Première partie. De l’avènement du califat omeyyade (929) a la disparition du calife fatimide al-Hakim (1021)

Chapitre 1. Musulmans et chrétiens dans la péninsule ibérique du milieu du Xe siècle au début du XIe siècle

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al-Andalus = lieu de rencontre précoce des 2 civilisations + proximité grande entre les 2 communautés. Cf. apports de l’archéologie.

LA SITUATION AU MILIEU DU XE SIECLE

  1. LES DEBUTS DU CALIFAT OMEYYADE

Lorsqu’en 929, l’émir omeyyade Abd al Rahman III adopte les titres de calife et de prince des croyants, il est au faite de sa puissance. La victoire remportée l’année précédente en Andalousie sur Umar Hafsun et le désir de surpasser le calife fatimide proclamé en Afrique du N est ses principaux arguments. Le titre honorifique de « celui qui combat victorieusement pour la religion d’Allah » est une véritable déclaration de guerre à ses adversaires. Il transfère sa capitale à qqs km de Cordoue, Madinat al-Zahra.

Le pays sur lequel s’étend son autorité est prospère à échanges avec le reste du monde musulman. Richesse des sols et variété des climats à agriculture prospère (vigne, olivier, céréales,…).

Pas de troubles au sein des communautés chrétiennes. Reprise en main spectaculaire des marches où des troubles s’étaient souvent manifestés cf. Badajor, Tolède, Saragosse au Xe siècle. Au Maghreb, pour freiner les prétentions fatimides, il entame une politique d’expansion avec l’appui de tribus berbères. Au Xe siècle il s’empare de Melilla, Ceuta. En 945, il reçoit des ambassadeurs des opposants khâridjites et s’apprête à les soutient dans la lutte contre le gouvernement Fatimide. En 935 mort du calife fatimide al-Mansur à une partie du Maghreb est sous l’autorité omeyyade.

La défaite des troupes du calife à la bataille de Simancas en 939 face aux Espagnols ne remet pas en cause l’équilibre des forces.

  1. LES PRINCIPAUTES CHRETIENNES

Face à la toute-puissance omeyyade, l’Espagne chrétienne se présente sous la forme d’une mosaïque de petites principautés qui entretiennent des alliances provisoires entre elles.

A l’ouest, la monarchie asturo-léonaise ; au centre, le royaume de Pampelune ; A l’Est, les comtés catalans.

  1. LES mozarabes

Ce sont des communautés chrétiennes arabisées dont le nombre et l’importance ont fait l’objet de controverses. Certains historiens dont A simonet ou I de las Cagigas ont vu dans ces minorités les gardiens d’une identité Espagnole qui aurait résisté à l’envahisseur. D’autres comme P Guichard en revanche insistent sur la rapidité de l’arabisation des populations de la péninsule y comprise à Tolède. Ce nom est donné aux chrétiens d’origine wisigothique qui conservent leur religion dans la société musulmane et auquel l’islam confère le statut de dhimmis. Ces groupes ont une situation privilégiée à Al-Andalus. Selon R Bullet les mozarabes représentent encore près de la moitié de la population de l’Espagne califale.

Ils sont présents aussi bien dans les villes que les campagnes, en particulier dans les environs de Cordoue, de Tolède et de Mérida. Tolède conserve son rôle de métropole religieuse et la plupart des grandes villes continue à avoir des évêques. Les communautés chrétiennes sont placées sous l’autorité directe de fonctionnaires choisis par elles et nommés avec l’assentiment du pouvoir musulman. Le responsable de chaque communauté s’appelle le protector ou le defensor ; les litiges entre chrétiens sont jugés par un magistrat nommé avec l’accord de l’administration du calife. Cependant c’est devant un tribunal musulman que sont jugées les affaires entre musulmans et chrétiens.

Les membres les plus influents de cette communauté servent souvent d’intermédiaires entre les souverains et les chrétiens, comme ambassadeurs ou interprètes. Les communautés chrétiennes jouent un rôle d’intermédiaire dans le domaine culturel, en particulier pour celles qui émigrent en terre chrétienne au cours du IXème et du Xe siècle. Ce sont probablement ces populations qui transportent avec eux des vocables arabes qui passent ensuite au latin. Ce sont également ces populations qui véhiculent des traditions artistiques qui donnent lieu à l’art mozarabe qui contribuent aux premières traductions de l’arabe en Catalogne au Xe siècle. Cf. en 967, Gerbert d’Aurillac qui prend connaissance de l’usage des chiffres arabes et qui approfondit ses connaissances en astronomie et en mathématiques.

Au Xe siècle, le souverain omeyyade est en position de force face aux petites principautés chrétiennes.

