Fiche de lecture sur Frédéric II – Un empereur médiéval
Frédéric est un homme de son temps, : ce n’est pas le monarque illuminé que Kantorowicz et l’historiographie ont toujours décrit. Frédéric est un homme lié à son rôle d’empereur tout comme l’était son grand-père ; il aspire donc à la réunification des couronnes impériales, au contrôle de toute la chrétienté, aux Croisades et enfin à la conquête de Jérusalem, qu’il considérait comme l’apothéose de sa position impériale, directement reçue de Dieu ; il est clair que Frédéric a une conscience profonde de son rôle de légat de Dieu, un rôle typiquement médiéval et qui lui vient non seulement des Hohenstaufen, et donc d’influence familiale, mais aussi papale, car Frédéric n’oublie pas les enseignements d’Innocent III et ce que le Pontife a fait pour lui.
L’œuvre de David Abulafia commence par une brève digression sur l’héritage normand, en particulier sicilien, du futur empereur : ce règne normand qui se montre moderne d’un point de vue institutionnel, de par la fusion entre d’un côté les administrations byzantine et arabe, et de l’autre l’administration ducale normande, révèle pourtant un conservatisme d’un point de vue idéologique, c’est-à-dire la tendance à assimiler les caractéristiques typiquement « médiévales » des peuples avec lesquels il entre en relation.
Tout comme Robert Guiscard qui, après un conflit avec le Pape Grégoire IX, devient son allié sous Nicolas II, profitant de la rupture des rapports entre Byzance et Rome (schisme de 1054) ; tout comme les normands, qui après avoir conquis le Sud, cherchent à pénétrer dans les Balkans pour tenter un grand coup, à savoir conquérir la Couronne impériale et imposer sur les deux trônes temporels les plus importants de l’univers chrétien deux monarques chrétiens-romains ; tout comme Roger II, premier roi de Sicile, qui s’habille à la byzantine et cultive des rêves de gloire sur la Méditerranée orientale, de Constantinople à Jérusalem. De plus, il faut souligner qu’il ne faut pas considérer Frédéric comme un persécuteur de l’Etat moderne, un monarque absolu mais illuminé avant la lettre, mais comme un fils de l’héritage normand et romain, puisqu’il applique rigoureusement l’espritbureaucratique que le Sud avait connu sous Roger II et Guillaume II, dont les efforts d’imprimer le pouvoir royal dans l’Etat, tout en cohabitant avec des réalités « fédéralistes », telles que les barons, avaient été neutralisés lors des vingt dernières années, après le passage du règne d’un normand à un germanique tel qu’ Henri VI, lequel bien sûr ne pouvait pas concentrer son attention sur la pointe extrême de son empire ; Frédéric cherche donc, par les Assises de Capoue, à rétablir son autorité sur ceux qui avaient joui de l’état de semi anarchie dans lequel étaient tombées les deux « Siciles », en particulier grâce aux libéralités touchant aux privilèges d’autonomie de Markward d’Annweiler, commissaire Hohenstaufen en Sicile durant la minorité de Frédéric : ceux qui, parmi les barons, se refusaient de se soumettre à un examen de leurs propres privilèges, lesquels étaient source de gains pour les caisses publiques siciliennes, perdaient automatiquement tout droit, ce qui entraînait le fait que la Couronne haussait le ton, détectait ses propres ennemis, gagnait en terres et en argent, pratiques connues dans l’ Occident du XIIème siècle ; de plus, une fiscalité d’un « princeps » romain qui, comme le justinien, enrichira l’Etat mais causera des mécontentements parmi les sujets et, en tant que romaine, cette fiscalité ne peut évidemment pas être considérée comme une innovation de Frédéric. Nous pouvons donc dire qu’en fait, Frédéric ne se révèle pas tant un innovateur mais un conservateur et un restaurateur. Les Constitutions de Melfi de 1231 illustrent bien la personnalité « politique » de Frédéric II : un texte qui, dès son incipit, exprime son ancrage dans l’époque historique et qui fait même référence à un passé très loin et ambitieux telle que l’était l’époque romaine, lorsqu’il se définissait Empereur des romains et César Auguste, en tant que successeur des Julius Claudius, Félix, comme l’avaient été les grands chefs de Rome, tel Pompée le Grand, chéri par le divin, et ajoutait ensuite les divers titres de régence « italique ».
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