L’histoire, dans une perspective globale, s’intéresse à tous les processus historiques qu’il paraît plus pertinent d’analyser au niveau global qu’aux niveaux locaux, nationaux, régionaux. Cette façon de lire l’histoire s’est développée dans le monde anglo-saxon sous la forme de la World History (sous l’influence de William McNeill notamment) puis de la Global History (sous l’influence de Bruce Mazlish). Les global historians s’appuient en particulier sur les travaux d’Immanuel Wallerstein. En effet, en 1974, dans The Modern World-System, Immanuel Wallerstein inaugurait une réflexion passionnante qui a contribué à la naissance de la Global History. L’historien américain a clarifié sa pensée dans de nombreux ouvrages (dont les trois autres volumes de The Modern World-System entre 1980 et 2011, mais aussi The Capitalist World Economy, 1450-1640 en 1979, World-Systems Analysis : Theory and Methodology en 1982, Transforming the Revolution : Social Movements and the World-System en 1990, World-System Analysis : an Introduction en 2004), avant que d’autres chercheurs ne l’approfondissent encore en diversifiant les approches et les possibilités dans les façons de faire de l’histoire.

L’approche par les systèmes-monde représente une solution bienvenue pour les chercheurs qui peinent à renouveler leurs pratiques et leur regard trop eurocentré : elle élargit l’échelle d’analyse, ce qui a permis à la fois de renoncer au prisme des histoires « nationales » ou « européennes », et d’abandonner une théorie erronée de la supériorité historique de l’Occident (Philippe Norel, « l’hégémonie européenne, un contre-récit », dans Philippe Norel, Laurent Testot (dir), Une histoire du monde global, Editions Sciences Humaine, 2012, p. 160-170). Ces deux écueils méthodologiques étaient de plus en plus dénoncés dans les années 1970 et 1980 (en particulier par Edward Saïd, Orientalism : Western Conceptions of the Orient, 1978, par les Postcolonial Studies et les Subaltern Studies).

Le paradigme des « systèmes-monde » constitue une orientation historiographique particulière. Il approfondit en fait la théorie des « économies-monde » et celle des « civilisations » développées par Fernand Braudel (La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, 1949 ; Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècles, 1979) en la complexifiant pour l’appliquer à un ensemble plus étendu que la Méditerranée. D’après Wallerstein, un système-monde désigne une zone spatiale et temporelle délimitée (ce n’est pas le Monde entier) et éclatée entre de nombreuses identités commerciales, politiques et culturelles ; pour autant, aussi divisée que soit cette zone, elle n’en constitue pas moins un espace intégré et unifié par des activités et des règles systémiques. C’est en particulier l’existence d’un réseau commercial international ainsi qu’une division du travail à grande échelle (c’est-à-dire l’existence d’une forme de capitalisme marchand) qui maintient l’unité de toutes les parties du systèmes-monde.

Cependant, la formulation de la question d’agrégation tombe exactement dans le défaut de l’eurocentrisme souvent propre au concours (Pierre Briant, « Remarques critiques sur la question d’histoire de l’Antiquité », Hypothèses, 19 avril 2021). Si « le programme s’affranchit de la distinction traditionnelle dans l’historiographie entre période classique et période hellénistique », il s’enfonce en revanche dans une vision traditionnelle qui oppose, depuis Edouard Will et Claude Mossé (Le monde grec et l’Orient), la Méditerranée hellénisée au reste du monde barbarisé.

Introduction : « le monde grec et l’Orient » ne forment qu’un vaste ensemble afro-eurasien

A la lecture sagace des « Remarques » de Pierre Briant, il nous semble que le monde grec et le monde achéménide doivent être distingués et subdivisés avec finesse. Il n’existe pas un seul monde grec, mais des cités-Etats de Grèce, et un royaume de Macédoine ; il n’existe pas un bloc achéménide, mais un vaste empire-monde divisé en cités et en satrapies, qui n’ont souvent rien de commun entre elles (elles-mêmes traversées par des cultures locales très diverses en Phrygie, Lydie, Carie, Lycie, Egypte…). La connaissance de l’histoire et de l’organisation de l’empire achéménide, ainsi que de ses sources, est aussi importante que la maîtrise de l’histoire des cités égéennes. Les observateurs les plus attentifs estiment aujourd’hui qu’introduire Alexandre sans analyser l’empire de Darius aboutit à une impasse méthodologique ; toutes les civilisations (au sens braudélien du terme) doivent être traitées « à parts égales » (Romain Bertrand). Pour cela, il peut être fait appel au site Achemenet.com, fondé et géré par Pierre Briant depuis plus de 20 ans.

L’introduction de l’Atlas du monde hellénistique (Laurianne Martinez-Sève, Autrement, 2017) liste la diversité des sources non grecques disponibles : « textes littéraires, la plupart du temps parvenus jusqu’à nous sous la forme de copies, transmises de génération en génération, souvent grâce aux Romains, mais au prix d’un irrémédiable processus de sélection qui explique leur état fragmentaire. Le reste a été découvert par les archéologues ou par les voyageurs qui les avaient précédés en Méditerranée et en Orient. Il s’agit de textes, rédigés sur divers supports (pierre, bronze, terre cuite, papyrus, parchemins) rédigés dans des écritures et des langues diverses, de monnaies, d’objets de la vie quotidienne, d’œuvres d’art ou de vestiges architecturaux. Ils ont été laissés par les Grecs, mais aussi par d’autres peuples placés sous leur domination. C’est le cas, par exemple, de l’Ancien testament qui constitue une importante source historique ».

