’Allemagne. Un grand réseau d’information se crée autour de la ville de Mayence, il y a une concentration des moyens français sur ce pays. Ce système est renforcé par l’occupation de la Rhénanie. Les Alsaciens sont notamment utilisé pour infiltrer les institutions allemandes. Les intentions politiques notamment vis à vis des réparations sont observées de près, ainsi que le respect du traité de Versailles à propos du désarmement allemand. Les services allemands, bien qu’ils gagnent en efficacité, sont parasités par une forte infiltration française. Le nombre d’agents double dans ce service est considérable, l’Allemagne est ainsi muselée. Dans les journaux se jouent des guerres d’opinion entre les agences de renseignement. L’Abwehr affronte aussi le SR-SCR en tentant d’installer un réseau en France mais il est loin d’égaler en efficacité celui de son adversaire. L’arrivée au pouvoir d’Hitler et la fin de l’occupation de la Rhénanie fragilisent au fil du temps le dispositif de renseignement français. Le régime hitlérien renforce la répression, la population est totalement hostile et le départ des militaires français rend les agents vulnérables. A l’inverse, le territoire français est de plus en espionné par l’Abwehr. La nombreuse communauté allemande en France facilite ce travail. La remilitarisation de la Rhénanie renforce la suprématie allemande. La France devient progressivement impuissante à lutter contre elle. Du côté de l’Italie, que l’on pourrait penser parfaitement amie, une guerre secrète existe bien pendant tout l’entre-deux-guerres. Cela s’explique par les conflits d’intérêt en Méditerranée, que ce soit sur les côtes africaines ou dans les Balkans. La tête de pont française sur ce front est le poste de Marseille qui sert plutôt à défendre la frontière alpine. La volonté d’expansion italienne se heurte à la position forte des Français en Méditerranée ainsi qu’à celle des Anglais. Pourtant, pendant une courte période les Italiens demandent à la France des échanges d’information et l’arrêt de l’espionnage. Cela sera appliqué après quelque hésitation pendant les années 1936/37 mais le combat reprend vite. La volonté de tromper les services français n’est pas certaine, plus probablement les intérêts italiens ont-ils alors convergé avec ceux de la France.

Chapitre 7 : Une lutte intérieure et extérieure contre l’URSS sans merci
Le communisme et l’URSS sont aussi deux figures qui suscitent une peur viscérale. Les services secrets sont particulièrement actifs contre l’État soviétique et ses bases avancées que constituent les PC. Le PCF est don étroitement surveillé et ses membres font l’objet d’un fichage. On tente aussi d’empêcher la propagation des idées communistes. Cet affrontement est d’autant plus important qu’il se joue sur toute l’Europe et ses colonies où l’URSS tente de se renforcer. Si l’URSS est dans une position agressive, c’est qu’elle cherche à être reconnue officiellement par les États qui lui ont fait la guerre, ce que fait la France en 1925. L’URSS a également besoin de technologie pour s’affirmer en tant que puissance globale cherchant à étendre son modèle. Les outils sont nombreux tels que les délégations économiques soviétiques ou les membres du Parti Communiste. L’espionnage est concentré alors sur les secrets de défense français notamment dans le secteur de l’armement. Plus généralement, les secrets industriels sont des cibles. Le contre-espionnage français se doit donc d’être très actif, pourtant il est impuissant face aux actions soviétique comme le montre l’affaire des « rabcors » en 1932. On découvre alors un immense réseau de renseignement, des ouvriers correspondant transmettaient des secrets industriel de grands groupes au NKVD, le service de renseignement russe.

Chapitre 8 : Le renseignement impérial dans la Défense nationale
La France à cette époque est encore un empire colonial. Elle mène une guerre du renseignement sur tout son territoire. Elle est en rivalité avec le Royaume-Uni notamment au Proche Orient. Les deux grands empire y luttent pour étendre leur influence aux frontières des colonies gagnées après guerre. La France échange aussi avec le Japon et l’Espagne des informations du fait de la proximité géographique de leurs colonies. Avec le premier, les échanges se font sur l’URSS tandis que le second coopère contre les rebelles communistes et indépendantistes dans les deux Marocs. Les bureaux coloniaux sont créés et utilisés pour surveiller ces territoires, cependant ils souffrent d’un manque cruel de coordination, bien que la SR-SCR s’efforce à des convergences. Le SRI créé en 1937 en est la manifestation. Il est important de noter que ce résultat est dû au travail commun entre le Ministère de la Guerre et celui des Colonies.

