Introduction
• Il y a un peu moins d’une semaine, pour la dixième fois consécutive, la Russie a mis un veto au CSNU afin de protéger le régime syrien de Bachar-Al-Assad, son allié. Il n’est pas faux de dire que les loups ne se mangent pas entre eux et que Vladimir Poutine soutient un régime lui aussi autoritaire. Cependant l’analyse doit être poussée plus loin. Cette stratégie d’opposition répétée, de refus systématique, est-elle le symptôme d’une Russie incontrôlable et irresponsable ? La marque d’une superpuissance suffisamment forte pour tenir tête à la « communauté internationale » ? Un aveu de faiblesse d’un régime à bout de souffle qui recycle, en la modernisant, la politique de la chaise vide pratiquée en son temps par Staline ?
• Il y a sans doute d’un peu tout cela ; les facettes de géopolitique de la Russie contemporaine sont complexes. Et c’est cela que nous allons nous attacher à comprendre, en restaurant de la complexité dans l’analyse de la géopolitique russe. Il est impossible de tout aborder en 1h ou 1h15, surtout pour un pays de l’ampleur de la Russie. Des choix sont donc faits pour cette conférence. Ainsi, nous nous concentrerons essentiellement sur les aspects extérieurs de la géopolitique, même s’il existe une géopolitique intérieure et locale, qui a son sens en Russie (analyse des élections, des pressions sur les opposants ; nous les évoquerons rapidement).
• De la même manière, il a fallu choisir un point de départ, qui figure plus ou moins explicitement dans le titre de la conférence : l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, soit fin 1999 et début 2000. La Russie a pourtant une histoire et une géopolitique bien plus anciennes et structurantes encore de nos jours ; nous y reviendrons quand cela sera nécessaire.
• Avant de commencer dans le vif du sujet et de voir dans quelle mesure Poutine est un nouveau tsar qui veut et peut restaurer la grandeur russe sur tous les fronts, nous allons donner quelques éléments de cadrage.
• La Russie est actuellement le plus vaste Etat de la planète, avec une superficie de plus de 17 millions de km², soit 31 fois celle de la France métropolitaine (550 000 km²) ; elle est aussi l’un des Etats les plus vastes de l’histoire, avec l’URSS (22 millions de km²), qui l’a précédée mais qui l’a suivie aussi (l’URSS naissant sur les décombres de l’empire russe suit à la Révolution d’Octobre dont le centenaire a été célébré il y a 2 semaines). La Russie, à cheval sur l’Europe et sur l’Asie suivant la définition conventionnelle d’une limite de l’Europe au niveau des Monts Oural (promue par le géographe russe V. Tachtishev), est presque deux fois plus vaste que le reste de l’Europe réunie, le continent européen faisant environ 10 millions de km².
• Première puissance mondiale par son territoire, la Russie est également le pays ayant un ancrage européen le plus peuplé, avec environ 146,5 millions d’habitants. En PIB nominal, la Russie est 12ème mondial (avec 1283 milliards de dollars) mais en PPA, c’est-à-dire en tenant compte du niveau de vie, elle est 6ème, à environ 3500 milliards, juste derrière l’Allemagne. La Russie est la troisième mondiale en 2016 en termes de dépenses militaires selon le SIPRI, avec près de 70 milliards de dollars chaque année. Avec des ambassades et représentations dans 243 territoires différents, la Russie dispose enfin du quatrième réseau diplomatique le plus étendu au monde.
L’affirmation du pouvoir de Vladimir Poutine : un homme providentiel ?
Les années 1990 en Russie : le « grand bond en arrière »
• La Russie était le cœur de l’URSS avant sa chute ; elle concentrait les pouvoirs centraux, à Moscou, représentait plus des ¾ du territoire, la majorité absolue et, selon les indicateurs, entre les 55 et 75 % de sa puissance économique (elle était donc plus riche qua la moyenne soviétique).
• Les réformes de Gorbatchev, tant sur un plan politique (la Glasnost, la transparence), que sur un plan socio-économique (la perestroïka), avaient pour but de réformer l’URSS pour la rendre plus efficace et améliorer le niveau de vie de ses habitants. Gorbatchev, homme du parti (sinon il n’aurait pas accédé au poste clé de dirigeant de l’URSS), n’avait pas pour projet de mettre fin à l’URSS. C’est pourtant ce qui s’est passé. Celui qui est adulé en Occident au point d’avoir reçu dès 1990 le prix Nobel de la paix pour sa contribution à la détente finale, est haï en ex URSS (hors des Etats baltes) et en Russie ; il y est d’ailleurs surnommé Terminator…
• Gorbatchev démissionne à Noël 1991 d’un Etat qui n’existe plus ; il prend acte de la fin de l’URSS, la Russie et le Kazakhstan étant les deux derniers Etats à en faire sécession une dizaine ou une douzaine de jours plus tôt. C’est Boris Eltsine qui a pris l’ascendant sur Gorbatchev, en étant partisan de réformes plus profondes et plus rapides, qui a proclamé l’indépendance de la Russie, et fait d’ailleurs interdire dès 1990 les activités du PCUS sur le territoire de la fédération de Russie.
