L’auteur :
Pierre Schneider est professeur d’histoire ancienne à l’université d’Artois et membre de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée. Il est agrégé de Lettres classique à l’ENS d’Ulm et auteur d’une thèse sur Grèce, Rome, océan Indien : la Méditerranée antique et les mondes de la mer Erythrée qui préfigure la direction majeure que prendront ses recherches, c’est à dire la recherche des multiples connections entre la Méditerranée antique et les mondes de l’Océan Indien. Il se focalise dans cet ouvrage sur un point précis de son champ de recherches, afin de permettre à un public large d’en prendre connaissance.
Cet ouvrage, Les éléphants de guerre dans l’Antiquité, IVe-Ier siècle avant J.-C. a été publié pour la première fois en juin 2015 par Lemme édit, collection Illustoria, et fait 109 pages, comprenant iconographie, chronologie, lexique, liste des auteurs cités et bibliographie.
Résumé de l’œuvre :
Ce livre a pour but de présenter l’usage et les symboles associés aux éléphants de guerre, en prenant en compte l’actualité scientifique de l’animal.
I- Eléphants d’Asie, éléphants d’Afrique (p7)
1- Espèces et sous-espèces, de l’Antiquité à nos jours (p7)
L’éléphant est un mammifère de l’ordre des Proboscidien. La famille des éléphantidés apparaît il y a 3 millions d’années. Celle-ci se découpe entre Loxodonta (éléphant d’Afrique) et Elephas (éléphant d’Asie). Ce dernier est plus petit. L’animal est habile de sa trompe et possède une démarche silencieuse. Il a besoin de près de 200 kilos de fourrage au quotidien, et de 80 à 100 litres d’eau. Leur sociabilité est très développée.
2- La domestication de l’éléphant (p10)
Elephas maximus est le premier à être domestiqué, alors que Loxodonta est longtemps chassé. Les peuples aryens sont les premiers à incorporer l’éléphant dans leur culture. L’éléphant y est dépeint comme la monture des rois et les éléphants de combat font partie intégrante de l’armée. La capture de l’animal était suivie d’un processus d’intimidation. Par la suite, une fois l’éléphant associé à un cornac, leur lien est fort et empreint de bienveillance.
3- « Les plus grands sont dans l’Inde » (p14)
Pline l’ancien affirme que l’éléphant asiatique est le plus grand. Or il apparaît que nulle confrontation militaire n’avait encore eu lieu entre les deux espèces, et qu’à l’époque l’Inde, seule à posséder des éléphants de combat, a inspiré des témoignages hyperboliques.
II- Alexandre, le premier… (p19)
1- Gaugamèles (p19)
En -331, Alexandre le grand affronte Darius III, le roi perse. Leur dernière bataille eu lieu à Gaugamèles, terrain à l’avantage de Darius, fort de quinze éléphants. La victoire d’Alexandre lui permet de s’emparer des bêtes et d’apprendre à les connaître.
2- La bataille de l’Hydapse (p21)
C’est en 326 que le souverain indien de Taxila demande à Alexandre de s’aventurer dans le Pendjab, face à Poros, et lui offre en contrepartie davantage d’éléphants. Le terrain était coupé en deux par le fleuve Hydapse. Alexandre attaqua Poros par le flanc. Ses hommes repoussent les assauts de l’armée de Poros en direction de ses éléphants qui, rendus fous, piétinent amis comme ennemis. Alexandre profite ensuite de leur épuisement et l’emporte.
3- La fin de l’expédition en Inde (p25)
Alexandre pousse ses conquêtes jusqu’à l’empire des Nanda, dont l’armée comprenend plusieurs milliers d’éléphants. L’armée du conquérant fait alors pression pour arrêter ici l’expédition. Alors qu’il en possédait près de deux cent, il ne fait pas usage des pachydermes. Toutefois il s’en sert pour son décorum royal.
4- Le décadrachme « de Poros » (p27)
Il s’agit d’une médaille commémorative, rappelant la victoire d’Alexandre à la bataille d’Hydapse. On l’y voit affronter Poros qui se trouve sur le dos d’un éléphant. L’animal représente en effet la majesté indienne désormais entre les mains d’Alexandre.
