Chapitre 3 : L’Etat militaro-fiscal

La notion d’état militaro- fiscal est créé par John Brewer dans les années 1980. Il désigne la grande Bretagne entre 1688 et 1783. Pourquoi ? Cette monarchie fait la guerre avec des moyens très importants que n’égalent pas les autres pays. Comment ?  Lever des impôts + emprunter de l’argent. Cela se traduit par une grande part des ressources consacrées à l’effort militaire, même en dehors de temps de guerre + aggravation de la fiscalité + croissance de la dette publique + développement d’une administration civile militaire et fiscale.

Cette situation est comparable à celle de la monarchie française, mais dans cette dernière,selon une autre organisation. Cependant, un point commun persiste: le soutien de la guerre sur  une durée toujours plus longue. Le développement de cet Etat militaro- fiscal a connu une construction mouvementée.

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  • Quels efforts ?

1.1 France

Par manque de source, l’analyse va s’orienter dans les 2 monarchies sur les rythmes et les ordres de grandeur pour les effectifs et les ordres de marines. Mais également voir les sommes qui sont affectés. Il est à noter que cet effort de guerre continue même en dehors de temps de guerre.

La France = montée en puissance de l’armée entre le temps de Richelieu et la guerre de la ligue d’Augsbourg = augmentation des effectifs. Au XVIIeme siècle en temps de paix, il existe une petite force permanente (Maison du roi, vieux régiments d’infanterie, garnisons…) de 10 000 à 12 000 hommes qui atteint 60 000/ 70 000 hommes en temps de guerre. Lors de la guerre de la ligue d’Augsbourg, l’armée aligne au moins 340.000 hommes. Mais en 1715, l’armée française est à 130 000 hommes. Au XVIIIeme  siècle,la France connait une décroissance de son armée et elle est concurrencée par l’existence d’autres puissances armées en Prusse,  en Autriche et surtout en  Russie. L’armée française a toujours compté des soldats étrangers,mais leur nombre diminue considérablement au XVIIIéme siècle.

Les années 1660- 1670 : La France devient une grande puissance navale. Entre 1665 et 1672 : elle connait une croissance spectaculaire en passant de 20 à 80 vaisseaux. Et, en 1690, elle atteint 100 vaisseaux. Cependant, 1707 marque le début de la chute de l’armée française qui est très concurrencée par l’armée anglaise: la Royal Navy. La Navy devient la première marine désormais jusqu’aux XXeme siècle et sa supériorité est très élevée; aucun pays ne l’égale. De 1720 à 1792 : on remarque une hausse sous Louis XV mais qui est baisse avec les conflits avec la Grande Bretagne. Pour égaler la Navy, la flotte Française (la 2 ème du temps) s’associe avec la flotte espagnole (la 3 ème). Ce double effort s’ajoute à celui de la  fortification  terrestre et maritime en France sous Louis XIV mais aussi dans les colonies au 18 ème siècle.

Si  on essaie de tracer une courbe pour voir la différence entre les dépenses et les revenus, la tendance montre une hausse des 2. On remarque des pics culminants pour les dépenses dans les années 1640 (avant la Fronde); 1650 après le conflit avec la monarchie espagnole, les guerres de la ligue d’Augsbourg, la succession d’Espagne, la succession d’Autriche et la guerre de Sept Ans. Donc, l’Etat a su trouver l’argent pour financer ces conflits et on constate jusqu’à un quadruplement des rentrées à certaines périodes. Au XVIIIeme siècle, un déficit apparaît: les revenus s’effondrent quand les dépenses explosent, surtout durant la guerre de sept ans. La fiscalité a du mal à financer la guerre. La dette est gigantesque en 1715. A partir du milieu du XVIII siècle, la durée réelle des conflits excède les prévisions, fragilisant l’effort militaire et pesant longuement sur l’après-guerre.  La marge de manœuvre de la monarchie française est moins grande qu’au siècle précédent, alors que le coût de chaque guerre égale ou dépasse le milliard de livres.

1.2 L’Angleterre puis  la Grande Bretagne

La trajectoire anglaise et britannique est différente de  celle de la France. Ainsi, elle a une forte capacité d’adaptation à financer les guerres longues sans troubles intérieurs. Deuxième différence : en France, les sommes prévues pour la guerre dépassent toujours celles prévues pour la marine (qui comprend les colonies et leurs troupes). En Angleterre, c’est l’inverse mais avec des rapports qui varient. Lorsque le pays est en guerre, l’armée reçoit entre 33% et 46% des dépenses militaires. La priorité pour la marine n’est jamais mise en doute.

L’évolution des effectifs terrestres est liée à la question de l‘armée permanente, de son coût financier et de son risque politique. Il faut aussi prendre en considération qu’il n’y a pas une armée, mais plusieurs : anglaise, écossaise et plus tard anglais-écossaise et irlandaise (payée par le parlement irlandais). Des corps de troupes servent aussi hors des îles britanniques. Ex : la brigade Anglo- hollandaise aux Provinces-Unies. La guerre civile a été un moment d’importante mobilisation = 20 000 hommes mobilisés vers 1645-164. On retrouve cette même proportion lors de la guerre d’indépendance américaine. En 1649, le parlement « croupion » accepte d’entretenir 32 000 hommes en Angleterre puis 12 000 hommes en Irlande. Puis, sous la Restauration, on assiste à une diminution des effectifs.

Sous Guillaume III, le parlement vote des effectifs sans précédents qui atteignent pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg plus de 73 000 hommes en 1689 et 93 000 hommes en 1694. Pendant la guerre de succession d’Espagne , on assiste à unecroissance accélérée des troupes dites sujettes (levées dans les royaumes),jusqu’ à 75 000 hommes en 1711 mais aussi une large recours aux professionnels étrangers.

