Le sens de ce terme : il est constitué de deux mots d’origine grecque antique – « Gè » (la Terre), et « polis » (la cité). Il s’agit donc d’une science humaine qui étudie les rapports entre les puissances pour la domination du monde ou de zones régionales, autant sur le plan démographique, linguistique, économique, que militaire, ou culturel, etc.
Nous allons en voir les origines historiques (sa naissance) et le contenu de ses principaux concepts ; puis les grands foyers d’opposition et de tension actuels entre les puissances (à dimension mondiale ou régionale), tout en nous demandant au préalable si le monde actuel est plus dangereux ou non que celui d’il y a quelques décennies.
- Les origines de la géopolitique :
Cette science humaine exista bien sûr avant l’apparition du mot lui-même, et le premier à l’employer, sans lendemains immédiats, fut le grand philosophe, scientifique et diplomate allemand Leibnitz (1646-1716).
Mais, c’est à la fin du XIXe siècle que le terme de « géopolitique » commença à apparaître réellement, précisément en 1889, sous la plume du géographe suédois Rudolf Kjellen (1864-1922), d’abord dans un article paru dans la presse de son pays (sur les frontières de la Suède), puis dans un ouvrage au titre fondateur : « Les grandes puissances ».
Cela dit, ce fut surtout en Allemagne et dans les pays Anglo-saxons que la géopolitique prit vraiment progressivement toute sa place. Pour l’Allemagne, un des grands noms, qui se mit au service de la politique expansionniste du IIème Reich : le géographe Friedrich Ratzel (1844-1904). Il fut à l’origine de « L’École de Berlin », qui partagea le monde – d’une manière théorique – en plusieurs zones, dont une devait revenir à l’Allemagne, dans le cadre de « l’espace vital » ou « Lebensraum » (repris ultérieurement par les nazis).
- L’essor des écoles anglo-saxonnes :
Il y eut d’abord l’Américain Alfred Mahan (1840-1914), historien et spécialiste des questions navales, qui conceptualisa la notion de « Sea power ». En rapport avec ce qu’avait su établir Athènes et la Ligue de Délos au Ve Siècle avant J.-C., il développa l’idée que la domination du monde ne pouvait s’exercer que par celle des mers et des océans, autant en période de paix, avec le commerce, qu’en temps de guerre. Il liait l’idée de puissance maritime, ouverte sur les mers, à celle de la démocratie. Ensuite, le géographe et géopoliticien britannique Halford John Mackinder (1861-1947), qui voyait la Terre comme un ensemble global, avec sa théorie du « heartland », comprenant un cœur et des périphéries. Mackinder craignait que l’Empire maritime britannique ne s’essoufflât en laissant de côté la domination terrestre au profit de la puissance allemande (autoritaire, et ensuite totalitaire) avant tout, puis russe et surtout soviétique ultérieurement (également autoritaire, et ensuite totalitaire). Mackinder avait lui aussi très bien perçu l’opposition, dès l’Antiquité, entre une Athènes maritime démocratique et, par voie de conséquence, une cité de Sparte terrestre, quasiment sans flotte, très autoritaire.
Une remarque : cette élaboration conceptuelle de Mackinder joua à plein pendant la Guerre froide entre des États-Unis, puissance maritime ouverte sur les mers et les océans et démocratique, et une URSS ayant construit un Empire terrestre périphérique entièrement fermé et totalitaire.
- Une école française qui mit du temps à s’affirmer :
L’école française de la géopolitique commença à s’exprimer – sans le terme – avec Montesquieu, lorsqu’il développa, dans « De l’Esprit des lois », sa « théorie des climats », selon laquelle la France serait disposée, par son climat tempéré, à la facilitation de l’essor d’un système politique. Par la suite, le géographe de tendance anarchiste Elisée Reclus (1830-1905) peut être vu comme le vrai précurseur de la géopolitique pour notre pays, avec son grand ouvrage : « Nouvelle géographie universelle ». D’autres noms suivirent : le géographe Paul Vidal de la Blache (1845-1918), le géographe Jacques Ancel (1882-1943), qui se consacra surtout à dénoncer les dangers du pangermanisme, l’historien Fernand Braudel (1902-1985), et le géographe Yves Lacoste (né en 1929), qui, s’appuyant sur la revue « Hérodote », conceptualisa la vision dite « multiscalaire » (la France, l’Europe, et le monde) – dans le cadre du « système-monde ».
