L’ouvrage est un recueil d’articles d’hommages  à Claude Lepelley qui portent sur le concept de romanisation. L’introduction résumé ici est très riche et très utile pour comprendre ce que représente la diffusion de la civilisation romaine dans le monde dominé par Rome. Les contributions rassemblées ici mettent en évidence l’importance centrale des valeurs et des idéologies civiques dans le monde romain. Cette fiche accompagne parfaitement une autre fiche sur La transmission de l’idéologie impériale dans l’Occident romain. mais aussi l’article de Patrick Le Roux sur la « romanisation en question » et l’introduction de l’ouvrage de Patrick Le Roux: Romains d’Espagne (Armand Colin, 1985).

 

Introduction, Hervé Inglebert

Dès le début du livre, tout est dit : « La grandeur historique de Rome n’est pas tant d’avoir conquis un empire que d’avoir réussi à le transformer en un monde unifié par une civilisation partagée ».
Cette transformation passe par l’extension du modèle de la cité, cellule administrative de l’empire. C’est la diffusion du monde des cités qui explique que l’imperium romanum ait pu durer si longtemps, jusqu’à se rêver éternel. Mais ce modèle civique ne fut pas seulement une solution administrative pour assoir le pouvoir de Rome ; ce fut aussi le moyen de diffusion d’une civilisation gréco-romaine qui devint la norme culturelle commune. La cité est donc l’élément essentiel de compréhension du monde romain, sans être le seul.

3 types d’idéologies dans le monde romain, selon l’échelle :
De type hégémonique, qui justifie une domination à l’intérieur du monde romain, comme l’esclavage d’étrangers, la domination politique des aristocrates sur les citoyens, l’exclusion de certains citoyens du jeu politique (civitas sine suffragio).
De type politique, qui concerne les citoyens romains dans leur relation avec le pouvoir qui justifie soit un programme de magistratures soit l’exercice solitaire du pouvoir sous l’empire.
De type civique, qui concerne l’ensemble des citoyens en tant qu’ils forment une communauté. Ceci renvoie au dernier sens de l’idéologie, celui de « système global d’interprétation du monde historico-politique » (Raymond Aron), de modèle politique partagé, qui explique les comportements individuels ou collectifs. C’est la signification des « valeurs civiques » qui fondent le consensus des citoyens et l’acceptation du pouvoir des magistrats.

 

L’empereur, ses concitoyens et ses sujets, Paul Veyne

« L’empereur n’occupe pas le trône comme propriétaire, mais comme mandataire de la collectivité, chargé par elle de diriger la République ». Le pouvoir impérial est une délégation. La succession des Césars apparaît donc comme « une chaîne perpétuelle de délégations » (G. Dagron). Par conséquent, il y a discontinuité entre les empereurs, comme entre magistrats.

Cette doctrine de la souveraineté populaire, qui est restée en vigueur jusqu’à la fin de l’empire byzantin, signifie que le trône n’est la propriété de personne. La célèbre haine des romains pour le mot de Roi est là ; les Romains ne sont pas les esclaves d’un maître.

Il ne reste au Sénat qu’à légitimer les coups d’Etat vainqueurs. Par peur des guerres civiles, on accepte donc de recourir à la solution la moins coûteuse et la plus « naturelle » : qu’un descendant du prince prenne la suite de son père ou de son parent. Toutefois, une décision trop naturelle pourrait rappeler la Royauté : le fils naturel de l’empereur est donc exclu par nature du trône.

L’un des devoirs de tout empereur est alors de préparer la transmission pacifique. Parfois en hâte : Galba adopte Pison, Othon se prépare à adopter son neveu, Vitellius présente son enfant à ses soldats. Si l’empereur peut transmettre son pouvoir sans anicroche, c’est l’achèvement d’un règne réussi.

La succession non-naturelle anticipée est donc bien acceptée, mais doit être sanctionnée par le peuple. Comment se traduit réellement ce principe de la souveraineté populaire ? comment devient-on empereur ? il faut renoncer à chercher du droit public, des règles, une base légale ; il n’y a que des rapports de force.

Théorie d’Egon Flaig : le prince désigne son fils, une intrigue propose le fils d’un préfet du prétoire, une réunion de l’Etat-major choisit en hâte le successeur de l’empereur décédé ou une armée désigne son chef en le saluant du nom d’imperator. Les soldats ont ainsi joué leur partie dans le futur consensus, le Sénat et le peuple sont assurés à le rejoindre. Après la désignation vient le vote des privilèges, le vote de l’imperium, la puissance tribunicienne, le don du grand pontificat… donc en pratique, l’accord consensuel du sénat et de l’armée crée un empereur. Mais ni la salutation par l’armée, le sénat, le vote des comices, n’ont de valeur proprement légale. Ils sont la petite monnaie du consensus universorum qui seul incarne la vraie légitimité. Après la chute d’un mauvais empereur, on ne dira pas qu’il a pris le pouvoir illégalement ou sans l’aveu du Sénat, mais qu’il n’a pas été salué et reconnu par le consensus universorum. Le sénat ne peut que faire nommer d’empereur que quand un prétendant est déjà en piste et c’est un fait décisif !

Ce consensus n’a jamais été qu’un consentement muet ou impuissant à un coup de force. Les cérémonies ne sont qu’idéologiques. On peut conclure avec Tacite que le Principat repose sur un mensonge selon lequel les empereurs sont choisis librement et ratifiés légalement. En réalité, à la mort d’Auguste, Tibère tient déjà l’empire en main ; les 4 semaines pendant lesquelles il affecte d’hésiter et de consulter le sénat ne sont jamais que la comédie bien connue du refus du pouvoir.

Tout empereur doit continuer, sous peine de mort, à mériter le consensus qui l’a désigné. Sous l’Empire, le mot de République ne cesse jamais d’être prononcé, ce n’est pas une fiction. Un empereur est au service de la République. Il ne règne pas pour sa propre gloire, à la façon d’un roi, mais pour celle des Romains. Pour les panégyristes, le mérite d’un prince n’est pas d’avoir été grand ou bon, mais d’avoir sauvé ou restauré la République. Le régime impérial ne maintient pas sa façade républicaine par une fiction, mais aux termes d’un compromis.

Le prince est tout-puissant. Son pouvoir est le plus absolu. Sans partage ni reddition de compte. Seule l’autolimitation limite cette toute-puissance. La cause en est la conception romaine de l’imperium, puissance absolue et complète mise aux mains d’un seul homme au lieu d’être partagée.

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