De nombreux historiens et politologues se sont penchés sur ce que serait censé représenter le Front National aujourd’hui en tant que phénomène politique, sachant que nous sommes en 2016 et que tout le monde sait – parmi ces experts – que Marine Le Pen n’est pas une sorte d’Hitler en jupons ! Cela dit, même si l’essor de ce parti d’extrême-droite en France (comme pour ses équivalents extrémistes ou populistes en Europe) correspond bien à un phénomène nouveau, il ne s’en rattache pas moins à des racines historiques très profondes, qui ont connu des résurgences à plusieurs époques de notre Histoire, dans des contextes économiques, sociaux et autres, bien particuliers.
Un préalable : quels sont les ingrédients pérennes de la montée de l’extrême-droite dans notre pays ? Depuis le Boulangisme, ce sont en fait toujours les mêmes : un contexte de crise multiforme, une coupure entre le peuple et les élites, une volonté de « renverser la table » (comme on dit), des slogans de type démagogique, la prétention à aller au-delà de l’opposition droite/gauche (dans une situation de brouillage des repères) et un leader (ou une cheffe) charismatique.
Même si le Front National n’est pas structuré – à la différence des partis politiques démocratiques traditionnels – en tendances, on peut toutefois y trouver plus que des sensibilités illustrant des fondements brassant toute l’Histoire de l’extrême-droite française depuis la période contre-révolutionnaire des années 1815-1830 – lorsque le régime de la Restauration se mit en place (le légitimisme). Au sein du parti d’extrême-droite français actuel on trouve des monarchistes autoritaires, des bonapartistes et des néo-gaullistes également autoritaires, des boulangistes (au sens de ce que fut la célèbre tentative du Général Boulanger vers la fin du XIXe siècle), des souverainistes, des intégristes catholiques, des antisémites et des islamophobes (avant tout), des néo-fascistes et des néo-nazis, etc…
Marine Le Pen elle-même, tout en concentrant son ciblage contre l’islam (pas seulement face au djihadisme), m’apparaît comme devant être rattachée historiquement (au moins indirectement) à ce que j’appellerais un boulangisme mâtiné de néo-mussolinisme. En effet, à la dénonciation de l’immigration, qu’elle lie à l’insécurité, elle a ajouté, contrairement à son père (qui était économiquement un ultra-libéral), des thèmes venus de la gauche et même de la gauche de la gauche : « l’État Providence », mais réservé aux seuls nationaux. Nous savons que cette technique de manipulation et de communication est appelée « triangulation » par les « spin doctors » américains, conseillers en marketing politique. En liaison avec ce que Marine Le Pen nomme la « dédiabolisation », il est certain qu’un homme tel que Florian Philippot – venu du chevènementisme, puis des périphéries du Front De Gauche – lui apporte beaucoup comme « gourou social » et inspirateur d’un parti qui voudrait réellement transcender l’opposition traditionnelle droite/gauche. Par ses slogans beaucoup plus nationaux et sociaux que ceux employés par son père (qui savait par ailleurs qu’il ne pourrait jamais gouverner et n’envisageait donc qu’une augmentation de sa capacité de nuisance pour « l’establishment » ou « le système de l’UMPS »), la cheffe du Front National se rapproche nettement plus sur le plan historique d’un certain fascisme italien – comme annoncé déjà plus haut.
Marion Maréchal Le Pen représente, malgré un fond de commerce semblable (le triptyque immigration/insécurité/chômage), une autre sensibilité du parti frontiste, et même la plus extrémiste. En effet, elle ne cache pas ses sympathies envers le Bloc Identitaire, qui correspond à l’un des courants les plus durs de l’extrême-droite française et européenne. Ses déclarations, faites il n’y a pas si longtemps, lors de débats à l’invitation de l’évêque intégriste du Var, rejetant les musulmans, les juifs et… les protestants, tout ceci au profit du retour à une « France catholique », avaient fait scandale et même secoué la direction actuelle du Front National ! A ce niveau, la petite-fille de Jean-Marie Le Pen apparaît comme se situant historiquement dans la prolongation de ce que fut le courant catholique intégriste Chrétiens-Solidarité (autour de Romain Marie), et – en remontant dans le temps – de toutes les aspirations radicales qui avaient été celles de l’Action Française à l’époque de Charles Maurras et (sur le plan intellectuel) de Maurice Barrès. Il faut ajouter à cette conception d’un « nationalisme intégral » à la Maurras (version 2016) le soutien total qu’apportent à la nièce de Marine Le Pen et à ses ami(e)s le Bloc Identitaire (déjà cité), ainsi que des groupuscules tel que Réconciliation Nationale – un petit parti politique se revendiquant comme « national-socialiste », créé il y a quelque temps par Alain Soral et l’ancien humoriste devenu militant politique antisémite Dieudonné, un groupe prenant parti pour la cause palestinienne uniquement par haine des Juifs…
Le Front National peut aussi compter sur des éléments plus modérés, d’abord en son sein (dans le cadre du Rassemblement Bleu Marine, avec notamment l’avocat médiatique Gilbert Collard, qui en est le secrétaire-général), mais aussi sur des alliés éventuels à la droite de la droite, même si la décantation n’a pas encore été réalisée sur ce point. Marine Le Pen sait qu’elle ne pourra pas accéder au pouvoir sans soutiens extérieurs à droite, cet élément étant inscrit au fer rouge pour elle dans les institutions mises en place par le Général De Gaulle entre 1958 et 1962 (avec le scrutin majoritaire uninominal à deux tours). Après sa déception à l’issue des élections régionales en 2015, sa prise de conscience sur ce point s’est accrue. Or, des voix se sont fait entendre à droite, sensibles aux sirènes des appels frontistes. Ainsi, avec le souverainiste Dupont-Aignan, considéré comme premier-ministrable d’une Marine Le Pen Présidente, aussi bien par celle-ci que par celui-là ; avec Philippe De Villiers, ancien président du Mouvement Pour la France ; avec Patrick Buisson, issu de l’extrême-droite et qui fut le conseiller de Nicolas Sarkozy (pour la campagne des élections présidentielles de 2012). Ces hommes politiques ne tarissent pas d’éloges et de soutiens envers Marion Maréchal Le Pen… La cheffe du Front National vient de lancer une proposition : celle de changer le nom du parti qui pourrait s’appeler Parti Des Patriotes, s’adressant même ainsi – comme elle l’affirme depuis longtemps déjà – aux « patriotes de droite et de gauche » face à ceux que son père appelait les « euro-mondialistes »… Une façon pour elle de dé-serrer l’étau ?!…
Reflets du temps Le front national quelles extrêmes droites
- Ni droite ni gauche, l’idéologie fasciste en France, Zev Sternhell, Gallimard, réédition 2012, 1088 pages
- La droite révolutionnaire, 1885-1914, Les origines françaises du fascisme, Zev Sternhell, Gallimard, réédition 1997, 688 pages
- Le Front National, de 1972 à nos jours. Le parti, les hommes, les idées, Valérie Igounet, Kindle Edition, 2014, 495 pages