III- Au temps des Diadoques et de Pyrrhos : les éléphants dans le monde méditerranéen (p33)
La mort d’Alexandre, en 323 av. J.-C. entraîne de nombreux conflits de succession.
1- Quelques batailles du temps des Diadoques (p35)
Perdiccas, désigné Chiliarque en -323, voulait s’emparer de la totalité du royaume d’Alexandre, et s’attaqua à la Satrapie de Ptolémée, dans l’actuelle Egypte. Perdiccas seul avait des éléphants. La première rencontre a lieu près de Péluse. Ptolémée l’emporte. Perdiccas se dirige alors vers Memphis, où il tente d’utiliser ses éléphants pour franchir le Nil mais perd deux mille hommes à cause de cette décision malheureuse. Cela entraîne une rébellion, la mise à mort de Perdiccas et l’incorporation de ses forces à l’armée de Ptolémée.
Suite à cela, Antipatros est nommé épimélète en -321, et regagne la Macédoine avec une partie des éléphants d’Alexandre. Les accords de Triparadisos qui ont lieu la même année confient à Antigonos le borgne le rôle de stratège de l’Asie, ce qui lui confie le commandement de l’armée royale, dont 70 éléphants, et la mission d’éliminer Eumène de Cardia, soupçonné de s’être allié à Ptolémée. Lors de la bataille d’Orkynia, alors qu’Eumène a deux fois plus de fantassins et de cavaliers, les trente éléphants d’Antigonos lui permettent d’emporter la victoire. Il poursuit Eumène jusqu’à un affrontement direct. La bataille a lieu sans vainqueur véritable. La rencontre suivante en Gabiène en -316 sembla tourner à l’avantage d’Eumène, mais Antigonos, qui avait capturé les familles des soldats, les força à se rendre.
2- Les éléphants en Europe : de Polyperchon à Pyrrhos (p43)
Polyperchon succède à Antipatros. Or Cassandros aspire à reprendre le poste par la force. Il est rejoint par Antigonos. Cassandros s’empare du Pirée dès -317. Polyperchon veut le bloquer à l’aide de ses éléphants et d’une partie de son armée qui part prendre Mégalopolis, cité alliée de Cassandros. Or sur aucun siège les éléphants ne l’emportèrent. Ils participèrent à la prise d’Argos en -316 et d’autres moururent de faim lors du siège de Pydna en -315.
En Epire règne Pyrrhos depuis le début du IIIe siècle. Il part vers l’ouest en -281, appelé par Tarente, alors en guerre contre Rome. Les éléphants se démarquent face à l’armée du consul Valerius Laevinus à Héraclée en Lucanie. Les armées se rencontrent une nouvelle fois à Ausculum en -279. La bataille dure deux jours. Le premier, les éléphants peinent, mais le deuxième, ils mettent en déroute les romains. En -278, Pyrrhos répond à l’appel de Syracuse, où il part sans grand succès. Il retourne en -275 en Italie, où deux armées consulaires l’attendent. Manius Curius le vainc à Bénévent. Il retourne dans la péninsule Balkanique où il se jette sur Antigonos Gonatas, et meurt au combat en -272, suivi par ses éléphants.
IV- Les éléphants indiens des Séleucides contre les éléphants « éthiopien » des Lagides (p49)
La partie asiatique de l’empire d’Alexandre est séparée, après la mort d’Antigonos le borgne en -301, entre deux anciens satrapes devenus rois.
1- Séleucos Ier, le maître des éléphants (p50)
Son royaume était au contact de celui, indien, de Chandragupta, auquel il a cédé une partie du sien en échange de quatre à cinq cent éléphants. Séleucos Ier profita pleinement de cette particularité. Il diffuse donc cette figure au travers de la monnaie.