Dès 1776, des accords sont passés avec des princes allemands pour recruter des mercenaires qui forment jusqu’ à 45 % des troupes envoyées en Amérique du Nord. Les ambitions navales des premiers Stuarts ont donné lieu à la construction de gros navires fortement armés Ex : Sovereign of the seas, mais  le manque de ressources freine l’essor naval. Cet essor survient sous le protectorat, dans la nécessité de défendre les îles contre Royalistes et les étrangers,c surtout les Provinces Unies. Une forte augmentation des vaisseaux se fait sous la Restauration. Guillaume d’Orange prend le contrôle de cette puissance pour la déployer contre la France. Les tensions internationales font remonter les effectifs. C’est le parlement qui vote argent et Hommes, de la constitution des équipages etc… Contrairement à la marine française qui peut mobiliser bien plus vite grâce aux classes, la Navy qui possède un potentiel humain considérable monte en puissance plus lentement mais plus efficacement dans la durée. Elle est au sommet, lorsque la France qui est sa rivale voit décliner les siens. Chaque nouvelle guerre est l’occasion de mettre en service de nouveaux vaisseaux et d’augmenter la construction des frégates. La Grande bretagne compte sur sa marine pour faire respecter un ordre international conforme à ses intérêts. L’Angleterre qui, désormais Grande- Bretagne depuis 1707 par l’acte d’Union avec l’Ecosse, devient la grande puissance navale du monde tout en  disposant en cas de besoin des principales armées du temps. La guerre de la ligue d’Augsbourg est un tournant. Les 3 guerres navales Anglo hollandaises, celle des protectorats (1652 – 1654) puis celles de Charles II ont été marquées par des limitations financières. Il convient de souligner quelques points importants :

  • Doublement du coût entre la guerre de la lutte d’Augsbourg et celle de la succession d’Espagne = doublement des rentrées fiscales.
  • Envol des dépenses lors de la guerre américaine.
  • Contrairement à la France, à partir de la guerre de succession d’Espagne les conflits ne sont pas marqués par la concomitance entre progression spectaculaire des dépenses et chutes spectaculaire des revenus.
  • Autre spécificité britannique : le pourcentage stable de la dépense couverte par l’emprunt.
  1. II) Quels moyens administratifs ?
  2. 1 France

La France = Etat vaste et peuplé, donc le roi dispose de moyens administratifs et de revenus financiers plus importants que le roi anglais-écossais. Nécessité de la croissance d’un appareil administratif et financier pour construire une armée gigantesque et une marine de premier plan. Depuis les années 1630, le secrétaire d’Etat à la guerre n’a cessé d’étendre ses compétences sur les armées en campagne en faveur de la disparition des armées du connétable en 1626 et de l’Etat de guerre permanent. Jusqu’en 1758, c’est un homme de robe et non un noble d’épée qui administre l’armée, mais la nomination du maréchal de Belle Isle marque l’avènement des militaires. L’organisation centrale se spécialise sous Michel Tellier et se divise en  une dizaine de bureaux spécialisés au XVIIIeme  siècle. Ces bureaux sont chargés de la correspondance avec les armées, des fonds, des grâces (recrutements et carrières), du contrôle des troupes, des routes, des vivres…etc…   Dans la  seconde  moitié du XVIII siècle, l’Artillerie et le génie passent au département de la guerre. On développe aussi des savoirs d’Etat par la création d’écoles pour l’Artillerie et le Génie.

L’armée reste longtemps le domaine par excellence de la semi- entreprise militaire, mais l’emprise administrative de l’Etat royal ne cesse d’augmenter. Cependant, l’armée ne peut se passer des officiers qui tiennent les comptes. Mais également des compétences financières et du crédit des trésoriers généraux. La marine est sous le contrôle total du roi, sans partenariat financièr avec les nobles. En 1626, Richelieu se fait créer la charge de grand maître de la navigation et prend aussi sous son autorité la marine du levant et du ponant (couchant). Ces deux responsabilités sont ensuite confiées à Jean Baptiste Colbert. Ce dernier a développé un département aux attributions très étendues, incluant tout ce qui est maritime : les armées navales, les ports et arsenaux, les colonies etc… Et une administration centrale est apparue avec des bureaux de plus en plus spécialisés. Pour le bon fonctionnement de la marine, il faut prendre en compte le rôle important des officiers de finances et les trésoriers généraux de la marine. La gestion des finances royales est confiée au surintendant général des finances jusqu’en 1661, puis du contrôleur général des finances. De 1715 à 1720 : existence d’un conseil des finances. Les titulaires du titre de directeur général des finances sont tous issus de la haute robe , sauf Jacques Necker qui est protestant et étranger. Il a occupé ce titre de 1777 à 1781. Mais il convient de souligner que les contrôleurs généraux n’ont pas une vue panoramique sur les finances de la monarchie, surtout lorsqu’ils ne sont pas en charge de la guerre et de la marine. Chaque année, il y a un « état général des finances », puis au XVIII siècle, « un aperçu des recettes et dépenses ». Tout cela compte, car faire la guerre signifie faire face à des dépenses urgentes et imprévisibles. Et la durée de la guerre a aussi une incidence directe sur le financement.

  1. 2 Angleterre puis Grande- Bretagne

Retard de l’Angleterre de devenir une grande puissance militaire et maritime provoqué par le conflit de compétence qui a porté préjudice au système du King in Parliament. Ensuite, après la Restauration, le système du King, Lords, Commons.  Au XVeme siècle, la puissance anglaise est incapable de financer sur le long terme une armée et une marine. La situation s’aggrave sous les premiers Stuarts. La demande au parlement d’un vote de subside au XVIIeme siècle aboutit à des longues négociations entre les Stuart et les Lords et les communes. L’affaire du Ship money est un bon exemple qui montre les difficultés de fonctionnement du système du King-in-Parliament. Le roi ne peut pas créer un nouvel impôt sans l’accord du parlement, mais il a le pouvoir de modifier une taxe qui existe déjà. Donc, il a voulu généraliser cet impôt du Ship money qui était réservé jusqu’alors aux zones côtières. Cette décision a eu un impact négatif vis-à-vis de ses sujets. L’époque de la Restauration voit apparaître à nouveau cette relation tendue entre le parlement et le souverain. Par crainte de ne pas se voir attribuer le subside qu’il attendait, Charles II est forcé de retirer le 8 Mars 1673 sa déclaration d’Indulgence. La crise de l’Exclusion (1678- 1681) est provoquée par la question du financement de la politique étrangère.  24 Janvier 1679 : Charles II dissout le parlement par crainte que les Lords et les Communes n’ excluent son frère de la succession. Sa décision aggrave sérieusement la situation. Le roi se voit dans l’obligation de convoquer un nouveau parlement qui se révèle encore plus exclusionniste que le précédent. La clarification s’opère avec la Glorieuse Révolution ; Afin d’obtenir le soutien de ceux qui vont devenir ses sujets, Guillaume doit faire des concessions. Il souscrit donc à l’article 4 de la déclaration des Droits qu’il « est illégal d’invoquer la prérogative royale pour lever des impôts à l’usage de la couronne sans le consentement du parlement ». Ces mots sont très importants, parce qu’ils sont fondateurs d’un nouvel ordre : naissance de l’Etat militaro-fiscal anglais. Le parlement voit son autorité fiscale définitivement rétablie, avec la création de la Land Tax. Au sortir de la guerre de la ligue d’Augsbourg, l’Angleterre s’est enfin donnée les moyens de mener une politique étrangère ambitieuse. On assiste à une transformation complète des structures financières et de crédit du royaume qui se manifeste au moment du traité d’Utrecht en 1713 = entrée de l’Angleterre dans le club des grandes puissances.