ENTRE GUERRE ET PAIX : OFFENSIVES MILITAIRES ET RELATIONS DIPLOMATIQUES

Cette supériorité militaire et politique des souverains musulmans se prolonge tout au long du Xe siècle. Le climat guerrier est imposé par les chrétiens et les musulmans ne font que riposter jusqu’à l’arrivée d’al-Mansur. Il semble délicat d’étudier ces relations dans la péninsule sans tenir compte de la politique que mènent les Omeyyades au Maghreb : les chrétiens déclenchent souvent leurs attaques au moment où les troupes omeyyades se trouvent occupées de l’autre côté de la Méditerranée. Malgré la complexité des opérations et des échanges, il est permis de distinguer deux aspects différents dans la politique menée au cours du siècle : les rapports avec le souverain de Léon et de Navarre (agressivité permanente malgré les querelles dynastiques) et les rapports entretenus avec les comtes catalans (politique d’entente et d’échanges).

  1. CORDOU ET L’ESPAGNE CHRETIENNE SOUS LES REGNES D’ABD AL RAHMAN III ET D’AL-HAKAM II

Le calife doit répondre à des raids menés par les Léonais en organisant des campagnes contre les chrétiens en Galice et en Castille où le roi Ordono III riposte en attaquant Lisbonne et demande une trêve en 956. Trêve que son frère Sancho refuse de respecter.

Le calife participe activement à la vie politique intérieure de l’Espagne chrétienne en soutenant un camp par rapport à l’autre ; c’est un moyen d’affirmer sa position en jouant sur les divisions de ses voisins.

  1. LE CALIFAT DE CORDOUE ET L’EUROPE LATINE

Le calife de Cordoue entretient de nombreuses relations avec le reste du monde latin. Ces liens débutent en 940 quand plusieurs souverains chrétiens veulent s’associer à l’accord passé avec le comte de Barcelone parmi lesquels le roi d’Italie Hugues d’Arles. La comtesse de Narbonne, fille du comte Borell, délègue à Barcelone un juif nommé Bernat en vue de souscrire à l’accord passé.

  1. L’AVENEMENT D’AL MANSUR ET L’ESSOR DU DJIHAD

C’est dans ce contexte d’équilibre relatif avec l’Espagne chrétienne et le monde latin que se développe la carrière d’un homme dont l’activité guerrière devait profondément bouleverser les relations entre les Omeyyades et les chrétiens : al-Mansur (938-1002). Issu d’une famille arabe installée près d’Algésiras. Après avoir fait des études de droit et de lettres à Cordoue il entre comme greffier au prétoire de Cordoue. Il devient en  967 intendant du fils du calife et directeur de la monnaie. En 968 il est nommé trésorier du calife ; en 972 il reçoit la charge de la moyenne police. Il devient vizir et rétablit l’ordre dans la capitale en multipliant les gestes pieux pour s’attirer la sympathie. En 978 il sauve la vie du prince Hicham II = sauveur de la dynastie. Il déplace l’administration centrale, sa résidence personnelle dans la nouvelle capitale. Il s’empare du pouvoir par la force, profitant de la débilité du souverain Hicham II. Il utilise les berbères pour maintenir son pouvoir aux dépens des arabes et affirme son autorité par plusieurs assassinats politiques.

De nombreuses sources arabes concernent la carrière de ce personnage et soulignent la fréquence des expéditions guerrières qu’il mena au nom du djihad : 56 parmi lesquels l’attaque de Barcelone en 987 ou l’attaque de Saint-Jacques-de-Compostelle en 997. Il épouse la fille du roi Sancho de Pampelune qui se convertit à l’islam et prend le nom d’Abda. En 993, il prend la fille du roi de Léon comme autre femme.

Cette politique agressive s’inscrit dans le cadre de l’essor du djihad : les campagnes ciblent souvent les monastères ; il a profondément marqué la suite des événements : celui de Barcelone et celui de Saint-Jacques-de-Compostelle. Barcelone est prise par surprise tandis que le raid contre st Jacques de Compostelle a été mûrement préparé.

CONSEQUENCES DES RAIDS AMIRIDES ET LA CHUTE DU CALIFAT OMEYYADE

Les raids des Amirides ne mettent pas fin aux échanges diplomatiques entre Al-Andalus et les principautés chrétiennes. Le roi de Pampelune continue d’entretenir des liens avec Cordoue et avec la Catalogne. Cependant il est clair que ses expéditions contre l’Espagne chrétienne constituent un tournant décisif dans l’évolution des rapports entre musulmans et chrétiens.

