Fiche de lecture réalisée par Morgane Villechange, étudiante en hypokhâgne AL au Lycée Sainte-Marie de Neuilly.

Dans ce dernier chapitre de La Planète disneylandisée, Sylvie Brunel résume ses critiques du véritable « parc d’attraction universel » qu’est devenu le monde et expose sa vision du nouveau tourisme qu’il nous faut créer dans le futur. Plus que des anecdotes pleines d’ironies, son livre trace une peinture claire et agréable des travers du tourisme et de la domination des Suds par les Nords qui résulte de ce secteur, tout en employant un vocabulaire géographique et économique simple et compréhensible.

Après une longue expérience dans le domaine de l’humanitaire Sylvie Brunel, déçue d’y voir trop de dérives financières et trop peu d’action, démissionne de la présidence de l’ONG « Action contre la faim ». Géographe, économiste et écrivain contemporaine spécialisée, elle dirige aujourd’hui un master sur le développement durable (son domaine de prédilection) dans les pays du Sud, en qualité de professeur de géographie à l’université Sorbonne IV. Elle demande principalement une plus grande prise en compte de l’aspect humain du développement, pour tenter de rétablir un équilibre entre Nords et Suds. En 2004, elle décide d’organiser un tour du monde en 40 jours avec sa famille, mais bien que le voyage soit en apparence des vacances, elle ne se départit pas de son esprit critique et nous le montre dans le récit de son périple.

Elle constate en effet que le monde s’est transformé en véritable Disneyland : tout est mis en scène, la Terre est le théâtre d’une reproduction de paradis perdus globalisés. Le « touriste » actuel (même s’il refuse ce nom) est un touriste qui croit avoir des attentes exceptionnelles, qui veut sortir des sentiers battus de l’image « du » touriste. En réalité, l’industrie touristique le sait et met en scène ces expériences « authentiques », « uniques » et « extraordinaires » pour lui. Bien sûr tout cela n’est qu’illusion : la nature soi-disant « sauvage » est mise sous contrôle, les natifs forcés à se présenter comme les héritiers de traditions revisitées, globalisées à des fins financières.
En effet, dans le but de faire assimiler aux touristes en un minimum de temps une culture, les voyagistes produisent des archétypes culturels dans lesquels, souvent, les Natifs ne se reconnaissent pas : chaque peuple est ainsi synthétisé selon quelques traits distinctifs, comme les poupées typées de l’attraction Small World de Disneyland. Les conséquences en sont graves : les cultures sont figées alors que le propre de toute civilisation est d’évoluer ; de même, la nature est très sévèrement contrôlée (comme elle était mise « sous une cloche de verre ») car elle est dangereuse. Les animaux « sauvages » sont présentés grâce aux aménagements sécurisés des lieux et ne le sont donc plus.

En somme le monde entier est devenu une mise en scène : « la touristification consiste à transformer le monde en décor » (qu’il soit réaliste ou non d’ailleurs ; prenez l’exemple de Paris plage !). Cette transformation a de graves conséquences sur les économies locales : si les habitants des Nords y voient de plus en plus d’espace de divertissement, les habitants des Suds souffrent d’un manque de diversification d’activités, qui les rend dépendants de l’industrie touristique, ce qui accentue encore les inégalités Nord/Sud.
De plus, l’attrait touristique ou l’attention portée par les média à certains endroits du globe plutôt que d’autres a contribué à diviser le monde en deux types de territoires : attrayants ou non, selon la situation géopolitique du pays (un pays en mauvaise posture fera fuir les touristes, ce qui serait désastreux pour l’économie locale). Un espace médiatisé a plus de chance de se développer mais au lieu de se diversifier, il sera probablement soumis aux lois de l’industrie touristique. Un autre effet d’une médiatisation serait l’arrivée massive d’aide humanitaire : le tourisme et le non-tourisme serait donc simultanément attirés ; et contrairement à l’opinion commune qui méprise le tourisme et encense l’action humanitaire, les deux sont nécessaires : les touristes apportent de l’argent et créent parfois à leur retour de vacances des associations humanitaires, et les humanitaires, eux, s’octroient parfois des vacances sur leur temps de travail. La frontière entre tourisme et humanitaire a également tendance à disparaître : on propose de faire des vacances humanitaires ou de l’écotourisme.

Pour S. Brunel cependant, ce tourisme n’est conforme au développement durable qu’en apparence : les locaux sont exploités, on ne laisse plus à la nature sa juste place, … le tourisme rend les pays du Suds dépendant des Nords.

D’autres stratégies que faire croire au vacancier qu’il agit pour le bien des économies locales sont utilisées par les voyagistes : en suscitant la peur du danger, de se perdre ou de payer des amendes exorbitantes, ils forcent les touristes à se rabattre sur les sentiers sûrs des parcs « naturels », payants bien entendu. Certains pays comme l’Australie n’hésitent pas à exagérer le nombre de morts perdus dans la nature pour dissuader leurs hôtes de s’éloigner des zones payantes.

Le pire selon Syllvie Brunel est que nous avons souvent conscience de ce qu’est l’envers du décor de ces jolies mises en scène, mais que nous ne nous rebellons pas contre elle « parce que [nous sommes] en vacances ». Elle nous incite à travers son livre à pratiquer un tourisme plus responsable, non plus dépourvu de sens critique, mais qui doit poser les bases d’un nouvel « écotourisme ». Ce dernier est en effet en plein développement, car les touristes demandent de plus en plus à être solidaires et à retrouver une nature perdue dans leurs espaces urbains du Nord. Le nouveau tourisme devra être moins mercantile (on arrive même aujourd’hui à nous faire payer un paysage, la culture elle-même, choses qu’on est droit d’estimer gratuites) et répondre réellement aux attentes d’un développement durable : un développement prévu globalement et sur le long terme, qui accorderait une grande place à la dimension humaine, sociale et environnementale.
Elle nuance cependant son propos en concédant quelques effets positifs à cet écotourisme en plein essor sont visibles : des animaux menacés d’extinction, en devenant la coqueluche des touristes, sont protégés ; un patrimoine culturel qui aurait autrement été perdu est conservé (même si cela relève moins d’un souci réel de mémoire que de fins financières). Le danger cependant reste la folklorisation qui dénature et désacralise complétement certaines traditions : le hakka néozélandais, censé être une danse guerrière particulièrement effrayante, sert à présent de toile de fond aux photos prises par les touristes. Paradoxalement donc, la mondialisation atténue les frontières et les différences nationales mais en augmente les inégalités Nords/ Suds et permet la conservation (relative et figée cependant) de particularités culturelles.

J’ai moi-même fait l’expérience de cette artificialité de la nature sauvage de la côte ouest des Etats-Unis où les écureuils ‘sauvages’ viennent littéralement manger dans la main des touristes. Je trouve dommage que l’on « dénature » ainsi la nature, qui certes est plus sécurisée, mais moins ‘naturelle’ du même coup. Cependant, pour ce qui est des pertes culturelles, je crois qu’elle minimise les effets positifs du tourisme : certes, leur présentation est artificielle, mais ces cultures ne risquent pas d’être perdues par la mémoire humaine et seront même redécouvertes ainsi, bien qu’elles soient alors figées dans le temps plutôt que vivaces.

[« Ainsi nature et culture sont-elles disneylandisées pour les besoins de la société marchande. Tout est mis en oeuvre pour créer du rêve sous contrôle, dans le but d’extirper un maximum d’argent en un minimum de temps
au cochon du client, qui se donne ainsi l’illusion, moyennant finances, de découvrir la nature et de préserver les
cultures naturelles. »->]

Morgane Villechange ©Les Clionautes