Voici ce qu’il faut comprendre : la question d’histoire ancienne proposé aux concours en 2023, à condition de la « libérer » d’une historiographie trop classique et bien connue, correspond en fait à la définition du système-monde. En d’autres termes, l’intitulé de la question n’invite pas à opposer le « monde grec » civilisé à un « extérieur » barbarisé parce que situé en Orient, mais plutôt à considérer que « le monde grec Et l’Orient » se rapprochent peu à peu, au cours de la période (entre 404 et 200 avant J.C.), pour ne former qu’un seul système et un seul monde, bref, un « système-monde ».

Cette réflexion semble d’abord justifiée par le choix des bornes chronologiques. Le sujet débute à la fin du Ve siècle avant l’ère conventionnelle. L’hégémonie athénienne en Méditerranée Orientale avant et après la fameuse Guerre du Péloponnèse a imposé un système-monde dominé par l’Attique à toute la Méditerranée orientale. L’heure n’est plus à la crainte d’une invasion des Achéménides en Grèce : les Perses sont en effet repoussés durablement après les guerres médiques (490-479). A l’inverse, ce sont les Grecs puis les Macédoniens qui multiplient les contacts militaires, commerciaux et culturels, avec l’Orient, étendant ainsi la culture hellénistique vers des destinations inédites. Ces transferts culturels s’accompagnent d’effets-retours, le monde grec pouvant donc se transformer à son tour, sous l’effet des influences étrangères (ce qu’il ne faut pas simplifier par des formules aussi générales que l’hellénisation de l’Orient ou l’orientalisation du monde hellénistique).

    • En 412 par exemple, Alcibiade se rend à Athènes et propose une aide des armées perses contre Sparte, en échange du renversement de la démocratie (ce qui est à l’origine de la tyrannie des Quatre-Cents) ;
    • Entre 401 et 399, des mercenaires lacédémoniens participent à l’Expédition des Dix-Mille, un coup d’Etat que Cyrus le Jeune organise avec contre son frère pour s’emparer du trône des Achéménides ;
    • En 394, le stratège athénien Conon dirige une flotte perse et remporte la victoire navale de Cnide contre les Spartiates ;
    • Dans les années suivantes, le roi Agésilas de Sparte soutient militairement les satrapes d’Asie Mineure contre Artaxerxès II, qui signe la « paix d’Antalcidas » (ou « Paix du Roi ») en 386 ;
    • Après des années de paix, synonymes d’échanges culturels, commerciaux et monétaires, les combats reprennent entre Artaxerxès III et les villes de Phénicie et de Chypre, soutenues par la Ligue athénienne ;
    • En 338, après la victoire de Chéronée contre Athènes, Philippe II de Macédoine unifie des cités grecques à son royaume au sein de la Ligue de Corinthe (« panhellénisme »), tandis que les opposants à Philippe (Sparte) demandent l’aide des Perses ;
    • Philippe et son fils préparent activement la conquête de l’empire perse entre 338 et 335 ;

En terrassant les armées du roi Darius III en 332 et 331, Alexandre de Macédoine met fin à un système-monde perse qui, de son côté, a unifié l’Asie occidentale et centrale, ainsi que l’Egypte et Chypre, depuis le VIe siècle. Par la conquête, le jeune général a étendu le système-monde égéen vers l’Est, pour ne former qu’un seul vaste système-monde, étendu de la Macédoine à la vallée de l’Indus.

D’autre part, l’affirmation d’un système-monde plus vaste que le monde égéen semble confirmé par les travaux d’historiens sur les voyages des Grecs en Orient, sur la médecine, sur les mariages interculturels, sur l’importance des relations commerciales avec l’Egypte et l’Asie Mineure, sur le mercenariat, sur les diasporas grecques dans les villes dont la fondation ponctue l’expédition d’Alexandre, sur les influences religieuses, culturelles et architecturales entre Grèce et Asie.

Nous défendons l’idée que des échanges, des situations de rencontre, des contacts pacifiques ou belliqueux, ont tous, à leur manière, contribué à la création d’un vaste système-monde de la mer Egée à l’Inde, entre le IVe et le IIIe siècle avant l’ère conventionnelle. Parmi toutes les rencontres possibles, l’épopée militaire macédonienne (et non grecque !) est la plus importante car cette conquête a totalement modifié les rapports entre le monde grec/panhellénique et le reste de l’oikoumène oriental.

Nous synthétiserons les travaux récents des spécialistes en histoire globale, français et anglo-saxons, dont la bibliographie n’est pas toujours facilement accessible. Cette synthèse fournit aux candidats aux concours une autre chronologie de l’histoire du monde grec et de l’Orient, et une autre conception des contacts entre des civilisations braudéliennes.