  1. LES CONSEQUENCES DES RAIDS AMIRIDES

Il est difficile de mesurer l’ampleur des dégâts commis par les expéditions d’Al-Mansur et de son fils dans la mesure où les sources arabes et latines exagèrent l’impact des dégâts, les unes pour vanter les mérites du chef musulman, les autres pour noircir la situation. Les textes latins parlent d’une tempête en Catalogne. Certains édifices religieux sont dévastés comme Roda à attise la haine des milieux religieux chrétiens pour qui chef amiride = antéchrist. De nombreux captifs chrétiens par les musulmans créent un nouveau genre de contact sous la forme d’une vaste entreprise de rachat et de tractations surtout en Catalogne. L’intensification des relations entre Barcelone et Cordoue s’opère paradoxalement au profit des catalans cf. P Bonnassie.

Savoir si les raids amirides jouent un rôle déterminant dans le développement de l’idée de guerre sainte est difficile. La personnalité d’al-Mansur cristallise autour d’elle la haine et la soif de vengeance des vaincus.

  1. LA CRISE DU CALIFAT DE CORDOUE ET L’INTERVENTION CATALANE

Crise de succession à mécontentement de la population.

  1. LES PROGRES CASTILLANS ET LA FIN DU CALIFAT DE CORDOUE

On réinstalle Hisham II sur le trône en 1010 mais les berbères refusent de reconnaître sa désignation et s’installent  dans la capitale. De plus il y a des tensions entre les habitants de Cordoue et les Berbères, auteurs de débordements dans la ville. Le but est de faire payer aux habitants de Cordoue leur résistance. Hicham est assassiné en 1013 à Suleyman al Musta le remplace pendant 3 ans et concède d’importants territoires en Andalousie aux berbères. à Les Hammudides sont au pouvoir en 1016.

Dans un climat d’anarchie complète, le pouvoir est occupé par des souverains fantoches et des hommes politiques médiocres jusqu’en 1031 où les notables proclament l’abolition du califat et la destitution du dernier omeyyade, Hisham III. La ville passe aux mains d’une famille de clients des Omeyyades d’origine orientale, les Banu Djahwar.

Chapitre 2. Musulmans et Chrétiens en Méditerranée centrale du milieu du Xe siècle au début du XIe siècle

Située au centre de la Méditerranée, entre l’Afrique du N et l’Italie méridionale, la Sicile (Siqilliya en arabe) occupe une place privilégiée dans l’histoire des relations entre les pays d’islam et le monde latin. Attirés par sa richesse et sa position stratégique, les musulmans y mènent plusieurs raids dès le VIIe siècle ramenant des prisonniers et un butin considérable. La 1ère expédition de conquête menée par les Aghlabides se déroule en 820 ; des tensions entre arabes et berbères ralentissent l’occupation de l’ile mais n’empêchent pas les musulmans de mener des raids contre l’Italie méridionale (émirat de Bari 847-871). Contrairement à al-Andalus et à Lorient, l’étude des relations entre musulmans et chrétiens s’avère très compliquée dans la mesure où le début n’oppose pas seulement les musulmans aux latins. Il y a une pluralité de puissances terrestres et navales : les Omeyyades (al-Andalus), Fatimides (Ifriqiya) et zirides  (Afrique du Nord) et du côté des chrétiens, les byzantins, les Normands, l’empereur Otton II mais aussi de réussite des marchands d’Italiennes comme Gênes, Pise et Venise interviennent. La question est d’autant plus délicate que les sources arabes jusqu’au XIe siècle sont peu nombreuses et nous ne disposons la plupart du temps que du point de vue des chrétiens émanant des sources grecques ou des annales des cités d’Italie méridionale. Les sources arabes relatives à l’Afrique du N des Fatimides ou au début de la dynastie ziride demeurent pauvres sur la Sicile et les rapports avec les chrétiens ; les modalités de l’islamisation de l’ile ou les rivalités entre les différentes ethnies restent de l’obscurité.

MUSULMANS ET CHRETIENS VERS LE MILIEU DU XE SIECLE

  1. LA SICILE AU MILIEU DU XE SIECLE

Vers la fin du Xe siècle, la Sicile musulmane forme un pays riche et prospère. CF Ibn Hawqal. C’est un carrefour commercial, un grenier à blé de l’Afrique du N. L’habitat est remodelé sous l’émirat kalbide en particulier le système défensif qui permet la mise en place de forteresse perchée mais difficiles à ravitailler. Certaines occasions byzantines sont réoccupées. Vers 990, l’ile compte une trentaine de villes et quelques fondations arabes. Palerme, la capitale est l’une des grandes métropoles du monde musulman et comprend 300 000 habitants selon les auteurs arabes. Les musulmans introduisent le ver à soie, le papyrus, la mûre, le sumac… L’ile produit de l’or, de l’argent, du plomb, du mercure, du soufre, de l’antimoine, de l’alun. La pêche au thon est très développée.