Qui décide ? Tous les souverains, de Guillaume III à George III, ont tenu à conserver la main sur les affaires diplomatiques et militaires, bien que le rôle du cabinet se renforce au XVIIIeme  siècle. Guillaume III, George I et George II ont été des rois de guerre. Même si le roi reste le maître du jeu, la conduite des affaires est aussi confiée à plusieurs instances :

  • Cabinet Council = instance qui prend forme au début des années 1690. A l’intérieur de celle-ci, on trouve l’Inner cabinet appelé aussi l’Efficient cabinet. Parmi ces responsables ministériels, les décisions en matière militaire se trouvent divisés entre plusieurs départements-clés. Le premier Lord du Trésor (First Lord of the Treasury). Il est le pivot du complexe militaro- fiscal et donne une impulsion décisive à la politique étrangère du royaume. Ex : la place importante joué par New Castle. A la tête du Trésor.
  • La politique des affaires intérieures+ étrangères de l’Angleterre et du Pays de Galles est confiée à 2 secrétaires d’Etat. Le secrétaire d’Etat au département Nord était chargé de la diplomatie avec les protestants du nord de l’Europe. Et le secrétaire au département du sud traitait avec les puissances catholiques et l’empire ottoman. Il est également responsable des affaires coloniales aux Amériques jusqu’en 1768.

Le XVIIeme et le XVIIIeme siècles ont vu un perfectionnement de la bureaucratie d’Etat + augmentation des effectifs de l’administration centrale + croissance des bureaux des services fiscaux (plus de 8.000 employés en 1783). La croissance de l’Etat militaro fiscal se fait par le développement de nouveaux bureaux spécialisés et l’agrandissement du périmètre d’action existant. L’administration navale qui est celle de la révolution et du protectorat souffre d’une durable instabilité en même temps que d’un financement toujours insuffisant.

Sous la Restauration, la Navy ne reçoit pas non plus des moyens financiers comme elle le souhaite, mais le roi lui accorde une grande attention. La restauration n’est pas un retour à l’avant Révolution mais la recherche de la stabilité administrative de la marine.

1660 : la Navy Board est rétablie et, en  1684, le roi reprend en main l’administration et place son frère comme conseiller. Les perturbations politico- religieuses n’empêchent pas la mise en place d’un personnel compétent. Ex : Sir William Coventry ou Samuel Pepys : il est nommé Secretary of the marine. Il semble être l’équivalent anglais de Colbert de Seignelay. En mars 1689, Pepys démissionne et n’est pas remplacé. L’amirauté perd de son importance politique et le parlement étend son périmètre d’autorité. A la fin de la Restauration, le personnel de l’administration naval est réduit.  Moins de 10 personnes pour l’Amirauté en 1687 et un peu plus du double pour le Navy Board.

Au XVIII siècle, avec le contrôle du parlement et celui du cabinet, l’administration de la Navy est organisée de la façon suivante :

  • Le Board Navy composé de membres civils et militaires. Ils sont choisis pour des raisons politiques et siègent presque tous au parlement. Le premier d’entre eux est le First Lord et fait partie du cabinet. Quelques personnalités marquantes : Lord Anson (1751- 1756, 1757-1762) + le comte de sandwich. L’amirauté ne fixe et ne conduit pas les opérations navales, mais c’est le secrétaire d’Etat. Le rôle de l’Amirauté est de transmettre prévisions et comptes pour le parlement qui vote les crédits, de veiller aux convois et aux opérations ordinaires, s’occuper des promotions des officiers…etc.
  • La Navy Board: prépare tous les docs financiers destinés au parlement, reçoit l’argent remis par le Trésor, effectue les paiements, s’occupe des navires (conception, construction.), affrète les bâtiments et les transports.
  • Le victualling board, Trinity house (pour les phares et le pilotage), Chantam Chest ( pour les anciens marins et leurs familles).

Cependant, la Navy qui est présente dans les 3 royaumes et dans les colonies peut être considérée comme la première institution véritablement britannique. Les ressources anglaises et galloises alimentent la Navy.

3) Où trouver l’argent ?

  1. 1 A la française
  • D’abord en reportant complétement ou partiellement la dépense sur d’autres personnes. Le roi fait la guerre avec l’argent de ses sujets. Jusqu’aux réformes de Choiseul , après la guerre de Sept ans, les colonels, les capitaines et leurs familles respectives engagent leurs capitaux. En même temps que leur vie, ils engagent aussi leurs capitaux. Sous Louis XIV, l’argent devient la clé des carrières. L’Etat royal reporte les frais aussi sur les collectivités, par exemple lorsqu’il oblige les villes à prendre en charge l’équipement d’une troupe.
  • Emprunter: à partir des années 1630, des groupes particuliers, des propriétaires d’offices, surtout de finances, prêtent au roi l’argent dont il a besoin. Les traitants et les partisans (leurs noms viennent du fait qu’ils font des parts ou des traités pour les affaires de finances et empochent une partie du produit) se proposent de lever des impôts pour se rembourser. Ils se tournent vers la fiscalité indirecte (la gabelle, les aides) et finissent par mettre en parti les impôts directs comme les tailles. Ils récoltent des sommes importantes qu’ils investissent dans l’effort de guerre.  Ils stimulent le développement militaire et naval.

A partir de la guerre de succession d’Espagne, la monarchie se tourne vers d’autres prêteurs : les Etats provinciaux et les compagnies d’officiers, dont le crédit est bien supérieur au sien. Les rentiers parisiens ou non, les banquiers financent aussi la monarchie.

  • Augmenter le produit fiscal: alourdir les impôts existants ou créer des nouveaux. 1710 : Louis 14 met en place le dixième (le premier impôt sur le revenu). Ces impôts en temps de guerre continuent même en temps de paix = vifs mécontentements sous Louis XV. La fiscalité + l’emprunt : la dette devient une question explosive. En 1640, le niveau de l’endettement est immense. L’éclatement de la fronde aboutit à déclarer le 18 Juillet 1648 la banqueroute (pas la faillite mais tri sélectif dans les créances et une réduction unilatérale des taux d’intérêts).

 

Des nouvelles réflexions émergent sur la gestion des dettes sans brutaliser les créanciers. Les responsables des finances estiment l’amortissement d’une guerre au bout de 15 ou 20 ans. Ces estimations n’ont pas correspondu à la réalité, car les guerres sont revenues plus souvent et ont duré plus longtemps que prévu.  Durant la guerre de Sept Ans, la marine était en cessation de paiement en 1759. Une question se pose alors : comment poursuivre l’effort financier quand plus personne ne le veut ? Les sorties de guerre sont des moments critiques, car les impôts viennent à réduire ou à disparaître, alors que les rentes doivent être servies. La solution est alors de garder une fiscalité élevée ou créer des nouvelles taxes. Ex : 1763, le contrôleur général Henri Léonard Bertin veut mettre en place un projet de cadastre général du royaume = hostilité immédiate et revendications politiques de contrôle des finances royales par les cours souveraines.