• Boris Eltsine dirige la Russie pendant quasiment une décennie, celle des années 1990. Sa politique est globalement un échec sur tous les fronts même s’il n’est pas dit que d’autres auraient fait beaucoup mieux car il a pâti de conditions défavorables (gestion d’une transition difficile, soutien international faible à cette transition), au-delà de problèmes causés par l’individu lui-même (alcoolisme).
• De fait la Russie des années 1990 commence par connaître une inflation de 1 000 % (bien supérieure à celle des PECO par exemple, qui sont à 450 %) ; les usines sont privatisées rapidement et sans transparence. Les inégalités explosent entre les nouveaux riches, des oligarques comme on les appelle encore de nos jours, et l’écrasante majorité de la population qui s’appauvrit. Le PIB est divisé par deux en quelques mois par rapport à l’année référence de 1989. Le chômage se répand ; le système de santé est désorganisé et devient payant. L’alcoolisme s’accroît ; l’espérance de vie recule. Capitaux et personnels qualifiés quittent le pays. En 1998, une crise boursière affaiblit encore plus la légitimité de Boris Eltsine. Il y aurait eu des centaines de milliers voire des millions de morts supplémentaires en quelques années par rapport à ce que le maintien du système soviétique aurait laissé attendre.
• Mais ce qui décide finalement de la suite de l’histoire n’est pas directement les problèmes socio-économiques. La situation militaire est difficile ; le secteur de l’industrie de la défense s’effondre ; les garnisons sont en partie abandonnées, avec leurs armes, qui disparaissent, et alimentent les gangs et les conflits dans tout le continent et même au-delà. Face à la décomposition du pouvoir central russe, le Caucase nord s’agite, et en particulier la Tchétchénie. Il ne s’agissait pas d’une république fédérée de l’URSS comme la Russie, la Géorgie, l’Arménie ou la Moldavie, mais d’une entité fédérée au sein de la Russie ; aussi n’avait-elle pas pu prendre son indépendance à la chute de l’URSS car les occidentaux (cf commission Badinter), soucieux de limiter la balkanisation du monde, coûteuse et dangereuse, ont décidé de ne reconnaître comme États que le plus haut maillage administratif couvrant, c’est-à-dire les Républiques fédérées. Les islamistes bénéficient de la non surveillance des armes et se structurent ; en 1994, s’ouvre la première guerre de Tchétchénie, alors que le pouvoir russe est très affaibli (montée des nationalistes, important vote pour les communistes aux élections, Eltsine demande la dissolution de la chambre –ce qui n’est pas prévu par la Constitution, qui en retour le destitue ; l’armée, hésitante, finit par suivre le président et restaurer l’ordre). Elle se termine en 1996, avec la promesse de négociations sur le statut de la Tchétchénie. Deux ans plus tard, la Tchétchénie s’agite à nouveau ; le président tchétchène est débordé par les islamistes, qui s’en prennent à des soldats mais aussi des civils russes. À l’été 1999, plusieurs attentats frappent la Russie, et en particulier Moscou, faisant près de 300 morts et plus de 1 000 blessés. Ces attentats sont attribués aux Tchétchènes. Il existe une théorie selon laquelle ce serait les services secrets (le FSB, qui avait été chargé de l’enquête et qui avait trouvé des coupables) qui auraient organisé ces attentats afin de pouvoir intervenir en Tchétchénie ; comme toute théorie du complot, cette version est douteuse. Il n’en reste pas moins que la commission indépendante d’enquête s’est vue refuser l’aide des sources officielles, que plusieurs de ses membres ont été assassinés et que l’un a été emprisonné.
Vladimir Poutine : un nouveau tsar autoritaire mais bénéficiant d’une réelle légitimité intérieure
• Le FSB est alors dirigé depuis 1998 par un certain Vladimir Poutine. Ce dernier est totalement inconnu à l’international comme en Russie. C’était un élève médiocre mais bagarreur et sportif qui avait réussi à entrer au KGB dans les années 1980 et après quelques années en RDA, jusqu’à la chute du mur de Berlin, qui s’était revenu à Saint-Pétersbourg et s’était mis au service de la municipalité de la deuxième ville du pays. À partir de 1996, il travaille pour la présidence à Moscou, avant donc de prendre en 1998 la tête des services de sécurité intérieure, le FSB, qui a succédé au KGB.
• En août 1999, quelques semaines avant les attentats, il devient président du gouvernement, soit le deuxième personnage de l’État. Eltsine, malade, très affaibli depuis 1996 (quintuple pontage coronairien), ne peut plus vraiment gérer le pays. Le 1er octobre 1999, Vladimir Poutine lance une opération anti-terroriste afin de restaurer l’ordre constitutionnel en Tchétchénie ; La Seconde Guerre de Tchétchénie est extrêmement violente et aurait fait l’essentiel des victimes du conflit, les pertes tchétchènes étant estimées à 10 à 20 % de la population. Grozny, la capitale, est extrêmement bombardée, au point d’émouvoir les Nations Unies qui l’ont qualifiée en 2003 de ville la plus détruite au monde, la Russie échappant de peu à une condamnation à ce propos.