La vie intellectuelle est très active et l’ile sert de refuge aux intellectuels persécutés en Afrique du N. De nombreux lettrés siciliens font des séjours en Orient cf. Muhammad b al-Khurâsânî, de nombreux juristes Malikites réputés cf. Abd Allâh. C’est ainsi si les Arabes commencent à s’intéresser à la science et la philosophie grecque selon M Amari.

Malgré les conflits entre les Arabes et les berbères, la Sicile est un pays profondément islamisé avec le gouverneur désigné par le calife fatimide d’Ifriqiya et l’administration. On trouve dans les villes une assemblée rassemblant les notables et des conseils d’anciens. On peut affirmer selon les sources écrites et la toponymie que les tribus arabes sont installées dans le Nord-Ouest de l’île de Palerme alors que les berbères sont dans le Sud-Ouest autour d’Agrigente. La plus grande partie des musulmans de l’ile est formée de populations indigènes converties à l’islam ; les chrétiens et les juifs auront le statut de protégés (dhimmis) ils payent la capitation, l’impôt foncier et peuvent librement pratiquer leur religion. Il convient d’accorder une place particulière aux juifs de Palerme cf. La chronique d’Ahimaaz qui relate l’histoire d’une famille juive d’Oria entre le IXe et le XIe siècle. Ceux-ci ont souffert de persécutions sous la domination byzantine et ne se sont pas opposés à l’arrivée des musulmans. Ils sont médecins, marchands, propriétaires fonciers et ont des liens étroits avec les communautés juives de Sicile, de Tunisie et d’Égypte.

L’histoire de l’île est particulièrement agitée durant la première moitié du Xe siècle. L’avènement des Fatimides en Ifriqiya en 909 et suivis d’une succession de révolte provoquée par des arabes, des berbères et des communautés chrétiennes. Par exemple en 911 des chrétiens se révoltent dans le Val Demone et le gouverneur Hasan b Ahmad doit intervenir de nouveaux troubles sont organisées par les partisans des Aghbides réfugiés dans l’île et par des berbères ; ils aboutissent au rejet momentané de la souveraineté Fatimides et pendant un court moment Ibn Qurhub, favorable aux Abbâssides gère  (Administration sunnite ; attaque de la côte africaine pendant que les forces Fatimides se trouvent en Égypte) à est renversé par les berbères, capturé et envoyé au calife qui le fait exécuter en 916. Le calife fatimide pour restaurer son autorité sur l’île envoie d’importantes troupes de berbères. Il proclame une amnistie générale et confie la Sicile au gouverneur Salim b Rashîd qui maintient le calme entre 917 et 937.

937, nouveaux troubles à Palerme et le calife fatimide est contraint de procéder au remplacement du gouverneur jugé trop tyrannique. Profitant de la révolte Kharidjite qui secoue l’Afrique du Nord de 943 à 947, des berbères se soulèvent nouveaux et plusieurs villes siciliennes refusent de payer l’impôt. Une fois victorieux, le calife fatimide al-Mansur désigne al Kalbî pour Me permanents mais aussi qui règne en Sicile.

  1. L’Italie MERIDIONALE ET LA PRESENCE byzantine

Face à la prospérité de la Sicile et à la puissance de Fatimides d’Afrique du Nord, l’Italie méridionale fait figure de pays divisé. À la fin du neuvième siècle, l’intervention byzantine contre la tentative des francs pour imposer leur tutelle aux terres lombardes et contre la poussée musulmane entraînée une nouvelle répartition des pouvoirs en Italie du Sud. Le sud de la péninsule est mentionné en un grand nombre de petites principautés placées sous l’autorité mouvante des Lombards et des byzantins. L’influence du pape est réduite.

J Gay et H Taviani Carozzi ont montré qu’au début du Xe siècle, la reconquête byzantine a restreint le territoire du duché de Salerne et fait reculer la domination lombarde en Calabre. L’église latine est menacée, les byzantins mènent une politique de réorganisation des diocèses en créant de nouvelles métropoles.

Les byzantins occupent la Calabre et la plupart des petites cités marchandes de la côte méditerranéenne (Naples, Amalfi). De riches cités comme Capoue et Salerne sont aussi entre leurs mains. Les byzantins jouent les arbitres dans les querelles entre les villes du Midi et les appels répétés au basileus contribuent à leur maintien dans la région.

A Guillou a montré qu’à côté des thèmes de Calabre et de Langobardie existe aussi un stratège de Lucanie. La peau est ensuite transformée sous le règne de Nicéphore Phocas (963-975). À la différence de la Calabre peuplée par des populations hellénophones venues se réfugiaient sur le continent lors de la conquête de la Sicile, la Pouille sous administration byzantine continue d’être majoritairement peuplée de Lombards.

