Résumé :
Ce chapitre sur « La City, lieu de l’évaluation globale » propose une présentation de la première place financière du monde qui constitue un lieu de la mondialisation d’un type très particulier : une « plateforme off-shore ». La City se situe dans le « square mile » principalement et concentre aujourd’hui, plus de 300 000 emplois, dépendant fortement de la conjoncture. Au sens strict du terme, la City concentre 8 000 habitants, ce qui est peu, car une grande partie des postes sont occupés par des étrangers qui ne restent pas longtemps dans « la Ville de Londres ».
C’est la City et non Londres en tant que tel qui constitue une ville globale par l’importance des étrangers qui ne s’occupent que de la dimension mondiale de leurs activités. Ainsi, elle constitue le centre de « la planète financière ». Le paradoxe de toute place financière est particulièrement frappant à la City en raison de l’importance de ce lieu au niveau mondial : elle est éloignée du monde réel car elle ne s’occupe que d’éléments abstraits, mais ces éléments transcrivent la réalité matérielle et la vie sociale réelle et engagent donc le « sort de milliards d’humains médusés ».
Pourtant, elle est née sur la base d’activités réelles liée au lieu portuaire sur lequel elle se trouve. Ainsi, la City est devenue le centre d’un empire territorial riche, partagé en concessions octroyées par le gouvernement à des compagnies chargées de l’administration, comme la célèbre Compagnie des Indes. Mais, avec le développement du capitalisme, la finance s’est séparée de l’économie réelle. Cette évolution des activités financières participe à l’essor d’une logique interne à la finance de plus en plus détachée de la réalité. C’est par cela que la City est « sortie du monde » tout en l’évaluant le plus globalement possible. Pour échapper aux contraintes de la réalité, la City a un statut d’extra-territorialité depuis le XIII siècle : elle est juridiquement et politiquement libre.
Si la City est la 1ère place financière, elle n’est pas du tout la 1ère place boursière du monde. Mais la bourse ne constitue pas la seule activité du système financier, et la City est en tête de course pour l’activité bancaire, de fonds mobiles, les jeux de devise ainsi que les produits dérivés. Ses gratte-ciels, construits surtout dans les années 1980, permettent une concentration des activités et des acteurs décisive pour assurer la compétitivité de la place.
Présentation de l’auteur :
Denis Retaillé, géographe français né en 1953, a apporté une contribution importante à l’étude de l’espace, notamment à travers ses études sur les régions désertiques africaines. Plus généralement, Denis Retaillé s’intéresse à l’espace mondialisé et à la diversité de ses représentations culturelles, ce qui le conduit à publier, en 2012, Les Lieux de la mondialisation.
Les grandes idées du chapitre :
Ce chapitre, à travers l’exemple de la City londonienne, est centré sur une réflexion épistémologique, celle de la distinction entre globalisation et mondialisation et la réelle pertinence de ces notions. Pour penser cette distinction, l’auteur propose une comparaison, à travers la description de la première place financière, entre la City et Londres en les distinguant tout en soulignant leur complémentarité.
En effet, Denis Retaillé explique que villes de Londres, Tokyo et New-York sont qualifiée de villes globales, mais dans le cas de Londres, c’est la City et non Londres en tant que tel qui constitue cette ville globale par l’importance des étrangers qui ne s’occupent que de la dimension mondiale de leurs activités. Ainsi, elle constitue le centre de « la planète financière ».
La distinction entre globalisation et mondialisation est alors plus nette :
– La City est un lieu de globalisation qui n’a aucun lien avec l’économie locale britannique. Si elle conserve une accroche au monde réel, elle est cependant exclue de tout environnement politique ou physique, dans une logique de « déterritorialisation ».
– Londres, par la variété de sa population, est un lieu de mondialisation.
Il faut affiner la définition de globalisation qui peut désigner « le phénomène économique d’unification du monde par la mobilité des capitaux et plus généralement des facteurs de production ». Les lieux globalisés sont alors ceux qui réunissent les fonctions permettant de rendre compte, de la manière la plus synthétique, de ce qu’il se passe. Il leur faut donc être situés en surplomb pour ne pas être soumis à des perturbations trop prosaïques, notamment sociales.
