Photographie de Jean-Côme Chalamon
Localisation :
La vue est ici prise de la terrasse du « Museu Oriente » (Musée de l’Orient), récemment érigé à la frontière du quartier des docks Alcântra) de Lisbonne, la capitale politique et culturelle portugaise. Ce quartier, situé à l’Est du centre historique (comme la plupart des anciens quartiers industriels des métropoles occidentales), se tient sur la rive Nord du Tage (25km), près de son embouchure sur l’Océan Atlantique.
Description :
Au premier plan, on remarque l’Avenida 24 Julho (avenue du 24 Juillet) qui court du centre de Lisbonne au quartier de Belém, sur la rive Nord du Tage. L’avenue traverse ici ce que l’on appelle communément le « quartier des docks » de Lisbonne. Cette route nationale est partagée en ses deux sens de circulation par une voie ferrée, sur laquelle passe le train de banlieue lisboète (comboios), qui relie Lisbonne à sa banlieue en suivant la rive du Tage. Au-delà des affiches publicitaires du second plan, on discerne la silhouette imposante du viaduc appelé Ponte 25 de Abril, qui relie la rive Nord (Lisbonne) à la rive Sud (Almada) du Tage. Ce pont, haut de 70m à marée haute et long de 2,277 km, est l’un des plus empruntés de Lisbonne (après le fameux pont Vasco de Gama et ses 17km de longueur). Le pont fut inauguré en 1966, après 4 ans de travaux, sous la période Salazariste (1926-1972)
Interprétation :
Tout d’abord, il faut noter que le « quartier des docks » est, de nos jours, loin d’être un quartier industriel. La gentrification de l’espace a entièrement modifié l’ancien quartier industriel en un quartier résidentiel où fleurissent les boutiques branchées, les bars, les boîtes et boutiques « bobos ». Ce quartier est l’archétype du phénomène de gentrification. Ce processus a été rendu possible notamment par un réseau de transports bien développé, le quartier étant desservi par les trains de banlieue, une route nationale, des bus et des tramways, ce qui rend possible une mobilité pendulaire des habitants du quartier des docks vers le centre de la ville (et des touristes vers les bars et boîtes de nuit…)
Il est intéressant de s’attarder ici sur la toponymie des lieux : le viaduc, pourtant construit durant la période salazariste, est appelé Ponte de 25 Abril, le 25 avril 1974 étant le jour de la Révolution des Œillets, qui a chassé le gouvernement autoritaire crypto-fasciste portugais. Certes, Salazar était mort depuis 2 ans déjà, mais sa dictature lui avait survécu : ce pont (d’abord appelé le Ponte Salazar) symbolisait la politique de grands travaux menée par Salazar en 1960, et porte aujourd’hui le nom qui symbolise la défaite de la dictature salazariste. Il est donc symbole de la victoire de la démocratie sur la dictature. Il convient aussi de noter que, bien que Salazar ait mené une politique d’isolement relatif à l’égard des Etats Unis, ce pont a été construit par la même société qui a bâti le pont de San Francisco-Oakland Bay Bridge… Sur le même modèle (pont à suspension) !
De plus, il convient de noter les quelques externalités négatives de ce Ponte de 24 Abril, qui traverse tout un quartier résidentiel : lourd de symboles, le pont est aussi source de pollution atmosphérique, visuelle et sonore. Mais on ne peut parler véritablement d’un « effet tunnel » : le premier accès pour ces habitants est à moins de 2km de leur domicile.
Intérêt :
Ce panorama est intéressant à plusieurs égards : il présente un quartier anciennement industriel, transformé par la gentrification à l’aide d’une bonne desserte urbaine, et rappelle le passé salazariste du Portugal, tout en montrant la tentative de rebaptiser ce pont, en le transformant en un symbole démocratique. Cependant, à environ 2km plus à l’ouest, un monument imposant se dresse sur la rive Nord du Tage : le Padraõ dos Descobrimentos, monument salazariste par excellence aux allures bien totalitaires, érigé en l’honneur du 500ème anniversaire d’Henri le Navigateur, la figure héroïque portugaise la plus utilisé par la propagande salazariste. Celui-ci, en revanche, n’a pu être transformé en monument en l’honneur de la démocratie : sa silhouette imposante, immense, s’élève, tel un anachronisme au goût amer…
Jean-Côme Chalamon, HK/AL, Sainte-Marie de Neuilly