  1. LES RELATIONS ENTRE MUSULMANS ET CHRETIENS

Face à la chrétienté latine ou grecque, les Fatimides n’ont rien changé à l’équilibre des forces dans cette partie de la Méditerranée. Le combat oppose toujours les byzantins aux musulmans.

Les faits marquants de cette époque seraient dus à quelques dates :

915 le stratège byzantin Nicolas Picnigli allié à quelques cités italiennes se rend maître du repère musulman du Garigliano débarrassant ainsi l’Italie centrale des appels musulmanes.

925-926. Attaque des cotes de Lombardie et de Calabre avec l’appui d’unités venues d’Ifriqiya.

929 attaque de Naples

  1. Le califat fatimide envoie depuis Mahdiya vers les côtes chrétiennes une flotte menée par l’amiral Ya’qub qui s’empare de plusieurs bateaux de marchand chrétien venant d’Espagne et allant vers Gênes. Il s’empare de Gênes après un long siège, l’incendie è nombreux captifs et butin considérable = tournant dans l’évolution de l’attitude des cités italiennes à l’égard des musulmans à 935. L’évêque de Gênes lance un appel à la repressio Sarracenorum.

Malgré les efforts des byzantins le rapport de force est en faveur des musulmans qui disposent de flottes légères et menacent les relations commerciales. Le but de conquérir de nouveaux territoires mais de s’assurer du butin. Les navires byzantins viennent sur les côtes provençales en 931 et en 942 mais dans l’ensemble les musulmans sont maîtres des eaux de la Sicile et d’Afrique du Nord. Cf. Farhat Dachraoui : « à ce moment-là, vers le milieu du Xe siècle… la Méditerranée était belle et bien un lac musulman sous le pavillon blanc des unités Fatimides ».

LA DYNASTIE KALBIDE ET LA REPRISE DES COMBATS

Cette suprématie demeure entière à la fin du Xe siècle lorsque la Sicile passe sous l’autorité des gouverneurs issus d’une famille arabe connue sous le nom de Banû Kalbî, ou Kalbides, en récompense des services qu’ils ont rendus aux chiites ismaïliens en Ifriqiya. En 947, c’est la nomination d’al-Hasan b Alî comme gouverneur de Sicile par les Fatimides qui débute l’émirat héréditaire qui va dominer la Sicile pendant près d’un siècle.

  1. LES DEBUTS DE LA DYNASTIE ET LA GUERRE CONTRE LES byzantins

Le calife fatimide al Mansour pour rétablir la paix en Sicile désigne comme gouverneur al-Hasan b Alî qui mène une répression dure contre les chrétiens qui refusent de payer un impôt depuis plusieurs années. à L’empereur Constantin VII réagit car il a le soutien des Omeyyades d’Espagne à en 951, alors que les Omeyyades attaquent le Maghreb et s’empare de Tanger, l’empereur mène une expédition contre la Sicile à réaction du calife fatimide en envoyant un général slave Faradj sur Palerme à repli des Grecs, paiement d’un lourd tribut par les habitants et édification d’une mosquée à ambassades des byzantins pour demander l’arrêt des hostilités.

  1. Raid punitif du calife fatimide contre les Omeyyades d’Espagne en attaquant Alméria à énorme butin et nombreux captifs à riposte omeyyade en attaquant Sousse. Sachant que les Omeyyades ont des difficultés avec les Chrétiens de Léon et de Pampelune, les Fatimides poursuivent la lutte au Maghreb.

L’agressivité permanente des byzantins justifie aussi ce changement de politique. Cf. flotte grecque qui mène plusieurs raids contre Termini alors que la Fatimides opère en Méditerranée occidentale contre les Omeyyades. Al-Hasan parvient à repousser les troupes grecques qui menacent de débarquer en Afrique du N. De nouvelles négociations entre l’empreinte Constantin VII et l’émir kalbide en 957, sans aboutir.

En 961, la Crète revient aux byzantins.

  1. L’AGGRAVATION DES TENSIONS

Les Musulmans répliquent dans la partie de la Sicile peuplée par des Chrétiens et la Calabre.–> 962 prise de Taormine à émigration des Chrétiens remplacés par des musulmans et changement de nom pour Taormine qui devient  al-Mu’iizya. à attaque de Rametta à envoi de troupes par l’empereur byzantin qui s’emparent de Messine et Termini à envoi d’Al-Hasan et reprise de Termini et repli des byzantins + défaite de leur flotte dans le détroit de Messine à nouveau traité de paix à la demande des byzantins.

  1. LE DEPART DES FATIMIDES VERS L’EGYPTE ET SES CONSEQUENCES

Le calife fatimide décide de quitter l’Afrique du N pour l’Egypte à la suite de sa conquête en 972 à bouleversement de l’équilibre des forces en présence et de la vie politique en Sicile et en Afrique du N.