  • Pour faire face aux dettes : en 1771, renvoi de la moitié des parlements par l’abbé Terray et suppression des offices. Sous Louis XVI,au lendemain de la guerre d’Amérique qui a été très coûteuse et financée par les emprunts, Charles Alexandre de Calonne (ministre et contrôleur général sous Louis XVI) préfère emprunter pour financer les précédents emprunts qui arrivent à échéance. Mais la France entre dans une période politiquement et financièrement difficile. Elle perd l’après-guerre financier car elle n’a pas réussi à réduire sa dette. L’Ancien Régime en est mort.

 

3.2 A l’anglaise

 

Durant le XVIII siècle, le financement de la guerre a été le point faible de l’Etat anglais. Le déficit est permanent. Pour financer la guerre, on emprunte auprès des marchands londoniens; on fait appel aux dons (ce sont « les expressions »), on multiple les taxes. A partir de 1643, on met sous séquestres les biens royalistes et ceux  des évêques. Même si Charles I n’a plus le soutien de Londres, il garde le soutien des pairs les plus fortunés à qui il peut vendre des titres de baronet. Il pratique aussi l’excise, la confiscation des biens de ses ennemis, à partir de 1644. Par conséquent, personne n’a les moyens de financer la guerre et c’est  la banqueroute en 1659-1660.  Sous le protectorat puis sous la Restauration, l’Etat anglais finit désavantagé dans les guerres contre les Provinces unies. Les mêmes faiblesses apparaissent sous la guerre d’Augsbourg. Guillaume III emporte tout son royaume contre Louis XIV et cela aboutit à un changement d’échelle à tous les domaines : les opérations militaires, les dépenses, la fiscalité, et l’endettement. En 1689, c’est plus de la totalité des ressources de la monarchie de Guillaume III qui est absorbée par l’effort militaire.

La guerre de la ligue d’Augsbourg = moment décisif dans la prise des mesures financières et fiscales qui ont donné au gouvernement des revenus et des moyens d’emprunter ainsi que de transférer des fonds. Ex : augmentation des excises and customs ou encore création d’un impôt indirect, l’Aid en 1692, qui deviendra la Land Tax.

La Banque d’Angleterre devient le grand recours financier des ministres. Son rôle est de faciliter l’emprunt public, prendre en charge l’administration de la dette, répondre aux besoins financiers de l’armée et de la marine et gestion interne de plusieurs départements du gouvernement.

L’Angleterre devenue la Grande- Bretagne fait la guerre à crédit, ce qui lui permet de supporter le cout croissant des conflits. En période de conflit, les dépenses quadruplent et la dette publique s’envole. Les dettes de la guerre en cours s’ajoutent à celles des précédentes. Pourtant, la Grande Bretagne au XVIIIeme siècle n’a jamais manqué de fonds pour faire la guerre, grâce à une série de changements:

  • La dette constituée par le produit des impôts qui est donc garantie remplace celle faite de papiers émis par les différentes administrations.
  • Développement d’un milieu d’investisseurs attiré par des revenus sûrs et réguliers + marché des titres liés à l’essor de la dette publique. Le nombre des créanciers de l’Etat augmente fortement (son nombre s’élève à 60 000).

 

  • Profond changement dans la fiscalité, dont le produit permet d’emprunter toujours davantage. Le Parlement vote les nouvelles taxes et l’augmentation des anciennes. Le recours croissant à l’emprunt oblige au prélèvement fiscal et la part du revenu national en provenance des impôts a presque doublé entre 1690 et 1780 = en 1780, la Grande Bretagne est le pays où les habitants sont les plus imposés d’Europe. Mais cela ne se traduit par une défiance des institutions. Dès la Restauration, l’Etat prend en charge plus directement la perception des impôts. Les impôts sont soumis au contrôle du Parlement. La fiscalité indirecte, qui a ses propres agents professionnels,opèrent partout mieux que pour la Land Tax qui est prélevée par les commissaires et les officiers locaux.

De la fin du XVII siècle à la veille de la guerre d’indépendance américaine, les taxes indirectes fournissent une part croissante des revenus de l’Etat, de 30 à 57%. La fiscalité directe représente 18% des revenus fiscaux. Il y a une question de choix politique : trop de Land Tax mécontenterait les propriétaires fonciers et sa levée serait moins facile que celle d’un impôt direct. Cependant, dans les 2 monarchies, se pose la question de l’acceptabilité du système fiscal et donc de sa durée. En Grande Bretagne, la victoire de 1763 est accompagnée par un refus des colons américains de payer des impôts en provenance de Londres.

 

4) Quels enjeux politiques ?

Différence entre France et Angleterre= la place occupée par l’armée dans les conflits politiques.

  1. En France

Le roi tient le monopole de l’armée de la levée des troupes. Les prises d’armes des nobles veulent libérer le monarque de l’emprise des mauvais conseillers et ministres. L’armée est plus visible à la cour que la marine. Les carrières militaires, l’attribution des places et des récompenses ou encore la conduite des opérations depuis la cour sont au cœur des rapports entre le roi et la haute noblesse.  L’armée est souvent prise dans les conflits politiques et curiaux. La guerre de la succession d’Autriche voit apparaitre autour de Louis XV des factions militaires autour de courtisans occupant les meilleurs places de la hiérarchie de l’armée : le maréchal de Noailles contre celui de Belle-Isle.

Après 1747 : complète démilitarisation de la personne du souverain. Critiquer les nominations et la conduite des opérations, cela revient à attaquer les gens en place : la favorite et les financiers. L’armée est prise dans les conflits dont l’origine est à Versailles. La distinction entre la noblesse de cour et la petite ou moyenne noblesse conduit à une tentative de réforme militaire à partir de la guerre de Sept Ans = un enjeu politique et idéologique qui a qui a des impacts au niveau du pays, en contribuant au discrédit des élites curiales. A l’inverse, on assiste à un intérêt nouveau de l’opinion pour la marine.

Les polémiques autour des forces militaires révèlent les tensions et les insuffisances au sommet de l’Etat + fractures nobiliaires. En Angleterre, la question de l’armée permanente est centrale et durable dans les débats politiques.

