L’article de Brice Evain analyse le contenu idéologique et les procédés rhétoriques présents dans les textes écrits autour de la révolte des Nu-Pieds en 1639 : par les acteurs de la contestation eux-mêmes ; par l’historiographie royale et la presse officielle ; par les historiens une fois le calme revenu, mais dans de nouveaux contextes de révoltes comme la Fronde ou la révolte des Camisards. C’est alors le souvenir de l’événement qui est interrogé, ainsi que les formes de son traitement. L’auteur montre bien sûr les antagonistes entre les discours. Il analyse ensuite la construction des relations officielles, qui insistent particulièrement sur les figures héroïques de Gaussin et du chancelier Séguier qui ont ramené le calme (par la violence). Il conclut que raconter la révolte ou la contestation, à l’époque de l’absolutisme, c’est principalement justifier sa répression.
Depuis 1635, la France est en guerre contre l’Espagne. Les opérations militaires plongent a monarchie dans un déficit important, tandis que l’Etat commence, sous Richelieu, à se transformer : l’Etat de justice, de type médiéval, se transforme en un Etat de raison et de finance. Dans ce processus inédit d’affirmation et centralisation de la monarchie de Louis XIII, Richelieu augmente une pression fiscale déjà forte. Il est envisagé d’abolir le privilège de « quart bouillon » sur la gabelle (impôt payé sur le quart de la production de sel) pour le Cotentin. Or, la région est l’une des plus grandes productrices de sel. Les 10 à 12 000 paysans sauniers, qui ramassent le sel sur le littoral « pieds nus », craignent cette décision qui aboutirai à un triplement du prix du sel pour tous les habitants de la région.
Le soulèvement dit des Nu-pieds éclate le 16 juillet 1639, à Avranches. Charles Le Poupinel, lieutenant au présidial de Coutances, est assassiné par un groupe d’hommes qui le soupçonnent (à tort) d’être porteur de l’édit d’établissement de la gabelle dans le Cotentin. S’ensuit, dans la région d’Avranches et de Domfront, une agitation de quatre mois durant lesquels les intendants et les receveurs sont pris pour cibles, les bureaux de droits systématiquement pillés et brûlés. Des groupes armés s’organisent sous le commandement d’un mystérieux Jean Nu-pieds, général de l’« Armée de Souffrance ». Le mouvement prend de l’ampleur et s’étend à toute la Normandie au cours de l’été : des révoltes urbaines à Bayeux, à Caen et à Rouen. Enfin, à partir de novembre 1639, une répression sévère et violente (4000 hommes et 1200 cavaliers), menée par le colonel Gassion et par le chancelier Séguier, s’abat sur la Normandie. Le climat de tension dure jusqu’en 1643, avec des pics sporadiques de violence réactivés par les mesures de répression et les représailles des soldats contre les populations (exécutions exemplaires, logement forcé des armées, privations de revenus pour les villes, interdiction du Parlement de Rouen jusqu’en janvier 1641).
Brice Evain s’intéresse aux écrits, aux récits, aux mots, aux discours, sur la révolte des Nu-Pieds. Quatre temps peuvent être distingués dans la production discursive de ce soulèvement populaire : le temps de la sédition, tout d’abord, s’accompagne d’une « littérature d’action » selon le mot de Christian Jouhaud, c’est-à-dire d’un ensemble d’écrits séditieux rédigés durant la révolte et qui participent de son déroulement ; vient ensuite le temps de la répression, qui n’est pas seulement politique mais également symbolique et scripturale, à travers un ensemble de décisions, de discours officiels et de déclarations venant désigner et circonscrire l’événement pour mieux l’abolir ; enfin, le temps de la mise en récit, une fois la révolte achevée, voit s’articuler des procédures d’ordre journalistique puis historique – au registre du témoignage, succèdent ceux enchevêtrés de l’histoire et de la mémoire.
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