En Sicile le calife accorde au chef Kalbide une autonomie presque complète ; en Afrique du N et au Maghreb central, il délègue son autorité aux Sanhâdjas zirides qui créent une dynastie héréditaire. En 972, Bulukhîn b ziri est désigné maître de tout l’occident fatimide, sauf de la Sicile et de Tripoli. Les zirides doivent affronter 3 difficultés :

-leur armée est vaincue au Maghreb occidental par les Berbères zanâta

-en levant les impôts sur les Berbères Kutâma, alliés anciens, ils contrarient leurs rapports avec les Fatimides.

-la formation de la dynastie des Hammadides, au cœur de l’Algérie, à l’initiative de l’oncle de l’émir en 1004-1005. à Révolte contre les zirides et alliance avec les Abbâssides à victoire des zirides.

Ces divisions ont peu d’effets au départ sur les relations avec les Chrétiens.

L’ESSOR DE LA RESISTANCE CHRETIENNE ET L’INGERENCE DES CITES ITALIENNES

  1. LA PRESSION OTTONIENNE EN ITALIE MERIDIONALE

Les puissances latines interviennent avec les visées conquérantes d’Otton Ier en Italie méridionale dans le but de réduire l’influence byzantine dans la région. Il tente de conquérir l’ensemble de l’Italie et se trouve face à une coalition de musulmans et de byzantins commandée par al-Hasan b Alî en 982 à victoire éclatante des Musulmans. C’est la première fois qu’une puissance latine manifeste sa présence en Italie méridionale.

  1. L’INGERENCE DES CITES ITALIENNES

Encouragés par cette victoire, les Musulmans reprennent les raids en Italie du Sud : Calabre en 986, Gerace ; menace sur Bari en 988 puis Tarente en 991 ; occupation de Matera en 994 ; attaque de Capoue en 1002, siège de Bari en 1003 à intervention de la flotte vénitienne en 1004 + défaite face aux byzantins à Reggio aidés par la flotte des Pisans. = insécurité régnant sur les mers et incapacité des Grecs à réagir efficacement  pousse à un changement d’attitude des cités marchandes italiennes comme Amalfi, Gênes, Venise… qui décident de mener leurs propres expéditions.

Autour de l’an mil, plusieurs opérations militaires sont menées par les cités italiennes à l’initiative de Pise et dans un esprit religieux cf. Expéditions des génois contre les musulmans. En 1016, l’émir de Dénia, al-Mujjahid est chassé de Sardaigne par les Pisans et les Génois à en 1034, les Pisans mènent leur 1er raid punitif sur les côtes d’Afrique du N = renversement des forces.

  1. LES DERNIERS RAIDS MUSULMANS

Venant d’Espagne en 1006 ; en 1009 contre la Calabre ; en 1016 contre Salerne face à des Normands pour la 1ere fois ; entre 1010 et 1015 et en 1023 contre Bari è en 1034 quand l’empereur byzantin Michel IV envoie des ambassadeurs, il négocie désormais en position de force et l’émir kalbide doit accepter les conditions de la trêve.

Chapitre 3. Les Musulmans d’Orient et les Latins du milieu du Xe siècle au début du XIe siècle

Le Proche-Orient ne connait pas de principautés latines au milieu du Xe siècle. On y trouve de nombreuses communautés chrétiennes dont les Melkites, les Coptes, les Nestoriens, les Maronites, les Jacobites = les Chrétiens ne sont qu’une infime minorité. La distance permet le dvt de relations particulières, par le biais du commerce et du pèlerinage.

Le Proche-Orient demeure d’une importance cruciale pour les Latins car c’est là que se trouvent les lieux saints et le Saint-Sépulcre de Jérusalem, dont Charlemagne et ses successeurs avaient la garde.

Face à l’Islam, la chrétienté est surtout byzantine et le Xe siècle est marqué par une forte pression des byzantins, dont les succès militaires peuvent être expliqués par les divisions agitant l’Orient musulman, modifiant l’équilibre des forces face aux Chrétiens.

L’ORIENT ET L’EGYPTE DANS LA SECONDE MOITIE DU XE SIECLE

L’histoire des pays musulmans est marquée par 3 phénomènes qui accentuent la fragmentation du califat abbasside : le déclin du califat sunnite de Bagdad ; l’arrivée des émirs chiites buyides ; l’installation du califat fatimide en Egypte.