Londres, quant à elle peut être qualifiée de ville-monde par sa grande diversité humaine et culturelle divisée en quartiers communautaires bien définis, comme Brixton des Caribéens. La City, elle, est située dans le quartier chinois de Londres, mais cela ne veut pas dire pour autant qu’elle est chinoise ! Plus que la City qui ne manipule que des abstractions, Londres permet « l’émergence du Monde par la rencontre des mondes » c’est-à-dire des différentes cultures.
Ainsi, ce qui est en jeu dans la distinction entre lieux de globalisation et de mondialisation, c’est ce qu’on y fait : la City est un lieu de globalisation n’offrant que des services qui ne permettent donc pas de lui donner une réelle épaisseur identitaire alors que Londres est un lieu culturel en évolution. Cela est particulièrement visible dans la mode avec l’essor du look « homeless bohemian » londonien en réponse à la crise. Mais la City participe cependant à ce caractère mondialisé de Londres notamment par l’attraction de centaines de milliers de spécialistes de l’économie et de la politique du monde.
Il est donc difficile d’établir une hiérarchie des villes globales ou mondiales car les deux qualificatifs ne renvoient pas aux mêmes réalités. Il faut alors définir les lieux-villes en fonction des formes de l’espace qu’ils combinent. L’exemple de Londres et de la City, deux profils de lieux différents, montrent cela, aucune des deux n’englobant la ville dans sa totalité :
– La City fonctionne sur un système d’élection fondée sur une corporation qui vient s’opposer à un caractère mondialisé et combine des fonctions financières. Elle se caractérise par « l’abstraction de la dimension mondiale et de la ‘’planète financière’’ réduite à de l’information ».
– Londres est un espace multiethnique où le monde constitue un « horizon d’où surgissent sans cesse de nouvelles et improbables ‘’modes’’ ».
Critique :
Ce chapitre est particulièrement intéressant par la distinction qu’il opère entre deux notions qui semblent à première vue synonymes : la mondialisation et la globalisation. Cette réflexion épistémologique repose sur un exemple particulier, celui de la City au cœur de la capitale londonienne, permettant ainsi un ancrage réel et pertinent pour comprendre la distinction.
Dans un contexte d’urbanisation massive et surtout de macropolisation, cette présentation de la City constitue, plus largement, une réflexion sur la ville à partir des notions de ville globale et ville-monde. En effet, cette place financière possède un ancrage géographique particulier, celui de Londres, ville-monde, mais elle se détache entièrement du caractère physique et politique de la ville dans laquelle elle se trouve, en raison du caractère globale de ses activités.
Dans le contexte de mondialisation accéléré qui est le nôtre, l’exemple de la City souligne donc l’émergence de lieux détachés de réel ancrage culturel et national, au profit d’une dimension purement globale et abstraite. La crise de 2008 qui se poursuit encore actuellement a souligné le risque de la logique interne des finances, détachée de tout et complètement globale, mais a des répercussions immenses dans l’ensemble du monde. Ainsi, dans un contexte de globalisation économique, l’étude de la City permet de comprendre l’importance de la conjoncture qui est aujourd’hui entièrement internationale. En effet, les activités de la City sont entièrement tournées vers la conjoncture de tous les pays, en tout cas des pays industrialisés et émergents, conduisant ses activités à être entièrement tournées vers l’actualité économique (et donc politique et sociale) en permanente évolution. Ainsi, la City invite à s’arrêter sur le caractère extrêmement mobile et fluctuant d’activités qui, si elles semblent détachées de tout ancrage matériel, n’en déterminent pas moins le sort d’une foule d’individus.
Ce chapitre souligne enfin une certaine prédominance de la finance dans le processus de mondialisation. En effet, ce domaine est l’un des seuls à avoir développé une logique propre, entièrement internationale. L’évolution de la finance reflète donc le processus de globalisation : les places financières, au 1er rang desquelles se trouve la City, constituent des lieux surplombant réellement le monde et présentant par-là un caractère entièrement global. A cela s’oppose le domaine culture, avec la figue de Londres : si Londres est caractérisé par sa dimension multiethnique, elle reste marquée par un communautarisme important et construit une identité propre à travers sa pluralité de communauté alors que la City est dégagée de toute épaisseur identitaire.
Alix Maraval, HK BL Sainte-Marie de Neuilly