• Globalement la guerre se finit en février par une victoire russe ; début février, Grozny tombe. Entre temps, le 31 décembre 1999, Boris Eltsine a annoncé sa démission, surprise. Des élections anticipées sont rpéveus pour mars, en attendant lesquelles c’est le deuxième personnage de l’Etat, donc Poutine, qui assure l’intérim, expliquant qu’il ait encore plus les coudées franches.
• Inconnu quelques mois plus tôt, crédité avant les opérations en octobre en Tchétchénie de 3 % dans les sondages, Vladimir Poutine se présente aux élections et l’emporte aux élections dès le premier tour avec plus de 50 % des voix, loin devant le candidat du parti communiste qui recueille un peu moins de 30 % des voix. Son aura de chef de guerre, un grand classique en politique, le sert.
• C’est donc en 2000 que commence officiellement l’ère Poutine. Le président russe a établi sa domination sur la politique et la justice russe, par la force ou la corruption et renforce ses réseaux. La campagne n’a pas été respectueuse des normes démocratiques, Poutine ayant bénéficié de l’appui disproportionné par rapport à ses candidats de l’appareil d’État et les urnes ont été bourrées (1,3 millions de morts sont votants…). La domination de Vladimir Poutine se traduit par un renforcement des forces de sécurité, dont il est issu, une réforme institutionnelle (renforcement des districts militaires, nomination des gouverneurs de districts et non plus élection) qui reconcentre le pouvoir, un renforcement de la coopération entre les militaires. L’agitation se poursuit en Tchétchénie jusqu’en 2006 et les attentats continuent.
• En 2002, a lieu la prise d’otages de Beslan, dans un théâtre à Moscou ; une quarantaine de personnes retiennent plus de 800 civils demandant un retrait russe de la Tchétchénie. Les forces russes donnent l’assaut, après avoir injecté du gaz ; 130 otages meurent dans la libération, ainsi les terroristes. À Beslan, en Ossétie du nord, des terroristes tchétchènes retiennent 2 ans plus tard environ 1000 personnes, essentiellement des enfants ; là encore, après plus de jours de siège, l’assaut est donné et 31 des 32 terroristes mais aussi 331 civils ont 186 enfants meurent, ainsi qu’une vingtaine de combattants russes. La Russie a été condamnée en avril 2017 par la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour n’avoir pas réellement cherché à minimiser le nombre de victimes parmi les otages.
• Ces incidents permettent en réalité à Vladimir Poutine de renforcer son pouvoir, de justifier ses réformes au profit de l’appareil sécuritaire. Surtout, sa victoire en Tchétchénie et son attitude implacable plaisent ; Vladimir Poutine a objectivement contribué à restaurer l’ordre en Russie. Et de cela, une partie importante de la population lui en sait gré. Certes au prix d’une militarisation du pouvoir et d’un affaiblissement de l’opposition (arrestations ou intimidations d’opposants), Vladimir Poutine a contenu les nationalismes concurrents à celui du cœur russe (en particulier dans le Caucase nord) ; il a mis fin au risque d’implosion de faut de l’URSS en réglant le problème des gouverneurs qui s’étaient considérablement autonomisés durant la relative vacance du pouvoir des années 1990. La Russie de Poutine a sur ce point renoué avec l’URSS : elle est bien plus stable que la Russie, plus démocratique et libérale, des années Eltsine mais la population était lassée des crises au sommet du pouvoir et régionales.
• L’opposition communiste a aussi pâti, outre son relatif affaiblissement politique, du rétablissement économique. Vladimir Poutine n’a pas arrêté les réformes d’Eltsine globalement ; il les a poursuivies mais suivant un rythme plus lent et surtout en les orientant dans un sens populaire ou populiste en général. Par exemple, il a mis fin aux dérives d’une grande partie des oligarques, dont Mikhaïl Khodorkovski, président du groupe pétrolier Youkos, acquis pour une bouée de pain à sa privatisation. La corruption a perduré et s’est même renforcée ; Poutine n’en est pas venu à bout. La croissance sur les années 2000-2007 dépasse 7 % par an ; la dette recule de 1998 à 2007 de 120 % à 13 % du PIB ; les réserves de change montent de 12 à 473 milliards de dollars entre 1999 et 2007. Vladimir Poutine a, contrairement à Eltsine, bénéficié d’un retour des vents favorables (processus amorcé d’ailleurs juste avant son arrivée au pouvoir) ; les prix des matières premières, principales exportations de la Russie (pour les ¾), ont explosé jusqu’en 2007. Le pétrole explique 1 point de croissance annuelle mais pas le reste. Le rétablissement d’une économie effondrée dans les années 1990 (effet de compensation) compte pour beaucoup. Mais Vladimir Poutine réduit aussi les impôts en les simplifiant pour la population (baisse de la TVA, impôt unique de 13 %) et pour les entreprises (l’impôt sur les sociétés tombe de 35 % à 24 %). Les retraites sont réformées Mais sans toucher à l’âge de départ en retraite. Les agriculteurs peuvent être propriétaires de leurs terres.
