Une fiche de lecture de Laurence Morgane

PARTIE III- Des mutations urbaines et rurales

Chapitre 6- L’urbanisation en Afrique du Sahel et du Sahara à la Méditerranée par Philippe Cadène et Brigitte Dumortier

Au regard de la population urbaine, l’Afrique est le continent le moins urbanisé du monde. Toutefois, du fait de l’explosion démographique, les experts prévoient une explosion de la population urbaine d’ici 2030.
Concernant le tiers septentrional de la question, il s’agit de montrer l’inégale répartition des villes, leur croissance et leurs dynamiques économiques.

I- Une inégale répartition des villes

L’urbanisation des pays du Sahel à la Méditerranée se caractérise par son inégale répartition
1- La disparité des taux d’urbanisation
Les taux d’urbanisation, bien que faiblement pertinents, révèlent un Grand Maghreb fortement urbanisé face aux pays du Sahel où les taux d’urbanisation sont faibles.
L’Égypte illustre la faiblesse de l’indicateur et prouve la nécessité de corréler cet indicateur aux systèmes urbains.

2- L’inégale densité du semis urbain
● La césure saharienne et le contraste entre Afrique du Nord et Sahel
En prenant en compte les villes de plus de 20 000 habitants, le Sahara représente une césure nette. Les semis urbains d’Afrique du Nord sont également plus denses que ceux du Sahel.
● Des disparités en Afrique du Nord
En Algérie, Maroc et Tunisie, on constate une forte concentration des villes sur le littoral méditerranéen et atlantique, selon des modes d’étalement différenciés, contrairement à la Libye où on ne remarque pas une forte littoralisation. En Egypte, le semi urbain est méridien le long de la vallée et du delta du Nil.

II- Le contexte géographique et historique de l’urbanisation

1- L’importance de l’eau dans la localisation des villes

En corrélant ces données sur l’urbanisation avec les précipitations, la répartition des villes et les densités de populations s’expliquent. Toutefois, il faut se garder de généraliser. En effet, quelques villes apparaissent ponctuellement en dessous des isohyètes de 300 mm, correspondant à la présence de ressources en eaux souterraines, d’un fleuve allogène. A l’inverse, au sud du Sahara lorsque l’isohyètes de 300 mm est de nouveau atteint, la faiblesse du semi urbain s’explique par celle du développement.

2- Le poids des héritages

● Des implantations urbaines plurimillénaires en Egypte
Même si la hiérarchie urbaine a évolué, l’implantation des villes en Egypte le long du Nil est historique.
● Des villes littorales fondées dès l’Antiquité par des puissances extérieures
Les Phéniciens ont fondé des comptoirs (Carthage en 814 avant J.-C.). Lors de la période coloniale, les Portugais, les Français (Dakar mi XIXe siècle), les Espagnols, les Britanniques se sont appuyés sur des villes préexistantes mais dont le développement s’est orienté en direction de l’Europe.
● Des cités oasiennes liées au commerce caravanier à l’orée du Sahara
Les villes sahariennes constituent des nœuds anciens situés sur les routes transsahariennes empruntées par les caravaniers.
● L’empreinte de la conquête arabo-musulmane

La conquête arabo-musulmane a développé un modèle urbain spécifique sur des villes préexistantes.

3- Des villes récentes créées ex nihilo

L’émergence de nouvelles villes s’explique par l’exploitation des ressources et du potentiel touristique mais également par la création de postes militaires dans le désert à l’époque coloniale.
● Les villes nées de l’exploitation des ressources du sous-sol
La présence de gisements et de mines a fait émerger de nouvelles villes, comme Gafsa en Tunisie pour l’exploitation du phosphate.
● Un tourisme balnéaire urbanisant
Le potentiel touristique, pris en compte dès les années 1960 en Tunisie par exemple, a permis le développement des infrastructures de transport (aéroports) sur les stations balnéaires et par effet d’entraînement le développement démographique et urbain.