4.2 En Grande- Bretagne

L’armée permanente dans la société anglaise est l’instrument par excellence de la tyrannie et s’oppose à la milice (forme temporaire et locale d’autodéfense en cas d’invasion). La question de la souveraineté militaire est donc au cœur de la vie politique. Le 5 Mars 1642 : une ordonnance parlementaire partage la souvairenneté militaire entre le roi et le Parlement. Après la Restauration, en 1661, une loi attribue au roi de disposer de la milice. Si l’armée de la Restauration appartient au roi, elle n’a aucune place juridique et le Parlement la considère comme une extension de la Maison royale. Donc, ce manque de reconnaissance juridique fait que l’armée ne peut se prévaloir devant les tribunaux des articles of war de 1663 qui fixe les règles de la discipline. A partir de 1689, la préoccupation est de soustraire l’armée à l’autorité personnelle du monarque pour la placer sous le contrôle du Parlement. Dans le Bill of Rights de 1689, il est interdit au roi de lever ou entretenir une armée dans le royaume en temps de paix sans le consentement du Parlement. Ce denier vote chaque année les effectifs militaires qui seront à payer et renouvelle la Mutiny Act. Guillaume III cherche à conserver son hégémonie. Pour les partisans de Guillaume III, une armée permanente sous le contrôle du Parlement n’a rien de dangereux et s’avère indispensable pour protéger efficacement les libertés anglaises que la milice serait incapable de faire. Depuis les années 1670, les communes se sont attribuées,au détriment des pairs, la compétence exclusive dans les votes des sommes allouées à l’armée et à la marine. De plus, elles souhaitent être informées des projets du gouvernement pour la conduite de la guerre.  En comparaison, la Navy jouit d’une réputation bien différente. Elle est très importante et elle est considérée comme la garante de tout ce qui est établi dans le royaume (religion, libertés). Ses financements ne sont pas contestés et l’Amirauté dispose de quelques sièges au Parlement. Face aux intérêts continentaux des Hanovre, la Navy apparaît comme l’instrument par excellence de la vraie politique anglaise, maritime et coloniale. Pourtant, l’armée et la marine n’échappent pas  à la polarisation de l’opinion publique pour ou contre les colons américains à partir de 1775 – 1776. Des officiers de haut rang refusent de servir en Amérique. Les personnes qui commandent la Navy en Amérique du nord et les forces terrestres veulent une solution politique, en terme de réconciliation entre les colons et la Couronne.  L’intervention française a ruiné ces objectifs.

Chapitre 4 : les contestations religieuses de l’autorité royale

Au temps de l’« éclatement de la foi », les monarchies française et britannique font des choix religieux apparemment différents :

_ Le roi de France confirme son appartenance à l’Eglise romaine en Juillet 1593, suivie de sa réconciliation avec le pape.

_ Le roi d’Angleterre, séparé de Rome dès 1534, se proclame chef de l’Eglise anglaise par l’Act of supremacy. Puis, Elizabeth I adopte une théologie protestante marquée par des influences luthériennes et calvinistes.

Cependant, en France comme en Angleterre l’engagement professionnel des monarques ne se fait pas sans arrière- pensées. La doctrine gallicane qui inspirait les décisions souverains français et des officiers royaux tenait à l’écart le pape de la vie religieuse du royaume. Non seulement, les rois de France et d’Angleterre conservent les moyens d’intervenir dans la vie religieuse de leurs sujets, mais les préoccupations religieuses devenaient des préoccupations politiques. L’Etat intervient dans les affaires religieuses et les clercs veulent avoir un droit de regard sur la politique royale. Cela engendre des disputes et des conflits. Mais, à la différence du Moyen Age, les fidèles deviennent pleinement acteurs des conflits.  Les oppositions religieuses de 1640 rappellent les guerres de religion de XVIeme siècle. On a une remise en cause de l’autorité de l’Etat fondée sur le droit et l’appel à l’opinion. On distingue 3 périodes :

  • Entre 1640 et 1660 : clergé et fidèle tentent d’imposer au pouvoir politique les réformes religieuses qu’ils entendent promouvoir dans un contexte d’achèvement de la confessionnalisation.
  • A partir des année 1660 et jusqu’à la fin de la guerre de succession d’Espagne, l’affirmation religieuse s’étendit au domaine religieux avec le soutien des cclergés La collaboration de la royauté et de l’épiscopat cherche à imposer l’uniformité confessionnelle. Ex : avec le code Clarendon ou la révocation de l’Edit de Nantes.

1750 -1770 : conflits entre l’épiscopat et les parlements sur la question du jansénisme+ administration des sacrements+ le sort réservé aux jésuites + mécontentement du clergé.

1. Clergé et religion dans les troubles politiques des années 1640 – 1650

 1. 1 Les fondements religieux de la première révolution anglaise

 1. La pensée politique des puritains

Au début du XVIIeme  siècle, les élites se détournent de l’Eglise établie pour adhérer aux vertus morales des puritains, dissenters et membres des free churchers, principaux acteurs de la Révolution anglaise.  Au début des années 1640, presbytériens et congretionnalistes se rapprochent pour lutter contre les évêques… avant de se déchirer à nouveau en 1644.

Les réformés auraient déplacé le centre de la pensée politique au « saint ». A partir de 1640, le terme de « réforme » implique des transformations majeures, associées aujourd’hui à l’idée de révolution. Le meurtre légal de Charles I constitue une interrogation de la nature même de la monarchie, et non une simple attaque contre la personne du souverain. Un sermon de 1641 du puritain Thomas Case atteste l’extension de la notion de réforme de la religion à la politique. En effet, selon lui, la réforme doit être universelle (réformer toutes les personnes, les villes, les petites écoles, les cultes divins…etc.). Les textes publiés dans les années 1640 associent la régénération des croyants à la régénération de l’Etat. Au contraire, les prédicateurs anglicans défendent la supériorité naturelle du roi. Ex : Henri Valentine en 1639. Les puritains utilisent dans l’image du vaisseau qui correspond mieux selon eux à leurs conceptions de l’existence qui est un voyage. Le thème du vaisseau de l’Etat est donc très présent dans les sermons des puritains des années 1640. Il est utilisé par John Goodwin dans son plaidoyer de 1649 en faveur de la purge du Parlement et de l’inculpation du roi. On a aussi John Milton qui est le défenseur de la cause républicaine et  qui avance des arguments de nature juridique et théologique empruntés à la scolastique et à l’Ecriture sainte. Il rallie ouvertement la Révolution en 1649.  Il oppose le droit naturel des peuples au droit divin des rois. Il avança que la monarchie était un ordonnance humaine, que le roi était mandaté par le peuple pour assurer le bien public, qu’il devait lui rendre des comptes et que le droit de résistance était un devoir quand le roi allait à l’encontre des intérêts des ses administrés. Il n’était pas anti royaliste mais favorable à une monarchie constitutionnelle. Ces thèses conduisent Thomas Hobbes à publier son célèbre Léviathan (1651- 1668) qui est au contraire en faveur de la monarchie.

