Rappel : les fiches 1 et 2 sont respectivement consacrées au Prince de Machiavel
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et à l’Utopie de More.


Erasme. La reine des déclamations : l’éloge de la Folie. 1511.

Édition utilisée dans la présente fiche. Éloge de la Folie et autres écrits. Folio classique. Textes choisis, présentés et annotés par jean-Claude Margolin, professeur émérite à l’université de Tours. Traductions de Franz Bierlaire, Claude Blum et Jean-Claude Margolin. Laffont 1992. Gallimard 2010. 663 p. dont 101 pour l’Eloge de la Folie.

Remarque sur l’édition utilisée : l’éloge de la Folie n’est qu’une partie de cette anthologie de textes du corpus érasmien. Le volume débute par une très intéressante préface. Chaque texte est présenté par une notice. A la fin du volume, un dossier composé de repères biographiques, d’une orientation bibliographique, et d’un appareil de notes abondantes, voire surabondantes. Une première lecture est conseillée, pas à pas, en se référant systématiquement aux notes ; elle peut être suivie d’une relecture cursive du texte qui en restituera la fluidité. Cela peut s’avérer nécessaire pour une œuvre comme l’Éloge, suffisamment foisonnante pour que la relecture s’avère plus que profitable.

I CONTEXTE :

Érasme est un voyageur, un errant qui, malgré les fatigues et les dangers dont il fait état dans certaines de ses lettres, s’est voulu comme un pèlerin de l’ouverture, de la tolérance et de la connaissance. Il a parcouru toute l’Europe occidentale, ou presque, liant des amitiés avec des hommes de sa trempe, des éditeurs, des prélats, des commerçants et des hommes de pouvoir, conciliant curiosité insatiable, missions diplomatiques au service de Charles Quint, et boulimie d’écriture autant que de lecture.

Il est à l’image de l’Éloge de la Folie qui fut publié à Paris en 1511, et c’est à dessein que je fais la comparaison dans ce sens et pas dans celui auquel on devrait logiquement s’attendre. Car Érasme est une personnalité complexe, et si l’on devait filer l’image du miroir comme cela a été le cas dans les fiches 1 (Machiavel) et 2 (More), c’est à un miroir à facettes qu’il faudrait comparer l’œuvre et l’homme. Constamment sur la masse de ses écrits et jusqu’à sa fin, il a retouché, modifié, principalement pour ses milliers d’Adages tirés des auteurs grecs et latins et qui ont connu un immense succès dans les milieux instruits de l’époque. Mais encore, il n’a pas hésité à attaquer par les mots tout ce qui lui semblait absurde dans son monde. Il a pourtant eu l’habileté de toujours rester en deçà de certaines limites, notamment en ce qui concerne l’Église, pour éviter de graves ennuis.

Alors, Érasme, reflet de Moria, la « folie », en grec, de son éloge ? Oui, parce que le texte de l’humaniste, probablement d’abord difficile pour ses contemporains et pairs, parce que truffé de citations, de jeux de mots en latin, d’un mélange de grec et de latin, est aussi un texte éminemment ironique, voire facétieux et parfois féroce. Le créateur de Moria est aussi, quoiqu’il soit amené à s’en défendre en usant de rhétorique dans le texte, son alter ego, lui pourtant le plus sage des hommes. Et c’est ce qui fait que l’Eloge est un texte passionnant et déroutant tout à la fois. Nous y reviendrons.

De 1499 à 1514, Érasme parcourt donc le continent. En 1499, lors d’un séjour en Angleterre, il se liera d’une amitié indéfectible, presque paternelle pour son cadet Thomas More. Conseiller de Charles Quint de 1517 à 1521 il continuera ses voyages pour son propre compte (il sera reçu dans plusieurs universités célèbres) et pour le compte du prince. Comme More, ce catholique imprégné d’évangélisme combattra les thèses de Luther à partir de 1524. Mais là où More se situera sur le terrain de l’action politique, en un mot, de la répression, avant la sécession fatale de son souverain d’avec l’autorité pontificale, Érasme restera toujours un homme des mots. Et ses combats, il les mènera avec l’arme de la langue. Luther ne s’en laissera pas compter, qui le combattra aussi à travers ses écrits. Catholique convaincu, il s’oppose aussi bien au faste de la papauté (point qu’il a en commun avec son ennemi allemand), qu’à l’ignorance crasse du clergé et à la corruption générale de l’Eglise depuis le Saint-Siège jusqu’aux moines réguliers.

Son évangélisme n’est pas un évangélisme d’affrontement (cela, c’est ce qu’il pense de Luther), mais un retour au message des textes sacrés, Ancien et Nouveau Testaments, épîtres de Paul, imprégnés de charité, de tolérance (n’oublions pas que Paul a préconisé d’abandonner les interdits des juifs orthodoxes de son époque pour s’ouvrir aux « gentils », par exemple, en abandonnant la « cashrout » dans le domaine alimentaire). S’il stigmatise ce qu’il pense être le fanatisme luthérien, il tourne en dérision (particulièrement à la fin de l’Éloge) les « fous en Dieu » du catholicisme qui, a son sens, ne comprennent pas le message du Christ et des Apôtres, ou du moins le subvertissent en prenant la folie de la pensée du Messie au pied de la lettre. Enfin, il moque avec une ironie mordante et parfois avec cynisme, la bigoterie, les superstitions, en bref, l’hypocrisie généralisée du monde auquel il appartient.

Mais ses combats se situent malgré tout aussi, sur un plan politique. Érasme est un chrétien qui croit au rassemblement (ecclesia) des Européens. Il est, comme Machiavel et More, spectateur des luttes entres puissances, et des guerres d’Italie, théâtre de ces opérations absurdes et coûteuses. Cependant, s’il fut au service de l’Empereur, il n’eut aucune fonction politique dans aucun état : son engagement restera fort, sincère, parfois périlleux, mais son action sera celle du pèlerin de la paix. Les multiples facettes du miroir de Moria, la folie, réunies en Érasme vont lui attirer durant sa longue carrière aussi bien les admirations les plus enthousiastes, que les haines les plus féroces.

Très affecté par la mort de son meilleur ami, More, exécuté en 1535, il le suivra dans le trépas un an plus tard.

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