III- Des hiérarchies urbaines plus ou moins complètes

Inégale répartition des villes dans l’espace mais également inégale répartition de la population urbaine selon la taille des villes.
1- La prédominance de réseaux urbains macrocéphales ou bicéphales
En Afrique du Nord, le réseau urbain est dominé par une bicéphalie. Les Etats du Sahel, sauf au Burkina Faso connaissent une macrocéphalie du réseau urbain.
2- La singularité des réseaux urbains dans les États du Maghreb
Le réseau urbain marocain est dominé par Casablanca (capitale économique) et par Rabat (capitale politique). En Algérie, les découpages administratifs successifs organisés par les politiques d’aménagement ont permis une meilleure diffusion de l’urbanisation à l’intérieur du pays en faisant naître des métropoles régionales.
3- La diversité des villes petites et moyennes
40 agglomérations sont considérées comme des grandes villes avec une population comprise entre 250 000 et 500 000 habitants.
140 villes moyennes avec une population comprise entre 100 000 et 250 000 habitants.
Plus de 600 villes petites de 20 000 à 100 000 habitants.
Les petites et moyennes villes ont des activités diversifiées de commerce, d’artisanat, de services, d’industrie. Elles peuvent servir de transit aux flux illicites.

IV- Une croissance urbaine spectaculaire

1- Un phénomène général

● Une transition urbaine en cours
Les taux d’urbanisation de l’ensemble sahélo-méditerranéen sont passés de 18,5 % de la population totale en 1960 à 37 % en 1990 et tendent vers 50 % aujourd’hui.
● De forts taux de croissance urbaine qui ont tendance à fléchir
20 millions d’urbains en 1960, 150 millions en 2016 : la croissance urbaine est exceptionnelle. Toutefois, le rythme de croissance tend à baisser avec 3 % entre 1990 et 2016, contre 5 % de 1960 à 1990. Mais ces chiffres ne révèlent pas les inégalités entre Etats de l’Afrique du Nord et ceux du Sahel. Dans les Etats du Maghreb, la fécondité en milieu urbain baisse, l’exode rural est moindre ce qui explique le ralentissement. Les Etats du Sahel eux connaissent un effet de rattrapage, avec une fécondité encore élevée.
● Des processus de croissance urbaine qui évoluent
Processus de croissance de la population des villes en pleine mutation. Alimentées dans un premier temps par l’exode rural (1960 jusqu’à 1990), les villes n’attirent plus autant surtout dans le contexte d’instabilité politique, de difficultés économiques, sociales. Toutefois la croissance urbaine reste soutenue et est alimentée par un fort accroissement naturel, par une natalité qui reste forte et enfin par une espérance de vie qui s’allonge.
● Les conséquences de la croissance sur la vie urbaine
Affaiblissement des traditions familiales, recours aux méthodes de contraception. Des conséquences sociales et économiques avec des tensions sur l’emploi, les logements, les besoins éducatifs, la mise en place d’un système de santé. Des conflits éclatent, car les villes sont aussi au cœur des enjeux stratégiques de contrôle, ce qui provoque le départ de nombreux citadins bouleversant alors les systèmes urbains. L’apport migratoire des pays africains dans les villes renforce la population urbaine.

2- Des rythmes différents

● Selon les pays

Le document 1 présente l’évolution des taux d’urbanisation dans quelques pays sahéliens et méditerranéens. On remarque que la croissance de ces taux est rapide sur la période s’étendant de 1960 à 1990. A partir de cette dernière année le rythme est moins soutenu et en particulier dans les pays d’Afrique du Nord.
Le document 2 sur la population urbaine confirme la tendance de ralentissement mais témoigne des disparités entre les pays d’Afrique du Nord et les Etats sahéliens.

● Selon les villes
Quelques grandes tendances se dégagent. D’abord ce sont les plus grandes villes qui présentent les chiffres élevés, comme Bamako, Le Caire (22 millions d’habitants en 2016). Elles se caractérisent par des taux de croissance élevés.
D’autres villes présentent des taux de croissance élevés, notamment celles situées le long d’axes routiers transsahariens, comme Sikasso au Mali ou touristique comme Sousse en Tunisie.
3- Les modalités spatiales de la croissance des villes
La colonisation a modifié la morphologie urbaine.
● L’évolution des centres
Densification des quartiers centraux et péricentraux dont les logements sont insalubres. Des programmes de réhabilitation ont été lancés à Alger (Plan Blanc) et au Niger (Niamey Nyala, 2011) avec des objectifs de modernisation, d’assainissement, de rénovation, de construction de voirie…
● L’étalement des périphéries
Les grandes villes ont connu une croissance verticale avec l’édification de tours plus ou moins grandes et une croissance horizontale caractérisée par un étalement en périphérie. Des banlieues sont apparues, mal reliées au centre et boudées par les populations citadines fuyant les congestions urbaines inhérentes. Des villes nouvelles sont également apparues, notamment autour du Caire, mais cet étalement n’est pas réellement contrôlé et contribue au mitage de l’espace agricole.
● L’importance des quartiers informels
Par quartiers informels on comprend les bidonvilles mais également les constructions illicites. Les différentes réactions étatiques oscillent entre laisser faire et légaliser à postériori ces quartiers, parfois même comme en Tunisie à les améliorer. Tantôt, comme au sud du Sahara, les politiques d’expulsion se sont enclenchées, notamment face à la valeur prise par les terrains occupés.