Une remarque : même si ses travaux ne peuvent pas être considérés comme ayant été strictement liés à la géopolitique, il faut citer ici l’historien britannique de l’économie Arnold Joseph Toynbee (1889-1975), qui, en 12 volumes, analysa, par le biais des rapports entre les grandes puissances, l’essor et la chute des civilisations. Cette « Étude de l’Histoire » (« A study of History »), dont les parutions eurent lieu entre 1934 et 1961, se fondait sur une sorte de métahistoire, mêlant l’Histoire de l’Histoire et son sens profond. Sa thèse : depuis l’apparition des premières grandes civilisations, il y eut toujours une phase agressive de montée (guerrière, conquérante), puis d’apogée (plus pacifique, avec notamment l’essor des arts), et enfin de déclin (avec l’essor progressif d’une nouvelle civilisation agressive et conquérante).
- Les grands foyers de tension actuels :
Une question préalable : les rapports géopolitiques entre les grandes puissances, ainsi que les conflits régionaux, mettent-ils notre monde plus en danger aujourd’hui qu’il y a une vingtaine d’années ? C’est ce que la très grande majorité des gens pensent, en rapport direct avec l’essor du spectacle anxiogène développé de plus en plus par l’appareil médiatique (impression de proximité plus grande). Tous les géopoliticiens sérieux actuels disent qu’il ne faut pas poser cette question d’une façon aussi biaisée : oui, notre monde est dangereux, en raison de la multiplication (justement) des foyers de tension, parce qu’il est devenu multipolaire ; et nous allons évoquer ces foyers. Par contre, si l’on remonte jusqu’à l’époque de la Guerre froide, cette affaire devient totalement différente, puisque nous savons aujourd’hui que nous sommes passés tout près d’une troisième guerre mondiale – qui aurait pu être nucléaire (avec la possibilité de faire sauter la planète plusieurs fois !) ; à cette époque-là, le monde était bipolaire et les foyers de tensions se structuraient en fonction de cet élément basique.
Pour chaque foyer, une évocation très rapide sur l’essentiel de ces points chauds de la planète.
Le conflit israélo-palestinien :
Deux peuples pour une terre, avec un conflit qui commença lors de la recréation d’un État israélien (par rapport à l’existence d’un État hébreux dans l’Antiquité) en mai 1948, après l’échec du plan de partage de l’ONU refusé par les pays arabes alentours. D’où le début des guerres en 1949, et aujourd’hui un gouvernement israélien particulièrement dur et aveugle (de la droite extrême à l’extrême droite), avec un triple aspect national, colonial, et religieux. Actuellement, la tension a monté à nouveau d’un cran : vers une sorte de nouvelle « révolution des pierres ».
L’Irak et la Syrie, en liaison avec le terrorisme islamiste
D’Al-Qaïda à Daesh, le terrorisme islamiste gangstérisé est devenu la plaie pour des territoires de ces deux pays, par ailleurs déstabilisés par la Seconde Guerre d’Irak voulue de la part de Bush fils et le régime sanguinaire de Bachar el-Assad. Cela dit, trois points importants. D’abord, Daesh n’est pas un « État islamiste » (en tout cas pas encore), contrairement au terme utilisé généralement par l’appareil médiatique. Ensuite, il ne s’agit pas vraiment d’une « guerre asymétrique », au moins par rapport à Daesh (qui intègre de plus en plus d’éléments d’Al-Qaïda), puisque cette organisation possède une véritable armée (avec des chars d’assaut, etc.). Enfin, l’Occident, la Russie, la Chine et le monde entier pourraient s’appuyer sur cette véritable guerre de religion opposant l’Iran chiite à Al-Qaïda et Daesh sunnites. Cependant, l’intervention russe en Syrie, à la fois aérienne et de troupes au sol (notamment des chars d’assaut), pourrait finir par poser des problèmes (incidents avec les états-majors des troupes occidentales qui organisent des frappes aériennes en Irak et maintenant en Syrie). Il faudrait aussi replacer dans ce contexte le positionnement géopolitique de la Turquie, qui est de plus membre de l’OTAN (ainsi que ce qui s’y passe actuellement : répression du régime d’Erdogan et de l’AKP contre l’opposition de gauche et le PKK défendant les revendications des Kurdes).