  1. LE DECLIN DU CALIFAT ABBASSIDE ET L’EMERGENCE DE NOUVEAUX POUVOIRS

Naissance du califat fatimide en 910. Naissance du califat omeyyade en 929

L’orient abbasside connait l’émergence de multiples pouvoirs locaux tenus par des émirs soit sunnites, soit chiites (anciens officiers turcs au service des Abbassides). Le phénomène se généralise avec l’installation des Sâmânides en Mésopotamie et des Ghaznévides en Afghanistan et l’arrivée de Saif al-Dwala de la dynastie des Hamdânides (=le sabre de la dynastie) qui s’installe à Mossoul et s’étend sur la Syrie dès 947. Ce dernier assure la résistance musulmane face aux avancées byzantines. Face aux pressions des autres dynasties arabes (Abbassides) et des byzantins, la dynastie des Hamdanides disparait.

  1. LES BUYIDES

Famille iranienne chiite qui menace les Abbassides en Irak dès le Xe siècle. Dès 934, Ahmad b Buwayh prend le contrôle de Shîraz, puis de Bagdad sous prétexte de  défendre la ville contre les Qarmates à les Abbassides lui donnent les pleins pouvoirs à il fait aveugler le calife, qui n’a plus qu’un rôle représentatif.

D’autres pouvoirs princiers émergent aggravant la dislocation de l’Orient musulman : les Hâshimides, les Shaddâdides, les Rawwâdides au Nord ; les Marwâdides en Mésopotamie ; les Ukaylîdes à Mossoul etc.

  1. LES DEBUTS DU CALIFAT FATIMIDE D’EGYPTE ET LA CONQUETE DE LA SYRIE

L’élément le plus marquant de cette période est la conquête de l’Egypte par les Fatimides du Maghreb ß crise économique + mort du prince Ikhshidide Qâfut en 967 + famine.

A partir de l’Egypte, les Fatimides se lancent à la conquête des villes saintes, du Yémen et de la Syrie où ils se heurtent à la résistance des habitants de Damas et aux raids de pillards en Jordanie. à Tout le littoral syrien, ses ports et ses flottes sont sous le contrôle des Fatimides.

LE DEVELOPPEMENT DES ECHANGES COMMERCIAUX

  1. LE NOUVEAU CONTEXTE

Le contrôle des lieux saintes par les chiites du Caire bouleverse les forces en présence car l’Egypte fatimide est une voie de passage incontournable pour les échanges commerciaux entre la Méditerranée et l’Orient ; d’autant plus que les Qarmates dans le golfe persique rendent toute navigation dangereuse. De plus les villes égyptiennes sont des foyers d’artisanat réputés offrant des produits recherchés par les Occidentaux (tissus, céramique…) et leurs ports sont renommés. Egypte = carrefour commercial, espace attractif pour les Musulmans et les Chrétiens. Les Latins y échangent du bois, du fer contre du sucre, de l’alun, des épices, des tissus.

  1. LES ITALIENS EN EGYPTE

Sont les 1ers commerçants à s’installer en Egypte (d’Amalfi) à la recherche d’épices. Ils s’y installent facilement car ils ont aidé les Fatimides à s’établir en Egypte en 969 à le calife leur concède un quartier au Caire pour l’aider à construire une flotte destinée à vaincre les byzantins.

En 973, un contrat d’échanges entre Amalfitains à Salerne évoque des voyages en Egypte. En 976, un document salernitain cite un noble d’Amalfi Lupino de Rini qui voyage en Egypte. Cf. chroniqueurs arabes tels Yahud d’Antioche : Suite à des rumeurs les logements des commerçants d’Amalfi au Caire sont mis à sac et 160 amalfitains sont tués.

Leur présence est également attestée à Antioche. Cf. chronique d’Amattus, un certain Maurus y fonde un hôpital en faveur des pèlerins occidentaux. Selon Michel Balard, la présence en Egypte  des marchands des autres républiques maritimes italiennes semble plus tardive. Génois et Pisans sont attestés après 1060. Les 1ers Vénitiens en 1039.

  1. LES JUIFS INTERMEDIAIRES

Les Juifs continuent de jouer un rôle essentiel en servant d’intermédiaires entre le monde latin et l’Orient. Cf. documents de Geniza du Caire, archives découvertes en 1898 et qui couvrent 3 siècles et demi depuis la fin du Xe siècle. Cf. Salomon Goitein. Ces archives montrent l’existence de réseaux commerciaux entre l’Egypte, Ifriqiya, la Sicile et l’Espagne pendant tout le XIe siècle et des liens de solidarité particulièrement développés au sein de la communauté juive arabisée ; elles montrent aussi la figure de grands négociants tels Yusuf b. Awkal qui dirige une immense entreprise familiale de commerce et d’import-export.

Les bonnes relations qu’entretiennent les Juifs avec le pouvoir leur permettent d’affirmer leur position à côté des marchands arabes comme Mubarak al-Anmâti qui laisse une fortune de 300 000 dinars à sa mort.

