Le rio Paraná est un grand fleuve argentin constituant un enjeu majeur pour l’exploitation des ressources en Argentine car il représente un potentiel hydroélectrique considérable, pourtant peu développé. Partagée avec le Brésil et dans une moindre mesure avec le Paraguay, cette ressource est pour l’Argentine au cœur de débats aussi bien économiques, que politiques et sociaux.

Agrégée de géographie et maîtresse de conférences à l’université de Savoie, Marie-Emilie Forget travaille sur l’exploitation et la préservation des ressources, dans les domaines de l’eau, de l’énergie et des mines, notamment dans les territoires andins (Bolivie, Pérou, Argentine).

L’auteur commence par présenter l’état de la ressource que constitue le rio Paraná en insistant sur son important débit et sur sa position géographique complexe. En effet, ce grand fleuve (qui est l’un des dix premiers fleuves mondiaux par son débit moyen de 16 800 m3/sec) baigne l’Argentine, mais en amont, traverse aussi le Brésil et le Paraguay. Or un des enjeux majeurs dans l’exploitation du fleuve pour l’Argentine est de parvenir à s’émanciper de la tutelle brésilienne.

Marie-Emilie Forget illustre son propos par l’exemple du barrage de Yacyretá, inauguré en 1998. Il est emblématique de tous les autres projets d’exploitation du potentiel énergétique du rio Paraná en Argentine, dans la mesure où il ne fait pas l’unanimité : il a eu autant de détracteurs que de promoteurs. D’une part, si l’énergie hydraulique a des avantages tels que son coût de production qui est peu élevé, et en outre, la régulation du débit et le contrôle des crues permis par les barrages, pourtant, cette ressource présente aussi des inconvénients. En effet, l’installation des barrages hydroélectriques nécessite une chute d’eau très importante, elle se fait souvent loin des centres de consommation et les infrastructures qu’elle requiert prennent plus de place que des centrales (thermiques par exemple). D’autre part, le barrage de Yacyretá a rencontré, lors de sa construction, des difficultés économiques avec l’augmentation du coût d’installation liée au retard pris dans les travaux ou encore médiatiques avec la dénonciation de la relocalisation incomplète des populations déplacées. Enfin, la construction du barrage de Yacyretá a posé la question épineuse de la gestion des ressources par l’Etat. Historiquement, l’Etat argentin semble avoir toujours été l’unique gestionnaire des ressources. Or, en ce qui concerne le barrage, il s’agit bien d’un organisme public quoique binational. En effet, le EBY (Entité Binationale Yacyretá) est une organisation officielle résultant d’une alliance argentino-brésilienne. Quoiqu’il en soit, l’Etat a la main-mise sur le projet et à cause de cela, les abus locaux ne sont pas vraiment pris en considération, car l’objectif majeur du gouvernement est de répondre à ses besoins énergétiques qui ne cessent d’augmenter. Le barrage du Yacyretá représentant un tiers de la production énergétique hydraulique du pays, il n’est pas question de réduire son potentiel de production en vertu d’arguments écologiques ou qui ne concerneraient qu’une minorité. Le projet est d’autant défendable que, grâce à cette gestion binationale, il ne subit pas le libéralisme, et qu’ainsi, la concurrence parfois écrasante de l’étranger est fortement limitée. Ainsi, deux types d’acteurs s’opposent et font du projet d’élaboration du barrage une véritable polémique aux enjeux sociaux, économiques, politiques et environnementaux.

Dans une dernière partie, l’article traite de l’évolution des structures de gestion des barrages. Comme le prouvait l’exemple du barrage du Yacyretá, le gouvernement avait tout pouvoir sur les projets d’exploitation des ressources énergétiques. Cependant, l’Etat argentin fait faillite et cherche à soulager la dette de EBY. Il pense alors à la privatisation mais se rend compte qu’elle n’est pas rentable et risque, en donnant le monopole à des entreprises privées, de privilégier le commerce avec le Brésil au détriment des petites sociétés argentines. L’Etat se tourne alors vers une politique de décentralisation : la gestion des ressources se fait à l’échelle des provinces, par une fragmentation des institutions. Les différents acteurs prennent alors de l’influence par rapport à l’Etat qui voit son monopole diminuer. En effet, Marie-Emilie Forget propose deux exemples de projets de barrages bloqués par les nouveaux acteurs civils : d’une part, l’administration de la province de Misiones qui s’oppose pour des raisons économiques au projet du barrage de Corpus, et d’autre part, les écologistes réunis en associations, qui parviennent à ralentir des projets tels que celui du barrage de Paraná Medio dans les provinces de Santa-Fe Corrientes, au nom des impacts désastreux sur le plan social et environnemental, avec notamment l’exemple de Yacyretá.

Cet article a le mérite de souligner les différentes dynamiques intervenant dans la gestion des ressources d’un pays. En effet, en présentant à la fois les exigences techniques de la mise en place d’un barrage, les avantages et les inconvénients de l’hydroélectricité par rapport à l’énergie thermique, et enfin les débats socio-politiques que ces investissements soulèvent, l’auteur nous met face à la réalité complexe de l’exploitation du fleuve Panará pour l’Argentine. Le potentiel énergétique d’une telle richesse naturelle est censé répondre aux besoins du pays. Cependant, son coût d’exploitation et son impact sur les populations et sur l’environnement amènent à repenser cette utilisation. Enfin, cet article pose la question plus large de la place de l’Etat dans la gestion des ressources : est-il l’institution la mieux adaptée pour répondre aux besoins immédiats de la population ou bien une gestion plus locale ne serait-elle pas plus appropriée ?
Aujourd’hui, l’énergie hydraulique reste très peu exploitée en Argentine par rapport à son important potentiel. L’Argentine saura-t-elle mettre la priorité dans cette énergie renouvelable qui, malgré son coût considérable à court terme, peut s’avérer rentable ?

Inès Fabre, HK Sainte-Marie-Lyon

Marie-Emilie Forget, « Les grands projets hydroélectriques du rio Paraná, potentiels et devenir », Géocarrefour [En ligne], vol. 84/1-2 | 2009, http://geocarrefour.revues.org/7195