 

  1. La menace de subversion sociale : les sectes anglaises

Justifié à postériori par Milton, la victoire des rebelles établit un régime de liberté religieuse. Cromwell, calviniste, aurait souhaité une entière liberté de foi hors de l’autorité ecclésiastique. Le Parlement exclut cependant de cette tolérance les athées et les blasphémateurs, punis de mort par l’Act sur les blasphèmes du mai 1648 et renouvelé en 1650. Les papistes demeurent également privés de tout droit civique et religieux.  Le complot des poudres de 1605 a ajouté une crainte supplémentaire : celle des jésuites tyrannicides. Dans la mentalité anglaise, il n’y aucune différence entre la papauté, les jésuites, les prêtres séculiers et les souverains du continent. Les catholiques récusants représentent 2% des anglais, soit 60 000 individus en 1641.  Ils vivaient essentiellement dans l’ouest et le nord dans une sorte d’exil intérieur.

Les exécutions des catholiques anglais diminuent drastiquement après la victoire de la rébellion. Mais une répression brutale s’abat sur les catholiques irlandais, restés majoritairement royalistes. Cromwell débarque en Irlande en 1649 dans le but de « châtier les papistes barbares et impies ». Il fit voter en 1652, l’Act of Settlement, qui dépouille les propriétaires irlandais et les déporte dans les provinces infertiles de l’Ouest. La liberté religieuse instaurée par Cromwell est très relative et entraîne une prolifération des sectes qui horrifia l’Europe :

  • Les ranters « ceux qui délirent » comme les qualifient leurs adversaires. Inspirés par l’Esprit Saint, ils nient la nécessité du mariage et défendent la polygamie. Leurs écrits sont nombreux entre 1649 et 1651 et éclairent leurs principes religieux fondamentaux, qui annonçaient la société des amis, ou quakers fondés quelques années plus tard par Georges Fox. Pour cette secte, la Bible n’est pas la source unique de la foi mais un livre inspiré parmi d’autres et le mal n’existe pas. Ils défendent les mendiants, prostituées et les voleurs.

Ce sont des sectes qui font des revendications religieuses mais aussi sociales.

  • Diggers: ils demandent le partage des communaux et veulent l’imposer par une grève des journaliers.
  • La Fifth monarchy (la cinquième monarchie) : secte militaire et adepte du millenium. Ils proposent une alternative au commonwealth qu’ils appellent le « règne de Jésus – Christ ». Leur chef est Thomas Venner. Ils prêchent le renversement violent du conseil d’Etat et du Parlement, puis du protectorat, afin d’instaurer un gouvernement des justes. Ils préparent des complots contre le pouvoir. Cromwell fit arrêter des meneurs de la cinquième monarchie. Cette secte disparait en 1661.

 

A partir de 1645-1646, les pasteurs presbytériens s’inquiètent de la menace que représente ces nombreux écrits sur la population. On compte environ 20 000 textes publiés entre 1640 et 1660 sous la forme de pamphlets, sermons, traités, poèmes et journaux.

 

  • Ligueurs, dévots, jansénistes : les mutations de l’opposition religieuse en France

 

  1. La cabale des dévots

Avant notre période, les principales contestations religieuses de l’autorité royale venaient du parti protestant (redoutant la suppression de l’édit de Nantes) au temps du gouvernement de Marie de Médicis (1610-1617) et des huguenots ( privés de leur potentiel militaire après 1629).

La politique étrangère de Richelieu aliénait les « dévots ». La noblesse dévote, estime Jean Marie Constant, préférait les vertus religieuses et morales du catholicisme tridentin. Héritiers des ligueurs, les dévots n’avaient pas renoncé à la restauration de l’unité catholique du royaume. Favorables à l’alliance des puissances catholiques contre les Etats protestants et le danger ottoman, ils tentent d’influencer la diplomatie française. Les dévots se trouvent affaiblis cependant après l’épisode de la journée des dupes du 10 novembre 1630. Les dévots se réfugient alors dans le militantisme catholique. Ils ont fondé en 1627 la compagnie du Saint sacrement qui a pour but des initiatives charitables et sociales. Ces initiatives sont nombreuses dans les années 1640 et 1650. Mazarin mit fin à l’activité de la compagnie du Saint sacrement en faisant ouvrir une enquête par le procureur général du parlement de Paris. L’épiscopat s’irrite des initiatives incontrôlées des dévots. Un arrêt de décembre 1660 finit par interdire les assemblés sans la permission du roi.

  1. Le jansénisme et l’augustinisme politique

A la fin du XVI siècle, on a une division des universités catholiques.  D’une part, les théologiens catholiques + les protestants mettent en avant la gratuité et l’efficacité de la grâce divine. Et, d’autre part, les jésuites portent un autre regard sur le salut car ils sont plus optimistes quant aux possibilités humaines. Leurs idées s’inspirent des réflexions du jésuite Louis Molina en 1588. Ce dernier minimise les conséquences du péché originel, soutient la collaboration constante entre la grâce et la liberté de l’Homme et réduit la prédestination à une prescience divine. Ces oppositions donnent lieu à des conflits entre les 2 courants. Pour apaiser la situation, on a mis en place le décret de l’inquisition romaine qui prescrit en 1625 de ne plus rien écrire sur la grâce sans une permission expresse. Donc, la publication posthume en 1640 par Cornélius Jansen de l’Augustinus De Gratia qui est un commentaire des écrits de saint Augustin fut perçue comme une infraction. Le livre est proscrit en 1642. Mais cela n’apaisa les conflits et installe définitivement la querelle autour du « jansénisme ».

Le jansénisme fut « une affaire d’Etat ». Dans sa version politique, cette doctrine soumet le pouvoir temporel à l’autorité spirituelle. Elle dénonce les alliances de Richelieu avec les puissances protestantes. Le premier soutien français de Jansen fut l’abbé Saint- Cyran. Lors de la « cabale des dévots », ce dernier mécontente Richelieu en refusant de déclarer la nullité du mariage entre Gaston d’Orléans et Marguerite de Lorraine.  En 1635, il écrit un pamphlet anonyme hostile à la diplomatie de Richelieu qui est jugée anticatholique. Il est emprisonné sur ordre de Richelieu en 1638 et libéré en 1643. Il meurt quelques temps après sa libération. Sa mort fut importante car elle brise l’union entre les « dévots » et les « jansénistes » : les dévots basculent dans le camp de l’antijansénisme.

