Anne Clerval est enseignante-chercheuse en géographie à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée. Elle a fait sa thèse de doctorat à Paris I, elle s’intitule : La gentrification à Paris intra-muros : dynamiques spatiales, rapports sociaux et politiques publiques, 2008).
Son travail s’inspire de la géographie radicale anglophone, et en particulier des analyses de la gentrification de New-York menées par Neil Smith, ancien élève de David Harvey.

Dans ce chapitre, l’auteur souhaite analyser spécifiquement les dynamiques spatiales de la gentrification Parisienne. Pour ce faire, elle montre comment cette gentrification progresse dans l’espace et dans le temps à Paris, et explique quels sont les différents éléments qui permettent d’expliquer ces décalages spatio-temporels. Elle utilise la comparaison des enquêtes stylistiques et des analyses de terrain.

Anne Clerval présente la gentrification comme un processus de diffusion des populations bourgeoises du centre vers la périphérie rénovée. Elle montre qu’à Paris le centre polarisateur à partir duquel s’organisent les changements urbains et sociaux est formé des beaux quartiers de l’Est, et non des arrondissements centraux. De fait, elle remarque que la gentrification à Paris s’effectue au contact des quartiers aisés, comme le démontre la carte 7 : la progression du front de gentrification à Paris depuis les années 1960 (début de la gentrification à Paris). On voit bien que la gentrification procède au départ des quartiers de l’Ouest, et se déplace au fil du temps de plus en plus à l’Est. Elle associe donc la gentrification à un processus de conquête, qui entraine la dépossession des classes populaires de leurs espaces de vie. Elle décrit l’évolution de la gentrification, qui s’étend au reste de la rive gauche (13ème et 14ème), et gagne la rive droite (1er, 4ème, 9ème, nord-ouest du 10ème ) dans les années 80, et qui s’achève dans les années 90 sur la rive gauche, alors qu’elle se concentre sur la rive droite et procède à la réhabilitation du bâti. Elle s’étend alors le long d’un axe allant des Batignolles à Bercy en passant par les établissements centraux et péricentraux de la rive droite, le Sentier. Elle progresse selon le même axe dans les années 2000, gagnant largement le 18ème, 19ème et 20ème. Ainsi, l’auteur souligne le fait que la diffusion spatiale est une des modalités principales d’avancée de la gentrification. Cependant, elle explique que l’accès à un espace-vert, à l’eau ou à une densité de population plus faible que la moyenne peut expliquer la présence d’avant-postes de la gentrification, comme la Butte Montmartre (18ème), ou le parc de la Villette (19ème).
Cela lui permet de montrer que la progression de la gentrification n’est pas continue à Paris, elle procède parfois à des contournements, notamment des espaces marqués par une forte concentration de population étrangère (ex : Belleville) : la gentrification gagne quelques rues, mais les autres tiennent. De fait, la gentrification est diffuse (par les ménages qui acquièrent et réhabilitent un logement dans un quartier) mais aussi concentrée, car ces ménages sont agglomérés, souvent dans le prolongement d’un espace remarquable. Elle souligne le caractère cumulatif, et nécessairement dynamique de la gentrification à Paris : en effet, elle remarque que plus la gentrification est avancée et se traduit par l’évolution des immeubles et des commerces, plus l’agglomération de ménages gentrifieurs est importante, et se diffuse au-delà du noyau central. Pour résumer, Anne Clerval met en avant le fait que la gentrification à Paris ne relève pas d’un modèle défini par des étapes strictes, elle montre que les modalités du processus se transforment au fil du temps.
De plus, l’auteur met en avant le fait que la gentrification transforme les centralités (notamment de loisir et de culture) à Paris, en accompagnant leur déplacement vers le Nord-Est Parisien. Par exemple, l’installation des artistes dans un quartier contribue de l’animer de façon nouvelle (Rue Oberkampf). De fait, les anciens lieux à la mode (quartier latin) perdent leur attrait pour les jeunes actifs « branchés » et laissent place au tourisme. Ainsi, Anne Clerval présente l’émergence de nouvelles centralités de loisirs éloignés du centre traditionnel comme un processus parallèle à la gentrification.
Enfin, l’auteur explique que deux dynamiques concurrentes se rencontrent dans le parc ancien des quartiers populaires à Paris : la gentrification et l’immigration, les deux transforment les commerces, l’espace public et l’identité d’un quartier. Néanmoins, après les avoir évitées le plus possible dans les années 80-90, la gentrification rencontre aujourd’hui les dynamiques d’immigrations dans les milieux populaires, comme à Belleville. Ainsi, une configuration sociale particulière naît dans ces quartiers, qui pose la question de la cohabitation sociale.

Sur le plan personnel, ce chapitre m’a permis de mieux saisir les enjeux particuliers de la gentrification à Paris. En tant que Parisien, je comprends maintenant davantage l’atmosphère si particulière d’un quartier comme celui de la Rue Oberkampf, qui, en une décennie, est devenu un quartier branché et animé, avec de nombreux bars, de la musique à la mode et des décors qui cherchent à être originaux : elle est due à l’installation de jeunes artistes ou bourgeois, qui dynamisent ce quartier, en somme, cette atmosphère nouvelle s’explique par la gentrification. Aussi ce chapitre m’a permis de comprendre la véritable logique des dynamiques spatiales de la gentrification à Paris, grâce à la carte n°7 : je suis maintenant capable d’expliquer d’où part cette gentrification et de montrer qu’elle procède de proche en proche à partir des quartiers aisés du Nord-Ouest, depuis 1960.
Cependant, il m’aurait semblé intéressant que l’auteur fournisse des témoignages de personnes ayant participé à la gentrification d’un quartier, afin d’en savoir davantage quant à leurs motivations. Aussi, une présentation de photos de rues avant et après leurs gentrification aurait permis au lecteur une meilleure représentation visuelle des effets de la gentrification d’une rue. Toutefois, si ce chapitre permet d’affiner sa compréhension des dynamiques spatiales de la gentrification, le fait qu’il soit centré sur Paris uniquement donne selon moi une vision quelque peu réductrice du phénomène : une étude comparative avec les dynamiques spatiales de la gentrification dans une autre métropole française aurait sans doute permis de mettre en avant le caractère particulier du cas de Paris, et de souligner l’hétérogénéité de ces dynamiques, suivant les métropoles. Pour finir, il aurait été intéressant que l’auteur effectue des prévisions quant à l’évolution du processus de gentrification à Paris, s’il tend à se ralentir ou si une évolution du processus au-delà du périphérique et de sa couronne de logements sociaux est envisageable.

Eliott Legrand, HK/AL, Lycée Sainte-Marie de Neuilly