V- Les bases économiques des villes du tiers septentrional de l’Afrique

A leurs fonctions traditionnellement religieuse, marchande et artisanale, les villes du tiers septentrional de l’Afrique ont
diversifié leurs activités dans le contexte de mondialisation.
1- Des villes faiblement et tardivement intégrées à la mondialisation
● Un rang subsidiaire dans les classements mondiaux
Les différents classements attestent de la faible insertion des villes du tiers septentrional de l’Afrique. En fin de classement, en général, on trouve Le Caire, Casablanca, Dakar.
● Deux régions urbaines majeures : le Grand Caire et la métropole atlantique du Maroc
Les villes du Caire et de Casablanca sont insérées dans la mondialisation sans y jouer un grand rôle. Elles sont les grands pôles de vastes régions urbaines.
La région urbaine du Caire concentre 60 % du PIB du pays et englobe les villes d’Alexandrie, de Port-Saïd et Suez. Au Maroc, Casablanca est le cœur d’un vaste corridor urbain s’étendant de Kenitra à El-Jedidah.
2- La prépondérance des activités de services
Elles concentrent les fonctions politiques mais pas uniquement.
● La place de l’éducation et de la santé
Face à l’importante population jeune, certains Etats se sont lancés dans d’ambitieux projets universitaires, localisés dans quelques grandes villes : Le Caire en Egypte, la vaste région urbaine au Maroc mais également Marrakech, Fez, Tétouan, Ifrane, à Tunis et Sousse en Tunisie…
Les hôpitaux relevant particulièrement du secteur privé et donc inaccessibles pour une grande partie des populations sont localisés dans quelques grandes villes, Le Caire en Egypte par exemple.
● Une synergie entre culture, patrimoine et tourisme mise à mal par le risque géopolitique
Pour les activités culturelles, Le Caire, Alexandrie et Marrakech occupent les premières places. Culture et tourisme sont étroitement liés et génèrent de nombreux emplois. L’activité touristique subit de plein fouet l’instabilité régnante dans ces régions depuis les printemps arabes et plus encore avec les activités terroristes.
● Les villes moyennes ou petites, marchés et centres de services locaux
On trouve dans ces villes les activités de services et l’encadrement administratif de proximité, ce qui nécessite des infrastructures de transport indispensables.
3- Une consolidation du secteur secondaire
Le rôle de l’Etat est primordial dans le développement des villes. Toutefois pour le secteur secondaire, le développement répond surtout à des ancrages régionaux historiques des villes, à la présence de matières premières et de main d’œuvre et enfin de leur connexion aux plus grands ports et zones commerciales.
● L’importance des stratégies de développement et la diversité des contextes géopolitiques
Jusqu’aux années 1990, le développement du secteur secondaire est fait sous l’impulsion des Etats selon leurs orientations et politiques de développement. Au tournant de 1990, le secteur secondaire est en chute et des réformes libérales sont mises en place avec l’arrivée de capitaux étrangers et une série de privatisation. Toutefois, l’instabilité politique de l’ensemble de la région n’encourage pas les investissements sauf dans l’exploitation des hydrocarbures.
● Des sites d’industries lourdes
Pour certains Etats l’indépendance économique et donc l’indépendance politique devait passer par le développement de l’industrie lourde. Des secteurs industriels se sont développés en Libye, en Algérie, en Egypte, en Tunisie.
● Un développement industriel sélectif
Les villes du Maroc et d’Egypte, de par leur situation géographique, ont connu un développement des activités productives intense. Les zones industrielles bien connectées aux ports ont émergé et parallèlement des Zones économiques spéciales et des zones franches, dans lesquelles les entreprises disposent d’avantages fiscaux et douaniers, se sont développées.
Dans les zones enclavées et plus particulièrement dans les villes du Sahel, le développement industriel se destine à des marchés régionaux.
Accès aux matières premières et à la main d’œuvre, accès aux marchés de consommation, une situation avantageuse, une connexion aux réseaux de transport sont les facteurs de localisation des industries qui se concentrent ainsi dans quelques grandes villes. Au Sahel, la faiblesse du secteur secondaire dans le PIB s’explique par le retard en infrastructures de transport, la faible formation des acteurs économiques, le faible pouvoir d’achat des populations.

