Dans La planète Disneylandisée. Chroniques d’un tour du monde publié en 2006, la géographe Sylvie Brunel relate son expérience touristique lors d’un voyage autour du monde avec ses enfants. L’auteur décrypte ainsi plusieurs formes de tourisme qu’elle nous fait partager. Au chapitre 5 intitulé «Tribus authentiques…», la géographe nous dévoile le statut actuel de ces tribus «authentiques» en particulier celui des Aborigènes et les Maoris : leur mode de vie, leur rapport à la mondialisation, au tourisme… sans négliger leur histoire.
Ancienne présidente d’Action contre la faim et engagée auprès de Médecin sans frontières, Sylvie Brunel est une géographe, économiste, écrivain française et professeur à La Sorbonne (Paris IV). Spécialisée dans le développement durable et sur les questions de famine, elle a publié une vingtaine d’ouvrages.
Il y a des centaines d’années, les autochtones tels que les Maoris ou les Aborigènes ont vu leurs terres conquises par les anglo-saxons. Ces tribus ont du alors se plier aux règles des colons européens et se soumettre à la puissance occidentale. Aujourd’hui, en Australie, les Aborigènes ne semblent pas vraiment intégrés à la nation. Lors de la colonisation, les colons les ont déplacés et massacrés, considérant l’Australie comme une terre nouvelle qui n’appartenait à personne. Bien que les blancs aient reconnu le génocide du peuple Aborigène, des contrastes importants persistent encore aujourd’hui entre les deux peuples. En effet, si une minorité de cette tribu travaille pour le tourisme en perpétuant l’art aborigène authentique dont sont friands les étrangers, la plupart demeurent sans-emplois. En plus de ce problème de chômage, ce peuple est assez en retard par rapport aux Australiens : il a fallu du temps pour les reconnaître en tant que véritables citoyens de la nation. Si certains Australiens se montrent réticents face à ce peuple qui dérange, réduit au statut d’assistés, de parasites alcooliques en marge de la société, d’autres éprouvent une certaine gêne et de la compassion envers un peuple auquel on attribue du talent et du potentiel malgré un certain retard. Les Aborigènes sont aujourd’hui considérés comme un peuple marginal, au statut à part. La vie avant la colonisation, baptisé le dream time, semble un peu floue pour la plupart des Aborigènes voire totalement niée : un peu comme si leur histoire débutait lors de l’arrivée des colons. Il ne reste donc de cette culture Aborigène qu’un mythe folklorique et caricaturé au plus grand plaisir des touristes qui sont à la recherche d’authenticité. Ainsi grâce au tourisme et à la mondialisation, les cultures anciennes sont à la mode et refont surface : nombreuses sont les visites de villages aborigènes. Ce peuple demeure cependant à l’intérieur désertique du pays, comme coupé du monde : tandis que les Australiens blancs vivent dans les grandes villes sur les littoraux. Parce qu’ils se retrouvent face à de nombreux problèmes, les Aborigènes représentent un peuple à part qui persistent à travers sa culture qui est une grande source de tourisme.
Le cas des Maoris en Nouvelle-Zélande est différent de celui des Aborigènes. Si les problèmes de chômage et de santé sont les mêmes, les Maoris sont plus proches des Néo-Zélandais que les Aborigènes des Australiens. Les Maoris semblent mieux intégrés : ils travaillent et consomment plus et ils participent à la vie politique du pays. C’est au début du XIXème siècle que les colons Britanniques s’installent en Nouvelle-Zélande, riche en ressources, ce qui engendre un début de dépossession pour les Maoris. Mais, à la fin du XIXème siècle, le pays devient un modèle de modernité pour le reste du monde : avec l’instauration de l’instruction laïque pour tous par exemple. Si le pays obtient son indépendance en 1947, il entretient toujours des rapports commerciaux avec la Grande Bretagne. Cependant, l’entrée de la Grande Bretagne dans le Marché commun en 1973 engendre une crise en Nouvelle-Zélande, dont les Maoris sont les premières victimes. C’est en se dirigeant vers l’Asie Orientale quelques années plus tard que l’économie du pays redevient prospère. Des discriminations témoignent cependant d’une certaine inégalité entre les Néo-Zélandais et les Maoris.
La renaissance de ces tribus «authentiques» à travers le monde est donc en partie due au tourisme international par la mise en valeur d’une culture authentique. Cela permet à ces peuples en voie de disparition, d’exister et de se faire connaître bien qu’ils soient réduits à l’archétype de l’autochtone. Les touristes sont en effet à la recherche d’authenticité, de découverte et de dépaysement. Mais ils ne sont pas dupes pour autant : dans la relation entre le touriste et le « sauvage préservé », chacun joue très bien son rôle. En effet, paradoxalement, l’authenticité tant recherchée peut se révéler artificielle : certains autochtones revêtissent le costume traditionnel et endosse un rôle au grand plaisir des touristes qui peuvent s’évader et rêver en se dépaysant. Si le tourisme est une source d’argent, de nombreux problèmes subsistent cependant en ce qui concerne ces populations « exotiques » : notamment des problèmes de santé. Les touristes se rendent d’ailleurs bien compte de ces problèmes majoritairement sanitaires, si bien que la plupart ont la volonté d’agir face à cette misère. Suite à un séjour touristique, nombreux sont ceux qui se lancent dans l’humanitaire et fondent des ONG. Mais ces liens privilégiés avec ces populations crées souvent une dépendance et de l’assistanat vis à vis de ceux qui en bénéficient. Pour atténuer leurs difficultés, il faudrait donc que l’argent récolté grâce au tourisme puisse améliorer le sort de ces tribus, en voie de disparition. Cependant, maintenir ces peuples dans leur retard n’est-il pas le moyen de garantir l’authenticité tant recherchée par les touristes ? Ainsi, en restant marginales et sous-développées, ces tribus conservent leur rusticité, alors qu’au fond ils ne voudraient peut être qu’une seule chose : s’occidentaliser, ce qui est incompatible avec la volonté des touristes de découvrir des tribus « authentiques » si différentes d’eux.
Ce chapitre de La planète Disneylandisée est enrichissant car il met à jour l’envers du tourisme de ces tribus « authentiques ». Il permet d’abord de comprendre le statut et le mode de vie de ces peuples dont on entend très peu souvent parler. L’évocation de leur histoire et du génocide est non seulement primordiale pour comprendre le statut de ces tribus aujourd’hui, mais également appréciable car ce génocide est plutôt méconnu. Sylvie Brunel fait culpabiliser les touristes et les occidentaux en général, en nous faisant passer pour des enfants émerveillés devant ceux qui ne nous ressemblent pas : l’authentique et le rustique. Cette critique du tourisme est intéressante et permet une véritable prise de conscience, tout comme la critique des ONG, qui ne sont peut être que l’aboutissement d’une volonté de « bonne conscience » de la part occidentaux. On se sent donc forcément un peu frustré face à cette situation compliquée et ces problèmes qui semblent presque impossibles à résoudre : comment aider ses tribus à se développer tout en répondant à la demande des touristes ? Sylvie Brunel critique effectivement le tourisme et les ONG mais ne propose aucune solution pour résoudre ces problèmes, mais c’est certainement parce que nous n’avons pas encore trouvé un terrain d’entente équitable. La géographe nous instruit ainsi grâce à son expérience personnelle, traitant un sujet peu commun et original avec humour et sincérité.
Camille Bichler ©Les Clionautes