Ces fiches de lecture de Clio-prépas ne sont pas destinées, contrairement à celles de la Cliothèque à traiter des ouvrages récemment parus. Elles constituent une banque d’ouvrages qu’il faut connaître lorsque l’on prétend accéder à des formations supérieures comme les instituts d’études politiques, les prépas des IRA ou de l’ENA.
Ces fiches peuvent également servir aux préparations de concours dans lesquels se trouvent des épreuves de culture générale.

Michel Foucault (1926-1984) fait partie de ces penseurs emblématiques dont le succès outre Atlantique a été retentissant. Tant et si bien que ces découvreurs, post-structuralistes, ont été regroupés, d’une façon toute artificielle, sous l’appellation anglo-saxonne de French theory. C’est ainsi que Foucault s’est retrouvé agrégé à un groupe de penseurs hétérogène, bien que se fréquentant les uns les autres, allant du plus ancien, Roland Barthes, aux plus jeunes comme Gilles Deleuze, Félix Guattari ou Pierre Bourdieu.

Il ne s’agira pas ici de rendre compte de la pensée complexe et très ductile de Foucault. Il a exploré des territoires jusque-là inconnus, s’est attaché à dégager les régimes de vérité des discours, ainsi que leur impact sur la société. Mais ses principaux sujets de prédilection ont tourné autour du concept de «biopouvoir», comme mise en œuvre, non pas d’une politique programmatique de contrôle de la société, mais de politiques multiples et convergentes (santé, principe de précaution, sexualité, politiques pénitentiaires, urbanisme…) ayant pour but inconscient de rendre vrais et concrets des discours efficients sur l’organisation sociale et idéologique des sociétés développées
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L’Histoire de la folie à l’Age Classique est la publication d’un travail universitaire initialement intitulé Folie et déraison, histoire de la folie à l’Age Classique (1961). Cet ouvrage, audacieux, sera réédité en 1972, avec une nouvelle préface qui met en perspective les thèses développées et leurs limites. C’est là qu’apparaît l’originalité de la pensé foucaldienne et son incroyable modernité. Pas de dogmatisme, pas de système, mais une volonté de changer constamment de point de vue, de poser un regard critique sur des prises de position anciennes et remises en question.

le livre

Le livre, dont la dernière édition en poche dans la collection «Tel» chez Gallimard est parue en 2007, est une somme de 700 pages à l’écriture virtuose, tantôt factuelle, voire clinique, tantôt usant de ce que les historiens tentent de s’interdire, à savoir des métaphores éclairantes. Son propos, souvent critiqué par les historiens de profession, n’est pas à proprement parler historique, même si le passage de la folie à la déraison est examiné de la fin du Moyen-Age à l’Age Classique européen (le XVIIème siècle) et déborde sur la grande et trompeuse délivrance révolutionnaire, avec des incursions dans le territoire de la psychiatrie naissante. Foucault propose une archéologie des discours et de leur mise en œuvre dans le champ social, par une sorte de renversement qui met en relief le pouvoir des mots sur les choses et les êtres et non l’inverse, c’est-à-dire, la croyance à la précession des actes sur les discours.
La pensée de Foucault se déplace. Elle est même très mobile. Elle prête attention, sans s’y fixer, à des objets et des sujets aux contours ondoyants. Comme archéologie, et pour filer la métaphore, cette pensée fouille, non pas des strates déposées les unes sur les autres, mais ce qui pourrait être comparé à des fosses, des puits voire des dépotoirs. Elle interroge la production des discours sur la folie et la déraison. La pensée fouisseuse de Foucault détermine les imbrications, les fusions, les dissociations, réunissant ici ce qui semblait désuni là.

un travail emblématique.

