La fiche de lecture du vaste ouvrage Féodalités de la collection « Histoire de France » des éditions Belin. Une somme, très pratique pour commencer à entrer dans la question d’histoire médiévale-moderne. Cette fiche ne concerne que la 2e partie de l’ouvrage.

Voir aussi Laurent Jégou, Didier Panfili, L’Europe seigneuriale (888-1215), Armand Colin, 2018.

 

Deuxième partie: D’un monde à l’autre (vers 1050-vers 1080)

Chapitre 4. La rupture grégorienne : une révolution culturelle

Un nouvel ordre du monde

Voir L’Histoire, 507, mai 2023: « Réforme grégorienne. L’Eglise prend le pouvoir en Occident » (numéro dirigé par Florian Mazel, Dominique Barthélemy, Joël Chandelier, Isabelle Rosé)

Au milieu du XIe siècle, la réforme de l’Eglise est encore un projet impérial. Henri III soutient le renouveau monastique et nomme des papes réformateurs qu’il recrute parmi les évêques d’Empire. Mais la réforme que lancent les papes met l’accent sur la purification morale et disciplinaire du clergé. A partir de Nicolas II (1059-1061) la papauté souhaite aussi s’émanciper de la tutelle impériale. En 1059, on confie l’élection des papes aux cardinaux. A partir de là la papauté joue un rôle croissant dans la réforme.
Le pape s’impose sur l’empereur et sur son propre clergé. Dictatus papae de 1075 par Grégoire VII (qui ne se diffusent vraiment qu’au siècle suivant) qui donnent de l’affirmation du pouvoir pontifical la formulation la plus radicale puisqu’elles disent que le pape peut rédiger de nouvelles lois.
D’autres milieux souhaitent la réforme : Cluny ou des évêques de Lotharingie et les légats pontificaux répartis dans la Chrétienté.
Globalement, la réforme grégorienne a une unité. Les principes sont solides. Sorte de retour à l’Eglise primitive et de purification dans la crainte ecclésiologique du péché. Sorte de retour aux origines, pour les séculiers comme les réguliers.
Le fondement est la séparation entre clercs et laïcs, considérée comme la condition nécessaire au salut de la Chrétienté. Consacrée dans le Décret de Gratien de 1140. Cette séparation correspond avant tout à une différence d’états de vie, fondée sur le critère de la sexualité. Les clercs sont chastes, les laïcs se marient ; en considérant la pureté sexuelle comme indispensable pour l’accès au sacerdoce, la réforme tend à imposer la vie monastique comme modèle à l’ensemble du clergé (ce qui explique certaines résistances de clercs séculiers). Cela va parfois jusqu’à la diabolisation de la femme et de toute sexualité. Dès lors, les laïcs sont forcément en position d’infériorité. Là que le mariage commence à être considéré comme un sacrement, avec indispensable médiation des clercs, comme pour tout sacrement. Les clercs purifiés deviennent donc indispensables aux laïcs pour l’accès au Salut.
Cette séparation justifie aussi qu’on sépare le Spirituel et le Temporel, et que l’un soit supérieur à l’autre. Là résistances des princes. Tous les territoires sacrés ainsi que les biens religieux doivent être possédés par les clercs eux-mêmes, sans dépendre des princes et seigneurs, sans intervention laïque. Totale indépendance. Ce sont les chanoines qui élisent l’évêque et pas le seigneur qui le nomment. Idem pour les abbés. Dans ce cas, les laïcs qui possèdent des dîmes, des biens et des droits ecclésiastiques sont condamnés et doivent les rendre sous peine d’excommunication. Ce sont les « restitutions ». Les donations faites aux religieux sont considérées comme définitives. C’est une rupture totale avec l’Eglise carolingienne.

La réforme en action

Dès 1049, le pape Léon IX réunit un concile à Reims qui condamne la simonie et rappelle des normes pour l’état clérical. Plusieurs laïcs sont excommuniés aussi. Point de départ. Les conciles et synodes suivants reprennent toujours cette condamnation de la simonie, du nicolaïsme, de l’inceste, et promulguent toujours plus de normes.
Puis le pape est élu par les cardinaux (1059, Latran I).
Puis radicalisation sous Grégoire VII (1075-1085). C’est le moment où l’autorité pontificale s’affirme avec le plus de détermination. Avec des légats qui s’en prennent directement aux princes et même à l’investiture des évêques par les rois.
Sous Urbain II à partir de 1088 jusqu’en 1099, allège et ménage les pouvoirs laïcs tout en insistant pour faire appliquer la réforme. Modération des légats. Sommet avec l’appel à la croisade à Clermont. C’est la mise en pratique de l’autorité acquise par le pape sur l’institution ecclésiale et la Chrétienté.
Reconfiguration des pouvoirs à la fin du XIe. La domination des grands laïcs sur les sièges épiscopaux est la première à souffrir. Le pape reprend le contrôle des grands sièges et il crée même de nouveaux évêchés pour défaire les emprises des seigneurs.