Conclusion
En Afrique, du Sahara à la Méditerranée, le fait urbain est moins marquant. L’étude révèle les contrastes nord-sud, les disparités régionales, mais montre le rôle majeur des villes dans les dynamiques sociales. L’ouverture timide à la mondialisation bouleverse les sociétés, les économies en creusant davantage les inégalités sociales et territoriales ; c’est un processus sélectif entre les lieux traversés par les flux proches des axes de transport et les lieux marginalisés. Dans ce contexte, les tensions sociales et politiques sont exacerbées.

Chapitre 7- Les façades portuaires entre Sahel et Méditerranée par Jacques Charlier

I- La diversité de puissance et de fonction des équipements portuaires régionaux
En fonction des données disponibles, 18 ports présentent un trafic supérieur à 10 Mt.
1- Du Delta du Nil au golfe d’Aden
Ensemble dominé par les ports égyptiens pour environ 273,7 Mt en 2016, devant Port-Soudan (27,5 Mt) et Djibouti (16,5 Mt) par lequel transite le trafic maritime de l’Ethiopie. Trafic total estimé à 319,2 Mt en 2016.
2- De Dakar au golfe de Syrte
Trafic total estimé de ce sous-ensemble atlantique et ouest méditerranéen de 325,6 Mt.
Le total de la région s’élève donc à 644,8 Mt, témoignant d’une forte activité portuaire.
3- Des trafics conteneurisés encore modestes
A la lumière du trafic conteneurisé, mesuré en EVP montre la faiblesse de ce trafic au niveau international. Seul le port d’Alexandrie avec ses 1,6 millions d’EVP fait bonne figure.
Les principaux acteurs dans le domaine des manutentions conteneurisées sont Maersk et Dubai Ports World (DPW).
Le développement de nouveaux ports à conteneurs, bien plus que les ports de transbordement se réalise grâce au développement économique. Trois projets au Maghreb sont susceptibles d’aboutir et attirer des investisseurs étrangers.

II- De Dakar à Benghazi, des sous-systèmes nationaux non intégrés
Quels sont les dispositifs portuaires atlantique et méditerranéen ?
1- L’ouverture atlantique de l’espace sahélo-saharien
Quatre ports atlantiques dont le trafic est supérieur à 10 Mt se démarquent : Dakar, Nouadhibou, Jorf Lafsar et Casablanca.
● Dakar, à la charnière du golfe de Guinée et du monde sahélien
Position charnière du port de Dakar situé au sud de la Presqu’île du Cap-Vert. Relié au Mali grâce à un chemin de fer vétuste et en voie de réhabilitation et d’exploitation grâce aux capitaux chinois et une route. De ce fait la part des marchandises maliennes transitant par Dakar est de l’ordre de 60 % du volume total.
Exploité par DPW, il n’a pas encore atteint ses pleines capacités.
● En Mauritanie et au Sahara occidental, des ports liés à l’exploitation des ressources du sous-sol
Premier port mauritanien qui s’est développé grâce au chemin de fer, Nouadhibou domine avec ses 11,5 Mt essentiellement destinés à l’exportation du minerai de fer.
● Deux importants pôles portuaires au Maroc atlantique
Quatre ports occidentaux au profil divers aussi bien tournés vers le trafic atlantique que méditerranéen : Jorf-Lafsar, le bipôle Casablanca/Mohammedia, Agadir et Safi. Deux pôles portuaires émergent.
2- De Tanger Med I à Tanger Med II et à Nador West Med
Situé sur la route maritime stratégique passant par le détroit de Gibraltar, Tanger Med, auquel sont associées des zones franches et doté d’une gare plurimodale, est le premier port du pays. Polyvalent, il devrait être complété par Tanger Med II, ce qui en ferait le premier port à conteneurs de la Méditerranée.
A proximité de la frontière algérienne, le port de Nado complète le dispositif portuaire marocain.
3- Entre hydrocarbures et conteneurs, la lente mutation des ports algériens
Les ports algériens restent marqués par l’orientation socialiste de développement choisi. Toutefois, avec l’essor de la conteneurisation, l’économie algérienne s’ouvre progressivement aux investisseurs étrangers, comme Portek (Singapour) et DPW. L’activité portuaire reste orientée vers les hydrocarbures. Mais la baisse du transit pétrolier et gazier depuis une quinzaine d’années affecte ces ports. Béjaïa est le premier port du pays devant le port de la capitale et celui d’Oran.

