Auteur
Nicolas Patin est un ancien élève de l’Ecole normale supérieure de Lyon, aujourd’hui agrégé et docteur en histoire contemporaine. Sa spécialité est l’histoire allemande de la république de Weimar et du IIIème Reich.
C’est donc tout naturellement que le sujet des deux grandes guerres, si dévastatrices pour l’espace européen et notamment l’Allemagne, était un point des plus essentiels de sa spécialité.
C’est ici sa thèse de doctorat que nous livre Nicolas Patin avec son œuvre La catastrophe allemande 1914-1945.
Œuvre
Son sujet : La catastrophe allemande 1914-1945 est une étude sur cette période si particulière qui mena l’Allemagne d’une guerre à l’autre par différents mécanismes bien spécifiques qu’il étudie en profondeur. Mais loin de se cantonner à un simple redit de la guerre racontée dans des ouvrages scolaires, il analyse le parcours des 1674 membres du Parlement sous la République de Weimar, puis sous l’Allemagne hitlérienne : c’est donc du point de vue de l’intériorité politique que la guerre est abordée : comment elle se prépare, comment elle se vit, chez ces parlementaires représentant l’Allemagne.
Sa publication : L’ouvrage est très récent, ayant été publié en 2014 par la maison d’édition Fayard.
Sa pagination et ses suppléments : Le texte compte en lui-même 247 pages et il atteint 328 pages en comptant annexes (sous la forme de 3 tableaux), remerciements, notes, sources et bibliographie et remarques méthodologiques.
Son plan : Le livre se divise en trois grandes parties, elles-mêmes subdivisées en chapitres :
Première partie : Dans les orages d’acier
Chapitre premier : Une expérience de guerre, p. 17
Chapitre 2 : Des expériences de guerre, p. 47
Deuxième partie : Weimar ou la crise permanente
Chapitre 3 : L’absence de changement politique, p. 81
Chapitre 4 : Les réussites politiques de la République, p. 113
Chapitre 5 : La crise parlementaire, p. 129
Chapitre 6 : La conquête nationale-socialiste, p. 147
Troisième partie : Les parlementaires et la victoire nationale-socialiste
Chapitre 7 : A feu et à sang
Chapitre 8 : La destruction de la gauche allemande, p. 187
Chapitre 9 : Résistance et accommodements
Chapitre 10 : Les députés nationaux-socialistes et le sens de la guerre, p. 225
Ses sources : Nicolas Patin a étudié les archives allemandes et internationales : 130 fonds d’archives et de mémoires publiés par des députés de la République de Weimar, mais aussi les débats de séances plénières du Reichstag ont composé ses sources entre fonds privés, souvenirs, archives en ligne et sources publiées.
Résumé
1918, 1945 : ces 2 dates sont connues de tous pour des raisons bien spécifiques : elles représentent toutes deux la fin des deux plus grandes guerres mondiales, synonymes de millions de morts, de dévastation matérielle et territoriale, de massacre à la fois physique et moral pour un ensemble des pays du monde. Mais si tous les programmes évoquent ces dates charnières, la période de cet entre-deux guerre est moins développée. Or, la continuité entre ces 2 événements majeurs du XXème siècle est un fait avéré. En effet, la période de 1918 à 1945, du début de la république de Weimar avec Ebert jusqu’à la chute du parti national-socialiste en 1945 à la fin de la Seconde Guerre mondiale, a été par beaucoup perçue comme une « guerre de trente ans », un enchaînement de faits qui mène d’une Grande Guerre à une nouvelle guerre mondiale. Nicolas Patin a ici voulu analyser un point de vue plus particulier et plus restreint, mais pourtant essentiel : l’évolution des parlementaires, représentants du pays sous la république de Weimar, qui ont mené le pays de cette Grande Guerre, première expérience d’une guerre mondiale, jusqu’à l’élaboration d’un régime politique criminel entraîné par Hitler, qui aboutit à une seconde guerre mondiale avec pour objectif l’extermination de la population juive et des opposants politiques. Quelles sont les responsabilités de ces « guides » du pays ? Comment ont-ils vu, ou non, se forger la vague préparant cette catastrophe allemande ? Comment vécurent-ils finalement cet épisode de guerre si violente ? Le livre souhaite prendre un point de vue différent de l’habituel, en se focalisant sur le vécu non pas de l’ensemble des populations, mais de ceux qui justement étaient au cœur politique et médiatique de tous les partis, avant la dictature nationale-socialiste.