Les négociants font le transport d’eunuques, d’esclaves, de soie, d’épées de l’Occident vers l’Orient et dans le sens inverse de musc, d’aloès, de camphre, de cannelle, de parfums…Cependant leur part dans le commerce commence à décliner autour de l’an mil avec l’essor des cités marchandes italiennes et la réduction du marché aux esclaves. à Orientation vers de nouveaux secteurs tels que le prêt et le change (Tunisie, Egypte, Sicile), la frappe monétaire (Catalogne chrétienne), la fiscalité (Espagne).

LE PELERINAGE DE JERUSALEM

  1. LES PELERINAGES LATINS VERS JERUSALEM JUSQU’A LA FINDU XE SIECLE

Au cours du Xe siècle, les pèlerinages sont peu nombreux, individuels. Cf. monastère sainte Barbe fondé en 800. Françoise Micheau à partir de sources latines, a montré que le voyage vers Jérusalem s’effectue par voie de mer aux IXe et Xe siècles : Italie du S (Salerne, Tarente) à Egypte à Terre sainte par voie terrestre.

Individuel car il concerne des hommes d’Eglise, des nobles en quête de pénitence tel le moine Bernard et ses 2 compagnons. Le moine Régnier est envoyé à Jérusalem par l’empereur Louis selon les Miracula sancti Benedicti.

Une fois sur place, les pèlerins jouissent d’une grande liberté de mouvement. De nombreux chrétiens et juifs ont de haute fonction dans l’administration musulmane. Cf. le copte Abû al-Yamân Quzman b Mina qui fut surintendant des finances et gouverneur de Palestine.

  1. LA DESTRUCTION DU SAINT SEPULCRE PAR LE CALIFE AL-HAKIM

Al-Hakim arrive au pouvoir en 996 ; il est décrit comme un déséquilibré mental (répression contre les femmes, les marginaux, les Chrétiens et les Juifs = souci de purification des mœurs lié à l’ismaïlisme développé dans un contexte apocalyptique (= fin du monde fixée à 400 ans après l’Hégire). Pour Marius Canard et Thierry Bianquis, il est plus plausible de relier la destruction du Saint Sépulcre à la volonté du calife de lutter contre les superstitions liées à la flamme sacrée qui allumait miraculeusement les lampes du sanctuaire du Saint sépulcre.

Vers 1008-1009, al-Hakim décide de faire détruire les églises et les synagogues d’Egypte et de Syrie et de les remplacer par des mosquées et ordonne surtout la destruction du Saint sépulcre à Jérusalem. Il remet en vigueur le port du  zunndr (ceinture distinctive pour les Chrétiens) et de vêtements noirs. Les grandes fêtes chrétiennes sont interdites et leurs biens confisqués ; tous les fonctionnaires, dhimmis, sont congédiés en 1012.

La destruction du Saint sépulcre a des répercussions en Occident :

A Byzance l’affaire n’a pas de résonnance, car l’empereur Basile II est l’allié des Fatimides.

En Occident cf. Adémar de Chabannes, Raoul Glaber… Pour ce dernier cette destruction est le résultat d’un complot juif. Pour certains auteurs comme John France, l’impact est secondaire tandis que pour d’autres historiens, comme Jean Flori, son importance est cruciale. Certains y voient une cause lointaine des croisades.

Ce climat d’intolérance religieuse est provisoire dans l’Orient musulman ; de plus ces mesures frappent aussi les Musulmans puisqu’al-Hakim interdit les pèlerinages à La Mecque. L’ordre de destruction fut signé par des secrétaires chrétiens. La sœur d’al-Hakim, la régente négocie avec les byzantins la reconstruction du Saint Sépulcre. C’est surtout le climat apocalyptique qui explique l’impact de cet événement en Occident, 10 ans après l’attaque de saint Jacques de Compostelle par al-Mansur è essor de l’antisémitisme et de la haine des Musulmans en Occident.

  1. ESSOR DES PELERINAGES COLLECTIFS

Pas de remise en cause des pèlerinages vers Jérusalem mais augmentation du nombre de pèlerins chrétiens mais essor des pèlerinages groupés : un seigneur avec ses amis, ses prêtres, ses vassaux Cf. Raoul Glaber qui en fournit  exemples fameux :

En 1026-1027, plusieurs centaines de personnes se regroupent à Verdun dont des nobles et des prélats dont Eudes de Bourges, Richard, abbé de Verdun, Guillaume II Taillefer…

En 1033, année du millénaire de la Passion, une foule innombrable converge vers le Saint sépulcre.

Alors que jusque-là les pèlerins employaient la voie maritime, l’itinéraire devient terrestre en franchissant le Danube pour rejoindre Constantinople, puis à travers l’Asie mineure, rejoindre Antioche et Jérusalem en raison des persécutions exercées par al-Hakim en Egypte.