Marshall Hodgson, William McNeill, Jerry Bentley et « l’intégration hémisphérique »

Il est important de dénoncer les visions eurocentrées du passé. En 1963, Marshall Hodgson, l’un des pères de la Global History, insistait sur ce point dans un article sur « Les interrelations des sociétés dans l’histoire ». Pour lui, des connexions ont existé pendant des siècles entre les sociétés européennes, indiennes et chinoises, dans un vaste espace afro-eurasiatique. Ainsi, plutôt de considérer « l’Orient » comme une périphérie du monde grec, il faudrait voir cette zone afro-eurasienne comme le centre de diffusion et de rencontre entre des civilisations qui ont influencé le développement historique de l’hémisphère oriental. Hodgson considérait qu’il existe dans l’Histoire une « période axiale » (Axial Age) qui correspond à la période allant de 800 à 200 avant J.C. : cette période aurait connu une floraison remarquable de la pensée morale, éthique, scientifique et technologique dans une bonne partie de l’hémisphère oriental.

Au même moment, William McNeill publie The Rise of the West : a History of the Human Community (). Pour lui, l’ecumene occidental (concept qu’il forge) avant la naissance de Jésus-Christ est l’association de trois mondes en Eurasie occidentale : l’Inde, le Moyen-Orient, la Grèce. Il souligne les fusions, les échanges, les effets réciproques des différentes civilisations les unes sur les autres, qui ont permis d’unifier un système-monde eurasiatique à partir de la Chine d’une part, du monde romain d’autre part. L’ouvrage est important puisque, pour la première fois, les historiens (nord-américains) conçoivent la formation d’un vaste ensemble culturel, de la Méditerranée à l’Indus. C’est ainsi qu’il faut comprendre le monde grec élargi par Alexandre le Grand : un ecumene eurasiatique qui tend à unifier trois mondes et trois civilisations différentes.

En 1998, l’historien Jerry Bentley va plus loin en publiant « Hemispheric Integration, 500-1500 C.E. » dans le Journal of World History, p. 237-254 ; traduit en français, « L’intégration de l’hémisphère oriental du monde, 500-1500 apr. J.C. » dans Philippe Beaujard, Laurent Berger, Philippe Norel (dir), Histoire globale, mondialisation et capitalisme, La Découverte, 2009). Pour lui, les grands Etats impériaux de l’Eurasie tempérée et tropicale, de l’Est de l’Asie à la région méditerranéenne, ont multiplié les relations commerciales et politiques, lesquelles ont fait naître une série d’interactions culturelles qui ont considérablement influencé la vie des personnes et le développement des sociétés et des économies dans l’hémisphère oriental à partir de 500 avant J.C. Le concept « intégration hémisphérique » du monde désigne ici l’intégration de la moitié du globe, constituée par les terres non-américaines). Cette intégration est d’abord commerciale. Le développement de l’agriculture favorise les marchands et la diffusion de techniques en-dehors de leurs foyers originels mésopotamiens ou chinois. Elle a été rendue possible grâce à des innovations en matière de transport, à des migrations de groupes (les diasporas commerçantes), au renforcement des Etats. A partir du IVe siècle, il insiste en particulier sur l’invention de la selle des chameaux, qui permet de développer des réseaux commerciaux de longue distance, et donc l’essor des diasporas commerçantes. Ces diasporas véhiculent avec elles les grandes philosophies et des courants religieux qui viennent de naître. Reprises par des hommes charismatiques, elles accélèrent la formation de formes nouvelles d’Etats et d’empires.

La conquête d’Alexandre, par le processus d’urbanisation qu’elle a engendré et par les possibilités commerciales qu’elle a mises en avant, participe évidemment à cette intégration hémisphérique eurasiatique. Bentley insiste davantage sur les relations de commerce transculturel (qui prendront encore plus d’importance après l’ouverture des « Routes de la Soie » sous les Han, IIe siècle avant l’ère conventionnelle) plutôt que sur les autres formes de contacts, reprenant en cela l’important article de Jane Schneider, « Was There a Pre-Capitalist World-System ? », Peasant Studies, 1977, p. 20-29.

Philippe Beaujard et l’intégration de l’hémisphère afro-eurasien

Philippe Beaujard a beaucoup écrit sur les systèmes-monde, en particulier sur leur existence avant le XVIe siècle, qui correspond à la période de référence d’Immanuel Wallerstein. Dans « Un seul système-monde avant le XVIe siècle ? » (dans Philippe Beaujard, Laurent Berger, Philippe Norel (dir), Histoire globale, mondialisation et capitalisme, La Découverte, 2009) comme dans « From three possible Iron Age World-System to a Single Afro-Eurasien World-System », Journal of Global History, 2010, p. 1-43,  et  il étudie la succession des systèmes-monde depuis l’âge du fer. Il observe en particulier « la formation d’un système-monde afro-eurasien » liée à un refroidissement climatique qui provoque une récession économique et sociale (les « Âges Sombres ») avant de renaître grâce au développement de la métallurgie militaire, de l’écriture alphabétique, de l’invention de la citoyenneté et de la monnaie. Comme ces nouveautés technologiques sont apparues à peu près au même moment en Asie Mineure et en Chine, puis en Perse, en Inde et en Grèce, c’est grâce à un même système de valeur et à des similitudes technologiques que des civilisations très différentes peuvent entrer en contact (par le commerce des produits agricoles, des métaux et des produits de luxes ou par la conquête territoriale). Des réseaux d’interactions se mettent en place, constitués d’échanges réguliers et répétés entre les individus et les groupes. Ils peuvent relever du commerce, de la diplomatie, des migrations, des alliances matrimoniales, des agressions militaires, des logiques de don. Pour Philippe Beaujard, Les trois mondes de l’âge du fer (le bassin méditerranéen, l’Egypte, l’Asie occidentale) sont ainsi d’abord liés entre eux par le commerce.