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Le départ à la guerre et les conditions de vie durant ces 4 années sont vécues, comme dans chaque pays, très difficilement par le peuple allemand. Si cela aurait pu mener à une uniformisation, car tous étaient égaux face aux balles et à la fatalité des obus, rien ne se passe de la sorte. La défaite vient en effet fragmenter cette expérience commune, l’espoir d’une Allemagne unie. L’amertume collective ne fait qu’accroître les divisions qui régnaient déjà entre les parlementaires : « Nous avons combattu et vécu en vain… » témoigne l’un des soldats.
En effet, la société allemande est divisée entre des identités culturelles et sociales bien ancrées. Ouvriers, aristocrates, catholiques, protestants, urbains, ruraux : tout sépare les membres du Reichstag. Au sein de l’Allemagne, l’entrée en guerre n’est pas vécue de la même façon : entre engouement du sacrifice pour le pays et résignation du devoir, tout fonctionne comme si le pays ne pouvait réussir son unité que dans la guerre. L’appartenance de classe détermine le grade : au front ou à l’arrière, les ressentis s’opposent donc. Si les hauts gradés peignent un tableau idyllique des relations avec les soldats, la réalité est loin d’être telle : il n’y a pas cette cohésion idéale, cette image de la grande famille. Les insultes et brimades vécues par les ouvriers et militants socialistes entraînent au contraire une puissante haine contre les généraux. Il existe donc une guerre sociale où chacun est plus ou moins exposé au danger et à la solidarité selon sa classe sociale. De plus, la guerre a un but différent en fonction des hommes : si un espoir de justice sociale est véhiculé à la fin de la guerre chez les hommes du Centre, bourgeois démocrates et ouvriers qualifiés, c’est une guerre négative pour l’extrême gauche, et elle n’a été qu’un moyen de prendre les armes contre la bourgeoisie pour les communistes.
Si l’Allemagne est déjà divisée par ses identités de classes à l’entrée en guerre, la fin de celle-ci ne la mène pas à une unification, mais renforce encore plus les antagonismes. Les vécus de guerre sont différents et la défaite sépare l’expérience commune qui aurait pu se développer dans les mémoires.
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De l’armistice au traité de Versailles, l’Allemagne vit sous le régime de l’espoir et de l’illusion. La guerre, déclarée ingagnable le 29 septembre par Ludendorff, laisse place à un changement de régime : une monarchie constitutionnelle est née. Mais suit une période de troubles intenses : la révolution commence, ce qui finira par faire abdiquer Guillaume II ; la République est mise en place. Pour la droite monarchiste, il n’y a plus rien à quoi se raccrocher ; pour les anciens libéraux, une fragile réconciliation avec la république est envisagée ; pour les partis centraux, c’est une victoire en demi-teinte : chaque parti vit différemment ce changement. Mais l’Allemagne partage cependant un rêve commun, celui d’une paix juste. Pourtant, le 7 mai 1919 sonne comme un réveil traumatisant : les conditions du traité de Versailles sont extrêmement dures et personne ne les avait soupçonnées telles. Les partis sont restés des partis de classe, les origines sociales et religieuses s’entremêlent pour former des partis aux identités très marquées, et les groupes parlementaires en sont le miroir : l’incapacité au compromis persiste de l’Empire à la République. L’évolution de la mentalité des partis politiques face à ce nouvel Etat n’a pas lieu. La République connaît 20 gouvernements en 14 ans ; on parle d’irresponsabilité politique. La défaite n’aboutit pas à une lecture commune : entre le mythe qui s’élève à droite du « coup de poignard dans le dos » donné par les socialistes, communistes et Juifs de l’arrière qui furent des « influences démoralisantes » pour le front, et « la faute aux révolutionnaires » pour la gauche, l’Allemagne vit une période de désaccords profonds. Hitler lance un putsch, les communistes un coup de force : en 3 semaines, la République connaît 2 tentatives de déstabilisation violentes.
Lentement cependant, les députés communistes s’intègrent à une pratique quotidienne de l’exercice législatif et de la sociabilité parlementaire, malgré leur antiparlementarisme. Leur but est la mort du Parlement par la doctrine de l’obstruction et de l’entrisme. On profite aussi des transports gratuits pour les tournées de propagande. S’ils tentaient d’empêcher le Reichstag de fonctionner, la République et le Reichstag parvint quand même à assimiler un fort groupe parlementaire communiste par l’humour, le travail quotidien et la sociabilité. Mais ce ne fut pas le cas pour la droite.