2- Les Ptolémées et la chasse des éléphants « éthiopiens » (p52)
Ptolémée Ier possédait sans doute quelques éléphants indiens. Toutefois, au contraire de son voisin, Ptolémée II n’avait pas accès à un approvisionnement régulier en éléphants. Il fait alors acheminer jusqu’à lui des Loxodonta, venant de la corne de l’Afrique. Ils y étaient capturés, dressés sommairement dans des bases et ramenés par bateau. La première base fut fondée en -270. Cette pratique s’arrêta pendant le règne de Ptolémée V (-205/-180).
3- Éléphants indiens et éléphants éthiopiens (p55)
Ptolémée II voulait associer à l’éléphant d’Afrique le même prestige que celui accordé à son cousin asiatique. Il y parvient auprès des Hellènes en vantant son acquisition des savoirs liés à la capture et au dressage. Ptolémée III a également affirmé l’utilité des Loxodonta à la guerre, notamment au cours de la 3e guerre de Syrie face à Séleucos II. La propagande lagide atteint sa consécration lorsque Ptolémée III met en avant la capture des Elephas.
4- La bataille de Raphia (p57)
Toutefois, c’est au cours de la 4e guerre de Syrie que la propagande ptolémaïque prend fin. En effet, dans une bataille opposant Ptolémée IV à Antiochos III, en -217, les lagides l’emportent, mais la déroute de leurs éléphants d’Afrique est terrible. Les animaux de guerre perdent leur stature.
V- Rome, Carthage et les éléphants (p61)
1- Les éléphants des Carthaginois (p62)
Les Carthaginois ont incorporé les éléphants dans leur armée après le conflit avec Agathocle, tyran de Syracuse. Assiégeant Carthage en -310 à la demande des cités grecques, Agathocle s’allie à Ophellas, qui attaque et repousse les Carthaginois jusqu’à leurs murailles. Le siège dure de -308 à -307, mais échoue. Les carthaginois eurent besoin de renforcer leur armée par des éléphants, et s’approvisionnèrent près de leurs terres. La monnaie carthaginoise laisse penser à des Cyclotis, sous espèce des Loxodontas, plus petits que la moyenne. Quant aux cornacs, ils étaient majoritairement carthaginois.
2- La première guerre punique (p65)
Carthage y utilise une cinquantaine de pachydermes face aux Romains en -264, pour contrer le siège d’Agrigente. Ils sont repoussés et la guerre déplacée en Afrique, où Carthage s’oppose à Regulus. Le terrain accidenté gênant les éléphants, ils durent se replier. La conduite des évènements fut alors remise à Xanthippos. La bataille de Tunis, disputée en terrain plat, tourna en faveur des troupes puniques, qui voulurent pousser, sous Hasdrubal, jusqu’à Panormos (Palerme) en -250. Le consul Lucius Caecilius Métellus organisa une défense efficace grâce à des unités mobiles qui, à coups de javelot répétés, firent perdre leur discipline aux animaux qui dévastèrent leurs propres rangs. Métellus en captura une partie.
3- La deuxième guerre punique (p68)
La deuxième guerre punique est causée par l’avancée des Carthaginois en Espagne. Hamilcar Barca, fort d’une centaine d’éléphants, s’y avance à partir de -237. Son fils Hannibal crée le conflit en -218 en attaquant Sagonte. Hannibal franchit ensuite les Pyrénées et les Alpes, où y perd beaucoup d’hommes mais peu d’éléphants. En décembre -218, sur les bords de la Trébie, l’armée punique et les deux armées consulaires se rencontrent. Les armées romaines sont vaincues. Le froid décime les pachydermes et seul celui que monte Hannibal survit. La guerre s’enlise et Hannibal reçoit des renforts en -215, qu’il utilise pour le siège de Nola. En Espagne s’illustre le jeune Scipion. En -206, Scipion affronte Hasdrubal et, par l’action ciblée de ses hommes, sème la déroute dans les rangs d’éléphants de son ennemi, ce qui met à mal Romains et Carthaginois. Lors de la grande bataille de Zama, qui voit s’affronter Scipion et Hannibal, les rangs romains étaient prêts à recevoir la charge des quatre-vingt éléphants puniques. La victoire de Scipion est totale.