• Dans ce contexte, les salaires connaissent une forte croissance ; le PIB se rétablit économique, retrouve puis dépasse sa puissance économique d’avant la chute de l’URSS ; la stabilité politique est revenue et Vladimir Poutine contrôle fermement le pays. Il dispose d’une légitimité interne réelle ; sa réélection à plus de 72 % en 2004 en est en partie la marque, au-delà du contrôle de l’appareil d’Etat.
• Ne pouvant effectuer constitutionnellement plus de 2 mandats d’affilée, Vladimir Poutine cède en 2008 le pouvoir à son Premier Ministre, presque aussi bien élu, et devient lui-même premier ministre. Il n’est pas exact de dire que Poutine continue à tout contrôler derrière Dimitri Medvedev même s’il conserve l’essentiel du pouvoir grâce à ses réseaux. Sur un plan interne, le mandat (2008-2012) de Medvedev est marqué par une ouverture et une libéralisation, qui disparaissent en 2012 avec une réélection plus contestée de Vladimir Poutine qui peut rester au pouvoir sans problème jusqu’en 2024 car le mandat présidentiel a entre temps été étendu de 4 à 6 ans. La contestation de Poutine s’explique plus par les difficultés économiques avec la crise mondiale d’abord, que par des considérations purement liées à des libertés politiques et civiles.
La Russie et son « Étranger Proche » : une restauration graduelle de l’empire ?
Entre structures de coopération (CEI, OTSC) et contraintes (guerres du gaz, pressions) : de Eltsine aux deux premiers mandats de Poutine (2000-2008)
• Entre outre les nostalgiques de la grandeur de l’URSS peuvent en partie soutenir la politique de rétablissement international menée par Vladimir Poutine. Par « Etranger Proche », la Russie désigne les autres pays de l’ex URSS. Elle considère qu’ils relèvent de sa sphère d’influence naturelle et stratégique, comme l’Amérique pour les Etats-Unis avec la doctrine Monroe. Il y a donc différents cercles concentriques : le cœur russe, les périphériques russes du Caucase et de l’Asie centrale, puis les ex pays de l’URSS, et enfin d’autres alliés.
• La CEI, Communauté des États Indépendants (CIS en anglais), est mise en place en réalité dès 1991, avant même la dissolution de l’URSS par Boris Eltsine, soucieux de préserver les prérogatives dont bénéficiaient la Russie ; sans être un succès remarquable, la CEI a survécu jusqu’à nos jours, alors que la nouvelle union fédérative, trop contraignante, proposée par Gorbatchev n’a pas séduit.
• La CEI regroupe rapidement, bien que tous n’aient pas le statut de membre plein et entier (le Turkménistan est associé), tous les Etats de l’ex URSS hors de trois États baltes, les premiers à avoir fait sécession. La Géorgie adhère en 1993, contrainte par la Russie qui stabilise en échange via la CEI la situation en Abkhazie et en Ossétie du Sud. Dès 1992, est créée une armée ; il existe des missions de la CEI encore de nos jours ; celle en Transnistrie est l’une des plus anciennes. La même année, les États les plus proches de la Russie mettent en place l’Organisation du Traité de la Sécurité Collective, qui se veut le volet (encore plus) militaire de la CEI.
• Mais sur un plan économique, la CEI est un échec, n’empêchant pas l’établissement de barrières douanières entre les pays, que la Russie entreprend de négocier à son profit, affaiblissant l’économie de ses voisins ; la situation tchétchène et l’ambiguïté russe, par exemple à propos de la Crimée, poussent certains États à créer une autre structure de coopération, implicitement tournée contre la Russie, le GUAM, qui n’est plus guère actif de nos jours même s’il n’a pas été supprimé. L’intégration de la Biélorussie en Russie (unification) lancée à partir de 1995 ne se concrétise finalement pas.
• Vladimir Poutine entreprend de soutenir les Russes ethniques hors de Russie, pas nécessairement pour les faire revenir mais pour également affaiblir ses voisins et faire peser une menace sur eux. C’est ainsi que les Transnistriens en Moldavie, les Sus-Ossètes et les Abkhazes en Géorgie mais aussi dans une moindre mesure d’autres populations proches de Moscou se voient offrir très facilement des passeports russes. C’est un élément capital, qui permet à la Russie de souffler le chaud et le froid, de conserver un atout dans son jeu, notamment à propos des États non reconnus.
• Le début des années 2000 est marqué par deux dynamiques dangereuses pour la Russie : les révolutions colorées notamment en Ukraine (Révolution orange) et en Géorgie (Révolution des Roses en 2003, qui porte Mikhaïl Saakachvili au pouvoir) ; les nouveaux régimes sont plutôt hostiles à la Russie et à son ingérence et tournés vers l’Occident. Dans le même temps, l’UE et, ce que la Russie considère comme son volet militaire, l’OTAN, s’étendent à l’est, avec l’intégration au 1er mai 2004 de 7 anciens Etats du Pacte de Varsovie, dont 3, les États baltes, constituent une ligne rouge car ils faisaient partie de l’URSS, bien qu’ayant été indépendants pendant l’entre-deux-guerres et bien que ce soit les trois premiers Etats à avoir quitté l’URSS, qu’une grande partie des habitants percevait en colonisateurs. Le processus d’extension s’est poursuivi pour l’UE vers l’est avec la Bulgarie et la Roumanie. Les adhésions à l’OTAN ont parfois précédé l’adhésion à l’UE, notamment pour ces deux derniers, qui deviennent membre de l’OTAN dès 2004.