La crise du Reichstag est déjà en marche avant la percée d’Hitler. En effet, le Parlement subit un manque de culture parlementaire des députés : la participation à l’Assemblée est synonyme d’ennui : « machine à voter », ce « parle-parle-parlement » n’est pas la fonction principale des députés : c’est l’exemple de Luppe qui est à la fois député et maire, ce qui lui prend temps et d’énergie. L’engouement pour l’Assemblée n’est pas grand, d’autant plus que les députés refusaient tout compromis. Enfin, les scandales entachèrent le Parlement. L’affaire Barmat et Sklarek fut un élément qui permit aux nazis de prendre la main : dans leur propagande, ils insufflent la vision de Juifs vus comme profiteurs, corrompus, ce qui ouvre la voie à la protestation. Dans un contexte de crise profonde du monde rural en Allemagne, de crise du protestantisme et des premiers impacts dévastateurs de la crise de 1929, le NSDAP fait une percée extraordinaire et inattendue, passant de 12 à 107 députés au Reichstag, combinant 32% d’antiparlementaires à l’Assemblée, ce qui annonce un grand danger.
Les nazis défendaient corps et âme l’antiparlementarisme. Ils utilisaient les armes de l’obstruction et de l’utilitarisme. Hitler, lui, défendait l’image du Führer, un régime dictatorial fondé sur le charisme d’un seul homme providentiel. Pour lui, participer au Reichstag c’était profiter de la carte de transports gratuite et de l’immunité. Nombreuses furent les interruptions tellez que « Envoyez donc les Juifs dans une synagogue ! » en plein milieu de séance plénière. C’est bien la guerre qui a donné naissance à l’engagement politique nazi : les jeunes n’avaient vécu qu’une expérience formatrice, celle des tranchées. Pour la plupart fils de militaires, tuer se révélait presque leur profession et ils étaient incapables de se désarmer : difficile était la reconversion d’une armée en guerre dans laquelle ont servi 13,1 millions de soldats. Les nazis dénonçaient la gérontocratie du système républicain. A l’extrême-droite, au sortir de la guerre, on prône le mythe du « coup de poignard dans le dos » et on efface toute autre interprétation de la guerre. Le culte de la jeunesse et le mythe revisité et usurpé du soldat héroïque se développent. Si les nationaux-socialistes ont réussi à enrayer la machine législative, c’est aussi par le décloisonnement de l’espace du sacré, en confrontant la rue et l’espace de la loi. Violence et attaques se développent au sein de l’Assemblée, orchestrées par les cohortes nazies, pendant que le parti conquiert de plus en plus l’électorat. Il est plus difficile pour les autres partis de résister qu’à la période où les députés nazis n’étaient que 12. Le 30 janvier 1933, Hitler est nommé chancelier. Si les chefs des partis conservateurs pensaient pouvoir le contrôler en l’intégrant au gouvernement, ils font erreur. La guerre contribua à répandre dans les imaginaires collectifs l’idée que le compromis était un signe de faiblesse et que la force et la décision d’un seul valaient mieux que la discussion et le consensus d’une pluralité de voix. Les destins de 1674 hommes et femmes du Parlement allemand se séparèrent et l’institution disparut.
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Peu après la prise de pouvoir d’Hitler, le Reichstag brûle le 27 février. Il devient peu à peu certain que les nationaux-socialistes eux-mêmes ont provoqué cet attentat, se servant de ce prétexte parfait pour faire entrer l’Allemagne dans une dictature. Le 23 mars sont votés les pleins pouvoirs d’Hitler au Parlement. C’est un suicide politique. La loi est ratifiée finalement, dans un vote où même les absents furent comptabilisés. Cette décision met définitivement fin à l’ordre parlementaire weimarien. 92,1% des voix allèrent au NSDAP. Le Parlement devint péjorativement « la plus grande chorale d’Allemagne », lieu privilégié de discours d’Hitler. Il y déclara la guerre à la Pologne le 1er septembre 1939. C’est à l’opéra Kroll qu’il lança sa prophétie contre les Juifs le 30 janvier 1939 en réclamant l’anéantissement de la race juive en Europe. Durant 14 ans, la 1ère démocratie allemande avait réussi à unir des partis ennemis par le biais des 1674 députés. Mais, une fois au pouvoir, Hitler fait voler en éclat les restes de cette démocratie. Trois chemins sobt tracés pour ces députés. La répression pour les opposants, les ennemis du NSDAP, contraints à l’expulsion, à la mort. La collaboration et l’indifférence ou l’éclipse pour ceux du centre, pendant que la perspective du pouvoir, du meurtre et du suicide se dessinent pour les députés nationaux-socialistes. Si certains subirent la domination en silence, d’autres adhèrirt pleinement au régime.
Des camps de concentration sont ouverts pour les opposants politiques, les députés communistes, suivant la même logique que pour les Juifs. Pour ceux qui peuvent fuir, l’exil est une obligation : dans les capitales européennes par exemple, fuyant peu à peu à chaque conquête de l’armée hitlérienne. Dans les camps de concentration, les députés sont tondus. On s’amuse de cette dégradation : c’est l’exemple de Löbe qui garde pendant une semaine le crâne à moitié tondu. Humiliation, sadisme, mauvais traitements : ces hommes enfermés étaient quelques mois auparavant au centre de l’appareil d’Etat et de l’attention publique. Quand ils sont libérés, ces députés gardent de lourdes séquelles et fuient l’action politique. Aucun gouvernement provisoire en exil ne voit le jour.
