Présentation du programme commun d’Histoire contemporaine – Classe de Première Supérieure (concours des ENS Ulm et LSH Lyon) :
« De la « doctrine de Monroe » (1823), qui affirme, en contrepartie de la neutralité américaine dans les affaires européennes, le refus de toute intervention européenne sur le continent américain, aux lendemains de la Deuxième Guerre mondiale (1945), l’attitude des États-Unis et des Américains à l’égard du monde extérieur est classiquement décrite comme un balancement entre isolationnisme et interventionnisme, ouverture et repli. La nouvelle grande puissance américaine a cependant assumé ses responsabilités dans les deux guerres mondiales et dans la construction d’un ordre mondial, incarné par l’ONU après l’échec de la SDN, tandis que, pendant toute la période, des migrations massives venant d’Europe et d’Asie, et dans une moindre mesure d’Amérique latine, alimentaient la montée en puissance de l’économie américaine et substituaient à la représentation d’une nation fondamentalement anglo-saxonne et protestante, la réalité d’une population multiculturelle et multiraciale – héritée pour partie de l’esclavage – mettant à l’épreuve l’image du melting-pot.
Au XIXe siècle, l’expansion continentale des États-Unis, justifiée par l’idée d’une « destinée manifeste », se fait au détriment du Mexique, des possessions britanniques et des populations amérindiennes. Dès les années 1840 cependant, l’immigration irlandaise et allemande déclenche des phénomènes de nativisme (Know Nothing) et de rejet des étrangers, qui s’intensifient avec l’arrivée dans les années 1880-1910 d’autres ruraux pauvres et peu qualifiés, Italiens, Slaves et Scandinaves fuyant la misère pour trouver du travail dans les métropoles industrielles des États-Unis. Assimilationnistes et nativistes désireux de fermer les frontières (Chinese Exclusion Act, 1882) s’affrontent sur les politiques migratoires. La diffusion des thèses racistes dans la population atteint des sommets autour de la Première guerre mondiale. La montée d’une vision hiérarchisée des peuples se manifeste aussi à l’extérieur. L’internationalisme égalitaire de la doctrine de Monroe, a perdu du terrain face à des impérialistes américains persuadés de devoir porter le « fardeau de l’homme blanc ». La guerre de 1898 et la victoire sur l’Espagne marquent le basculement des États-Unis dans l’impérialisme, qu’on a aussi pu interpréter comme une conséquence de la fin de la frontière (1890). […] Le corollaire de Théodore Roosevelt à la doctrine de Monroe affirme la vocation de cette puissance émergente à dominer et contrôler le continent américain. L’annexion des Philippines les introduit dans le jeu des puissances européennes en Chine, au nom de la doctrine de la « porte ouverte », appliquée dès 1854 au Japon, tandis que la mise sous tutelle de Cuba et la prise en charge du canal de Panama symbolisent le poids croissant des États-Unis en Amérique centrale. Le développement du tournant des XIXe et XXe siècles fait déjà des États-Unis la première économie du monde.
L’intervention tardive dans la Première Guerre mondiale confère aux États-Unis un rôle nouveau de puissance d’autant plus dominante que l’Europe est diminuée et endettée. Le grand remplacement des capitaux britanniques par des capitaux américains en Amérique latine ouvre un siècle de domination du sous-continent par son puissant voisin du Nord. Les propositions du Président Wilson inspirent le règlement de la paix et font émerger une première forme d’ordre international, mais l’intervention dans la guerre civile russe marque aussi un premier pas vers le statut de gendarme du monde, garant de l’ordre capitaliste. Le désastre de la Première Guerre mondiale a cependant provoqué une méfiance profonde à l’égard de tout engagement extérieur, en particulier avec l’Europe, et l’aventure tourne court. Les États-Unis prospères des années 1920 s’engagent tout de même dans le règlement de la question financière (dettes alliées, réparations allemandes), poursuivent une diplomatie du désarmement et de la paix (Pacte Briand-Kellog) et étendent leur influence culturelle (Hollywood et le début du soft power), ce qui nuance l’idée d’un repli isolationniste, illustré par le rejet de la SDN et par la politique des quotas contre les immigrants jugés inassimilables […]. Les intrusions dans le pré carré latino-américain se multiplient, particulièrement au Mexique et en Amérique centrale, et les États-Unis manifestent un intérêt grandissant pour la Chine et la zone Pacifique. L’expansionnisme économique se développe, à travers l’action des grandes compagnies américaines en Amérique latine et au Moyen-Orient […].