4- Tunisie en crise et Libye en ruine
● La Tunisie
Le trafic global des ports tunisiens s’élève à 29,5 Mt en 2016. Il est en baisse constante depuis 2010, révélant alors les crises politiques et économiques.
● La Libye
Alors que les ports libyens étaient orientés vers les hydrocarbures (78,5 % du trafic total en 2010), la chute est constante depuis.
L’effondrement du système portuaire libyen est d’abord le fait de son caractère bicéphale (Tripolitaine et Cyrénaïque) qui divisent les flux venant de l’arrière-pays. Le troisième port, Misurata, bien que présentant un trafic conteneurisé supérieur aux deux autres, n’a pas fait l’objet d’aménagements qui auraient pu diversifier le trafic tout en le connectant au sud du pays.

III- De l’Egypte à Djibouti, selon l’axe Suez-mer Rouge
1- La puissance de la façade méditerranéenne de l’Égypte
Cinq ports principaux distribués dans des positions différentes par rapport à l’axe du canal de Suez. Le premier d’entre eux est Ain Sukhna à l’extrémité sud du canal. L’essentiel du trafic portuaire égyptien est méditerranéen et transite d’abord par Sidi Keri (port monofonctionnel, hydrocarbures) qui est relié à Ain Sukhna par l’oléoduc SUMED, puis par le bipôle Alexandrie/El Dekheila, Damiette et Port-Saïd.
2- Le canal de Suez, dominé par les hydrocarbures et les conteneurs
Des aménagements successifs ont été réalisés sur le canal pour l’adapter au gigantisme des cargos qui l’empruntent. Ces investissements égyptiens ont pour but de capter, d’attirer le trafic pour percevoir le péage de passage. Mais le canal égyptien subit la concurrence du canal de Panama.
Les trafics sueziens s’élèvent à 819 Mt en 2016, essentiellement des hydrocarbures et des conteneurs.
3- Le rôle globalement modeste de la façade de la mer Rouge
Derrière Ain Sukhna, Port-Soudan et Djibouti. Ce dernier est aux mains de la China Merchants Holding. Les Chinois ont ainsi investis dans la construction de la ligne de chemin de fer (mise en service fin 2017) entre Djibouti et Addis-Abeba.

Conclusion
Diversité des systèmes portuaires méditerranéen, atlantique et de la mer Rouge. Même si la position des ports dans le trafic mondial apparaît faible, il n’en reste pas moins que certains tirent leur épingle du jeu.
La typologie des ports révèle ainsi des ports axés sur l’exportation des matières premières, des ports généralistes associés à une capitale (Dakar) ou une agglomération littorale (Alexandrie), des ports assurant un débouché des marchandises de leur arrière-pays (Djibouti), des ports qui captent les flux en transit sur les grandes routes maritimes (Tanger-Med) et les met en valeur via les zones franches.
La position d’un port est déterminante pour expliquer son succès ou non, mais il faut prendre d’autres critères en compte, comme les acteurs (privés, publics, nationaux, internationaux), les capacités de gestion…
L’ouverture à la mondialisation est donc très inégale comme l’atteste le trafic encore modeste des conteneurs mais les investisseurs étrangers sont de plus en plus présents, ce qui montre des approches qui privilégient le global.

Chapitre 8- Les grandes vallées alluviales sahéliennes : mutations des systèmes agricoles et évolution des politiques de développement dans des espaces convoités par Florence Brondeau

Face aux grandes périodes de sécheresse et aux précipitations aléatoires, les grandes vallées fluviales du Sénégal et du Niger subissent une forte pression anthropique et foncière.

1- Quelles spécificités dans les grandes vallées fluviales allogènes ?

Le caractère aléatoire des pluies ne permet pas de maintenir une agriculture pluviale. Dans ce contexte, les crues des fleuves allogènes sahéliens constituent des opportunités pour les sociétés sahéliennes. Sociétés et activités fonctionnent au rythme saisonnier des ressources disponibles : eau, terre, herbe. Elles sont organisées perpendiculairement à l’axe des fleuves et leur utilisation est strictement hiérarchisée, comme au Niger (héritage du système théocratique peul de Cheikou Amadou du XIXe siècle). Les vallées sont ainsi plurifonctionnelles (ressources et territoires).

2- Des systèmes dans l’impasse ?

