photographie réalisée par Antoine Fabiani

Présentation

Cette photographie a été prise le 9 août 2013 sur le circuit pédestre des falaises en face de la mythique ville de Bonifacio perchée à quarante-deux mètres d’altitude et soutenue par une des formations calcaire des plus surprenantes dans le département de la Corse-du-Sud. Appelée par l’écrivain Antoine Claude Pasquin « la cité des falaises », Bonifacio nous apparaît comme ce joyau géographique se détachant de la terre de l’Ile de Beauté pour rejoindre une Sardaigne effacée à l’horizon. Ce sont les quelques 3000 bonifaciennes et bonifaciens qui dominent de leur citadelle les dangereuses Bouches de Bonifacio balayées par le Libecciu (vent d’ouest) et un cap long de 1600 mètres et large de 100 mètres, si redoutés des plus vaillants marins comme Ulysse lors de son Odyssée.

Description

Au premier plan à droite, on remarque une première falaise, la « veine » calcaire de la Corse âgée de 25 millions d’années, creusée et compressée au fil des millénaires par la puissance du vent et de la mer déchaînée. Ces falaises déformées de parfois soixante mètres que l’on voit se déployer tout le long d’une côte de 120 kilomètres, semblent surgir ici de la mer Méditerranée. Les sommets de ces structures géologiques sont recouverts d’un maquis clairsemé composé d’oliviers sauvages, d’arbousiers, de chênes kermès et de pins. Les rivages rocheux du premier plan au pied des falaises donnent sur une mer d’un bleu turquoise exceptionnel.

Au second plan, la citadelle médiévale apparaît haut-perchée sur ses falaises, avec ces ruelles étroites et ombragées que l’on devine entre des immeubles orangés à deux ou trois étages. En observant avec plus de précision la ville, on distingue plusieurs parties du chemin de ronde qui encercle la cité construite lors de la longue période génoise qui dura de 1195 à 1768 puis consolidé après que la Corse soit devenue française par l’armée. Les toits de la ville fortifiée sont dominés, comme nous le montre cette photographie, par la Torrione, la première tour de guet de Bonifacio détruite en 1901 et rebâtie en 1984, qui appartient à la structure stratégique de fortification de la ville.

A l’arrière plan, on distingue quatre voiliers blancs au large sur la mer Méditerranée qui s’effacent à l’horizon en-dessous d’un ciel nuageux.

Interprétation

C’est la nature qui a façonné depuis des millénaires ce calcaire jusqu’à ce qu’il devienne un point stratégique en lequel des civilisations successives ont vu un point de surveillance incontournable du bassin Méditerranéen et sur lequel elles ont participé les unes après les autres à lever des remparts et des tours. Il est nécessaire de préciser que la citadelle repose sur l’unique structure calcaire de Corse, île par ailleurs presque exclusivement constituée de granit, ce qui explique la déformation singulière de ce littoral aboutissant à des formes géologiques des plus complexes. En effet, le calcaire étant une roche bien plus « tendre » que le granit, elle subit bien plus les effets de l’érosion comme en témoignent ces falaises qui semblent rongées par les vagues et le temps.

La question que l’on se pose est alors de comprendre l’intérêt qu’a eu l’homme de s’implanter dans cet espace. Ce sont en effet les Romains qui comprirent les premiers la position stratégique que pouvaient offrir ces falaises pour accueillir une nouvelle base commerciale entre la Corse et la Sardaigne au sein de l’Empire en paix. Si sa position géographique avait intéressé les Romains en temps de paix pour développer le commerce maritime dans la région de Corse-Sardaigne, elle fût par la suite l’objet de nouvelles convoitises étant considérée comme un maillon stratégique militaire en Corse. C’est ainsi qu’elle se vit disputer par deux républiques puissantes du 12ème siècle, Gênes et Pise. Ravagée par la peste et par les attaques successives, c’est à partir de 1559 que les Génois reprennent en main une ville dévastée et pillée pour lui rendre sa réputation passée de citadelle imprenable.

Aujourd’hui, la citadelle vit toute l’année des touristes attirés par des panoramas imprenables, une vingtaine de plages accessibles par des escaliers mythiques taillés dans le calcaire comme celui du roi d’Aragon de 189 marches que ses troupes auraient construit en une seule nuit lors du siège de la citadelle et l’ensemble des randonnées possibles au milieu du maquis au-dessus des falaises. La cité perchée appelée aujourd’hui « le musée à ciel ouvert de la Corse » et ses habitants court jour après jour le risque d’éboulements des falaises corrodées par la mer et le vent. Une vigilance quotidienne est aujourd’hui mise en place face à un danger très important de ravinements ou d’éboulements que les autorités corses ont projet de limiter par des mécanismes d’amarrage par câbles, par clouage et confortement des parois par massif bétonné ou par filet pare-blocs associé à des fixations à ressort.

Intérêt

Cette photographie amateur prise des sentiers pédestres longeant le littoral, nous permet de prendre conscience du phénomène d’érosion du calcaire qui donne l’impression d’une cité suspendue dans le ciel gouvernant de sa hauteur un des plus dangereux et stratégiques goulets de Méditerranée. Si elle a d’abord pour vocation de cibler un intérêt géographique majeur, elle comporte de ma part une dimension sentimentale qui suit les traces de mes ancêtres arrivés en Corse dans ces galères génoises au pied des ces falaises infranchissables.

Par de bonnes conditions climatiques comme ici, les couleurs du maquis, de la roche et de l’eau se confondent pour reconstruire à elles seules un paysage corse typique. Au beau milieu du Parc Marin International Corso-Sarde et de la réserve naturelle Tre Padule de Suartone, cette photographie tente aussi de valoriser le patrimoine naturel de ce détroit qui abrite des trésors géographiques comme l’archipel des Lavezzi, l’île de Cavallo ou ces très imposantes parois blanches accrochées au ciel par un fil invisible qui peut rompre à tout moment.

Antoine Fabiani, HK Lycée Sainte-Marie de Neuilly