L’AUTEUR
Né en 1960, Michel LUSSAULT est un géographe français, professeur à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon. Auteur de 9 ouvrages, il a aussi mené une activité de conseil en aménagement et urbanisme auprès de collectivités locales. Il préside le conseil scientifique du Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA).
RÉSUMÉ
Dans cet ouvrage, Michel Lussault part d’un constat : le monde est urbain, mobile et connecté, ce qui définit une nouvelle organisation humaine de la terre. Cette mutation est encore en cours. Pourtant, les formes de vie sociale mondialisées ne sont déjà plus vraiment sous contrôle.
GRANDES IDÉES DU CHAPITRE ET LEURS ARTICULATIONS
L’attirance pour la catastrophe
Avec l’accident nucléaire de Tchernobyl, le 26 avril 1986, le monde découvre la faillibilité des technologies : c’est la première catastrophe de la mondialité. Ces catastrophes concernent des événements naturels mais aussi le terrorisme. L’on constate ainsi une synchronie entre « l’engagement de la phase active de mondialisation et d’urbanisation des années 1980 et l’expansion de l’usage de la voiture piégée et de l’acte kamikaze ». Les cibles sont « presque toujours urbaines, pour maximiser les dommages et frapper les esprits ». L’attentat constitue désormais un des registres du catastrophisme, « entendu comme le mouvement d’affirmation de la catastrophe en tant que principe opérateur de la mondialisation »
Il y a donc une attirance pour la catastrophe, non pas seulement naturelle, même si elle marque particulièrement car son origine parait nous dépasser, mais les « événements majeurs d’envergure mondiale ». La zone est pourtant en général circonscrite mais il y a un grand écho médiatique, une mobilisation humanitaire, et une émotion mondiale. Elles entrainent parfois des débats au-delà du périmètre de gestion des conséquences. Tout n’est pas pourtant une catastrophe mondiale alors que chaque jour de grands désastres se produisent. Il y a des conditions de possibilité du classement en catastrophe correspondant à « l’état du monde du moment ».
La mise en place d’un voyeurisme et du pessimisme est due en partie au développement du système médiatique international et des chaines télévisées d’information continue, qui organisent une mise en scène spectaculaire du monde. Ces chaines utilisent toutes les mêmes images : l’homogénéité du fond et de la forme se construit dans la mondialité. « Si la catastrophe n’est pas présente, son imminence est toujours déjà annoncée ». Il y a donc une culture de la peur, ce qui est préoccupant car beaucoup d’intervenants politiques et sociaux y adhèrent.
Le catastrophisme n’est pas qu’une création médiatique. Il témoigne d’une inquiétude croissante depuis environ trente ans. U. Beck est le premier à le signaler quelques mois après Tchernobyl. Cette peur est créée en partie par l’opinion, la culture et les attitudes sociales. Il y a eu un « changement dans la manière de considérer la catastrophe dans son rôle de structuration d’une société ». Le pessimisme grandit dans les pays urbanisés développés. Le sentiment que le nombre de catastrophes augmente sans cesse est nourri par les compagnies d’assurance et même les ONG car l’ampleur du désastre fonde leur légitimité à agir.
L’ONU a créé l’UNISDR (United Nations Office for Disaster Risk Reduction) ce qui est la preuve de la mondialisation de la problématique des risques. Elle diffuse des informations sur les désastres dus à des aléas naturels, mais ne traite pas des accidents technologiques et épisodes épidémiques parce qu’elle est sensée aider les pays à s’adapter au réchauffement climatique, postulant qu’il augmente les risques. Il y a donc une vision catastrophiste du réchauffement climatique. Les données du site de l’UNISDR ne sont pas relativisées alors même que les experts sont divisés.
Or l’urbanisation a entrainé des regroupements de population dans des périmètres exposés, notamment dans les pays émergents et les Pays en Voie de Développement. Les constructions en zone inondable expliquent en partie la hausse des inondations. De même la position littorale des pôles urbains implique davantage de dégâts lors des ouragans ou tempêtes.