● De vaines adaptations à une crise « climatique »
Face aux crises « climatiques » (grandes périodes de sécheresse), les sociétés agro-halio-pastorales se sont adaptées par la mobilité et en diversifiant leurs activités.
La sécheresse réduisant la culture en légumineuses permet de maintenir celle des céréales dont les différentes variétés s’adaptent à la pluviométrie.
Beaucoup d’exploitations sont pluriactives : commerce, artisanat, ce qui permet de palier au manque de revenu agricole et pastoral.
Les revenus issus de la diaspora (migrations plus ou moins lointaines) permettent, notamment dans la vallée du Sénégal, à de nombreuses familles de vivre.

● Une concurrence accrue pour l’accès aux ressources

Les concurrences pour l’utilisation des ressources sont fortes. Les cultures pluviales sur de grande superficie concurrence l’activité pastorale.
Les crises climatiques sont révélatrices des manques, des problèmes de développement.

II- Le choix de l’irrigation à grande échelle et ses limites

1- Mise en œuvre, réhabilitation et extension des aménagements hydro-agricoles

Des aménagements hydrauliques ont été réalisés sur les fleuves (barrage de Manantali par exemple). Un des objectifs était de développer une agriculture productive pour les marchés urbains, en parallèle d’une agriculture familiale et locale. La riziculture est alors privilégiée et les paysans doivent s’adapter tant à cette culture particulière qu’à la gestion de comptes d’exploitation. Les structures foncières traditionnellement gérées par les chefs de terre sont bouleversées car l’attribution des terres cultivables se fait en fonction de nouveaux critères estimés en capacité de main d’œuvre, d’investissement…

2- Les limites des « révolutions vertes »

● Des exploitations familiales à bout de souffle
Les rendements sont inégaux, l’endettement des exploitations familiales est lourd entraînant le désinvestissement avec la vente des bêtes, du matériel agricole et des terres. La faiblesse des rendements remet en cause leur commercialisation et l’agriculture reste alors vivrière.
● La gestion de l’eau en question
Le gaspillage de la ressource en eau est un problème majeur et les politiques de tarification forfaitaire à l’hectare n’encouragent pas aux économies.
Les zones irriguées permettent la prolifération des moustiques et la permanence du paludisme toute l’année, contrairement aux autres régions sahéliennes.
La dysenterie se propage faute d’eau consommable, la qualité de l’eau est médiocre avec les pollutions, les sols se dégradent…
● Des désajustements socio-environnementaux
Les défrichements pour l’aménagement des casiers irrigués, pour satisfaire les besoin en bois de combustion croissants face à l’augmentation de la population, déséquilibrent l’environnement.
L’élevage n’a pas bénéficié de réelles politiques dans les aménagements hydro-agricoles : les troupeaux dégradent les infrastructures du réseau hydraulique provoquant des conflits d’usage entre agriculteurs et éleveurs.
3- Des tentatives de définition des règles d’accès aux ressources
Ces difficultés ont amené dès 2000 à la mise en place de conventions de gestion des espaces agro-pastoraux en prenant en compte la pluriactivité de ces territoires, les usages et les ressources au Niger.
Au Sénégal, le Plan d’Occupation et d’Attribution des Sols (POAS) répond à cette même dynamique.

III- Un changement de paradigme : l’agrobusiness comme moteur de la croissance agricole

1- Des objectifs de production renouvelés
Depuis la crise alimentaire de 2007-2008 qui a touché les grandes villes comme Dakar et Bamako, des programmes ont été financé et mis en place pour assurer la sécurité alimentaire dans les grandes villes et l’autosuffisance alimentaire des pays. A l’échelle mondiale, grâce à la Banque mondiale, à l’échelle régionale grâce à l’UEMOA et la CEN-SAD. Parallèlement à ces grandes initiatives, les exploitations familiales ont été reconnues à l’échelle internationale pour leur rôle essentiel contre l’insécurité alimentaire. Mais aucun moyen n’a été donné à cette agriculture familiale pour se moderniser. C’est le résultat d’une politique nationale qui a sacrifié le secteur agricole, accentuée par le faible soutien financier de la Banque mondiale.

