Les consignes du jury
Le jury de l’ENS rappelle souvent que la dissertation d’histoire « n’est pas une épreuve d’érudition et que l’encyclopédisme n’y fait pas recette », mais qu’elle « suppose toujours une relecture de l’ensemble du programme de l’année en fonction d’une question particulière » (rapport 2003). Une copie « n’est donc pas une narration exhaustive (impossible en 6 heures), mais une synthèse informée, agencée selon une problématique déduite des termes du sujet » (2003).
Aussi le principal écueil rencontré par les candidats est de « problématiser suffisamment la question posée » (2010). C’est pourquoi le jury sanctionne les copies qui récitent le cours tandis qu’il valorise les copies nuancées, capables de sortir des stéréotypes. « Le but de la préparation est d’amener les candidats non pas à être des singes savants, mais à savoir s’exprimer de manière structurée sur un sujet donné à partir d’une information pertinente » (2011).
Autre difficulté couramment rencontrée : une mauvaise gestion du temps de préparation qui aboutit à une dissertation déséquilibrée avec, par exemple, une « 3e partie croupion » inachevée.
L’introduction : une étape capitale de la dissertation
Cette étape capitale doit être particulièrement soignée lors de la préparation au brouillon. Elle résulte d’une réflexion préliminaire et respecte les « cinq piliers » suivants (présentés comme tels dans le rapport de 2003 mais réaffirmés chaque année).
– Conseil : « une fois le plan défini, il convient de rédiger, au brouillon, une conclusion formulant, de façon explicite, l’idée générale en montrant comment en découlent les principaux aboutissements du plan. L’introduction doit lui faire suite » (rapport 2010). Elle comporte plus d’une page : « rares sont celles qui n’atteignent pas une page » (2011).
1) L’accroche
L’accroche (amorce ou attaque) « demeure facultative mais fortement recommandée » (2003). Elle sert à « capter l’attention du correcteur » (2003), à « susciter l’intérêt immédiat du lecteur » (2010).
– Conseil : « il convient de partir soit d’un aspect précis du sujet pour l’introduire ensuite, soit d’une idée générale pour préciser ensuite la question » (2010). On peut partir d’un exemple concret (une invention, une loi, un ouvrage, etc.), d’une iconographie (sans s’appesantir sur la description) ou encore d’une citation, mais cela ne doit pas donner l’impression d’être utilisable quel que soit le sujet… Il convient aussi d’éviter les formules généralistes (« depuis l’Antiquité », etc.).
2) L’analyse des termes du sujet
Cette analyse « demeure le pilier central de l’introduction. Aucun [des termes] ne doit être laissé de côté. Et chacun doit être analysé le plus précisément possible, en se posant toujours la question du terme qui aurait pu être mis à sa place et de la raison pour laquelle c’est celui de l’intitulé du sujet qui a finalement été choisi » (2003). Il s’agit donc de justifier le sujet : « le candidat livre sa conception du sujet (un choix conscient, même discutable, lui vaut en général un a priori favorable du correcteur) » (2010).
– Conseil : il faut connaître les définitions des notions réutilisables dans un sujet.
• Par exemple, en 2012 : hygiène dans toutes ses acceptions possibles (corporelle, individuelle, publique, sociale, industrielle, hospitalière, mentale, raciale, etc.) ; hygiénisme (hygiéniste) ; santé (santé publique, poli-tique de santé, droit à la santé, etc.) ; médecine (médecin) ; protection sociale. En outre, la connaissance précise de certains termes peut éviter bien des erreurs et imprécisions ; par exemple : thérapie, thérapeutique ; en-démie, épidémie, pandémie.
3) La délimitation des bornes chronologiques et géographiques du sujet.
Un sujet de dissertation doit toujours se lire à l’aune du programme de l’année. Le jury rappelle inlassablement que les bornes chronologiques ne doivent pas seulement être explicitées mais aussi justifiées. Elles donnent son sens au sujet en faisant généralement émerger des enjeux et des notions.