Toutefois, l’échange se pose toujours en termes de rapports de force politico-militaires, et s’inscrit dans le cadre d’idéologies qui sont indissociables des configurations politiques. Philippe Beaujard analyse les relations entre les marchands, c’est-à-dire le secteur privé, et l’État, au sein de ce système-monde prémoderne. Pour lui, les marchands privés sont avant tout des agents d’un pouvoir politique éloigné qui agit ainsi directement sur des sociétés qui deviennent de moins en moins périphériques.

Pour Philippe Beaujard, la division du travail implique nécessairement la création de formes d’échanges inégaux. Les cœurs du système, s’appuyant sur une mobilisation efficace de la force de travail, sur leur capacité à innover et sur leur puissance politico-militaire, exportent des produits manufacturés ; les régions périphériques, au contraire, vendent pour l’essentiel des produits bruts et des esclaves sur des marchés concurrentiels, ce qui les maintient dans un état de soumission et de dépendance vis-à-vis du cœur. L’action des marchands lointains permet de mieux intégrer des périphéries, qui se transforment en semi-périphéries.

Dans ces conditions, à partir du VIe siècle avant l’ère conventionnelle, les premières cristallisations politiques apparaissent : « les expansions assyriennes puis babyloniennes représentent les premières tentatives d’occupation de la totalité de l’espace entre Méditerranée et océan Indien, de contrôle aussi du commerce caravanier arabe. Elles entraînent une plus grande articulation des sphères de la Méditerranée et de l’océan Indien occidental. La constitution de l’empire Perse permet aux Achéménides de s’emparer de l’ensemble des routes commerciales jusqu’en Asie centrale et dans l’actuel Pakistan. L’organisation des satrapies traduit une vision idéologique novatrice de l’Etat, qui permet aux Perses de former le premier « empire universel ». Par la suite, la Grèce, qui devait constituer une région tributaire de l’empire Achéménide de Xerxès II, devient le point de départ d’une résistance qui mène, deux siècles plus tard, à la disparition de cet empire ; de même, au IVe siècle, la croissance économique et politique du royaume de Macédoine menace directement l’indépendance des cités-Etats grecques, contraintes par la force de la phalange macédonienne à adhérer à la Ligue de Corinthe, puis à la Ligue hellénique pendant deux siècles.

Andre Gunder Franck et Barry Gills ont déjà proposé des schémas d’interprétation similaires dans The World-System : Five Hundred Years or Five Thousands ?, Londres, Routledge, 1993 et « Early Iron Age Economic Expansion and Contraction Revisited » dans Barry Gills et William Thompson, Globalization and Global History, Londres, Routledge, 2006, p. 139-162. Nous signalons parallèlement à ces travaux passionnants l’ouvrage dirigé par Christopher Chase-Dunn et Thomas Hall, Rise and Demise : Comparing World-Systems, Westview Press, 1997, l’article de Jonathan Friedman, « Concretizing the Continuity Argument in Global System Analysis » dans Robert Denemark, Jonathan Friedman, Barry Gills (dir), World-System History : the Social Science of Long-Term Change, Londres, Routlege, 2000, p. 133-152 ; et deux articles qui peuvent accompagner ces réflexions, traduits en français dans Histoire globale, mondialisation et capitalisme : « Changement social et intégration des réseaux d’échange dans la longue durée » de Christopher Chase-Dunn et Thomas Hall, et « L’hypothèse de la continuité historique du système-monde » de Barry Gills et Robert Denemark. Ceci prouve que ces conceptions s’inscrivent dans une historiographie déjà bien fournie.

Pour les transformations du système-monde de la fin de l’âge du fer, donnons la parole à Philippe Beaujard :

Carte du système-monde antique

« De la Chine à la Méditerranée, on note un changement d’échelle dans les interconnexions et d’importantes transformations sociales. Elles induisent une pensée novatrice de l’univers et de la société, qui accompagne une émergence de l’individu et se traduit par l’éclosion de grandes doctrines philosophiques et religieuses (jaïnisme, bouddhisme, confucianisme, mazdéisme), modèles à prétention universelle. Elle se traduit aussi par la floraison dans le monde grec d’un humanisme rationaliste, d’institutions démocratiques, et de technologies nouvelles, ainsi que par l’apparition de courants rationalistes en Chine (moïstes) et en Inde (rédaction des parties anciennes de l’Arthasâstra).