Les autres foyers de terrorisme islamiste
Ils se développent notamment du Nigéria au Tchad avec les salafistes sunnites de la secte totalitaire Boko Haram (ralliée à Daesh depuis mars 2015), mais aussi de la Somalie avec les Chebabs, au Yémen avec Al-Qaïda, jusqu’à l’Afpak (Afghanistan et Pakistan) – où les talibans repartent à l’offensive face à l’armée afghane régulière, soutenue par des conseillers militaires américains (maintenus sur place par Obama).
Le sunnisme face au chiisme :
Les monarchies pétrolières sunnites s’opposent à l’Iran chiite des mollahs à la fois pour des raisons religieuses (la « sunna » ou « tradition » sunnite face à la volonté de suivre les directives d’Ali, le gendre du « prophète » Mohammed) et de domination régionale, donc d’intérêts de puissances. Deux points importants en plus ici. D’abord, le financement d’Al-Qaïda et de Daesh par l’Arabie Saoudite (notamment), afin de s’en débarrasser, mais aussi parce que ce pays partage avec ces organisations terroristes islamistes sunnites la vision la plus rigoriste de l’islam (au moins théoriquement), avec le wahhabisme ou salafisme. Ensuite, la vive opposition entre ces puissances qui limite considérablement toute action efficace d’éradication des groupes terroristes.
L’affaire ukrainienne et ses implications entre grandes puissances depuis 2014
Vladimir Poutine sait jouer sur ce qu’a été le sentiment d’humiliation du peuple russe à la suite de l’effondrement de l’Empire soviétique (au début de la décennie 1990). Replaçons la question ukrainienne dans son contexte. Il avait deux fers à son feu : l’économique ou le politique, c’est-à-dire la carte du développement (gaz naturel, etc.) ou bien celle de la « libération » des russophones des pays du « proche étranger » (carte du nationalisme). D’ailleurs, deux tendances existent au sein de la nouvelle nomenclature russe : les « économistes » et les « politiques ». Or, le gaz russe se vend très mal (problème général pour les hydrocarbures). C’est la raison principale pour laquelle Poutine et les dirigeants russes se sont lancés dans l’opération ukrainienne – avec en plus le traumatisme lié à l’attitude de l’OTAN qui avait profité du considérable affaiblissement de l’URSS pour avancer ses pions le plus vite possible par rapport à la Russie. Actuellement, face aux Occidentaux (notamment aux Européens), Poutine est maître du jeu.
Bibliographie succincte et émissions de radio
- « Atlas géopolitique mondial édition 2016 » – Collectif sous la direction d’Alexis Bautzmann , Le Rocher Éditions, 2015, 196 pages
- « Etat du monde 2015 : géopolitique du monde contemporain » – Collection Le Monde Politique, Éditions Le Monde Politique, 2014, 86 pages
- « La géopolitique : les relations internationales » – Pascal Boniface, Éditions Eyrolles, 2011, 202 pages
- Note : Pascal Boniface est directeur de l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques)
- Une autre revue : L’IFRI (Institut Français des Relations Internationales), dont le fondateur et le président est Thierry de Montbrial
- Radio – France Inter : « Géopolitique » – Émission de courte durée, mais très riche, bien informée et structurée, du lundi au vendredi, après le journal de 8 H. du matin, chronique de Bernard Guetta
- Radio – RFI : « Géopolitique, le débat » – Émission d’une durée de plus de 30 mn, notamment le dimanche à 18 H. 10, animée par Marie-France Chatin