De plus, le nombre de désastres signalés augmente à mesure que la couverture assurantielle s’améliore. On déclare comme désastres des choses non conçues comme telles avant. Cette peur concerne d’autres domaines : technologie, alimentation, médecine, migration… La réflexion à mener sur les moyens d’adapter l’habitat humain au changement n’est pas assurée par l’UNISDR.
Les nouveaux compromis planète-terre-Monde
Lors du troisième Sommet de la Terre en 1992 a été défini l’agenda 21, signé par 173 Etats, ainsi que trois conventions de l’ONU. Avec le protocole de Kyoto, on avait alors le sentiment de la construction d’une scène politique mondiale efficace. Nous en constatons aujourd’hui la régression. La déclaration de Stockholm stipule que l’écologie devient une préoccupation majeure devant guider l’ONU et les discussions entre Etats. La question du gouvernement possible des « biens communs naturels de l’humanité » se pose. Les instances mondiales contribuent à « instaurer le monde comme nouvel espace de cohabitation des hommes ». Le monde est au moins devenu une réalité discursive.
Le système biophysique (systèmes biologiques et physiques qui soutiennent la planète) est en passe de changer rapidement. La nature est faite d’une interaction constante entre individus et sociétés d’une part et biophysique d’autre part. C’est donc le « processus d’intégration sociale des données physiques et biologiques dans, par et pour la société » qui est en question. Chaque société construit ses « états de nature », que Michel Lussault définit comme « compromis culturel évolutif qui assure une partition, une répartition et un régime de relations légitimes entre l’humain et le non-humain, l’inerte et le vivant ». Il n’y a pas de nature stable à toutes les époques, ni comparables en tous lieux, c’est pourquoi l’environnement (cadre géographique de la spatialité des individus, l’arrangement matériel de leurs espaces d’action) est modifié.
L’illustration des liens biophysiques entre nature et environnement spatial se fait par le problème de l’air urbain. La croissance des mobilités des hommes, des marchandises et des flux implique la multiplication des réseaux. Des ondes sont émises dans l’atmosphère ; or il y a des controverses sur les effets des ondes électromagnétiques. En outre, à l’atmosphère calme et silencieuse, l’imaginaire de la bonne habitation ajoute la pureté de l’air. Les réflexions sur les liens entre santé et qualité de l’air s’affirment. Les ilots urbains ont un rôle dans le réchauffement climatique. Eric Klinenberg souligne dans son livre Heat Wave que l’événement naturel contribuant à une crise de l’habitation urbaine révèle les conditions d’organisation du monde et leurs conséquences sur les individus.
L’urbanisation provoque aussi un mouvement continu de circulation d’espèces, souvent sans que cela soit provoqué par l’homme, et qui s’ajoutent aux écosystèmes urbains. Ces derniers sont multiscalaires : il y a des déclinaisons locales de l’adaptation des espèces mais pas de règle générale. D’autre part la culture change la réaction d’un individu urbain face à telle ou telle espèce. Il faut donc maintenir les écosystèmes « afin de trouver les voies d’un développement humain soutenable ».
CRITIQUE
Ce chapitre fait prendre conscience du catastrophisme de nos sociétés, mettant notamment en évidence les mises en scène médiatiques des catastrophes. Michel Lussault montre de plus que malgré l’insistance des instances mondiales sur la responsabilité humaine dans la survenue de catastrophe, les autorités politiques ne semblent pas s’accorder sur des mesures à adopter.
Toutefois, Michel Lussault, en voulant montrer que l’on mettait par trop en avant l’influence néfaste de l’Homme sur son environnement, notamment urbain, l’a minimisée. En outre, s’il dresse le constat de l’installation d’une culture de la peur dans les sociétés occidentales, il ne donne pas de moyens pratiques pour la diminuer. Il oublie notamment les aspects économiques et politiques de la mondialisation de la problématique des risques. Nous pourrions donc regretter que l’auteur ne présente pas de réels principes d’action.
Gabrielle Legourd, HK/AL, Lycée Sainte-Marie de Neuilly