En ce sens, L’Histoire de la folie à l’Age Classique, est emblématique du travail qui suivra pendant plus de vingt ans notamment au Collège de France. La nef des fous médiévale qui dévale les cours d’eau au hasard ; la prégnance de la théorie des humeurs de Gallien, notamment dans les constructions discursives modernes de la mélancolie et de l’hystérie ; l’apparente grande délivrance de la Révolution française qui désenchaîne les fous pour mieux les contraindre. Et le cœur du livre, le grand renfermement européen et principalement français du règne de Louis XIV. Prisons, hôpitaux généraux, le discours qui se considère toujours comme une heuristique du réel, le construit et l’informe. La folie s’élargit à la déraison, et ce régime nouveau de vérité produit du contrôle : celui du fou, mais aussi celui de la prostituée, du brigand, du sans toit etc. On le voit, cette recherche trouve encore des résonnances aujourd’hui. Le XVIIème siècle et la majeure partie du XVIIIème vont voir surgir des architectures imaginaires ou réelles qui poseront la Raison soit comme centre de surveillance des Dé-raisons, soit comme grille de mesure et de contention des comportements déraisonnables. Le XVIIème siècle trouve une raison à la folie, à la déviance et forge le concept englobant de déraison. Le panoptique de Bentham, les hôpitaux généraux comme la Salpêtrière fournissent les instruments intellectuels et concrets d’un amarrage de la déraison à la rationalité conquérante. A contrario, on peut voir dans les planches des Prisons de Piranèse une vision inverse de ce discours de l’enfermement : comme des projections déraisonnables de la Raison, une mise à jour de l’incontrôlable de la volonté de contrôle. On trouvera en notes les titres des œuvres principales de Foucault. Il faut cependant dire aussi que ses cours au Collège de France sont édités depuis peu et que la BNF possède un fonds inexploité de plus de 30 000 feuillets conservés dans des cartons et récemment mis au jour.

Pour finir, l’incipit, l’excipit et un extrait de L’Histoire de la folie à l’Age Classique.

«Je devrais, pour ce livre, déjà vieux, écrire une nouvelle préface.»

«Et rien en lui [le monde], surtout pas ce qu’il peut connaître de la folie, ne l’assure que ces œuvres de folie (Nietzsche, Van Gogh, Artaud) le justifient.»

«La déraison commence à se mesurer selon un certain écart par rapport à la norme sociale. Mais n’y avait-il pas aussi des personnages sur la «nef des fous», et ce grand embarquement que présentaient les textes, et l’iconographie du XVème siècle, n’est-il pas la préfiguration symbolique du renfermement ? La sensibilité n’est-elle pas la même déjà quand la sanction serait différente ? En fait la Stultifera Navis n’a à son bord que des personnages abstraits, des types moraux : le gourmand, le sensuel, l’impie, l’orgueilleux. Et si on les a placés de force parmi cet équipage insensé, pour une navigation sans port, c’est qu’ils ont été désignés par une conscience du mal sous sa forme universelle. A partir du XVIIème siècle, au contraire, l’homme de déraison est un personnage concret prélevé sur un monde social réel, jugé et condamné par la société dont il fait partie. Voilà donc le point essentiel : que la folie ait été brusquement investie dans un monde social, où elle trouve maintenant son lieu privilégié et quasi exclusif d’apparition ; qu’on lui ait attribué, presque d’un jour à l’autre (en moins de cinquante ans dans toute l’Europe), un domaine limité où chacun peut la reconnaître et la dénoncer –elle qu’on avait vu rôder à tous les confins, habiter subrepticement tous les lieux les plus familiers ; qu’on puisse dès lors, et dans chacun des personnages où elle s’incarne, l’exorciser d’un coup par mesure d’ordre et précaution de police.»
Les Mots et les choses. Gallimard. 1965.
2 L’Archéologie du savoir. Gallimard. 1969.
3 Surveiller et punir. Gallimard. 1975.
4 Histoire de la sexualité. Gallimard. Vol. 1 1976. Vol 2 et 3 1984.
5 Dits et écrits. Gallimard vol. 1 et 2 2001.