[…]. La fin du Ve et le début du IVe siècle correspondent à une période de transition hégémonique dans l’espace est-méditerranéen. L’empire grec bâti par Alexandre et ses armées au IVe siècle av. J.-C., s’inspirant de l’exemple perse, articule Méditerranée et océan Indien occidental et crée des villes aux nœuds des réseaux marchands. Après la mort d’Alexandre, les empires séleucide et ptolémaïque constituent les cœurs d’un système-monde occidental à nouveau en croissance. Comme en Chine depuis le Ve siècle, la course aux armements représente un stimulant pour des recherches techniques qui bénéficient aussi à l’agriculture. Le système occidental s’étend, en Europe et en Afrique. Au sud de l’Égypte, l’épanouissement du royaume de Méroé témoigne ainsi de l’incorporation de nouvelles régions de l’Afrique intérieure dans le système ; elle illustre aussi la connexion de la Corne de l’Afrique avec le commerce de l’Arabie du Sud et de l’océan Indien.

La fin du IVe et le IIIe siècles av. J.-C. représentent aussi une phase de croissance en Inde, où l’empire maurya se constitue juste après le retrait d’Alexandre de la région de l’Indus. Il favorise l’expansion du bouddhisme et le commerce, en particulier vers l’Asie du Sud-Est. L’essor d’un royaume gréco-bactrien vers 250 av. J.-C. témoigne en outre de la vitalité de l’Asie centrale, qui joue un rôle de charnière entre l’Inde et l’Occident. L’empire maurya s’épanouit et disparaît selon le rythme du système-monde occidental : le système indien et le système occidental semblent en partie unifiés dans cette période.

Le système-monde occidental connaît au IIe siècle av. J.-C. une nouvelle phase de transition hégémonique, marquée par un déclin des cœur égyptien et mésopotamien, affaiblis par leurs guerres incessantes et des conflits internes. Le centre de gravité du système se déplace vers l’ouest, où Rome devient la puissance prééminente après l’élimination de Carthage. Des changements climatiques affectent en outre l’ensemble de l’Ancien Monde. Ils se traduisent par des mouvements de population en Asie centrale et dans le Nord-Ouest de l’Inde. L’essor d’un État Xiongnu dans l’est des steppes, toutefois, représente une autre cause de ces mouvements. Cet essor est lui-même le contrecoup des changements qui surviennent en Chine.

La Chine est alors en expansion et donc non synchronisée à la phase de récession occidentale. Les réformes promulguées par les légistes dans l’État de Qin permettent la constitution d’un État centralisé doté d’une administration efficace et d’une armée puissante. Le roi Qin Shi Huangdi unifie la Chine en 221 av. J.-C. À son empire succède celui des Premiers Han (206 av. J.-C.), qui en s’étendant vers l’Asie centrale d’un côté, vers le Yunnan et le Vietnam de l’autre, favorise l’essor de « routes de la soie » terrestres et maritimes […]. On sait que le girofle des Moluques arrive à la cour de Chine au IIe siècle av. J.-C. Il semble qu’un vaste système-monde asiatique ayant la Chine pour centre se développe à cette période, connecté au système-monde indien et au système-monde occidental, où la concurrence apparue un peu plus tôt entre golfe Persique et mer Rouge tourne à l’avantage de cette région : l’émergence de l’empire parthe et l’instabilité politique en Margiane-Bactriane rend les routes de l’Inde à la mer Rouge plus attractives que celle du golfe Persique à partir du IIe siècle av. J.-C.

La naissance d’un système afro-eurasien explique les mouvements des marchands méditerranéens vers l’Asie du Sud et les voyages des Austronésiens vers la Chine ou l’Ouest de l’océan Indien. Elle éclaire également l’‘indianisation’ de l’Asie du Sud-Est et l’apparition en Afrique de l’Est d’une culture pré-swahilie. Ce système-monde se prolongera sans ruptures fondamentales jusqu’à la période moderne, ce qui ne signifie pas absence de changements ou de mutations ».

Philippe Beaujard, « Un seul système-monde avant le XVIe siècle ? », Philippe Beaujard, Laurent Berger, Philippe Norel (dir), Histoire globale, mondialisation et capitalisme, La Découverte, 2009.

Une chronologie des cycles hégémoniques en Méditerranée et en Asie/le caractère cyclique du système-monde afro-eurasien

Plusieurs historiens et économistes ont approfondi les réflexions d’Immanuel Wallerstein dans le domaine économique. Quelques concepts peuvent être intéressants pour cette relecture de la question d’histoire ancienne dans une perspective globale.

  • Les « cycles d’accumulation »

Selon Giovanni Arrighi (The Long Twentieth Century : Money, Power and the Origins of Our Time, Londres, Verso, 1994) et Giovanni Arrighi et Beverly Silver (Chaos and Governance in the Modern World-System, UMP, 1999 mais aussi « Capitalism and World (dis)order », Review of International Studies, n°27, 2001, p. 257-279 ; une traduction française de cet article existe : « Le capitalisme et le (dés)ordre mondial », dans Philippe Beaujard, Laurent Berger, Philippe Norel (dir), Histoire globale, mondialisations, capitalisme, Paris, La Découverte, 2009, p. 227-260), certaines périodes de l’histoire sont marquées par une forte croissance économique, le plein-emploi, la réussite des échanges, l’accumulation matérielle. Ces phases de réussite économiques (les « cycles A de Kondratiev ») permettent à des Etats puissants d’étendre leur domination. Les relations dominants-dominés se renforcent, grâce à des investissements et à des échanges commerciaux plus importants, et grâce à une plus forte division du travail au sein d’une nouvelle économie-monde. Les marchands privés participent à cette croissance en se faisant les agents indirects de la domination des Etats centraux.