Pour les hommes politiques des autres partis, il faut collaborer ou quitter la vie politique. Nombreux sont résignés, deviennent passifs face aux événements. Le IIIème Reich n’aurait pas survécu sans un consentement minimal. En achetant le consentement sur les points essentiels de la vie quotidienne des Allemands, les nationaux-socialistes s’assuraient l’indifférence sur d’autres points telle la question raciale. La Nuit des Longs couteaux le 30 juin 1934 est une purge interne, l’occasion d’assassiner les rivaux les plus dangereux. De nombreux députés perdent leur mandat, leur gagne-pain, leur raison de vivre ; le régime évolue très vite vers la dictature.
Pour des milliers de gens, Hitler était un espoir d’en finir avec le système weimarien. Mais le IIIème Reich apparaît bien désorganisé, tel un chaos organisé en féodalisme. Le régime nazi, en politisant la guerre industrielle, en a fait une guerre totale. L’idéal soldatesque prôné n’est plus le même que celui de la Grande Guerre : s’y est ajouté l’imaginaire du combat national-socialiste pour la vie et la race qui justifierait le crime de guerre. Hitler voulait purifier l’Allemagne. A la fin de la guerre, la population juive est divisée par deux. Les grands dirigeants se suicident : Hitler, Goebbels, Himmler sont les plus connus. Mais le peuple allemand aussi garde des séquelles, et enregistre une vague de suicides importante. Ce qu’avait évité l’Empire, le IIIème Reich l’apporte : la destruction, 9 millions de morts, une Allemagne occupée et divisée. Obsédés par la défaite de 1918 et le traité de Versailles, les nationaux-socialistes ont ramené l’Allemagne de la guerre à la guerre.
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Pour conclure, l’Allemagne weimarienne et son système parlementaire n’ont pas réussi à perdurer : ll’opposition entre les partis de classe de la société allemande ne put trouver un compromis dans cette institution qui n’était peut-être pas assez soutenue par les députés eux-mêmes. Il n’a surtout pas réussi à trouver le chemin de l’adaptation à une nouvelle société de masse, ce qu’a parvenu à faire le parti national-socialiste en imposant sa vision de la guerre pour finalement conquérir les voix d’une société allemande bien trop divisée. Les députés furent alors confrontés à de bien difficiles conditions sous un régime dictatorial empreint de vengeance et de sadisme envers eux comme envers les Juifs. L’expérience de guerre, vécue si différemment par ces partis de classe, a été loin d’entraîner une mémoire commune, mais a plutôt poussé à un approfondissement des antagonismes et des oppositions dans la société allemande.
Appréciation
L’intérêt de ce livre est son caractère novateur : à travers la vision des parlementaires, on voit ce qui se passe du côté politique intérieur de l’Allemagne. C’est une lecture qui s’éloigne des redits scolaires qui ne font que présenter l’horreur de la guerre : ici, on est face à une analyse sociologique du vécu d’une composante bien particulière de l’Allemagne, ses représentants politiques. De plus, l’on peut apercevoir de ce fait comment le Reichstag a laissé le parti national-socialiste prendre une place en son sein, et se développer de plus en plus fortement : c’est à cause de l’absence de culture de recherche d’un accord et parce que le parti nazi ne représentait au départ qu’une vision de plus dans une pluralité d’autres visions, qu’on ne lui a pas prêté attention avec toute la vigilance qu’il aurait fallu. Le contexte d’arrivée progressive au pouvoir d’Hitler est ici évoqué en détails. Ensuite, ce livre se révèle d’un accès facile : sans trop de connaissances, on peut s’attaquer à sa lecture.
Cela dit, Nicolas Patin précise lui-même dans ses remarques méthodologiques que ses sources n’étaient pas de provenance équilibrée : la place des écrits communistes est supérieure à leur place réelle au Parlement sur la période, ce qui peut bouleverser quelque peu les conclusions tirées. Au contraire, le parti catholique et le SPD sont sous-représentés. De plus, il dit n’avoir pas consulté la presse de l’époque : le point de vue du peuple aurait pu être évoqué en parallèle du vécu des parlementaires.
Enfin, Nicolas Patin s’appuie sur des sources très nombreuses, comme le montre la place accordée à ces dernières dans le livre, 27 pages. Entre archives, fonds privés et souvenirs mais aussi livres publiés ; c’est un réel ensemble de connaissances diversifiées.