– Conseil : même quand le sujet porte sur l’ensemble de la période traitée par le programme d’écrit, le jury attend que les bornes chronologiques soient justifiées.
• Par exemple dans le sujet 2011, l’indication « début du XIXe siècle » offre, selon le jury, la possibilité de « débuter en 1789 ou à l’époque napoléonienne, pourvu que leur choix fût explicitement ou implicitement justifié ». Plus précisément, « il aurait été bienvenu d’expliquer brièvement pourquoi on faisait le choix de démarrer en 1789, en 1791, voire au moment de la rédaction du Code civil ». De même, il fallait expliquer en quoi 1946 (borne du programme et du sujet) était un « moment non négligeable dans l’histoire des femmes françaises puisque pour la première fois leur égalité avec les hommes était reconnue formellement par la Constitution » (rapport 2011).
4) La définition de la problématique
La formulation de la problématique est essentielle. Le jury relève souvent les maladresses de forme (batterie de questions entre lesquelles on ne perçoit pas toujours le lien) et la confusion irritante entre interrogation directe et indirecte.
– Conseil : la problématique n’est pas la simple reprise du libellé du sujet à la forme interrogative ! Elle répond à « la nécessité de bâtir les devoirs autour d’une question pertinente qui permette une réelle discussion, menant ainsi à une analyse qui ne soit pas unilatérale ou trop fade » (2011).
5) L’annonce du plan
Si l’annonce du plan est un passage quelque peu rhétorique, il n’en est pas moins essentiel puisqu’il donne un fil directeur au correcteur pour la suite de sa lecture.
– Conseil : la clarté et l’efficacité sont les maîtres mots de l’annonce du plan !
Le plan et l’argumentation
Le jury accepte tous les plans (ou presque) à condition qu’ils soient cohérents, construits, ordonnés, équilibrés et que les termes de l’organisation du plan soient légitimés. L’idéal étant un croisement entre les plans thématiques et chronologiques. Dans tous les cas, il faut légitimer les dates, problématiser les introductions, définir les concepts.
Le jury insiste sur la nécessite de construire « un plan vraiment cohérent » en trois grandes parties doit chacune doit « faire l’objet d’une construction rigoureuse autour de thèmes s’enchaînant les uns avec les autres » (2010). Il faut donc se garder de déverser « un flot d’argument » qui « lancés au hasard » finissent par ressembler à une « bouillie informe » (2011).
Autre point essentiel : il faut veiller à « l’équilibre général » de la dissertation. Si le jury peut accepter « à la rigueur qu’une dernière partie fasse trois petites pages contre 6 à la première et 5 à la seconde » (et encore, mieux vaut l’éviter), cette proportion ne peut aller « du simple au triple ou au quadruple »…
– Conseil : « un travail efficace au brouillon » passe par « un certain nombre de préalables :
* bien lire le sujet, c’est-à-dire le traduire en d’autres mots, recenser tous les thèmes à aborder (avec un exemple à chaque fois),
* opérer un tri entre eux, les classer et les enchaîner,
* déterminer l’importance respective des idées afin de démonter une idée générale » (rapport 2010).
• Selon le rapport du jury en 2003, il existe « deux règles d’or de la construction du plan dans une dissertation d’histoire » :
1) « Si le cadre général est chronologique, les sous-parties doivent être agencées de façon thématique et exceptionnellement de façon chronologique, sous peine de transformer la dissertation en une plate narration, en un écheveau dont on tirerait le fil. Si le plan est thématique, ce qui arrive lorsqu’il y a discordance temporelle entre des phénomènes d’ordre différent, les sous-parties doivent impérativement indiquer quelles sont les ruptures chronologiques. »
2) « La seconde règle d’or est celle de l’équilibre entre les parties. Elle va de pair avec la maîtrise du temps de l’épreuve » afin de rédiger correctement la troisième partie et la conclusion, mais aussi de relire la copie !