Cette conception permet d’affiner les propos de Wallerstein. Les « cœurs » de l’économie du système-monde s’imposent alors sur de plus grandes « périphéries » ; dans le même temps, les anciennes périphéries profitent de cette croissance générale pour se développer elles-mêmes et se transformer en « semi-périphéries ». C’est un proto-capitalisme marchand qui unifie les espaces différenciés au sein du même système-monde, qui prend alors la forme d’une économie-monde caractérisée par de vastes « réseaux d’interactions » (Christopher Chase-Dunn et Thomas Hall, Rise and Demise. Comparing world systems, Boulder, Westview Press, 1997).

  • Les « hégémonies »

Le concept d’« hégémonie », en économie politique comme dans l’histoire économique globale, désigne la domination durable d’une puissance politique centrale sur un territoire étendu. C’est le cœur qui fixe les règles du fonctionnement du système et qui l’organise afin de renforcer sa propre domination (en créant par exemple des relais locaux de son autorité). L’hégémonie est évidemment pensée en termes marxistes, dans une période de décolonisation.

  • Les « phases de repli »

L’hégémonie est mise en péril à d’autres périodes de l’histoire, qui sont les phases de repli et de crise (les « cycles B de Kondratiev »). L’origine de la crise peut être diverse, mais les conséquences sont toujours les mêmes : l’activité économique ralentit, les possibilités d’investissement se font de moins en moins nombreuses. « C’est le signe de l’automne », écrit Fernand Braudel. Les marchands préfèrent alors se retirer des affaires et récupérer leurs fonds alors que les risques se font trop importants. Le capital investi redevient monétaire. Que faire alors de ces liquidités disponibles, une fois la santé économique du système-monde rétablie ? Les anciens marchands se transforment en financiers. Ils fondent une banque et deviennent les banquiers du monde. Or, ces phases d’expansion financière sont en fait les preuves d’une transformation de l’économie après une phase de crise et de repli.

Pour le dire autrement, « dans les phases d’expansion matérielle, le capital argent « met en route » une masse croissante de marchandises (force de travail et ressources naturelles incluses) ; et dans les phases d’expansion financière, une masse croissante de capital argent « se libère » de sa forme marchande, et l’accumulation se fait par des opérations financières. Considérées ensemble, ces deux périodes constituent un cycle systémique d’accumulation complet ».

  • Les « transitions hégémoniques »

Ces phases de repli mettent évidemment en péril la domination du cœur économique et politique. C’est alors que se développe un contre-pouvoir dans les semi-périphéries que la période d’accumulation a mise en capacité de rivaliser avec son ancien cœur. Cette nouvelle puissance dirigeante émerge dans les interstices et réorganise le système.

Le bilan de ces lectures peut nous permettre de proposer un modèle chronologique des « cycles hégémoniques » entre 404 et 200 avant J.C. Cette période est marquée par des phases d’ascension et de déclin, ainsi que par différentes « pulsations » (Giovanni Arrighi, Christopher Chase-Dunn).

Au Ve siècle, Athènes dominait le monde égéen grâce à sa domination des mers (« thalassocratie athénienne ») et à la Ligue de Délos. Cette hégémonie à l’époque classique était assurée par la sécurité des échanges marchands (le blé du Bosphore), par des transferts de métaux (l’argent du Laurion), par le développement de la monnaie, par le commerce d’esclaves, par les voyages des Grecs eux-mêmes. Le commerce des métaux engage les investissements dans l’artisanat et la métallurgie (fabrication d’armes pour la phalange hoplitique et d’outils pour l’agriculture qui doit faire vivre Athènes). La division du travail métallurgique constitue donc la structure du système-monde égéen en croissance. Cela s’est traduit par une longue phase d’accumulation et l’élaboration d’une hiérarchie cœur/périphéries au profit d’Athènes.

Racontée par Thucydide, la fin de la guerre renverse la démocratie athénienne pour un temps. Venue du Péloponnèse, la puissance conjointe des monarchies vient militairement à bout de l’hégémon athénien. Sparte compte alors utiliser son armée pour remplacer l’hégémonie athénienne effondrée. Les Longs Murs d’Athènes sont détruits, la flotte athénienne mise au service de la Ligue du Péloponnèse, qui se tourne vers les côtes d’Asie Mineure. Pendant 20 ans (qui peuvent être considérés comme une phase de repli, marqués également par des modifications défavorables du climat en Méditerranée), les Spartiates défendent l’hellénisme en combattant l’empire perse Achéménide. Mais l’empire perse représente à lui seul un autre système-monde, différent du système-monde égéen. Ses centres (Persépolis, Suse, Babylone…) sont très éloignés. Pour les atteindre, les rois de Sparte profitent d’une phase de repli de l’empire, liée à des querelles dynastiques. Cyrus le Jeune recrute les Dix-Mille mercenaires grecs pour une longue expédition dans l’empire afin de renverser son frère Artaxerxès II. Xénophon est le témoin de l’échec de cette aventure lors de la bataille de Counaxa. Dans les années suivantes, Sparte continue de menacer l’empire-monde perse en s’insérant dans plusieurs interstices mal contrôlés : les satrapies d’Asie Mineure. Ces satrapies sont en effet des périphéries de l’empire, et ce sont les plus influencées par le proto-capitalisme commercial grec. Agésilas apporte donc un soutien multiforme aux satrapes prompts à se révolter contre le Grand Roi, jusqu’à la paix d’Antalkidas.

