Fabienne CHEVALLIER

Le Paris moderne. Histoire des politiques d’hygiène (1855-1898)

Rennes, PUR, 2010, 410 p.


Cet ouvrage est tiré de la deuxième partie d’une monographie d’habilitation (dirigée par Jean-Yves Andrieux, professeur à Paris IV en histoire de l’architecture) qui traitait la question sur la longue durée (1788-1898) ; la première partie (1788-1855) sera publiée en 2012.

Fabienne Chevallier décide de revenir sur une cinquantaine d’années de politiques d’hygiène dans la capitale. Période réduite mais qui est aussi le moment d’une véritable prise de conscience et d’une évolution des pratiques avec en toile de fond les changements politiques que la France affronte dans cette deuxième moitié du XIXe siècle. Tout s’accélère pour la ville parisienne à partir de 1855 avec le grand emprunt décidé par Napoléon III et le baron Haussmann pour financer l’haussmannisation jusqu’en 1898 et la publication par l’ingénieur Georges Bechmann de son Traité de salubrité urbaine, paroxysme dans la production théorique sur l’hygiène en provenance des autorités municipales parisiennes. Deux dates limites qui montrent bien que l’évolution s’inscrit aussi bien dans un cadre pratique que théorique, les deux faces d’une même pièce qu’est l’hygiène.

Si l’Empire permet une transformation de la capitale de manière radicale en raison des travaux impulsés par le préfet de la Seine G. Haussmann, la question hygiénique est souvent contrebalancée par des intérêts économiques et politiques. C’est notamment à travers une étude de la réhabilitation de l’Hôtel-Dieu, partiellement détruit par un incendie en 1772, que Fabienne Chevallier souligne l’enchevêtrement de ces intérêts divers. En 1864, alors que de nombreux projets ont été mis entre parenthèses, Napoléon III reprend le dossier en main pour renouer avec la question sociale dans un contexte de libéralisation du régime. Il s’agit de prouver aux classes les plus défavorisées que l’auteur de L’Extinction du paupérisme ne les a pas oubliées. « Un projet fourre-tout » (p. 102), pour reprendre les termes de l’auteur, voit alors le jour puisqu’il cherche à concilier un retour du pouvoir dans le domaine social, la transformation de tout un quartier dans des perspectives hygiénistes et l’établissement des premiers jalons d’un État-Providence. L’intérêt politique prend le dessus sur la question de l’hygiène publique comme le montrent les nombreux témoignages d’opposition des médecins à cette réhabilitation. Mais les travaux sont stoppés pendant un temps en raison de l’abdication de Napoléon III et s’achèvent seulement en 1877. Date à laquelle la désuétude du projet est confirmée face à la remise en cause des théories des miasmes par L. Pasteur et R. Koch qui montrent la nécessité d’isoler les malades et d’utiliser des antiseptiques. Obligations à laquelle ne peut se plier le personnel de l’Hôtel-Dieu en raison du manque de lits.

Avec le retour du choléra dans la capitale en 1883-1884, le gouvernement républicain se montre plus sensible à la question de l’hygiène qui devient un but en soi pour les pouvoirs publics et non plus une conséquence secondaire. Les liens entre architecture et hygiène se font de plus en plus sentir notamment dans le cadre des constructions scolaires et de la lutte contre les logements insalubres des classes laborieuses. Deux grands domaines analysés dans l’ouvrage par le truchement des actions notamment de l’architecte centralien Émile Trélat. Ce dernier par le biais de ses travaux mène une réflexion aboutie sur l’éclairage des salles de classe conduisant à proposer un éclairage qui se fait par un seul côté de la classe. Il va même jusqu’à penser la disposition des bureaux dans le but d’assurer la meilleure distribution possible de la lumière pour lutter contre une luminosité irrégulière nuisible à la vue des élèves.

Deux grands thèmes traversent aussi ce demi-siècle analysé par F. Chevallier. Il s’agit, d’une part, de la question du traitement des déchets et d’autre part celle de la gestion de l’eau. C’est pendant la seconde moitié du XIXe siècle que se met en place le ramassage des ordures organisé par les pouvoirs publics avec des récipients sur les trottoirs à partir de 1883 sous l’action du préfet E. Poubelle. L’autre grand débat en ce qui concerne la gestion de l’eau porte sur la mise en place d’un système du tout-à-l’égout c’est-à-dire d’un système qui traite aussi les « matières de vidanges » pour utiliser le terme de l’époque qui renvoie alors aux déjections humaines. Le débat fait rage au sein de la communauté scientifique et de l’administration parisienne quant à la pertinence de ce système calqué sur le modèle anglais. Finalement, ce procédé est accepté en 1884 par référendum par la population et les travaux ne commencent qu’en 1894 après l’aboutissement de la procédure législative pour lever les fonds nécessaires à sa réalisation.

Cet ouvrage est aussi le moyen de saisir que si l’hygiène est, comme on peut s’y attendre l’affaire des médecins, elle relève aussi de la compétence des architectes et autres ingénieurs de l’École des Ponts et Chaussée. Certes des médecins ont joué un rôle de premier plan comme Adrien Proust, qualifié de « figure capitale de l’hygiène en France » pour son action en faveur d’une hygiène sociale qu’il défend dans son Traité d’hygiène public et privé mais dont l’avis est aussi recueilli sur de nombreuses questions comme celle du tout à l’égout à Paris. Mais il convient aussi d’y joindre des architectes tels Anatole Baudot dont la construction principale qu’est le lycée Lakanal à Sceaux, apparaît comme un modèle en matière d’hygiène. A titre d’exemple, on peut mentionner la séparation stricte des dortoirs et des cuisines ainsi que la reprise de la plomberie sanitaire anglaise du fait de l’avance de ce pays dans ce domaine. A cette époque, cela constitue une véritable rupture avec les pratiques antérieures. C’est ensemble, parfois après de vifs affrontements, que ces différents acteurs, marqués par l’idée de progrès, ont réussi à imposer Paris comme un modèle en matière d’hygiène au niveau national et à faire entrer cette ville dans la modernité au sens d’« une progression des conditions de vie humaine dans la collectivité urbaine » (p. 14).

Cet ouvrage a obtenu, en 2011, le prix du meilleur ouvrage de la Société Française d’Histoire de la médecine et le prix d’histoire de la médecine (Jean-François Coste) de l’Académie nationale de médecine.

Kevin Crouzet, étudiant en Khâgne au lycée Claude-Fauriel, 2011-2012.

– Compte rendu réalisé dans le cadre de la préparation du concours de l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, suite au colloque organisé au lycée Claude-Fauriel, en octobre 2011, en partenariat avec l’Ecole Nationale Supérieure de Sécurité Sociale (EN3S) et le Comité d’Histoire de la Sécurité Sociale (CHSS).

– Compte rendu publié dans F. Thénard-Duvivier (coord.), Hygiène, santé et protection sociale de la fin du XVIIIe siècle à nos jours, Paris, Ellipses, 2012 : extrait et sommaire.