La conclusion
La conclusion ne doit pas être « rachitique ». Le jury dénonce les conclusions « trop courtes (10 à 15 lignes), rédigées dans la fièvre des cinq dernières minutes de composition, se contentant en général d’un vague résumé, voire d’une reprise de l’annonce du plan ». Il insiste aussi sur « l’art de la « chute » » qu’on appelle encore élargissement ou ouverture de la réflexion…
– Conseil : « une conclusion se rédige au brouillon avant de passer à l’écriture d’ensemble de la copie. Il en va d’ailleurs de même de l’introduction qui est élaborée en fonction de la conclusion et vice-versa » (rapport 2011).
Les « bonus » et les « malus »…
La mise en perspective historiographique
Une bonne copie ne peut faire l’impasse sur les questions épistémologiques ou historiographiques posées implicitement par le sujet, notamment les « nouveaux champs historiques ».
• Ainsi, dans le sujet de 2011 sur « le travail des femmes en France », il fallait « mettre en relation l’histoire classique du travail avec l’histoire des genres, aujourd’hui en plein développement ».
Le style
Évitez, autant que possible, un style « assez plat », les fautes d’orthographes (moins d’une dizaine est tolérée), mais aussi la « répétition de formules standard, parfois jargonnantes ». Évidemment, l’idéal serait « un minimum d’élégance »… Au minimum, visez une « orthographe correcte » (sans fautes d’accord ni de concordance des temps) et un « style concis » (faisant montre de rigueur démonstrative).
– Conseil : réservez au minimum dix minutes en fin d’épreuve pour relire votre copie. Surtout, veillez à écrire lisiblement et proprement (sous peine d’encourir les foudres du correcteur).
– Conseil : mettez bien en valeur les parties et sous-parties de votre dissertation. Aussi le jury rappelle-t-il d’« aller à la ligne après un paragraphe consacré à une démonstration particulière » mais aussi de « ménager des transitions entre le passage d’une idée à une autre » (2010).
Les programmes et sujets (2009-2013)
Voici les intitulés des programmes et des sujets de tronc commun posés, depuis 2009, dans le cadre de la Banque d’épreuves littéraires (BEL) désormais commune aux différentes commune aux Écoles Normales Supérieures de Paris, Lyon et Cachan, à l’École des Chartes et à d’autres grandes écoles.
Programme 2009 : « Politique et société en France de 1848 à 1958 ».
– Sujet de l’épreuve écrite : « L’autorité en France, 1848-1958 ».
Programme 2010 : « La Méditerranée de 1798 à 1956 ».
– Sujet de l’épreuve écrite : « Rapports de domination en Méditerranée (1798-1956) : impérialismes, colonisations et résistances ».
Programme 2011 : « Les mondes du travail en France de 1789 à 1946 ».
– Sujet de l’épreuve écrite : « Le travail des femmes en France du début du XIXe siècle à la fin de la Seconde Guerre mondiale ».
Programme 2012 : « Hygiène et santé en Europe de la fin du XVIIIe siècle aux lendemains de la Première Guerre mondiale ».
– Sujet : « Populations, pouvoirs publics et hygiène en Europe, de la fin du XVIIIe siècle aux lendemains de la Première
Guerre mondiale ».
Programme 2013 : « Guerre, Etat et société en France (1851-1945) ».
– Sujet : patience…
– Conseil : il est très vivement conseillé de lire les rapports du jury !!
– Enfin, un (dernier) conseil : il est important d’être en capacité de dégager les enjeux historiographiques et épistémologiques d’une sujet… Cela demande du recul et de la culture historique… Il est donc préférable de commencer dès l’année d’Hypokhâgne. Votre professeur d’histoire saura vous conseiller. Voir aussi Les 100 Livres d’histoire et de géographie, Paris, Ellipses, 2011 (compte rendu des Clionautes)