Claude Quétel

Histoire de la folie, de l’Antiquité à nos jours

Paris, Tallandier, 2009

Fiche réalisée par Alice Borrego, étudiante en Khâgne au lycée Claude-Fauriel en 2011-2012.

« L’histoire médicale de la folie n’est pas tant le récit de ses progrès que celui de ses erreurs, de ses renoncements, de ses retours en arrière, que ce soit dans le domaine des théories médicales, dans celui des réponses thérapeutiques ou encore dans celui des réponses sociales » (p.18). C’est ainsi que Claude Quétel, ancien directeur de recherches au CNRS et spécialiste de l’histoire de la psychiatrie et des structures et processus mentaux, rend compte de toute la complexité et du cheminement de l’histoire de la folie : cette dernière ne résulte pas d’une simple évolution de la curabilité de la folie mais bien des sinuosités, des directions et choix (bons ou mauvais) pris par les sociétés et les institutions (dans le cadre des politiques de santé).

Se pencher sur le XIXe siècle, c’est s’intéresser à la mise en place de l’asile, à la législation et aux institutions concernant les aliénés. La folie apparaît, au XIXe siècle, comme une véritable maladie et cette nouvelle considération amène un certain nombre de questions, telles que l’image du fou dans la société et la place qu’il y occupe ou encore le problème de « fixer le siège de la folie » auquel sont confrontés les médecins de l’époque. La cinquième partie de l’ouvrage de C. Quétel s’intitule très justement « le siècle d’or de l’aliénisme », le XIXe siècle étant le cœur des évolutions institutionnelles, médicales et sociales. Ce siècle représente une très grande avancée de la société et du traitement de la maladie.

La législation de 1838 est un véritable moteur dans la curabilité de la folie, elle institue que « chaque département est tenu d’avoir un établissement public spécialement destiné à recevoir et soigner les aliénés ou de traiter, à cet effet, avec un établissement public ou privé » (article 1). Il faut bien voir ici un réel changement, cependant, C. Quétel explique qu’il n’a pas suffi de cette loi pour voir une véritable implication de la société entière dans le traitement de la folie. En effet, bien que la loi de 1838 impose une visite trimestrielle des établissements par un membre de l’autorité publique, cet élément crée un clivage entre les placements dits d’office et les placements volontaires. Les premiers sont ordonnés par le préfet (non sans certains abus et déviances de la loi), tandis que les seconds sont demandés par les familles des aliénés. La folie est aussi une maladie sociale, dans le sens où elle touche le patient comme la communauté (familiale ou sociétale) dans laquelle il vit. La législation de la folie se développe un peu partout en Europe (Allemagne, Autriche, Italie, Angleterre…) et permet une multiplication des recherches médicales sur la folie, qui devient une pathologie à part entière.

Une fois les institutions et la législation mises en place, les médecins vont pouvoir développer leurs recherches et leurs expérimentations sur les malades. La folie n’est pas une pathologie générale (comme la grippe par exemple) mais elle est subdivisée sous plusieurs formes et le médecin écossais William Cullen (1710-1790) qui en établit une première nosographie (description et classification) en 1769, qui sera reprise par Philippe Pinel (1745-1826) puis par Jean-Étienne Esquirol (1772-1840). Les catégories sont diverses (idiotie, démence, manie, monomanie, etc.) et leur diversité témoigne de la complexité de la curabilité de la folie et de la nécessité de rechercher constamment les causes et les traitements de ces pathologies. L’asile va être le lieu fondateur de ces recherches et l’auteur souligne d’ailleurs que celui-ci va avoir un rôle régulateur et normatif de la vie de l’aliéné qui va interagir dans un lieu sain dont le maître-mot est l’ordre. Néanmoins, l’asile est aussi un lieu d’expérimentation où le traitement peut laisser place à la barbarie: des méthodes telles que l’hydrothérapie ou l’électrothérapie voient le jour et l’auteur souligne même qu’« il n’est pas certain que les aliénés distinguent toujours très bien quand la douche [ou le bain] les punit et quand elle les soigne. Dans tous les cas, ils s’en plaignent » (p. 362). Claude Quétel évoque également d’autres détails sanglants et sordides que nous n’évoquerons pas ici et qui témoignent des dérives de la curabilité de la folie. Ces expériences montrent bien ce qu’évoquait l’auteur dans son exorde : l’histoire de la folie est faite d’évolutions mais aussi d’erreurs. Parmi ces dernières, il faut évoquer les conditions de vie des aliénés.

La vie de l’asile est rythmée par un emploi du temps très précis et dont les plages horaires varient selon que ce soit l’hiver ou l’été. L’auteur cite d’ailleurs le Dr. Scipion Pinel (fils de Philippe Pinel) dans son Traité complet du régime sanitaire des aliénés : « cette régularité doit être aussi rigoureuse que le mouvement d’une horloge, qui une fois montée, se meut et marche sans interruption. Toutes les périodes de la journée ont ainsi leur emploi et leurs devoirs » (p. 326). En effet, la vie des aliénés est conditionnée par des tâches ménagères pour les femmes et par des travaux d’ateliers pour les hommes : le travail est une forme de conditionnement et de réinsertion sociale. Néanmoins, l’asile est peu à peu victime de la recrudescence des demandes d’internements qui favorise leur surpeuplement : on parle alors de « boom asilaire. Cette conséquence en entraine une autre: le mauvais traitement des malades. Ces derniers, du fait de leur multiplication, sont considérés comme du bétail par le personnel médical qui n’hésite pas à abuser des méthodes de traitement, « les gardiens utilisent [la camisole] de leur propre initiative et en abusent, alors même qu’ils n’ont pas le droit de punir eux-mêmes les aliénés » (p. 374).

Le travail de C. Quétel n’est pas à comprendre comme une interprétation de l’histoire de la folie mais bien comme l’étude de celle-ci, avec ses évolutions et ses régressions. Il faut noter une concision extrême, alimentée par une approche plurilatérale : le travail de l’historien ressort à travers l’univers médical et social. L’Histoire de la folie offre un ensemble de connexions qui témoigne d’une évolution du côté technique et pratique mais aussi du côté de la considération de l’aliéné en tant que malade.

– Compte rendu réalisé dans le cadre de la préparation du concours de l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, suite au colloque organisé au lycée Claude-Fauriel, en octobre 2011, en partenariat avec l’Ecole Nationale Supérieure de Sécurité Sociale (EN3S) et le Comité d’Histoire de la Sécurité Sociale (CHSS).

– Compte rendu publié dans F. Thénard-Duvivier (coord.), Hygiène, santé et protection sociale de la fin du XVIIIe siècle à nos jours, Paris, Ellipses, 2012 : extrait et sommaire.