  1. La « fronde religieuse »

Après la mort de Saint Cyran, les cisterciennes et les « solitaires de port royal continuent le jansénisme français. Ex : Antoine Arnauld qui en est le chef de file. Les jansénistes bénéficient de la protection des membres éminents du second ordre tels Anne de Rohan et de plusieurs nobles frondeurs. Ex : Le futur duc de la Rochefoucauld. Le souvenir de leur rébellion aggrave le discrédit des jansénistes auprès du pouvoir. On a aussi les curés de paris qui se rapprochent du jansénisme. Ce rapprochement est considéré par Mazarin et le secrétaire d’Etat Michel le Tellier comme une troisième fronde de nature religieuse. Désormais,le jansénisme est associé à l’idée de sédition et les attaques de Mazarin redoublent dans les années 1650. Facteurs de divisions religieuses, les jansénistes nuisaient à la tranquillité de l’Etat car ils formaient une faction politique pro- espagnole. La persécution par le pouvoir avait fabriqué le jansénisme.

  • La tentation de l’absolutisme religieux (vers 1660- vers 1715)

2.1 La quête de l’uniformité dans l’Angleterre de la Restauration

 

  1. De la déclaration de Breda au « code Clarendon »

La restauration des Stuarts en Mai 1660 rétablit l’Eglise d’Angleterre. Charles II adresse à ses sujets une déclaration donnée à Breda, dans les Provinces Unies, le 14 Avril :  La promesse de l’amnistie, la liberté de conscience, le respect de vente des biens confisqués, le paiement des soldes. Toutes ces mesures aboutissent au rétablissement de l’ancien ordre politique le 1er Mai 1660, à la majorité du parlement. Mais on assiste au raidissement religieux à partir de 1661 qui est dû au « parlement cavalier » élu en Mars 1661= conservateur à forte majorité anglicane. Dès 1661, les évêques réintègrent la chambre des Lords. Le corporation Act de 1661 écarte les non-anglicans des fonctions municipales. En 1673 et 1678, le Test Act étend cette mesure aux autres charges publiques empêchant les dissidents d’accéder à l’armée, les universités et au corps de l’Etat. En 1665, le Five miles connu sous le nom de code Clarendon empêche tout dissident de s’approcher d’au moins 5 miles de son ancienne congrégation. En cas de désobéissance, les peines peuvent aller d’amendes, prison, déportation ou la mort. Les années 1680 furent difficiles pour les dissidents. Selon John Spurt, environ 450 quakers meurent en prison pendant la Restauration.

 

  1. Des formes limitées de tolérance

L’extrême rigidité du code de Clarendon jette le discrédit sur l’Angleterre de la Restauration. Elle explique pourquoi l’Angleterre n’a pas attiré beaucoup de protestants après la Révocation. Entre 40 000 et 50 000 réfugiés. Les huguenots craignaient d’encourir les mesures qui frappaient les non- conformistes. Ce terme a remplacé peu à peu le terme de dissenter. La tolérance religieuse était souhaitée par les milieux rationalistes qui dominent l’élite. EX : John Locke, mais il exclut les papistes. Dans le camp de l’Eglise établie, la position la plus avancée n’allait pas au-delà du comprehensiveness (la possibilité de confier des bénéfices à des non-conformistes du moment qu’il procède à des modifications rituelles limitées).

Sous la restauration, reprit la poursuite des catholiques. Avec le retour des Stuart, le catholicisme séduit à nouveau l’aristocratie anglaise. La peur du papisme est très présente. En Février 1685, le catholique Jacques II tente une politique audacieuse qui devait permettre la réintégration de ses coreligionnaires dans la société.  Le 4 Avril 1687, il proclame une déclaration de liberté de conscience.  C’est l’élément fondateur de sa politique religieuse qui reconnaissaient le libre exercice du culte  aux catholiques et aux non-conformistes. Il amnistie aussi les condamnés pour motif religieux. Renouvelé en 1688, le texte fit l’opposition de 7 prélats dont l’arrestation fit scandale. Les nobles s’adressent à Guillaume d’Orange et déclenche la Glorieuse Révolution. Cette mesure de Jacques II mécontentait les dirigeants non conformistes qui y voyaient un manœuvre pour tolérer le catholicisme.

1688 : Guillaume III arrive au pouvoir porté par la Révolution. Mai 1689 : Toleration Act qui reconnait la possibilité de doctrine spécifique sur le baptême et la liberté de culte. Le droit à l’indifférence n’était pas reconnu ; Le culte était obligatoire. 2 catégories de chrétiens étaient écartées : les unitariens et les catholiques.  1700 : le Popery Act aggrave les mesures anti-catholiques : condamnation de prison à perpétuité de tout évêque, prêtre ou jésuite qui serait pris en train d’enseigner.

Guillaume d’Orange fut bien accepté par les dissidents qui l’honore. A la mort de la reine Anne Stuart en 1714, les dissidents étaient encore très fragilisés car menacés de l’extérieur comme de l’intérieur.

  1. La politique religieuse de Louis XIV

Louis XIV mène une politique moins restrictive sur le plan confessionnel que les Stuarts.  Mais il devient absorbé par son salut, qu’il liait à l’unité religieuse de son royaume, le souverain engage une lutte contre toute forme de dissidences religieuses.

  1. La fin des dévots ?

Après la mort de Mazarin en 1661, la compagne du Saint Sacrement reprit ses activités en redoublant ses attaques contre les protestants. Elle est dissoute en 1666 après la mort de la reine mère Anne d’Autriche qui était sa protectrice. Mais elle ne disparait pas complétement car il existe toujours ses filiales provinciales.

Le clergé français ralliait alors l’absolutisme de Louis XIV et se réjouissait de « la marche vers la Révocation » entreprise par le monarque. Traités théologiques et récits de conversions traduisent cet état d’esprit. On lie étroitement les obligations religieuses aux devoirs politiques. En 1683, l’Evêque de Meaux Jacques -Bénigne Bossuet rédigeait la déclaration des 4 articles votée par l’assemblée du clergé le 19 mars 1682. Qui confirme l’engagement de l’épiscopat auprès du monarque, dans son conflit avec le pape Innocent XI. Cependant, à la fin du règne, resurgit la contestation des dévots.

  1. L’aggravation de la crise janséniste

Le débat du jansénisme avait connu en 1668 une phase d’apaisement de 10 ans appelle « paix d’Eglise » ou « paix clémentine ». Mais en 1678, les hostilités reprennent et conduisent plusieurs jansénistes à s’exiler hors du royaume. Les voyages des jansénistes aux Provinces Unies aggravent leur réputation à Versailles. On les soupçonne de républicanisme. La publication de Unigenitus en 1713 fait entrer la querelle dans une dimension nouvelle. En mêlant des éléments de la doctrine gallicane à celle des jansénistes dans les 101 propositions condamnés par cette bulle, Clément XI offre un cadeau empoisonné au souverain qui l’avait sollicité.

Il ne faut pas sous-estimer la transformation du mouvement janséniste provoqué par la brutalité des mesures décidées par Louis XIV. Les jansénistes sont appelés « parti » pour les discréditer. Leurs démarches d’identification aboutissent à la construction d’une propagande articulée autour de la mémoire de port Royal présenté comme un idéal spirituel et moral. Louis XIV veut anéantir le jansénisme donc il fait détruire le monastère des champs.