• Le pouvoir russe est cette fois bien plus puissant que dans les années 1990 et veut éviter tout basculement. L’Ukraine est victime des guerres du gaz à partir de l’hiver 2005-2006. La Russie utilise Gazprom comme bras armé pour faire pression sur l’Ukraine de la révolution Orange ; le tarif préférentiel dont elle bénéficie sera augmenté progressivement certes mais de manière très sensible pour rejoindre les cours mondiaux. On assiste ici à un renversement, entre autres liés à l’envolée du cours des matières premières, de la stratégie russe : la réduction consentie coûte en proportion de plus en plus cher par rapports aux marchés mondiaux qui s’envolent. Avec la fourniture d gaz subventionnée, le kremlin était déjà dans une stratégie de hard power puisque au sens de Joseph Nye la corruption et les moyens monétaires en font partie.
• Il s’agissait dans tous les cas d’empêcher une adhésion de l’Ukraine, le joyau notamment agricole de l’empire russe puis de l’URSS, le berceau d’une civilisation qui avait précédé la Russie mais en avait établi les fondements culturels, les Rouss’ de Kiev. Un basculement dans l’OTAN était impensable.
Une Russie toujours plus interventionniste pour préserver ses intérêts : 2008-2014
• En 2008, c’est un autre voisin russe qui donne du souci à Vladimir Poutine, la Géorgie, elle aussi tentée par l’éloignement (membre du GUAM). En 2004, le nouveau président M. Saakachvili avait repris une région tentés par le séparatisme, l’Adjarie et son dirigeant, Aslan Abachidze, avait trouvé refuge à Moscou. Début 2008, la situation devient extrêmement tendue en Géorgie avec l’Ossétie du Sud en particulier mais aussi l’Abkhazie ; M. Saakachvili entend appliquer la même stratégie du coup de force pour réintégrer la première dans le giron géorgien, quelques mois après le début de son second mandat, à l’été 2008. Saakachvili entedn aussi adhérer à l’OTAN, ce qui est impensable pour la Russie. L’annonce de l’adhésion à l’OTAN a été repoussée une fois déjà et est imminente. Le 8 août, alors que le monde entier a les yeux rivés sur l’ouverture des Jeux Olympiques de pékin où la Chine étale son soft power, la Géorgie lance l’assaut en Ossétie du Sud ; le rapport international établit clairement la responsabilité géorgienne dans l’attaque. Arguant de la protection des citoyens russes mais aussi de victimes dans la force internationale de surveillance parmi ses rangs, la Russie riposte lourdement. Mais l’arme russe était prête et riposte de manière disproportionnée ; en 5 jours, elle balaye la Géorgie, menaçant de la couper en deux en contrôlant la vallée centrale. Un cessez-le-feu est négocié sous l’égide de l’UE, dont la France assurait alors la présidence ; ce sont les accords Medvedev-Sarkozy, qui n’ont pas été vraiment respectés du côté russe.
• La Guerre des Cinq Jours d’août 2008 est la dernière guerre classique connue par le continent européen, l’avant-dernière celle du Kosovo en 1999. Or ces deux conflits ne sont pas complètement sans liens. Au printemps 2008 en effet, le Kosovo a proclamé son indépendance, rapidement reconnue par les États-Unis et une grande partie des États occidentaux et ce en dépit du droit international et des normes établies par la Commission Badinter et appliquées à la chute de l’URSS et de la Yougoslavie. Seules devaient être reconnues les entités de plus haut niveau, les Républiques fédérées. Or si le Monténégro, qui a pris son indépendance en 2006, était bien une République (qui avait chois ensuite de former une nouvelle Yougoslavie avec la Serbie) et pouvait reprendre son d’indépendance (c’était un ancien Royaume), ce qui n’a pas posé de problèmes même à la Serbie globalement, il n’en allait pas de même pour le Kosovo, qui était une province autonomie au sein de la Serbie. Cette dernière est l’alliée traditionnelle de la Russie dans la région, eu égard à des liens passant notamment par la proximité religieuse (les Serbes sont orthodoxes). La Russie a défendu son allié et Poutine a annoncé qu’il rendrait à l’Occident la monnaie de sa pièce.
• Après avoir pour la première fois envoyé des troupes chez un autre État en affaiblissant son intégrité territoriale, qu’elle devait défendre la Russie a décidé dans la foulée de reconnaître l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud comme États souverains. L’Ossétie du Sud avait un statut équivalent, quoiqu’un peu moins prestigieux à celui du Kosovo au sein de l’URSS (oblast autonome) ; l’Abkhazie, quant à elle, avait un statut comparable voire supérieur, d’autant qu’elle avait constitué un État par le passé (Antiquité et Moyen Âge) et que pendant les débuts de l’URSS elle a le Statut de République fédérée au sein d’une république fédérative de Géorgie où elle traite à égalité avec le reste de la Géorgie.