2- Les attributions foncières à grande échelle : une forme d’accaparement des terres
● Le choix de l’ouverture aux investisseurs
Le Mali, le Niger, le Sénégal se sont engagés dans une politique d’ouverture aux investissements spéculatifs ce qui a entraîné d’importantes restructurations foncières par l’attribution de baux de plus ou moins longue durée.
● Une emprise foncière considérable
L’emprise foncière reste difficile à évaluer précisément souvent parce que les projets ne sont pas menés à leur terme ou parce qu’ils sont en cours d’estimation sur la faisabilité du projet. Toutefois, le nombre de concessions attribuées révèle l’ampleur du phénomène.
● Une accaparement des terres agricoles contesté
Souvent les concessions attribuées sont occupées et exploitées par les populations locales. Les expropriations et les déplacements de villages n’ont pas souvent donné lieu à des compensations. Le devenir même des conventions de gestion des ressources est incertain dans ce contexte. Face à l’absence de compensation, des mécontentements émergent, relayés par les médias, et parfois les populations locales obtiennent gain de cause face aux investisseurs.
3- Quel projet de développement agricole régional sous-jacent ?
Ces investissements soulèvent des problématiques de gestion, de coordination et d’évolution. Chaque investisseur développe son projet sans concertation avec les autres, alors que des aménagements hydrauliques ou en infrastructures de transport pourraient en émaner. En réalité, l’objectif majeur de ces investisseurs est d’externaliser la production agricole de leur pays. La société française AGROED investit au Mali, au Burkina Faso, au Togo, au Bénin, au Sénégal dans la culture de Pourghère, arbuste producteur d’une huile à usage industriel.
La question de l’accès à l’eau devient, dans ce contexte, centrale car aucune étude n’a été réalisée pour estimer l’impact des prélèvements des différents projets sur le débit des fleuves.

4- Vers une recomposition de l’agriculture régionale ?

● Agrobusiness et agriculture familiale : des complémentarités à envisager sous condition ?
L’agriculture malienne, nigérienne est au carrefour entre externalisation des productions agricoles étrangères, internationales ou régionales et développer une agriculture nationale, urbaine et locale. Se tourner vers l’agrobusiness serait positif pour répondre aux défis de cette agriculture. Mais sa mise en place nécessite de lourds investissements, tant dans les transports que dans le développement d’une filière agroalimentaire. De plus, les baux concédés ne servent finalement qu’à constituer des réserves de terres agricoles pour les investisseurs qui les rentabilisent en les sous-louant aux paysans. Enfin, face à cette pression foncière, des paysans risquent de céder leur terre, ce qui contribuerait à la disparition d’une agriculture familiale et locale. Il faut ici assurer la sécurisation du foncier pour maintenir ce type d’agriculture.
● La contractualisation : au-delà des expériences négatives, des complémentarités à redéfinir ?
Des complémentarités s’établissent entre petits producteurs et des entreprises agro-industrielles selon un cahier de charges strict. Cette contractualisation permet alors de développer l’agriculture familiale tout en sécurisant l’approvisionnement alimentaire des populations urbaines et rurales. Toutefois, ce système est décrié par l’inégalité du contrat et par la précarisation des paysans ?

Conclusion
L’ouverture aux IDE, révélatrice des échecs en matière de politiques agricoles, soulève de nombreuses questions auxquelles on ne peut réellement apporter de réponses. Toutefois, cette ouverture nuit à une agriculture familiale et locale.

PARTIE 4- Des exemples nationaux et régionaux

Chapitre 9- L’exemple du Tchad : diversité, fractures et freins au développement par Gérard-François Dumont

I- Zonation des milieux et diversité des populations

Vaste superficie de 1 284 000 km2, situé à 90 % au Sahara et au Sahel. Il occupe une situation stratégique bien qu’étant enclavé. 14,5 millions d’habitants en 2016, un taux de fécondité à 6,4 enfants par femme, un taux de mortalité infantile élevé.
Une ligne de fracture religieuse séculaire entre Nord et Sud accentuée pendant la période coloniale. L’islam domine au Nord et le christianisme, animisme au sud. La colonisation française a privilégié le sud qui est ainsi mieux organisé en services de santé, d’éducation et plus fort économiquement. Tensions nord/sud encore aujourd’hui d’actualité.
La population est inégalement répartie, suivant le zonage bioclimatique. La majorité de la population se concentre dans la zone la plus petite, la plus pluvieuse et donc la plus fertile. On distingue ainsi la moitié nord regroupant la population saharienne, la zone sahélienne au centre et la zone soudanienne au sud. Les densités de populations vont croissantes du nord au sud.
Le Tchad se caractérise aussi par une grande diversité ethnique ; on compte plus de cent groupes ethniques.