La nouvelle puissance de l’Eglise-institution

Après l’élection, les princes avaient l’habitude de procéder à l’investiture des prélats, en leur donnant eux-mêmes la crosse et l’anneau. Cela permet aux princes de contrôler quand même les évêques et de refuser une élection qui leur a échappé. Grégoire VII condamne fermement l’investiture laïque et interdit, comme Urbain II, à tout prélat de prêter un serment à un roi ou à un empereur, ou un prince, car « nul ne peut servir deux maîtres ». C’est que les mains du prélat vont toucher l’hostie consacrée et ne peuvent donc pas toucher des mains de laïcs, marquées par la luxure ou le sang. Enormes conflits. Ex entre les rois anglo-normands et Anselme de Canterbury.
1122 concordat de Worms. L’empereur Henri V accepte que les évêques reçoivent l’investiture de la crosse et de l’anneau des mains du collège épiscopal, présidé par l’archevêque dans sa cathédrale de la province ; le prince ne donne que l’investiture des biens et droits attachés à l’évêché.
Dans les faits, Louis VI et Louis VII pèsent encore sur les élections épiscopales et n’hésitent pas à arbitrer des conflits, à recommander leur candidat, à recevoir des serments avant l’investiture des prélats, à continuer de toucher de l’argent sur les bénéfices vacants (droit de dépouille) ou d’autres taxes ecclésiastiques. En 1141 le conflit sur le siège de Bourges va si loin que le pape jette l’interdit sur tout le royaume.
A partir de cette indépendance, les seigneuries épiscopales deviennent de plus en plus puissantes. Ils font ériger des châteaux dans les campagnes, multiplient les inféodations, s’emparent de droits régaliens dans la cité, de la justice, et possèdent leur propre chancellerie et leur propre sceau. Ce sont des seigneurs importants. Explique alors les réactions communales. Et des conflits entre évêques et seigneurs locaux quand ils s’insèrent dans la féodalité.
Les évêques des années 1150-1170 n’ont pas encore bien établi leur chancellerie ; cependant, les moines ont fréquemment recours à eux (alors qu’ils ont souvent leur propre scriptorium) car la renaissance du droit oblige à confirmer les actes et à les légitimer juridiquement, par un sceau ou un autre signe. Alors elles sont de plus en plus sollicitées pour rédiger ou authentifier des actes privés, mettre à jour des notices sur des pancartes. Cela ouvre la voie à la « juridiction gracieuse », dans les villes ne disposant pas encore de notaires.
A l’échelle locale, les réformateurs revendiquent, aux dépends des laïcs, toute une série de droits. La réforme se fait donc sentir jusqu’au cœur de la seigneurie. Ils défendent les res sacrae (églises, dîmes, droits paroissiaux). Les transferts et les restitutions se font à des dates différentes selon les régions et sont mis par écrit. Ce sont les ordres monastiques qui en profitent le plus. Des paroisses sont données avec leurs droits à Cluny ou à Cîteaux, ou à Prémontré.
Autre versant de la réforme : l’encadrement paroissial et la formation des curés. Avec valorisation du cadre de la paroisse, qui culmine en 1215. La paroisse se transforme en un véritable territoire.
Un autre versant : l’éthique de comportement pour les clercs et des guerriers et le développement des sacrements. Invente la paix et la trêve de Dieu. Rédige des modèles de vie : des chevaliers qui ne combattent que pour l’honneur de l’Eglise, s’engagent pour protéger ses biens, contre les hérétiques, dans une guerre encadrée par l’Eglise (la « sainte guerre »).

Les Clionautes multi-écran

Vous souhaitez lire la suite ?

Actifs dans le débat public sur l'enseignement de nos disciplines et de nos pratiques pédagogiques, nous cherchons à proposer des services multiples, à commencer par une maintenance professionnelle de nos sites. Votre cotisation est là pour nous permettre de fonctionner et nous vous en remercions.