Le livre Negotiating Transcultural Relations in the Early Modern Mediterranean: Ottoman-Venitians Encounters s’intéresse aux contacts multiformes entre les Vénitiens et les Ottomans à Venise et dans les marges frontalières entre les territoires des deux Etats, qui sont autant de zones de rencontre formelle et informelle. Dans Negociating Transcultural Relations, Stephen Ortega démontre que les contacts ne sont jamais stables, qu’ils dépendent des contextes, et qu’ils doivent sans cesse être entretenus et négociés. Il s’intéresse d’abord à la présence des marchands ottomans à Venise, d’abord dans le quartier de l’Insegna dell’Angolo après la paix de 1573, puis dans le bâtiment appelé Fondaco dei Turchi fondé en 1621 sur le Grand Canal. Le chapitre suivant porte sur les moyens accordés aux Ottomans (de Venise et d’ailleurs) pour s’adresser à l’Etat vénitien et à sa hiérarchie de conseils. Le chapitre 3 s’intéresse aux rencontres et aux passages de frontières dans les marges de Dalmatie. Le chapitre 4 inverse le point de vue: cette fois, il analyse la manière dont les Ottomans traitent les marchands vénitiens au sein de leur empire. Le chapitre 5 est une étude de cas sur un long conflit entre les deux camps, qui mêle à la fois le commerce, la flotte militaire, la piraterie et la sphère politique. Ce conflit est également lié à toute l’évolution des rapports entre Ottomans et Vénitiens entre 1573 et 1621 (chapitre 1). 

Cette fiche accompagne la lecture du livre dirigé par Judith Tucker, The Making of the Modern Mediterranean: Views from the South (2019).

 

Introduction

Muslims in the West

L’étude part d’un fait : l’influence musulmane en Occident a été largement ignorée dans les études sur les contacts interculturels entre le monde islamique et l’Europe.

Sur les musulmans en Espagne après 1492, voir Leonard Patrick Harvey, Muslims in Spain 1500-1614 (Chicago, The University of Chicago Press, 2005).

Sur les connections inter-communautaires, voir Eric Dursteler, Venetians in Constantinople : Nation, Identity and Coexistence in the Early Modern Mediterranean (Baltimore, John Hopkins Press, 2006).

Sur les Brokers et les Go-Between, voir Nathalie Zamon Davis Trickster Travel : a Sixteenth-Century Muslim Between Worlds (New York, Hill and Wang, 2006) et Natalie Rothman, Brokering Empire : Trans-imperial Subjects between Venice and Istanbul (Ithaca, Cornell University Press, 2012).

Actuellement, le livre qui représente la déclaration la plus définitive sur les musulmans au début de l’Occident moderne reste The Muslim Discovery of Europe de Bernard Lewis (1982). En utilisant une grande variété de sources musulmanes, Lewis postule que si les musulmans ont eu des contacts avec l’Europe de différentes manières, jusqu’à la révolution française, les États musulmans et les intellectuels musulmans, y compris les Ottomans, n’étaient pas particulièrement intéressés par la culture et les idées occidentales. Déclarant que si des groupes dispersés de marchands musulmans existaient dans les villes européennes, le petit nombre de voyageurs musulmans ne se compare en aucun cas au grand nombre d’Européens qui non seulement ont voyagé, mais se sont parfois installés au Moyen-Orient. Dans son ouvrage, Lewis fait référence à une communauté de marchands ottomans à Venise qui vivait dans sa propre résidence, mais aucune source d’archives n’est incluse pour faire la lumière sur leurs relations commerciales ou sur leurs relations sociales.

Tentant de démystifier l’idée d’une guerre en cours entre les mondes chrétien et musulman, Venezia e i Turchi de Paolo Preto (1975) couvre un large éventail de perceptions vénitiennes des Turcs, allant des contacts à Venise aux représentations des Turcs dans les correspondances politiques et la littérature. Preto théorise que, bien que les Vénitiens aient perpétué des stéréotypes négatifs sur les Turcs, les relations réelles entre les deux États et leurs peuples sujets respectifs étaient caractérisées à la fois par le conflit et par la coopération. Le fait que Preto s’appuie sur une grande variété de sources donne à l’œuvre une large perspective et lui permet de commenter les musulmans ottomans dans une variété de situations différentes. Pourtant, le livre de Preto ne consacre qu’un chapitre aux musulmans ottomans de la Sérénissime, et ce chapitre n’indique pas les liens sociaux, les solidarités de groupe ou l’influence ottomane. Preto est davantage préoccupé par le fait de se concentrer sur les perceptions et les attitudes vénitiennes au sens large.
Si les travaux de Lewis et Preto représentent deux tentatives pour comprendre les relations interculturelles, d’autres études rompent avec la tendance à se concentrer sur les Européens au Moyen-Orient et se concentrent davantage sur le rôle de groupes ottomans spécifiques qui ont voyagé en Europe. Une grande partie de l’attention s’est concentrée sur les groupes chrétiens et juifs ottomans qui sont venus en Europe. L’accent a été mis sur les liens qu’ils ont établis avec les habitants et sur leur propension naturelle au commerce. Cette tendance a eu pour effet de marginaliser l’implication des musulmans dans les formes d’échange.

C’est le cas de :
– Benjamin Ravid (« The Legal Status of the Jewish Merchants in Venice (1541-1638) », Ph.D. thesis, Université de Harvard, 1973) et James Ball (« The Greek Community in Venice : 1470-1620 », Ph.D. thesis, Université de Londres, 1984)
– David Abulafia, Mediterranean Encounters : Economic, Religious, Political, 1100-1550 (Aldershot England, Ashgate Press, 2000)
– Francesca Trivellato, The Familiarity of Stranger : The Sephardic Diaspora, Livorno, and Trade in the Early Modern Period (New Haven, Yale University Press, 2009)
– Molly Greene, A Shared World : Christians and Muslims in the Early Modern Mediterranean (Princeton, Princetion University Press, 2000)
– Molly Greene, Catholic Pirates and Greek Merchants : A Maritime History of the Mediterranean (Princeton, Princeton University Press, 2010)
– Jessica Roitman, The Same but Different ?: Intercultural Trade and the Sephardim, 1595-1640 (Leiden, Brill, 2011)
– Deborah Howard, Venice and the East : The Impact of the Islamic World on Venetian Architecture (New Haven, Yale University Press, 2000)
– Rosamond Mack, Bazaar to Piazza : Islamic Trade and Italian Art (Berkeley, University of California Press, 2002)

Voir aussi Peregrine Horden, Sharon Kinoshita (dir), A Companion to Mediterranean History (2014)

Dans « A Death in Venice (1575) : Anatolian Merchants Trading in the Serenissima » (Journal of Turkish Studies, 10, 1986, p. 191-218), Cemal Kafadar souligne l’importance de la communauté marchande musulmane anatolienne dans le commerce mené à Venise. Soutenant l’argument selon lequel les musulmans étaient plus impliqués dans le commerce ottoman que ce qui a été généralement admis, l’auteur souligne la croissance constante des activités commerciales musulmanes à travers l’Adriatique. En décrivant ces activités, il démontre que les musulmans n’étaient pas seulement impliqués dans le commerce régional, mais étaient également des acteurs importants dans le commerce à longue distance. Ce rôle a fait d’eux des acteurs dynamiques dans un système fondé sur la coopération et les connexions transrégionales.

Connected histories

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