Patrick Le Roux propose, dans le volume 8 de la « Nouvelle Histoire de l’Antiquité », une synthèse complète de la période du Haut-Empire occidental jusqu’à la fin des Sévères. La fiche présentée ici ne concerne que la première des deux parties de l’ouvrage. Il s’agit d’une approche chronologique et fournit un certain nombre de repères importants permettant de comprendre les deux premiers siècles de l’Empire romain. L’approche insiste sur la supériorité de l’armée romaine et la diffusion de la civilisation de Rome auprès des populations provinciales, permettant au centre impérial de conforter sa conception de « centre de l’écoumène ».
La fiche ne comporte donc pas de développement sur la 2e partie de l’ouvrage, plus thématique et centré autour des sociétés romano-provinciales. Pour une étude de la partie orientale de l’Empire romain à la même période, se référer à l’ouvrage suivant, dans la même série, rédigé par Maurice Sartre: Le Haut-Empire romain. Les provinces de Méditerranée Orientale d’Auguste aux Sévères.
Espaces, statuts et territoires : Rome et les autres
Actium le 2 septembre 31, prise d’Alexandrie le 1er août 30, le centre romain n’a alors plus à craindre pour son hégémonie. Le point de vue impérial, modelé par le regard d’Auguste, impose une vision hiérarchisée et ordonnée du monde, héritage du passé conquérant influencé par l’hellénisme et nouvel ordonnancement conforme aux exigences de la monarchie.
La représentation romaine s’affirme de plus en plus forte, alors même que la conquête romaine continue et que l’empereur organise les possessions ; le critère de l’ancienneté provinciale devient alors essentiel, dès lors qu’on accepte la domination romaine pour conserver ses avantages, et s’est combiné naturellement avec celui de la taille et de l’importance historique de la province dans une classification fondée sur le modèle romano-italien de civilisation. Dans l’ordre des conquêtes, les îles, puis l’Espagne, puis la Gaule Cisalpine intégrée enfin en 170, l’Afrique en 146, mais doit attendre César pour s’agrandir de la Numidie et de la Tripolitaine. La Narbonnaise en 121 est « rédigée en forme de province » (c’est comme ça que les auteurs anciens disent, redigere in formam provinciae), sert de base à la conquête des Trois Gaules par César. La Cisalpine est divisée entre Cispadane et Transpadane (car le Rubicon cesse d’être la frontière qui est repoussée jusqu’aux Alpes) et obtient en 42 la naturalisation complète, unité avec l’Italie qu’il faut alors protéger : de là les expéditions en Illyrie, depuis 229, mais ce n’est qu’entre 35 et 9 après que les provinces de Dalmatie et de Pannonie prennent forme dans le contexte de pacification des Alpes et du secteur danubien. La Rhétie, le Norique, les Alpes pennines et les Alpes maritimes, sans oublier le royaume client de Cottius ou Alpes cottiennes, représentent un effort prolongé de pacification jusqu’à Tibère. Sous Caligula et Claude, les armées vont en Maurétanie, sous Claude et Domitien en Bretagne, sous Domitien la Germanie provincialisée, sous Trajan la Mésie et la Dacie.
Grande hétérogénéité des régions : certaines n’ont été explorées qu’à la faveur des opérations militaires, il faut attendre Agricola pour une reconnaissance complète des contours de l’île de Bretagne. A l’inverse les anciennes provinces se sont vite romanisées. Beaucoup de territoires ont, quoi qu’il en soit, des rapports avec Rome et l’Italie. Mais plus lent quand on est loin de Rome, à l’intérieur et aux confins des terres de l’Empire. Les schémas de conquête se répètent alors, confronte encore Rome à des populations et des cultures aussi originales que vivantes. C’est donc à Auguste que revient l’obligation d’opérer la synthèse, de fixer un statut politique et administratif aux territoires, aux peuples et aux communautés.
