Michel Lussault (1960) est un agrégé de géographie, professeur à l’École Normale Supérieure de Lyon. Il se spécialise dans la géographie urbaine et a été responsable scientifique du groupe « L’Urbain métropolisé français dans la mondialisation ». Depuis 2010 il est président du conseil scientifique du PUCA (Plan d’Urbanisme Construction Architecture).
Il est l’auteur de neuf ouvrages scientifiques (L’Homme spatial, De la lutte des classes à la lutte des places) et de nombreux articles.
Dans L’Avènement du Monde, Essai sur l’habitation humaine de la Terre (2013), Michel Lussault s’intéresse au monde tel que la mondialisation l’a bouleversé. Les schémas intellectuels qui permettaient de le comprendre ont changé, laissant la place à de nouveaux cadres de vie et d’organisation des sociétés humaines. Le livre est centré sur l’urbain, puisque c’est essentiellement dans les lieux d’habitations humaines que la mondialisation se manifeste. Par elle émerge une nouvelle réalité : le Monde, qu’il s’agit de comprendre et de penser afin de pouvoir habiter les espaces terrestres.

Chapitre 6 : Nos puissances sont fragiles

La crise fait système

Dans ce chapitre, Michel Lussault s’intéresse à la nouvelle vulnérabilité des populations, engendrée par la mondialisation, qui a fait entrer la pensée et l’action politique dans une nouvelle ère par l’émergence d’une prise de conscience massive (principe de responsabilité spatiale).
Avec la mondialisation s’est développé un nouveau rapport au Monde, régi par l’obsession du patrimoine, l’angoisse permanente de l’actualité et la protection nécessaire face à ce qui n’est pas encore advenu. Michel Lussault relie ce catastrophisme actuel à la vulnérabilité (sensibilité extrême des organisations urbaines à l’événement spatial) croissante des espaces humains, notamment par la systémie. La moindre anicroche peut avoir des effets globaux (exemple du volcan Eyjafjöl en 2010) : on parle de vulnérabilité généralisée du Monde.
Trois registres influent sur la vulnérabilité : la sensibilité aux catastrophes (événement qui provoque un bouleversement durable de l’espace-temps d’un habitat donné et des habitants qui y sont liés), la sensibilité aux accidents (fragilité face à des événements perturbants mais qui ne remettent pas en cause une organisation spatiale dans son ensemble) et la sensibilité aux incidents (fragilité des organisations urbaines face à l’anicroche pouvant entraîner un fort effet de paralysie).
Ces registres circonscrivent le champ de la vulnérabilité à l’événement. Ils en existent qui regroupent l’ensemble des effets d’endommagement possibles liés à la manière dont un espace habité se déploie. On aborde alors une nouvelle vulnérabilité qui dépend de la première : celle qui spatialise les inégalités sociales. A côté de la sensibilité à l’événement spatial, il existerait une sensibilité à la configuration spatiale.
Cette vulnérabilité liée à la configuration spatiale a une autre face : les formes générales et locales des organisations urbaines accroissent la vulnérabilité de l’habitation humaine. L’étalement intensif des populations permet une stabilisation du budget temporel alors que les villes au maillage trop lâche renforcent cette vulnérabilité.

La vulnérabilité comme force

Les sociétés humaines ont pris conscience de leur vulnérabilité à l’échelle mondiale et différents partis ont vu le jour : le catastrophisme assuré (fondé sur une généralisation de l’inquiétude), le catastrophisme maîtrisé (possibilité pour l’homme de contrôler entièrement le risque) et le catastrophisme de rupture (les sociétés humaines menacent leur habitat, la maîtrise totale du risque est impossible : il faut trouver d’autres voies).
Michel Lussault, lui, se place du côté du catastrophisme éclairé. Le système urbain accumule proportionnellement puissance et vulnérabilité (principe de vulnérabilité globalisé) ; les espaces humains sont « toujours-déjà » vulnérables et l’habitation humaine est fragile. La vulnérabilité est donc à la fois résultat, stimulant et problème de la mondialisation. Le catastrophisme éclairé consiste à affronter la vulnérabilité sans prétendre l’éradiquer, et en tirer quelques conséquences de stratégies d’habitation humaine. Il s’agit de s’imprégner de cette faiblesse pour progresser et non pas de s’en prémunir totalement. On complète le principe de vulnérabilité globalisé avec celui de résilience des spatialités et d’immunité spatiale.
La résilience des spatialités est la capacité à passer du vécu immédiat de la situation d’agression à une réorientation positive de la vie, en restaurant son état initial aussi vite que possible. L’immunité spatiale est à la fois un ensemble de savoirs et de pratiques (manière d’habiter aux échelles d’espaces et de temps particulières que cette habitation mobilise) et une défense face aux problèmes survenant de l’interaction entre une sphère spatiale et des phénomènes qui en procèdent. Michel Lussault la définit comme un ensemble de principes organisationnels d’une société contribuant aux modalités selon lesquelles une entité d’habitation réagit à une crise et assure son maintien fonctionnel.
Michel Lussault désire opérationnaliser les concepts de vulnérabilité globalisée, de résilience des spatialités et d’immunité spatiale. Il considère que le catastrophisme maîtrisé est voué à l’échec, un de ses plus gros défauts étant le manque d’attention accordée au passé.
En conclusion, il faudrait envisager une autre manière de concevoir l’aménagement et l’urbanisme, en se fondant sur l’observation des réalités spatiales et en modifiant les compromis que les groupes humains posent pour définir les fondements de leurs pratiques d’habitation.

Critique

Dans ce chapitre sur la fragilité des puissances, Michel Lussault introduit le concept de la vulnérabilité des sociétés humaines. Celle-ci est pour lui indissociable de la mondialisation : à la fois son penchant et son stimulateur, elle devient un moyen de dynamiser la mondialisation, tant qu’elle est sous contrôle. Michel Lussault défend une politique du juste milieu : il faudrait à la fois comprendre la vulnérabilité et la tenir sous contrôle. S’il est indéniable que les sociétés sont davantage reliées entre elles et que la vulnérabilité d’une seule peut affecter toutes les autres, ce chapitre ne propose pas de réelle solution, il s’agit d’une explicitation du problème. De plus, si les différentes prises de position et opinions sont détaillées et rassemblées en catégories, il n’est pas question du courant général, de ce que cette prise de conscience a provoqué à l’échelle mondiale. Enfin, les exemples concernent essentiellement des espaces urbains, la vulnérabilité est peu abordée à l’échelle rurale. On conclut que ce chapitre observe des distinctions précieuses entre les différentes vulnérabilités et les réactions des concernés, mais sans peut-être réellement parler de la vulnérabilité en elle-même. L’association entre mondialisation et vulnérabilité comme moteur de la mondialisation est intéressante, cela semble montrer qu’on ne peut rien contre les faiblesses du Monde, qu’elles sont inhérentes à l’accroissement des échanges. Pourtant, si l’on considère que cette vulnérabilité est bien un problème majeur, aucune réelle solution n’est proposée, même si cela peut se comprendre par le point de vue de l’auteur sur l’inexorabilité et la valeur contradictoire de cette nouvelle faiblesse des sociétés humaines.

Anna Petrusa, HK/AL, Lycée Sainte-Marie de Neuilly