  1. C) la révolte des camisards

1702 : insurrection des camisards, ultime conséquence de la Révocation de l’édit de Nantes par l’édit de Fontainebleau en 1685. Les protestants étaient passés de la désobéissance passive à l’insurrection.  La révolte des camisards eut lieu principalement dans les Hautes Cévennes : au sud de l’actuel département de la Lozère et à l’ouest du Gard. Leurs chefs provenaient de milieux modestes. Ils étaient conscients qu’ils n’allaient pas emporter la victoire ( la composition des troupes était insuffisante) mais leurs objectifs étaient d’attirer l’attention du roi afin d’infléchir sa politique religieuse.  Ils espéraient le retour à la situation de l’édit de Nantes.

A partir de 1703, la situation s’enlise dans les Cévennes. Les répressions sont féroces (destruction d’églises et meurtres des catholiques. L’intendant Basville essaie de résoudre le conflit de manière moins brutale en détruisant les villages pour affamer les insurgés. Ensuite, on essaya de mener des négociations avec les insurgés. Villars promet le pardon aux combattants qui déposeraient les armes. La plupart vont en Angleterre et en Suisse. Mal accueillis à Genève, la plupart des cévenols tentent de revenir au pays où certains trouvent une mort violente.

  • Les déplacements de la contestation religieuse (vers 1715- vers 1780)

 3.1 La dynastie des Hanovre et le New dissident.

 

  1. Le problème du ralliement du clergé britannique aux Hanovre

1714 : changement de dynastie. Les higher clergy britanniques se rallient à la famille de Hanovre contrairement au lower clergy britannique qui ne reconnaissait pas cette dynastie. Peu d’influence sur les ministres. Certains ministres sont poursuivis et parfois punis pour des propos séditieux.

1715 et 1745 : les 2 rebellions des jacobites. 1715 : circulation parmi l’épiscopat de déclarations loyalistes. Et en 1745, Potter enjoignait au ministres et aux fidèles de préserver l’actuelle constitution de l’Eglise et de l’Etat. En revanche, l’évêque de Londres Gibson montre un soutien actif aux Hanovre et demande à son clergé de faire une prière publique pour la défaite de la rébellion.

Finalement, malgré des actes de résistance individuels, les Eglises nationales contribuent au renforcement du loyalisme.

  1. La contribution des New Dissent à l’affirmation du radicalisme politique

Les Hanovre contribuent à l’amélioration des conditions de vie des dissenters. 1727 : promulgation du premier d’une série d’indemnity Acts, qui suspend les sanctions prévues par la loi. Les dissenters supportent moins leur marginalité.  Leur frustration d’être exclus des positions de pouvoir les auraient poussés vers le radicalisme. En Avril 1780 fut crée la Society for Constitutional information. Son objectif est de combattre le gouvernement despotique de Georges III, en informant le peuple de ses droits. La majorité de ses membres étaient des dissenters. Ces new dissenters réclament une liberté de conscience. Ils demandent l’élargissement du suffrage  qui était maintenu par l’élite anglicane. Des émeutes violentes éclatent à Londres du 2 au 10 Juin 1780 appelé les Gordon Riots. Les manifestants se sont attaqués aux chapelles privées, aux ambassadeurs avant de s’attaquer à tous les symboles de l’Etat. : commissariats de police, prisons, tribunaux. Les troubles firent plusieurs centaines de morts.

3.2 Les séquelles du Jansénisme et la mésentente entre l’épiscopat et la monarchie

  1. a) De l’appel au concile de 1717 à la suppression des jésuites

2 septembre 1715 : Philippe d’Orléans obtient la régence. Son esprit de tolérance contribua à l’amélioration du sort des minorités religieuses mais permit cependant le paroxysme de la contestation des jansénistes. En 1717, seize évêques et 3000 prêtres ou religieux français appellent au concile de la bulle de l’Unigenitus. La résistance à l’Unigenitus développait une mentalité d’opposition au sein du clergé français. Le 3 Avril 1730, un lit de justice reconnait la bulle comme loi du royaume. Toutefois en 1749, le conflit reprit et déclencha les foudres du parlement qui y voyait un trouble à l’ordre public, et le 5 sept 1754, Louis XV impose une déclaration royale imposant le silence sur la bulle unigenitus. A Paris, les jansénistes pouvaient compter sur le soutien du peuple émerveillé par les guérisons miraculeuses du cimetière Saint Médard survenues entre 1727 et 1731. De victimes, les jansénistes devenaient agresseurs. Ils sont considérés comme des philosophes et non des comploteurs. Ils surent utiliser au mieux la sensibilité de l’opinion, exacerbée par la longue querelle de l’unigenitus.  Et par les refus des sacrements qui en découlèrent. Avec la dissolution de la Compagnie de Jésus, entérinée par l’édit royal de novembre 1764, les questions religieuses ne sont plus des  compétences de l’Eglise mais de la magistrature.

  1. b) Le conflit entre l’épiscopat et les magistrats français.

Dans la seconde moitié du XVIII siècle, on assiste lors des délibérations des assemblées générales, à des désaccords entre l’épiscopat et la monarchie, malgré l’apaisement de la querelle janséniste. Les prélats s’inquiètent de la sécularisation de l’enseignement secondaire qui menaçait selon eux l’instruction chrétienne.  En 1775, le cardinal de La Roche- Aymond remet un mémoire détaillé au roi pour souligner l’Etat déplorable de l’éducation de la jeunesse. A partir de 1750, l’assemblée demande au roi d’intervenir  contre les « mauvais livres » à la suite de parution d’un libellé attaquant les immunités ecclésiastiques.  En 1780, l’assemblée demande à Louis XVI une refonte complète des règlements touchant à la censure afin de mieux contrôler les libraires. Le roi rejeta cette proposition.

Dans les années 1780, Les religieux se trouvent confrontés au problème de l’acceptation de s’acquitter de la dîme par les paysans. Les évêques demandent au roi une loi qui les protège mais là encore le roi ne se prononce pas. Ces questions restées sans réponses conduit le clergé de France à la réunion des états généraux.

A partir de 1755, des cahiers de doléances furent rédigés par l’assemblée du clergé de Bordeaux pour être portés à Paris et lus dans les séances générales ou les commissions du clergé. On demande au roi de faire respecter l’autorité de la bulle unigenitus et  de réprouver la conduite des parlements.

La fidélité au roi n’avait pas disparu, mais l’épiscopat français avait de toute évidence perdu confiance dans l’appareil d’Etat. Comme la noblesse, le clergé français attendait beaucoup des états généraux promis en 1788 sans comprendre que le contexte ne lui était plus aussi favorable qu’en 1614…