4- De la deuxième guerre punique à César (p74)
Les romains firent très peu usage d’éléphants. L’idée tenace selon laquelle Loxodonta fuit face à Elephas est peut-être la conséquence de la domestication millénaire de ces derniers. Ils sont employés face à Philippe V, pendant la 2e guerre de Macédoine, ou encore pour défendre Massilia face aux Gaulois. Plus importante fut l’action de Juba, allié des partisans de Pompée pendant leur poursuite par César. Ses pachydermes étaient surmontés de tourelles pour les rendre bien visibles afin d’effrayer l’adversaire. Toutefois la plupart de ces éléphants étaient novices. L’affrontement eu lieu à Thapsus, en actuelle Tunisie. La Ve légion combat les animaux et sort victorieuse de ce combat. Soixante-quatre animaux sont capturés, et en -46, quarante éléphants prennent part au triomphe de César.
5- L’image de l’éléphant à Rome (p76)
Nombres d’éléphants sont utilisés au cours des triomphes, car ils représentent la mise au pas de forces immenses. L’éléphant est représenté sur de très nombreux deniers de l’époque.
VI- Les éléphants au combat (p79)
1- Le cornac et les équipements (p79)
Les unités d’éléphants répondent au modèle de la suite géométrique (2, 4, 8… Jusqu’à 64). Un responsable des éléphants de guerre était appelé « commandant des éléphants ». De plus, les éléphants avaient un nom. L’homme chargé de diriger et s’occuper d’un pachyderme est un cornac. Il s’asseyait sur la nuque de l’animal et le dirigeait à la voix et au moyen de l’ancus. Mais pendant les batailles, l’éléphant était dirigé par des pressions de doigts de pieds sur ses oreilles. Il était traité en guerrier, et orné en conséquence. Il portait des protections frontales, des couvertures de couleurs, une clochette au cou, et des pièces de métal voire des lances accrochées aux défenses. La créature pouvait accueillir sur son dos jusqu’à trois guerriers en plus de son cornac, voire une tour.
2- Le combat (p85)
Ils étaient assimilés à la cavalerie et/ou la charrerie, et étaient utilisés pour des manœuvres d’assaut, d’encerclement et de poursuite. Ils se battent au moyen de piétinement, saisie, coups et projections. Leur pouvoir terrifiant était surtout obtenu face à des troupes inexpérimentées et était particulièrement puissant sur les chevaux. Les éléphants étaient lancés en petit nombre sur le terrain, bien que cela puisse varier. Quelquefois ils étaient disposés parmi les troupes avec un intervalle de 30m. Les éléphants étaient inégaux en tailles et forces. Ils pouvaient aussi être utilisés pour renverser des obstacles.
3- Neutraliser les éléphants (p88)
Leur utilité est temporaire, car les hommes apprennent vite à les neutraliser. Des soldats à l’équipement léger les harcelaient à cheval à l’aide de piques, d’autre utilisaient des javelots, d’autres encore la fronde réputée très efficace. On pouvait aussi se servir de balistes embarquées sur des chars. La connaissance des points vitaux de l’animal s’est étoffée. Des chaînes mobiles servaient à l’immobiliser, et des porcs enduits de pois étaient enflammés et jetés au centre des troupes d’éléphants pour les affoler.
4- Genus anceps (p91)
Les accès de colère des éléphants causaient des morts nombreuses dans les deux camps. Aussi, pour prévenir la perte de contrôle, le cornac possédait un ciseau et un marteau, afin de mettre fin à la fureur de leur monture d’un coup entre les oreilles.
Conclusion :
Pierre Schneider a su, à mon sens, inscrire un sujet qui à l’origine semble précis et pointu dans une histoire plus globale, très agréablement introduite ici. Sa concision par rapport à l’étude de H. H. Scullard, The elephant in the greek and roman world, rend la lecture simple au vu des informations précises. Néanmoins, le chapitre VI devrait être lu après le chapitre I, car il permet une appréciation plus fondée des exemples développés dans le reste de l’ouvrage. L’ancrage des connaissances sur l’éléphant de guerre dans un contexte relativement familier, ainsi que la partie sur l’idéologie sont à mon sens les points forts du livre.