La paix retrouvée met fin à cette phase de repli. Mais la structure de l’économie marchande a alors évolué. Elle s’est financiarisée. Les Spartiates ont fourni des soldats aux révoltés d’Asie Mineure et des Grecs ont pu s’installer en Perse. Mais la fin de la guerre de Corinthe ramène sur le devant de la scène la puissance de la flotte athénienne (victoire d’Aigos Potamoi), financée par l’argent du Grand Roi (qui s’est donc financiarisé) tandis que les cités d’Asie Mineure retombent sous le contrôle des Achéménides (les marchands grecs installés limitent alors leurs activités).

Cette phase de repli se poursuit dans l’empire perse : si Artaxerxès II (qui a résisté à l’expédition des Dix Mille) a le règne le plus long de la famille des Achéménides (il meurt en 358), les deux règnes suivants sont plus agités : Artaxerxès III doit assassiner sa famille pour solidifier son pouvoir central, et doit faire face à plusieurs révoltes en Egypte, à Chypre et en Phénicie ; Artaxerxès IV est un jeune homme placé sur le trône après l’assassinat de son père avant de se faire empoisonner après seulement 3 années de règne ; Darius III est vaincu par Alexandre.

Au sein du monde grec en revanche, cette phase peut être considérée comme une « transition hégémonique ». Alors que les cités grecques, incapables de s’unir (au grand dam de Démosthène), luttent pour une hégémonie limitée aussi bien dans le temps que dans l’espace, c’est le royaume de Macédoine qui s’affirme à partir du milieu du IVe siècle. Or, la Macédoine est une périphérie du monde hellénique. Philippe II et son fils Alexandre modernisent l’Etat, y renforcent leur autorité, notamment en réorganisant l’armée et l’économie politique macédonienne. Quand le royaume est prêt, il s’engage vers le Sud et bat les Athéniens à Chéronée en 338 avant l’ère conventionnelle ; l’heure de l’hégémonie macédonienne, renforcée au sein de la Ligue de Corinthe, est venue.

Cette hégémonie macédonienne fait changer le monde grec d’échelle. Avec la conquête de l’empire perse, le cœur « grec » ou « hellénique » réorganise le système-monde en l’étirant sur un nouvel ecumene. Le « monde grec » de la question devient alors un « monde eurasiatique » puis « afro-eurasiatique », lorsqu’Alexandre s’empare de l’Egypte et fonde Alexandrie. L’empire perse, au centre du continent, est victime d’une autre « transition hégémonique » et disparaît sous les coups répétés de ses périphéries extrêmes.

Pendant quelques années, le « système-monde d’Alexandre » retrouve un cycle d’accumulation, porté par le commerce d’avitaillement des armées, les créations de cités nouvelles, les installations de vétérans grecs, les mariages locaux, les diasporas, les transferts culturels entre Grèce et Asie. Après la mort d’Alexandre en 323 avant l’ère conventionnelle, le nouvel « empire-monde » macédonien se délite à son tour. Les territoires sont partagés entre trois généraux, qui fondent alors des royaumes hellénistiques. Il ne s’agit pas de dire que la phase d’accumulation est rompue : au contraire, le commerce et les échanges à l’intérieur de ces vastes royaumes, mais aussi entre les royaumes Antigonides, Lagides et Séleucides sont florissants. La guerre elle-même, que se mènent les rois entre eux afin de conquérir quelques cités, porte ce dynamisme marchand puisque la guerre est menée au sein de la même économie-monde. Elle fait appel aux ressources de l’intérieur de chaque royaume, et dynamise les échanges le long des routes commerciales.

Le IIIe siècle avant l’ère conventionnelle peut donc être considérée comme une période d’accumulation et de croissance, au cours de laquelle les souverains des trois royaumes s’allient ou se querellent pour l’hégémonie (pensons en particulier aux guerres de Syrie entre Séleucides et Lagides, ou à certains rois comme Ptolémée Sôter ou Antiochos III). Des contacts diplomatiques existent entre les Séleucides et le royaume Maurya (dirigé en particulier par Ashoka), qui s’est constitué de l’actuel Afghanistan au Bengale, au tournant du IVe et du IIIe siècle. Diodore de Sicile, Strabon et Pline l’Ancien évoquent aussi dans leurs écrits des contacts entre ce même royaume d’Ashoka et le roi d’Egypte Ptolémée Philadelphe.

Au milieu du siècle, cette accumulation et cet accroissement des interactions favorise l’apparition de deux royaumes indépendants : le royaume de Pergame et le royaume de Bactriane (ou royaume gréco-bactrien). La Bactriane devient un nœud du commerce entre l’Inde et l’Asie occidentale, connectée par-delà l’Indus, jusqu’en Chine.

