Introduction

*Accroche
Définir la guerre : imaginer les premiers âges des Hommes renvoie, pour les frères Rosny, à imaginer la guerre du feu. Comme l’ont montré les travaux de Dumézil, nombreuses sont les sociétés structurées autour de la fonction guerrière dans une logique de tripartition sociétale (le guerrier, le prêtre et le marchand) qui serait commune au monde indo-européen. Le citoyen, qu’il soit le révolutionnaire de 1792 ou ses ancêtres athénien ou romains s’est construit, pour une partie importante, autour de la guerre, de la défense de la communauté. La guerre est cependant devenue, comme la stratégie, un terme galvaudé.

*Redéfinition

Le sujet invite à s’interroger sur un mot rapidement employé, à commencer par le pouvoir politique, pour qualifier des conflits actuels de guerre. Le XXè siècle a été marqué par des guerres dévastatrices et la France a connu invasion, défaites et victoires, définissant ce qu’elle est aujourd’hui. On est cependant en droit de se demander si l’utilisation parfois trop rapide du terme de guerre pour qualifier, par exemple, des attentats sur notre sol, ne relève pas plus d’une facilité de langage que d’une analyse réellement fine des conflits et de leurs enjeux comme l’a montré Gérard Chaliand dans son ouvrage récent, « Pourquoi perd-on la guerre ?« 

*Problématique
En quoi faut-il se garder d’employer trop rapidement le mot guerre sous peine de ne pas appréhender correctement les conflits et violences actuelles ?

*Idée maîtresse
Si toute guerre est un conflit, la réciproque n’est pas vraie. Le conflit oppose deux groupes ou personnes, à travers des chocs physiques mais aussi des idées. Si on se réfère aux auteurs anciens ou plus récents, de Sun Tzu à Clausewitz en passant par Roger Caillois la guerre doit être définie dans un sens strict.

Il s’agira donc ici de définir la guerre, au-delà des facilités de langage, comme d’une lutte collective, le plus souvent étatique mais sans exclusive, violente, régit par un cadre légal au niveau international sans que ce dernier soit nécessairement respecté.

*Annonce plan

J’organiserai mon exposé autour de deux idées directrices :

1 – La guerre peut faire l’objet de typologies pour mieux en appréhender une définition juste.
2 – Toutes les violences, y compris à l’échelon étatique, ne peuvent être définies comme des guerres ou analysées au prisme de la morale sous peine d’erreur d’analyse problématiques quant à la résolution des conflits ou aux capacités de résilience.

 

Développement – Définir la guerre

 

1 – La guerre peut faire l’objet de typologies pour mieux en appréhender une définition juste.

3 idées secondaires (IS)

1 exemple par IS
• IS1 : il est possible d’appréhender la guerre selon un schéma classique de guerre extérieure ou guerre intérieure. Dans le premier cas, les guerres opposent des nations, des Etats, selon une forme classique. Que ce soit les guerres de conquête (Alexandre le Grand, Mahomet, Napoléon) ou les guerres dites modernes qui apparaissent avec la Révolution française et mobilisent des forces toujours plus considérables (exemple 7 millions de mobilisés pour la France entre 1914-1918, ou les près de 18 millions de morts militaires de la seconde guerre mondiale. Quant à la guerre intérieure on pensera aux limites d’un état à l’instar des guerres de religion (France au XVIè) ou de la guerre civile (Espagne 1936-1939, Rwanda dans les années 1990).

• IS2 : la guerre répond aussi à une déclaration légale : la déclaration de guerre qui formalise le début et la fin de la confrontation violente entre deux entités étatiques. La guerre peut aussi être non déclarée mais sous-jacente, larvée, à l’image de la Guerre Froide elle-même composée de plusieurs guerres (Corée, Vietnam) ou du conflit en Ex-Yougoslavie dans les années 1990, les nombreuses tensions armées entre le Pakistan et l’Union Indienne autour du Cachemire. L’intervention en Lybie en 2011 s’apparente à une guerre non déclarée, tout comme l’intervention française au Mali qui sont clairement perçues sur le terrain comme des guerres à part entière.

• IS3 : il est enfin possible de s’intéresser aux buts. Si Clausewitz a défini la guerre comme « une simple continuation de la politique par d’autres moyens » dans De la guerre (1832-1834) on pourra aisément dégager quelques lignes directrices des casus belli. Les causes politiques chères au stratège prussien, les causes psychologiques des décideurs (Hitler par exemple), les causes économiques (Seconde guerre du Golfe – l’Irak exsangue par 8 années de guerres avec l’Iran se jette sur un territoire riche et faible). On pourra aussi percevoir des causes démographiques (trop de personnes sur un territoire disposant de peu de ressources) ou des causes sociétales. Ainsi le système militaire de Sparte, les héros de la Guerre de Troie dont Achille qui veut s’accomplir par et pour la guerre, les junkers du second Reich etc.

Transition : la guerre est donc un acte de violence organisée, mobilisant des ressources importantes, visant à la destruction. Cependant la guerre ne peut être dissociée de la paix ; la paix qui permet de préparer la guerre, « qui vis pacem para bellum » mais aussi la paix comme objectif à atteindre pour imposer sa volonté. L’apparente montée des violences inhérentes aux conflits actuels a libéré le terme de guerre d’une définition stricte, multipliant les confusions fâcheuses pour une analyse pertinente.

2 – Toutes les violences, y compris à l’échec étatique, ne peuvent être définies comme des guerres ou analysées au prisme de la morale sous peine d’erreur d’analyse problématiques quant à la résolution des conflits ou aux capacités de résilience.