Troisième partie : Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

Chapitre 9 : De l’information économique au renseignement économique
Si la Première Guerre mondiale est le lieu de naissance du renseignement économique, c’est dans l’entre-deux-guerres qu’il se développe. Le besoin de connaître les moyens et l’état d’avancement des adversaires est de plus en plus fort. Les savoirs de chaque pays sont ainsi recherchés par les services concurrents pour les mettre à profit dans leur industrie. De plus, les systèmes économiques doivent être connus à l’avance pour pouvoir les couper en cas de guerre. La CSDN est une manifestation de la croissance de cet enjeu. Un plan de mobilisation économique est mis en place afin de pouvoir préparer la guerre. La CSDN tient cependant un faible rôle dans le renseignement économique, qui fait l’objet d’une lutte acharnée entre les différents ministères concernés. Les attachés économiques servent dans les ambassades à la collecte d’informations sur les autres pays. Cependant le Quai d’Orsay est toujours hostile à l’intrusion du Ministère de la Guerre dans ses affaires. Parallèlement à ce renseignement effectué par l’État, se développent des agences privées de renseignement. Celles-ci collectent des informations qu’elles vendent aux entreprises, quelle que soit leur nationalité. Ces agences de renseignement sont un problème considérable car rien ne peut les empêcher de vendre leur information à l’étranger. la France demande à ses entreprises de ne rien divulguer à ces agences. Bradstreet’s est une société anglaise qui travaille pour l’Intelligence Service tandis que Schimmelpfeng sert aussi des intérêts allemands. Implantées en France, ces agences sont donc surveillées par le renseignement français, qui lui-même utilise également ce biais mais avec moins de succès. Les autorités tentent de contrôler la prolifération de ces organismes privés, fruits de la forte concurrence économique.

Chapitre 10 : L’espionnage économique et les nouveaux enjeux secrets de la puissance
La fin de la guerre est factice sur le plan économique, où l’Allemagne et la France sont toujours en conflit. Cette dernière exploite tout les avantages issus de la victoire pour mettre en place un réseau de renseignement économique performant. Les éléments servant le renseignement militaire sont aussi utiles pour le renseignement économique. L’espionnage constant des entreprises allemandes renforce l’hostilité vis à vis de la France. La force des moyens employés permet un renseignement de grande qualité. L’URSS, ennemie des capitalistes, tente de recréer des liens commerciaux avec ses ennemis à des fins essentiellement idéologiques (propager son système) au début. Puis elle se concentre sur la récupération de technologies dont elle manque cruellement pour son développement industriel. le Japon est aussi un espion économique qui tente pour asseoir son hégémonie en Asie orientale de tirer parti de ses anciens militaires et d’espions payés chers pour acquérir des technologies militaires. L’achat de matériel sert également cette cause tout comme l’implantation de sociétés en Europe. L’espionnage de Siemens en France montre la globalisation de l’espionnage à toutes les industries (ici dans le domaine de l’électricité) et impose des réformes. Les Anglo-saxons se servent de leurs services de renseignement pour connaître les stocks pétroliers français, une petite armée au service de la couronne travaillant souvent gratuitement naît dans les compagnies anglaises au Moyen Orient et en Afrique du Nord. Cependant la transmission d’informations économiques, si elle montre la concurrence entre États, est aussi le fruit de la modernisation de l’économie.

Chapitre 11 : L’exploitation du renseignement : l’information trouvée, le renseignement perdu ?
L’information a un cycle de vie : une fois réceptionnée, elle peut être jetée, conservée, mise en avant par un tri qui s’effectue pour conserver l’essentiel. Celui-ci sera présentée à l’EMA pour les militaires et aux politiques pour permettre des prises de décisions rapides et sans perte de temps avec des informations inutiles. Si les hautes sphères ne sont d’abord pas vraiment à l’écoute des services de renseignement, les années 30 sont propices à l’ouverture des milieux politiques à ces informations dans leurs prises de décision, du fait de l’augmentation du nombre de crises menaçant la sécurité nationale. Si les services de terrain travaillent plus aisément ensemble, les hautes sphères ne sont pas coordonnées, elles sont en retard. Des conférences interministérielles permettent un début de rapprochement des différents ministères. Les réunions ne sont pas forcément fructueuses mais elles sont utiles pour amorcer un travail en équipe des ministères qui restent méfiants les uns vis à vis des autres. Le renseignement est une branche secrète de l’État qui vit indépendamment. Les parlementaires exercent un contrôle relatif sur ses activités qui sont souvent clandestines et volontairement cachées. Cependant dans le cadre de la justice, étape obligatoire des condamnations, le renseignement doit se plier aux décisions des politiques. De fait ceux-ci ne sont pas grandement intéressé par cette partie de l’État, ils le laissent donc agir avec une certaine autonomie à moins d’avoir fréquenté ce secteur (comme Daladier). Les politiques et les ministères commencent à travailler de façon plus coordonnée mais le chemin vers l’unité de vue et d’action est loin d’être atteint.