• Vladimir Poutine a atteint son objectif ; avec la présence de troupes sur son sol, il n’est plus possible à la Géorgie d’adhérer à l’OTAN. Vladimir Poutine a ensuite entrepris de favoriser la reconnaissance de l’Abkhazie été de l’Ossétie du Sud en s’appuyant sur ses réseaux (alliés latino-américains que sont le Venezuela et le Nicaragua) et en achetant cette reconnaissance par des dons ou des prêts à des micro-Etats désargentés comme Nauru et Tuvalu qui disposent d’une voix à l’ONU et de peu d’argent mais aussi peu de besoin eu égard à leur faible taille ; quelques millions peuvent suffire. La Russie a également entrepris de signer des traités avec l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, qui ont permis notamment d’établir des bases, en particulier en Abkhazie, qui représente la moitié du littoral géorgien. Constante de la géopolitique russe depuis le Grand Duché de Moscou au XVIe siècle et Ivan le Terrible, la course aux mers chaudes trouve ici un écho ; ainsi la Russie a-a-t-elle fait aménager le port d’Otchamtchira, qui sera naturellement libre de glaces toute l’année contrairement aux ports arctiques mais aussi du Pacifique nord voire de la Baltique hors Kaliningrad. La Russie sécurise ainsi son accès à la Méditerranée.
Les crises ukrainiennes : la stratégie du coup double et du défi face au reste du monde
• La Russie dispose pourtant d’un accès à la mer noire où elle peut construire sur son sol de sports mais la topographie s’y prête sans doute moins. La Russie disposait surtout d’une base principale à Sébastopol, en Crimée. Sébastopol est une base russe, où la Russie est souveraine mais pour une durée limitée. Or l’Ukraine rechignait a prolongé son bail à la fin des années 2000 ; l’Abkhazie offrait donc une excellente alternative en termes stratégiques, bien que moins confortable (il fallait tout aménager et Sébastopol a une ampleur importante). L’Ukraine a finalement cédé, octroyant le renouvellement e la concession jusqu’en 2052. Ces éléments sont essentiels pour comprendre la crise ukrainienne sur un plan géostratégique alors qu’ils ont peu été explicités dans les grands médias. La Russie a notamment voulu anticiper de nouvelles négociations dans quelques décennies où elle serait peut-être moins en position de force qu’au début des années 2010.
• Un scénario proche de celui de la révolution orange une décennie plus tôt se met en place. Une contestation populaire pro-européenne aboutit au changement d’un président pro-russe vers un président favorable à l’intégration à l’Union européenne. Or depuis l’indépendance du pays, l’Ukraine est confrontée à un clivage électoral, les régions de l’Ouest votant systématiquement majoritairement pour le candidat réputé pro-Europe tandis que les régions de l’Est, où la part de russophones est la plus forte, votent majoritairement en faveur de celui qui est le plus proche du pouvoir russe. Le départ de Viktor Ianoukovitch, « leur » président, a suscité des contre-manifestations dans les régions de l’Est, et en particulier en Crimée.
• Cette dernière est la seule région ukrainienne où la majorité absolue de la population est russe au sens ethnique (58,3 % selon recensement ukrainien de 2001 ; les Ukrainiens y sont d’autant plus minoritaires que la péninsule abrite une minorité importante, les Tatars, qui représentaient un peu plus de 12 % de la population. Le même recensement donne également près de 80 % d’habitants déclarant le russe comme leur langue maternelle, un record en Ukraine. Les habitants sont donc citoyens ukrainiens au regard du droit international mais la majorité d’entre eux est ethniquement et culturellement russe), une spécificité qui s’explique par une proximité géographique de la péninsule et par une présence russe ancienne eu égard à son caractère stratégique (La ville de Sébastopol est la principale base navale russe en mer Noire et elle bénéficie d’une situation de pointe de péninsule. Son statut était à part : de souveraineté ukrainienne, la base était concédée à la Russie jusqu’en 2017. En 2009 l’Ukraine semblait ne pas vouloir prolonger le bail au-delà. Vladimir Poutine avait alors menacé l’Ukraine d’éclatement [par sécession de la Crimée, avec soutien russe] en cas d’absence de compromis). La région avait été annexée en 1753 par Catherine II, et est restée russe pendant 200 ans, donnée à l’Ukraine en 1954 par Khrouchtchev. Cette décision du dirigeant soviétique était largement formelle à l’époque, même si elle facilitait la gestion des flux (la Crimée étant contiguë à l’Ukraine mais séparée de la Russie par la mer), puisque la Russie comme l’Ukraine faisaient partie du même État, l’URSS. L’agitation pro-russe de 2014 s’explique en partie par cette proximité historique de la Crimée avec la Russie et a été instrumentalisée par cette dernière.