II- L’instabilité géopolitique, entrave au développement

Depuis l’accession à l’indépendance en 1960, le Tchad est le théâtre d’affrontements et de tensions qui ont pris la forme jusqu’en 1990 de guerres civiles au cœur desquelles les motifs sont divers (politique, économique, religieux…) sur le terreau de l’opposition séculaire nord/sud. Cette période d’instabilité montre combien il est difficile de trouver une cohésion d’ensemble pour construire un Etat stable
Après 1990 et jusqu’au milieu des années 2000, le Tchad connaît une période relative de stabilité politique, ce qui lui permet d’être reconnu sur le plan international.
Mais les interférences géopolitiques avec ses proches voisins remettent en cause cet équilibre précaire (Darfour).
L’orientation militaire du gouvernement en place utilise la manne pétrolière pour financer le budget militaire au détriment du développement économique et social du pays. Dans ce contexte, l’instabilité endogène ou exogène est un frein au développement du pays.

Chapitre 10- L’exemple du Mzad : tensions intercommunautaires et dynamiques urbaines par Soulaimane Takarli

La ville de Ghardaïa entre 2013 et 2015 a été le théâtre d’affrontements qui semblent au premier regard religieux, opposant les Mozabites, descendants de tribus berbérophone convertis à l’islam ibadite, aux tribus arabophones sédentarisées sunnite malékite.
Or dans ce Mzab, situé à 600 km au sud d’Alger, d’autres causes expliquent ce conflit, notamment en lien avec le foncier.

I- La vallée du Mzab : dynamique d’urbanisation

1- De la cité à l’urbain, un changement de paradigme

La période coloniale a bouleversé le système d’organisation sociopolitique traditionnel qui prévalait jusqu’alors dans le Mzad. Basé sur un principe d’égalité initialement, l’introduction de la propriété privée par les Européens renverse les modèles par exemple. La découverte des ressources minières va accentuer le phénomène car le Mzad va être le théâtre de nombreux investissements de la part du gouvernement algérien tout juste indépendant. Les populations nomades se fixent, les migrants arrivent pour répondre à la forte demande en main d’œuvre.

2- L’urbain, nouvelle réalité de la vallée
Les villes du Mzad vont connaître alors une forte croissance de leur population, qui efface progressivement la ville originelle par la construction de logements, informels ou planifiés selon des plans d’urbanisme. Les logements sociaux construits sur le plateau mêlent des populations, des ethnies, des religions différentes, des cultures différentes qui alimentent des tensions de plus en plus vives.

II- Rivalités et affrontements pour la ville

1- La valeur économique du foncier urbain

Ghardaïa est le carrefour de l’économie saharienne et attire une population toujours plus importante. Le foncier spéculatif s’est développé, marginalisant une grande partie de la population qui ne peut avoir accès à la ville et les quartiers informels se sont développés dans des zones inconstructibles. La question du logement est une autre source de tensions.

2- La logique des groupes de solidarités

L’architecture de la ville répond à un fonctionnement moral et religieux ibadite ; par exemple le cœur de la ville est réservé à la prière et les commerces profanes sont envoyés en périphérie. Aujourd’hui, des stratégies familiales d’achat de terres et de biens immobiliers répondent à la préservation et la reproduction de la communauté.

3- La rivalité des groupes pour l’appropriation urbaine

Des rivalités apparaissent ainsi entre quartiers, entre groupes pour l’appropriation des terrains que le faible arbitrage étatique ne parvient pas à contenir.

III- Intégration nationale et rémanence du local

1- La construction nationale par la déconcentration administrative

L’État algérien au lendemain des indépendances, s’est constitué des réserves foncières par une gestion drastique des biens laissés par les Européens et les Juifs en 1963 et par une politique de nationalisation des terres entamée via les municipalités.
La libéralisation des années 1980 va être l’occasion d’une attribution clientéliste des terres avec la création d’agences foncières aux mains des décideurs locaux. Cette situation de monopole local va créer une situation de compétition pour accéder au pouvoir.

2- La recomposition des institutions traditionnelles et la politique locale

Les institutions traditionnelles ont développé des stratégies pour se renouveler face à la modernité introduite par les Européens. Elles se recomposent et investissent les instances politiques, notamment dans des partis politiques depuis 1990 et le multipartisme.

Conclusion
Pression démographique et urbaine dans la vallée du Mzad sont à l’origine d’affrontements depuis les années 1970. Les groupes ethno-confessionnels traditionnels se sont recomposés et pèsent aujourd’hui dans le paysage politique et ont un pouvoir de décision sur l’appropriation de la ville. D’un côté sentiment d’appartenance à un groupe solidaire et de l’autre rejet des autres populations qui empêche toute cohabitation pérenne.