La conquête romaine a affiné et enrichi la connaissance des mondes périphériques et extérieurs au monde méditerranéen. Le malheur est que les peuples conquis ont forcément utilisé l’écrit, mais que les inscriptions ont souvent disparu, car utilisé dans d’autres buts que les romains, et que pour les connaître nous n’avons généralement que le POV du conquérant.
Ils font surtout la différence barbare/civilisé : le langage utilisé est souvent stéréotypé et tend à mettre en exergue la supériorité des valeurs romaines prolongeant celles de l’hellénisme. Les descriptions demeurent succinctes, et l’acharnement des luttes illustre la puissance et le courage, plus qu’il ne montre une analyse des institutions et des sociétés. Les auteurs pour les connaître : Diodore, Strabon, Ptolémée, Dion Cassius écrivent en grec, César, Tite-Live, Velleius Paterculus, Pline l’Ancien (indispensable pour connaître la répartition ethnique et politique des populations de l’Empire), Tacite, Florus, en latin. Et ils utilisent eux-mêmes des sources perdues : les récits de voyage des géographes, des historiens, des voyageurs marchands, comme les archives romaines et impériales (ce qui montre une vraie utilisation de l’écrit), parfois leur expérience personnelle. Pour les peuples eux-mêmes, la seule étude précise est la vie d’Agricola, et La Germanie, de Tacite.
Retracer l’évolution de ce regard conquérant : pour César et Strabon, recours au lieu commun pas incompatible avec les remarques plus personnelles ou les informations concrètes. Célèbre comparaison des gaulois et des germains, qui permet à César de différencier les seconds comme barbares. Il décrit la sauvagerie germanique, et souligne alors le rôle de Rome comme facteur d’évolution. Même Strabon les voit comme féroces et insensibles. Mais ils admettent tous deux qu’un changement est possible, la monarchie augustéenne en instaurant la paix ouvre un avenir sans histoire sous le signe de la civilisation à tous les peuples dominés et vivant hier encore dans l’instabilité et la barbarie.
Un siècle plus tard, Tacite transmet les mêmes jugements. Toutefois, la Germanie n’est plus seulement une curiosité mais bien une actualité. Il utilise l’ouvrage perdu de Pline l’Ancien, de 20 livres sur le sujet, et les sources grecques traditionnelles. Et complète par les rapports des légats et officiers qui ont combattu dans ces régions tout au long du Ier siècle. Cependant, la philosophie de l’ouvrage est autre : en partie motivée par une réflexion sur l’impuissance de Rome à assimiler les barbares germaniques, à poursuivre la conquête ; elle exprime en filigrane un jugement sur l’Empire livré aux appétits du pouvoir monarchique soucieux d’asservir. Car malgré leur caractère barbare, ils restent attachés à la défense de leur liberté, qui est comprise comme le bien suprême par Tacite. Mais la capacité de Rome à mériter la faveur des dieux passe par la question des autres. Tacite traduit la perplexité de certains esprits face à une expansion de plus en plus laborieuse, et rappelle que la paix est indissociable de l’évolution des barbares eux-mêmes.
L’époque impériale met surtout en valeur les divergences entre l’empereur et les sénateurs qui bloquent l’impérialisme. Discours de Claude en 48 lors de sa censure, affiché sous forme d’une table de bronze près de Lyon supporte cette conclusion. Dans contexte de l’admission de gaulois au Sénat, l’empereur se réclame d’une politique d’ouverture inscrite dans l’histoire de la cité romaine, récuse le conservatisme de l’aristocratie et sa défiance envers ses anciens ennemis vaincus. Il rejette l’objection d’un risque de voir les provinciaux devenir très puissants et se retourner contre leurs protecteurs et maîtres. L’hostilité sénatoriale reste forte, surtout contre les conquêtes accélérées qui révèlent davantage l’ambition et le pouvoir des chefs militaires que la nécessité d’une extension territoriale de l’Empire.
Donc des discours multiformes sur la conquête, l’assimilation des provinciaux et des peuples non conquis, malgré un romanocentrisme commun.
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