Chapitre 12 : Le renseignement dans la vie politique à la fin des années 1930
La politisation de l’information est un problème dans la mesure où elle influe sur les décisions prises et est conçu par un groupe, l’armée notamment, qui a ses propres objectifs. Les militaires craignent un complot communiste, ils souhaitent le prévoir et surtout l’empêcher. La surveillance accrue des milieux d’extrême-gauche est le symptôme d’une phobie qui ne cesse de s’accroître avec le renforcement de la gauche au cours des dernières années de l’entre-deux-guerres. Le démantèlement du CSAR, organisation subversive implantée dans les milieux militaires, impose une épuration dans l’armée. Elle est cependant limitée et bridée par la faible diffusion par la Sûreté nationale des informations compromettantes pour les hauts gradés. L’armée bien qu’anticommuniste effectue son devoir sans laisser empiéter les opinions de ses membres, cela est vrai aussi pour le renseignement, les communistes sont en revanche diabolisés. L’exploitation est une étape nécessaire qui impose une perte d’objectivité dans le renseignement. Il y a bien une idéologisation de l’information par les militaires qui sont plus généralement de droite. Mais les services secrets comme le reste de l’armée effectuent leur travail sans tenter de bouleverser la donne politique et s’immiscer dans son jeu.

Conclusion :
Le renseignement s’est professionnalisé et bureaucratisé sur cette période, bien que les deux précédentes guerres aient permis de débuter ce travail. Sa rationalisation est plus tardive que celle des autres parties de l’État. Le fichage est un phénomène qui s’effectue dans ce cadre et n’a ensuite fait que s’amplifier. Les Français marqué par l’affaire Dreyfus voit l’espion comme un traître. La concurrence à l’intérieur de l’État a cependant nui à la modernisation et l’effort collectif de protection nationale, que ce soit par refus des diplomates de céder du terrain aux militaires ou par refus de la négociation pour les militaires. Les services spéciaux n’ont pas empêché la défaite de 1940 mais ont travaillé à la lutte contre les extrêmes et montré l’importance de l’information dans la survie et la prospérité d’un État et d’un régime.

Appréciation de l’ouvrage :

L’auteur parvient à dépeindre ce qu’est le renseignement français dans l’entre-deux-guerres. L’ouvrage souffre pour le plaisir du lecteur d’un manque de finesse littéraire. Le style et la présentation sont d’une rigueur laconique. Il s’adresse donc plutôt à des spécialistes. Il est vrai que la construction permet en revanche une très grande maniabilité de l’ouvrage, car le découpage en trois parties (rappellant la dissertation), elles-mêmes subdivisées en de multiples sections permet une recherche rapide de l’information nécessaire. Ce n’est pas un plaisir à lire, cependant le fond est véritablement passionnant. Ce travail effectué sur les archives des services de renseignement français est tout simplement monumental. Cette présentation très sèche permet un travail de fond très complet en suivant une logique implacable qui donne à cette description toute sa valeur et sa richesse. Le découpage rend le livre très académique, il a un côté très militaire. Le traitement de l’auteur permet de se concentrer sur l’essentiel tout en restant proche de la matière utilisée notamment grâce aux nombreux tableaux, citations et études de cas. Cela apporte beaucoup de crédibilité (soutenue elle-même par les sources qu’il exploite, fiables car elles sont confidentielles et cela nous permet de nous approcher de cette réalité, au delà de la vision monolithique et hermétique que l’on peut en avoir). On parvient donc à se faire une idée de ce qu’est ce renseignement.

Il y a indéniablement un intérêt dans ce livre pour les lecteurs du fait de l’actualité, en particulier des affaires d’espionnage. Bien qu’il ait changé profondément de visage aujourd’hui, le renseignement s’est en grande partie construit sur cette période pour le cas français. Pourtant à l’époque les effectifs étaient très réduits comparés à l’armée de l’ombre actuelle. Le besoin de libérer ce domaine de ses clichés est aussi important car les personnages de James Bond ou OSS 117 sont des images héroïque faussées, idéalisées ou caricaturées. On visualise bien des espions courant le monde et affrontant les dangers, pourtant l’essentiel du travail repose sur la collecte d’information et surtout son analyse dans les bureaux de la SR-SCR et de l’EMA. Les actions de ces services sont peu souvent agressives, avant tout préventives, discrètes même si le sabotage, les assassinats ou les actes impérialistes existent. La justice condamne tandis que le renseignement identifie sur le territoire national. Ces entités créées par et pour les États trouvent leur utilité dans l’aide apportée aux dirigeants dans les prises de décision, car elles leur permettent de mieux connaître les sujets et les conséquences de leur choix. On voit également que le cliché complotiste se construit pour l’essentiel sur un fantasme. Les dirigeants ne sont pas pour autant au courant de tout, car cette machinerie fonctionne de façon autonome dans l’ombre, dans le seul but de protéger la France et l’État en place des menaces intérieures et extérieures. A ce titre, les services spéciaux ne sont pas prêts à tout dévoiler aux autorités ni forcément à respecter leurs directives. On prend conscience à la lecture d’une part de la puissance d’information de cet appareil tricéphale, en effet très peu de faits et de projets lui échappent, et d’autre part de son utilité, il a veillé sur la France et ses intérêts de la façon la plus efficace possible pendant cette période.