Fiche réalisée par Pierre Dupuy, étudiant en Khâgne au lycée Claude-Fauriel, 2011-2012.


L’ouvrage, publié sous la direction de Yannick Marec, est issu d’une rencontre internationale organisée par le Groupe de Recherche d’Histoire de l’université de Rouen (GRHIS) en décembre 2002. Les contributions portent le plus souvent sur l’étude d’une ville précise. Bien que l’objet du livre soit d’analyser l’évolution de la ville et des différentes politiques urbaines adoptées depuis le XVIIIe siècle, nous nous intéresserons ici seulement aux éléments correspondant au débat sur l’hygiène et la santé au sein de ces politiques urbaines.

Tout d’abord, les constats sur l’hygiène avant les changements amorcés au milieu du XIXe siècle sont alarmants : les logements sont insalubres, l’air est malsain et les moyens de distribution d’eau datant de l’Ancien Régime sont inadaptés pour une population urbaine de plus en plus nombreuse.

Toutefois, une amélioration des conditions de vie commence à être visible. Elle correspond non seulement à des progrès scientifiques et médicaux considérables mais aussi à une meilleure prise en compte de ces enjeux précédemment cités par les municipalités. On constate ainsi un investissement important des municipalités qui passe par la technicisation des discours hygiénistes et la professionnalisation des nouveaux acteurs : « Le vocabulaire quitte le plus souvent le champ du malodorant et de l’incommodant pour se rapprocher du champ de santé publique » (Juliette Aubrun, p. 218). Il y a réellement un impact voulu sur le domaine moral avec des campagnes de sensibilisation à l’hygiène, organisées par exemple dans la Lyon d’Édouard Herriot par le professeur Courmont qui met en avant le « droit à l’hygiène » et en appelle à la responsabilité individuelle.

Un véritable défi hygiéniste est alors lancé aux classes populaires. Les politiques urbaines peuvent les placer au centre des préoccupations, comme les politiques allemandes dont on peut voir un exemple à Strasbourg avec la cité-jardin de Stockfeld qui répond au besoin de logement des ouvriers tout en les éduquant sur l’hygiène. Mais ces mêmes politiques peuvent aussi être inexistantes, comme le montre l’exemple de la ville italienne « spontanée » (p. 251) où les habitants plus que la municipalité prennent en charge le fait urbain et où l’hygiène a peine à être respectée.

On observe donc des limites importantes aux pratiques hygiénistes. Outre les enjeux sociaux et moraux dont ont du mal à se défaire les discours hygiénistes, il faut souligner la faiblesse de la loi qui ne donne pas assez de pouvoir aux commissions d’hygiène pour résoudre des questions pouvant heurter le droit à la propriété privée ; ce que prouve la question des égouts : « si la construction des égouts est réclamée par les élus, il n’est à cette époque jamais question d’imposer aux riverains le rattachement de leur immeuble au tout-à-l’égout » (Juliette Aubrun, p. 214).

Nous pouvons également remarquer que les politiques d’assistance connaissent de grands bouleversements. A Grenoble, se distinguent deux organismes : l’hôpital civil créé à l’époque révolutionnaire et le bureau de bienfaisance mis en place en 1809. L’hôpital garde alors encore deux fonctions : « être l’asile du pauvre et dispenser des secours médicaux » (p. 389). Mais le bureau d’assistance lui adopte des fonctions plus diverses, fonctions qui comprennent dès 1839 sur l’initiative du maire Honoré-Hugues Berriat la médecine gratuite à domicile. Il anticipe ainsi la loi du 15 juillet 1893 sur l’assistance médicale gratuite : « Tout Français, privé de ressources, reçoit gratuitement de la commune, du département et de l’État suivant son domicile de secours l’assistance médicale à domicile, ou s’il y a impossibilité de le soigner utilement à domicile dans un établissement hospitalier » (extrait cité p. 466 par Jean-Paul Domin). Dans cette logique, l’exemple de l’assurance est aussi développé car elle est définie comme une mission confiée aux mutuelles pour protéger les ouvriers et renforcer une prise de conscience médicale de leur part.

Nous pouvons, dans un dernier temps, mettre en avant les différentes expériences sociales et urbaines au XIXe siècle et leur apport à la santé publique. L’organisation de l’assistance avant la « révolution industrielle » est fragile : là où les municipalités ont démissionné, seules des aides ponctuelles procurées par charité individuelle ou permises grâce à des associations apportent des normes d’hygiène. Parmi ces exemples de philanthropie, se distingue Jean-Denis Cochin, maire du XIIe arrondissement de Paris sous la Restauration qui tenta de porter secours aux classes défavorisées, porté par une vision hygiéniste conjuguée autour du catholicisme, des Lumières et des thèses du préfet de la Seine, Claude-Philibert de Rambuteau.

Avec la « révolution industrielle », de nouveaux moyens permettent l’avènement de la santé et de l’hygiène. L’évolution de la ville et les nouvelles façons d’envisager l’urbanisme ont par exemple permis une amélioration de la santé dans les quartiers. La percée de la Rue des Écoles dans le XIIe arrondissement de Paris a pour but d’améliorer les conditions de vie, d’apporter de la lumière et ainsi une meilleure santé, d’entamer de façon durable le labyrinthe constitué par les rues obscures et ainsi de prévenir « la concentration des classes dangereuses » (p. 564).

L’objet de l’ouvrage était donc de savoir si nous pouvions véritablement parler de « villes en crise » et nous avons vu au contraire que les villes s’étaient considérablement améliorées sur la question de l’hygiène et de la santé.

On pourrait regretter que les milieux les plus aisés, pouvant faire office de contrepoint, soient absents de ce débat. Ce livre reste néanmoins un ouvrage-clé, apportant des réponses claires, précises, variées et documentées sur l’évolution de la ville européenne.

– Compte rendu réalisé dans le cadre de la préparation du concours de l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, suite au colloque organisé au lycée Claude-Fauriel, en octobre 2011, en partenariat avec l’Ecole Nationale Supérieure de Sécurité Sociale (EN3S) et le Comité d’Histoire de la Sécurité Sociale (CHSS).

– Compte rendu publié dans F. Thénard-Duvivier (coord.), Hygiène, santé et protection sociale de la fin du XVIIIe siècle à nos jours, Paris, Ellipses, 2012 : extrait et sommaire.