• Le parlement de Crimée (Rada ; Depuis 1998, la Crimée bénéficie de son propre parlement comme république autonome au sein de l’Ukraine. Ce statut est un héritage indirect du statut équivalent dont elle bénéficiait en URSS (République socialiste soviétique autonome de Crimée) d’abord au sein de la Russie puis à partir de 1954 de l’Ukraine) a décidé de ne plus reconnaître le gouvernement ukrainien et de proclamer l’indépendance de la péninsule tout en organisant un référendum pour permettre un rattachement à la Russie. Les conditions de déroulement des votes, à la Rada pour préparer le référendum comme pour ce dernier, entachent la légitimité du résultat : question différente posée au référendum de celle prévue par la Rada, mise en place précipitée du scrutin, autorités largement impliquées dans la promotion du rattachement au détriment du camp adverse, absence d’observateurs internationaux impartiaux. En mars 2014, la Russie postsoviétique a pour la première fois formellement annexé une région étrangère, qui plus est en violant son engagement de défendre l’intégrité territoriale de l’Ukraine (Comme pour la Géorgie, la Russie est normalement garante de l’intégrité territoriale de l’Ukraine comme membre de la CEI. Par ailleurs, la Russie avait approuvé avec les États-Unis et le Royaume-Uni le mémorandum de Budapest en 1994, sur la défense de l’intégrité territoriale. Elle avait enfin entériné en 1997 la nouvelle répartition des pouvoirs entre la République autonome de Crimée et son Etat de tutelle, l’Ukraine.
• Le hard power se fait toujours plus dur, même s’il est vraisemblable que la majorité de la population de la péninsule n’était alors pas hostile à un rattachement à la Russie, ce qui a facilité les choses.
• Si la communauté internationale a protesté, la Russie a ensuite poursuivi ses actions de déstabilisation (Sans passer au degré 5 qui consisterait à annexer formellement un territoire où le soutien serait minoritaire) en Ukraine, dans les autres régions de l’Est, où il existait un potentiel d’agitation réel : les oblasts (régions) de Donetsk et Lougansk sont les seuls avec la Crimée dont la majorité absolue de la population déclare le russe comme langue maternelle (Respectivement 75 % et 69 % selon le recensement ukrainien de 2001). La Russie pouvait par ce biais poursuivre au moins trois objectifs. Le premier, scénario qui a pu être envisagé au début, est une intégration de l’Est de l’Ukraine à la Russie de la même manière que pour la Crimée. Cependant la Russie n’ignorait sans doute pas que le soutien y était plus faible, avec moins de 40 % de Russes ethniques dans ces régions (39 % dans l’oblast de Lougansk et 38,3 % dans celui de Donetsk), bien loin de la majorité absolue en Crimée. Peut-être tablait-elle sur un effet domino suite à la prise de la Crimée et sur le fait que la majorité de la population serait passive. Si tel était le cas, elle a cependant assez rapidement compris que l’annexion ne passerait pas facilement.
• Le deuxième objectif, bien développé dans les médias, est de déstabiliser l’Ukraine afin d’infléchir sa politique, selon une politique de hard power classique. Un dernier objectif potentiellement pouvait répondre à la stratégie du coup double : en déplaçant l’actualité brûlante sur le front du Donbass, la Russie faisait relativement oublier son annexion de la Crimée. Si ce n’était pas l’objectif, cela en fut en tout cas la conséquence. En quelques jours la crise de l’Ukraine de l’Est gagnant en intensité, l’attention médiatique s’est déplacée sur ce front, que la Russie continue d’entretenir depuis. L’annexion de la Crimée n’est pas reconnue ; mais en l’état actuel de la situation, la Crimée ne devrait pas quitter le giron russe avant longtemps. Le hard power russe a au moins atteint cet objectif-là.
La Russie et le monde, un retour difficile au statut d’hyperpuissance
La Russie en Afrique du Nord et au Moyen-Orient : une nouvelle Guerre Froide ?
• La Russie se rêve en superpuissance mondiale, comme du temps où l’URSS traitait d’égal à égal avec les Etats-Unis. Pourtant, la Russie a perdu de sa superbe ; certes, l’enseignement russe reste reconnu comme de qualité et les fils des dirigeants de nombreux pays peuvent encore faire leurs études à l’université Patrice Lumumba ou autres mais le prestige n’est plus tout à fait le même qu’avant 1991.
• Surtout, la capacité d’action de la réussite a été largement réduite. Le principal soutien de la Russie en Afrique du nord était la Libye ; l’Algérie, socialisante, reste plus distante et l’Égypte a basculé depuis plusieurs décennies dans l’orbite états-unienne bien que ce soit l’URSS qui ait dû financer en partie le barrage d’Assouan suite au refus des Etats-Unis et que le monument à l’amitié des deux peuples trône encore à proximité de l’ouvrage d’art. En 2011, la Russie laisse se mettre en place une zone d’exclusion aérienne pour protéger les civils face à Kadhafi, son allié empêtré dans le printemps arabe. Mais, comme la Chine, la Russie s’offusque de ce que le régime soit renversé, ce qui n’était pas l’idée présentée par la résolution à l’ONU. S’ensuit un sentiment de trahison.
• C’est cela qui explique la stratégie russe de soutien intransigeant à Bachar-Al-Assad en Syrie ; la Russie ne se fera pas avoir deux fois, d’autant que la Syrie offre un mouillage à la flotte russe en Méditerranée, ce qui est particulièrement stratégique, à Tartous.