L’isolationnisme politique se prolonge en apparence à l’époque de la Grande Dépression et du New Deal, mais l’échec évident du modèle américain des années 1920 suscite un intérêt nouveau pour les expériences politiques et sociales européennes de la part des hommes de Roosevelt […]. L’isolationnisme, encore majoritaire dans le population (Comité Nye), s’effrite avec la montée des périls en Europe qui conduit à vendre des armes à la Grande-Bretagne et à la France, puis, après Pearl Harbour, laisse place à l’aide économique et matérielle aux alliés anglais et russes et à l’engagement militaire. La guerre apporte une révolution dans la mentalité américaine face au monde. Des millions de soldats sont venus au contact de sociétés étrangères sur quatre continents, et l’idée d’un nécessaire leadership mondial américain s’impose après-guerre. […] Dans l’immédiat après-guerre, l’Amérique porte la création de l’Organisation des Nations Unies, et met son écrasante domination économique au service de la reconstruction. […] Le triomphe de 1945 et l’emploi de la bombe atomique marquent également la fin du complexe d’infériorité culturel et scientifique des élites américaines à l’égard de l’Europe, et l’affirmation de la suprématie économique mondiale du pays.
On s’attachera à cerner et interroger les catégories – isolationnisme et interventionnisme, mais aussi nativisme et américanisation, subversion étrangère et melting pot, égalitarisme anticolonialiste et white supremacy – et à examiner les expériences historiques à travers lesquelles les Américains ont construit leur perception de la spécificité de leur nation et de son rapport au monde, à en inventorier les fondements culturels et les usages politiques, et à en pointer les ambiguïtés, les limites et les évolutions. On mettra l’accent sur le cadre politique, démographique et économique de la question, sur les orientations de la diplomatie, sur les dimensions économiques, financières et culturelles de la puissance américaine, sur les objectifs, les moyens et les limites des politiques migratoires, ainsi que sur les questions stratégiques, mais on n’entrera pas dans le détail des opérations de guerre ni dans celui de la vie politique intérieure. »
Indications extraites de la notice de présentation du programme sur le site de l’ENS Ulm, où la version intégrale de ce texte est consultable. Elle comporte une orientation bibliographique.
Recensions de la Cliothèque portant sur des ouvrages utilisables pour l’étude de ce programme :
– Usuels et synthèse de référence
Christian Birebent :
Pierre Melandri et Serge Ricard (dir.) :
Serge Ricard :
– Des angles thématiques
Nicolas Bernard :
Magali Bessone :
Denis Lacorne et Justin Vaïsse (dir.) :
Ressources documentaires consultables en ligne :
Immigration et « Américanité »
Jean-Claude Chesnais :
Bénédicte Deschamps :
- L’épreuve/les preuves de la loyauté : la presse italo-américaine face à la citoyenneté (1910-1935) (1998)
Claude Fohlen :
Annick Foucrier :
Emmanuelle Le Texier :
Pierre Mélandri :
Olivier Richomme :
Les États-Unis puissance interventionniste
Lionel Davidas :
- L’archipel des Antilles, terres d’Amérique ? : la nouvelle « New Frontier » et ses implications (2006)
Frederick R. Dickinson :
- À l’aube d’un siècle Pacifique : les États-Unis et le Japon durant la Première Guerre mondiale (2016)
Armelle Enders :
Marie-Christine Granjon :
Fredj Maatoug :
L’expansionnisme économique américain
Georges Fischer :
Pierre Gilhodès :
Gérard Marie Henry :
- La lente et irrésistible ascension du dollar des États-Unis au statut de monnaie internationale (1914-1958) (2009)
Jean-Claude Maillard :
- De la Standard Fruit à Castle-and-Cooke, origine et développement d’une multinationale bananière (1984)
Leslie F. Manigat :
L’émergence du soft power américain
Jacques Portes :
Hélène Trocmé :
Compte-rendus bibliographiques
Denise Artaud :
René Ochs :
Jacques Vernant :
- Jean-Baptiste Duroselle. De Wilson à Roosevelt. Politique extérieure des Etats-Unis, 1913-1945 (1960)
François Weil :