A la fin du IIIe siècle, le monde grec est divisé et fragilisé par de nombreuses crises politiques internes. La première guerre de Macédoine voit entrer une autre puissance périphérique dans le monde grec : Rome, qui vient de surmonter la menace d’Hannibal et a envahi le territoire de Carthage. A partir de ce moment, tandis que Séleucides et Lagides s’opposent entre eux, c’est la puissance romaine qui va engager une nouvelle transition, jusqu’à la constitution d’un nouveau système-monde, dont le cœur se déplace peu à peu vers l’Ouest de la Méditerranée.

La question des transferts culturels entre monde grec et monde oriental

Doit-on encore parler d’un monde grec civilisé et d’un monde barbarisé parce qu’en Orient ? Nous avons montré que la présentation que font Edouard Will et Claude Mossé du Monde grec et l’Orient est largement dépassée. « Ce qui n’était déjà que partiellement vrai en 1975 [un monde grec civilisé vainqueur d’un monde perse barbare] est devenu totalement obsolète en 2021 : depuis une trentaine d’années en particulier, les progrès dans la connaissance des cultures régionales et locales ont été exceptionnels, tout autant que l’affinement des analyses de leurs rapports mutuels, aussi variés dans leurs manifestations que dans leurs inspirations, aussi bien au temps de l’empire achéménide qu’au temps des royaumes hellénistiques » (Pierre Briant).

Il est donc nécessaire de maîtriser le fonctionnement, l’histoire et la culture de l’empire perse achéménide pour l’intégrer pleinement dans la préparation du sujet. Impossible de comprendre la chute de ce plus grand empire de l’Antiquité, sans en connaître le fonctionnement, l’organisation politique interne, les relations avec ses périphéries et ses frontières. L’erreur serait grande de considérer que « le monde grec et l’Orient » ne concernerait que « la diffusion de l’hellénisme ». Différents travaux permettent une excellente approche de cette histoire achéménide :

Les transferts culturels entre toutes les rives de la Méditerranée orientale ne datent évidemment pas de la conquête d’Alexandre ! La date de 404 avant J.C., choisie pour faire démarrer la question, est aussi la date choisie par Droysen pour faire commencer l’époque hellénistique, qui serait devenue la période des échanges les plus importants entre le monde grec et l’Orient. Mais les contacts existaient depuis bien avant ! Nous signalons pour exemple :

Enfin, la question des héritages de la conquête de l’empire perse ouvre la voie à de nombreuses pistes de réflexion. Parmi elles, la « transition » entre l’empire achéménide et les royaumes hellénistiques (Pierre Briant, « Institutions perses et institutions macédoniennes : continuités, changements et bricolages », dans Heleen Sancisi–Weerdenburgh (dir.), Achemenid History, Leyde, Brill, 1994, p. 283–310 ; Pierre Briant, Francis Joannès (dir.), La Transition entre l’empire achéménide et les royaumes hellénistiques, Paris, De Boccard, 2006) ; les influences religieuses orientales et égyptiennes dans la divinisation des rois hellénistiques ; la diffusion du mithraïsme ; l’écriture d’une « histoire universelle » après la mort d’Alexandre (Polybe) ; les découvertes des soldats grecs en Inde (Richard Stoneman, The Greek experience of India : from Alexander to the Indo-Greeks, Princeton, PUP, 2019), la sculpture et les arts (John Boardman, The Greeks in Asia, New York, Thames & Hudson, 2015), l’urbanisme et la rencontre culturelle (Paul Bernard, « La colonie grecque d’Aï Khanoum et l’hellénisme en Asie centrale », dans Pierre Cambon, Jean-François Jarrige (dir.), Afghanistan, les trésors retrouvés, collections du musée national de Kaboul, Paris, Musée Guimet, Paris, RMN, 2007, p. 55-67 ; Pierre Briant, « Colonisation hellénistique et populations indigènes. La phase d’installation », Klio, 60, 1978, p. 57-92), les diasporas (Laurianne Martinez-Sève, « Les Grecs d’extrême Orient : communautés grecques d’Asie Centrale et d’Iran », Pallas, 89, 2012, p. 367-391).

Il peut être utile de comprendre et d’expliquer comment sont élaborées puis diffusées les interprétations légendaires d’Alexandre et de Bucéphale après la mort du roi macédonien (problématique de l’invention des traditions :  Maxim Kholod, « The cults of Alexander the Great in the Greek cities of Asia Minor », Klio, 2016.

Considérons alors que la question concerne avant tout les moyens d’expansion du panhellénisme dans un monde extra-égéen qui a connu depuis plusieurs siècles les influences de la Grèce archaïque et classique. Considérons avec enthousiasme la rencontre entre l’hellénisme bien connu et d’autres civilisations « exotiques » jusqu’au centre de l’Asie. Le « monde grec » ne change-t-il pas d’échelle, pour devenir un monde « afro-eurasien » ? Ne faut-il pas insister sur les formes de transfert économique, politique, culturel, religieux, militaire, au sein d’un territoire qui, osons le mot, se globalise ?