• À cela s’ajoute l’hostilité virulente à l’égard de Daech ; des connexions importantes se sont en effet établies entre l’Émirat islamique et différents groupes du Caucase nord. La Russie entend stabiliser sa frontière sud sur le côté externe (Proche-Orient) mais aussi interne (Caucase Nord).
• Dans le contexte de la guerre contre Daech, un avion russe a été abattu par la Turquie en 2015, générant une crise diplomatique avec la Turquie. Cependant la Russie, isolée par les sanctions à cause de l’Ukraine et qui commencent à porter leurs fruits sur la population et les intérêts économiques des proches du pouvoir, s’est réconciliée assez rapidement avec Erdogan, parti lui aussi dans une dérive autoritaire.
• Une impression de nouvelle guerre froide se fait jour. On distingue un axe russe structuré autour de l’Iran, de la Syrie, de l’Arménie et soutenu par la Chine ; les Etats-Unis s’appuient sur l’Arabie Saoudite, l’Iraq nouveau qu’ils ont contribué à façonner et leurs alliés européens. Mais dans cette nouvelle guerre froide le Tiers-Monde est bien plus dispersé sur un plan spatial ; Israël est plutôt dans le camp occidental mais reste proche de la Russie (présence de nombreux juifs orthodoxes issus de l’ex URSS) ; l’Azerbaïdjan tergiverse, vendant son pétrole à l’Occident sans vouloir fâcher la Russie qui contrôle d’ailleurs une partie de ses exportations d’hydrocarbures. L’Inde fait des exercices militaires avec les deux camps.
Une grande puissance bientôt reléguée par la Chine et l’Inde ?
• La Russie s’inquiète surtout de la montée de la Chine ; si la Russie est troisième pour les dépenses militaires avec 70 milliards par an, la Chine fait plus de 3 fois mieux avec désormais 215 milliards (les Etats-Unis faisaient eux-mêmes près de 3 fois plus…). Son avance militaire est sur le point d’être perdue, même si le stock compense pour l’heure les flux défavorables. L’armée russe n’est plus aussi bien équipée que du temps de l’URSS. C’est l’armée qui, en temps de paix, connaît le plus grand nombre de morts parmi ses troupes, avec de nombreux accidents.
• Diplomatiquement et économiquement plus encore la Russie est dépassée par la Chine, qui est près de deux fois plus petites mais 10 fois plus peuplées, toutes ces limites expliquant que Michel Foucher ne classe pas la Russie comme puissance de premier ordre (même si la situation en Ukraine et la crise économique l’ont peut-être fait changer d’avis). La Chine lorgne sur la Sibérie et ses ressources minérales voire, de plus en plus avec le changement climatique, agricoles. Les investissements chinois sont forts ; la main-d’œuvre chinoise est très présente. Les Russes sont peu nombreux et les Russes ethniques plus encore puisque la Sibérie abrite des peuples autochtones. Le pouvoir russe tente de contenir une sinisation massive de la région, l’asymétrie risquant de lui faire perdre à terme la région (principe de l’uti,possidetis juris).
• L’Inde est moins menaçante sur un plan militaire et reste un grand client de l’industrie militaire russe ; mais l’Inde s’est bien diversifiée, intéressée par des produits états-uniens, français (Rafales) et autres ; surtout le make in India devrait faire du premier importateur net d’armes il y a peu un producteur majeur d’ici à 3 ans. L’Inde sera donc indépendante militairement de la Russie ; plus de 10 fois plus peuplée même si bien plus petite. La croissance de l’Inde comme celle de la Chine sont fortes tandis que la Russie est désormais faible voire négative (récession, avec les sanctions et la crise mondiale). La Russie ne bénéficie d’un immense marché intérieur ; surtout, contrairement à la Chine et l’Inde, ses revenus sont fondés sur une exportation de produits peu transformés, même si son industrie de la défense et agroalimentaire est puissante. La transformation, la montée en gamme de l’économie est inachevée. L’Inde et la Chine sont aussi très présentes en Afrique, alors que la Russie y est très largement absente, en net recul (inversion) depuis l’URSS.
• Les BRICS ont vu leur pouvoir (et leur contribution financière) relevés dans les institutions financières internationales ; mais la Russie est un pays difficilement réémergent plus qu’un émergent (même si l’adjectif « émergent » peut être dicté aussi dans le cadre de la Chine et l’Inde, qui étaient au XVIe siècle de loin les plus grandes puissances mondiales). La solidarité entre les BRICS est illusoire.
• La Russie s’est associée à la Chine dans le Groupe de Shanghaï (créée en 2001, mais qui prend son essor 10-12 ans plus tard) mais elle tente de résister à ce dernier pays. L’union eurasiatique est une de ces tentatives…
• En Amérique Latine, le Brésil s’affirme comme un pôle ; Cuba semble en voie de normalisation avec les Etats-Unis. Le Venezuela s’enfonce dans la crise.
• Poutine a verrouillé le pouvoir ; il reste populaire, sait se mettre en scène, en sportif, etc. mais il n’est pas éternel ; sa disparition pourrait infléchir la politique russe mais aussi faire renaître les ambitions étouffées en Tchétchénie ou ailleurs.