Cette photographie a été prise le 3 août 2017 au sud de la Crête à 322 mètres d’altitude au-dessus de la mer de Libye, sur l’unique route permettant d’accéder au village de Tris Ekklisies.

Au premier plan nous pouvons voir la route, goudronnée il y a seulement deux mois. Elle est réputée pour sa dangerosité car constituée de pas moins de 20 virages en épingles et dont certaines tranches sont à 10% de dénivelé. Longue de 5,7 km, elle offre une vue imprenable sur la mer. Nous distinguons alors en aval au second plan la côte qui longe le village de Tris Ekklisies. Le goudronnage de la route offre de nouvelles espérances aux habitants de ce lieu enclavé. En effet, en plus de faciliter la mobilité des habitants et les flux de marchandises, il peut permettre de dynamiser le tourisme dans la région. Il y a de fait un contraste flagrant en Crête entre le Nord et le Sud. Tandis que le Nord est extrêmement touristique, dynamisé par sa capitale Héraklion et ses nombreuses infrastructures telles que son aéroport ou l’autoroute qui longe la côte Nord, le Sud est moins desservi et ainsi moins fréquenté par les touristes internationaux. En ce qui concerne Tris Ekklisies, ce village est un lieu de villégiature essentiellement connu par des touristes crétois. Un restaurant et un café ont été établis sur la plage et présentent des menus typiques et riches en poissons et crustacés fraîchement pêchés par les pêcheurs locaux. Ces quelques commerçants escomptent grandement sur les nouvelles perspectives touristiques qu’offre cette nouvelle route.

Le nom de ce village Tris Ekklisies, littéralement le village des « trois églises », place d’emblée ce site sous le signe de la religion chrétienne orthodoxe, très implantée en Crète comme en témoignent la multitude de chapelles qui jalonnent les routes crétoises. Très pieux, les crétois construisent des églises afin d’exprimer leurs remerciements à Dieu ou de remplir une « tama », ou promesse, donnée à Dieu en échange d’une demande.
Devant une église, une plaque datant du 26 juillet 2015 révèle un autre aspect insoupçonné de ce modeste village : « C’est de cet endroit que pendant l’Occupation germanique, les Anglais, Australiens et Néo-Zélandais qui étaient encerclés purent s’échapper vers le Moyen-Orient avec des sous-marins et autres moyens, grâce à l’aide des Crétois combattants pour la liberté et la dignité ». On comprend clairement que ce lieu enclavé a pu être un piège sans issue et que la mer est une grande ouverture vers le Proche et Moyen-Orient ou encore l’Afrique du Nord. Rappelons que la Crète et la Libye sont séparées en longitude par 1000 km de mer.

Aujourd’hui encore les habitants de ces villages du Sud doivent leur Salut à la mer, riche en ressources halieutiques. La terre, quant à elle, est particulièrement rocheuse et aride comme le montre la photo et offre peu de perspectives agricoles. On rencontre tout de même sur le littoral, des cultures sous serre d’Aloe Vera qui permettent à la Crête de commercialiser des produits cosmétiques autres que ceux à base d’huile d’olive, la culture d’oliviers se concentrant sur les plateaux.

Le climat en Crète est méditerranéen, il ne pleut majoritairement qu’entre octobre et mars, d’où la grande sècheresse du paysage. Ce relief abrupt et rocheux offre par endroit d’étonnantes cavités troglodytiques qui ont servi dans les années soixante-dix de refuges aux communautés Hippies séduites par le décor.

J’ai choisi cette photo car elle me rappelle la fascination qu’a exercée sur moi ce lieu insolite et isolé. Fascination face au dénivelé impressionnant et à la vue vertigineuse, fascination face à l’aridité presque hostile du sol qui contraste avec l’étendue maritime infinie et lumineuse, fascination face à l’épopée historique que dissimule ce site, fascination enfin face à l’isolement dans lequel vivent aujourd’hui encore les habitants de Tris Ekklisies.

Marie Rieu, HK 2017-2018, Sainte-Marie Lyon