• IS1 : la problématique de l’approche morale de la guerre est essentielle car dangereuse. Ainsi la notion de droit d’ingérence défendue par Bernard Kouchner et Mario Bettati pose question dans la mesure où, par la force, on intervient à l’intérieur d’un État qui n’a pas accepté une intervention extérieure. Dans ce cas il s’agit d’une guerre morale qui n’est pas très éloignée de la notion de guerre juste. Cette approche, présente chez Grotius ou Hobbes avant de céder la place à la notion de guerre régulière « jus in bello » aux XVIIIè et XIXè siècle (avec par exemple la création de la Croix Rouge en 1863 suite aux conséquences désastreuses de la batille de Solferino de 1859), est à nouveau utilisée de nos jours. On la retrouve dans l’approche idéaliste des néoconservateurs sous Reagan ou G.W.Bush : « empire du mal » à propos de l’URSS, « axe du mal » face au terrorisme et aux « états voyous », utilisation providentielle de la « manifeste destiny« . Autant de guerres dites justes posant réellement question sur les enjeux profonds et les conséquences des interventions. La guerre en Irak de 2003 est à ce titre en totale contradiction avec le droit international et le chapitre VII de la Charte des Nations Unies ; une guerre juste pour le président Bush, mais illégale pour le droit international.

• IS2 : « La guerre est une chose trop grave pour être confiée à des militaires » disait Clémenceau, retrouvant pour l’occasion les accent de Cicéron et de son non moins fameux « Cedant arma togae ». La primauté du politique sur le militaire est une chose acquise dans nos sociétés démocratiques, allant de pair avec une primauté du civil donc. Or ici se posent divers problèmes. C’est le politique qui définit ou non l’entrée en guerre et l’usage de la force. La guerre a ses propres logiques et la judiciarisation de nos sociétés est parfois contradictoire avec les actes de guerre. Ainsi l’émotion nationale accompagnée par le président Sarkozy après l’embuscade d’Uzbin en Afghanistan (2008) s’est accompagnée d’une volonté judiciaire de trouver des coupables.
En temps de guerre, le coupable est souvent l’adversaire. Selon les même principe, on pourra s’interroger sur les évolutions de la guerre, sur l’asymétrie, l’utilisation de drones armés, le domaine du cyberespace qui bouleverse la définition même du champ de bataille ou la devenue fameuse « Guerre Hybride ». La relation du politique à la guerre dans nos sociétés n’est pas simple, comme l’illustre le cas du terrorisme.

• IS3 : suite aux attentats de Paris (2015), puis de Nice, le pouvoir politique a été prompt à déclarer que nous étions en guerre, une guerre contre le terrorisme islamique aux accents de guerre contre le terrorisme de l’administration G.W.Bush. Dans le droit international, contrairement à la guérilla qui est reconnu, le terrorisme est un mode opératoire qui s’apparente à des crimes. Pourtant on veut faire la guerre à une forme qualifiée d’immorale, de guerre, ce qui ne peut faire sens. Primo, il n’y a pas une définition du terrorisme qui soit reconnue de façon universelle. Secundo, la politique de terreur a été pratiquée par des États ; on songera par exemple aux bombardements stratégiques de la seconde guerre mondiale sur Tokyo ou Dresde en 1945. Le terrorisme joue de l’émotion et en Occident couvre des accents liés à la morale, ce qui nous relie à la notion de guerre juste. Le terrorisme est aussi vieux que la guerre, c’est un instrument. Pour spectaculaires qu’ils soient, les attentats qui ont frappé la Nation, n’ont rien à voir avec l’état de guerre quotidien de 1939-1945, ou plus proche de nous, avec le quotidien de la Syrie ou de l’Irak à Mossoul.

 

Conclusion – Définir la guerre

=> + ID1 + ID2 + IM

La guerre repose une confrontation violente de deux entités, visant à imposer une volonté y compris par la destruction de l’autre. Formalisé, ou non, l’état de guerre, sa qualification morale, sont utilisés avec une pertinence toute relative par le pouvoir politique ou sociétal. Dégagé de ces spécificités par un usage abusif, la guerre perd de son sens, mais ses effets restent dévastateurs ce qui pose un réel problème quant à l’approche des conflits actuels.

=> Ouverture

« Personne n’est assez fou pour préférer la guerre à la paix : dans la paix, les fils ensevelissent leur père, dans la guerre, les pères ensevelissent leurs fils » affirmait Hérodote dans son Enquête au Vè siècle av. notre ère. De manière limpide les choses n’ont point évolué quant à la nécessité de chercher la paix. Cependant, la guerre, parfois nécessaire car simplement subie, mérite d’être pensée au-delà d’une dictature de l’émotion. « L’avènement de la démocratie est virtuellement celui de la guerre totale » ; si Roger Caillois a raison dans son analyse, il parait urgent pour nos sociétés européennes devenues, par les désastres humains et matériels de la période 1914-1945, économes en moyens et vie humaines dès lors qu’il s’agit de questions de Défense, de s’interroger sur leur rapport à la guerre. Dépendant des USA par l’OTAN, par exemple, nous dépendons aussi potentiellement de culture de guerre qui ne sont pas totalement nôtres, quant à l’utilisation du matériel d’un point de vue technique mais aussi conceptuel. La guerre est une chose trop grave pour être laissée à des personnes coupées de ses réalités, qu’ils soient civils ou militaires.

 

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Sites annexes et bibliographie

Violence, conflits, guerres : déclin ou mutation ? – Pierre Hassner

Philosophie politique – La guerre

Après la « mondialisation heureuse », le retour de la guerre ? – Diploweb – Frédéric Munier

Terrorisme: « Nous ne sommes pas en guerre », pour Gérard Chaliand – Video