Cette fiche analyse la construction du modèle de Méditerranée dans l’oeuvre de Fernand Braudel. Elle s’intéresse notamment au concept d' »économie-monde » et aux « invasions nordiques ». Elle s’intéresse ensuite aux critiques historiographiques et aux renouvellements que celles-ci apportent dans le cadre des New Area Studies et des New Mediterranean Studies depuis 2000. Elle se conclut avec les fiches de lecture de plusieurs ouvrages qui développent une autre approche de la Méditerranée post-braudélienne.

Fernand Braudel est né en 1902 dans la Meuse. Etudiant au lycée Voltaire de Paris puis à la Sorbonne, il est reçu à l’agrégation d’histoire en 1923 et enseigne au lycée de Constantine (Algérie) dès 1924. Il découvre alors les paysages méditerranéens en Algérie.
Face à la science historique dominée par les méthodes de Langlois et Seignobos, il se tourne plutôt vers la science géographique. Il est influencé par Paul Vidal de la Blache, puis par Marc Bloch et Lucien Febvre, les deux chefs du courant des Annales à partir de 1929.
Marc Bloc meurt fusillé en 1944. Après la mort de Lucien Febvre en 1956, Fernand Braudel devient le nouveau chef de file des Annales. L’influence des Annales est alors considérable en France et en Europe : influencée par les méthodes allemandes, l’historiographie doit être « totale », c’est-à-dire qu’elle doit rechercher une vision globale du développement historique, dans tous les champs sociaux. Une mise en perspective globale des phénomènes historiques, sur le long terme, devient à la fois possible et souhaitable. C’est ce projet qui est réalisé dans La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, la thèse de l’auteur, débutée en 1927.
En 1947 déjà, à Paris, le démantèlement de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (fondée en 1868 pour introduire en France les pratiques allemandes de la formation par la recherche) aboutit à la création d’une VIe section de l’EPHE. L’impulsion est venue d’Alexandre Koyré, Lucien Febvre, et Fernand Braudel, les principaux animateurs du courant des Annales. Celle-ci est devient ensuite une institution à part entière, l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociale (EHESS), en 1975.
En 1979, il écrit Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècles, qui se veut une histoire économique du monde sur quatre siècles, en mettant l’accent sur les aspects culturels, économiques et sociaux, au détriment des événements politiques. Il y défend l’idée que le capitalisme n’est pas une idéologie, mais un système économique élaboré progressivement par le jeu de stratégies de pouvoirs.

I. La composition de La Méditerranée

Fernand Braudel est mobilisé en août 1939 et fait prisonnier à Mayence le 29 juin 1940. C’est en captivité dans les camps de Mayence et de Lübeck qu’il écrit sa thèse, uniquement de mémoire et sans aucun accès à l’immense documentation qu’il a accumulée avant la guerre.
C’est en 1949 qu’est publiée la première édition La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II (une deuxième édition, remaniée et plus riche, est publiée en 1966, deux autres en 1976 et 1979). Au départ, il s’agissait d’une histoire politique et diplomatique du règne de Philippe II (1556-1598). Mais la correspondance qu’il entretien avec Lucien Febvre (dès le début de son travail de thèse en 1927) puis avec le géographe Jacques Bertin le pousse à transformer son projet initial . Dans la Méditerranée, la mer est personnifiée : elle devient un personnage historique.

II. Les apports épistémologiques de La Méditerranée

A. Les trois temps de l’Histoire

Le projet de La Méditerranée est évidemment celui de l’« histoire totale ». Braudel y propose une approche renversante de la temporalité historique, en distinguant 3 temps :
– le temps structurel (celui de la géographie, de la géologie, du climat, quasiment immobile) ;
– le temps civilisationnel (celui des groupes humains, des voyages et des échanges culturels) ;
– le temps événementiel (l’histoire à proprement parler, dont il minimise l’importance).
Braudel préfère la longue durée et l’histoire-problème au temps de l’événement. Contrairement à la « fracture » entre la Méditerranée chrétienne et l’Islam (développée par Henri Pirenne dans Mahomet et Charlemagne, 1922, publié en 1936), Braudel insiste sur la rencontre des civilisations entre les rives de la Méditerranée.

B. Les civilisations méditerranéennes

Braudel insiste sur la rencontre entre des civilisations entre les rives de la Méditerranée, qui est alors le centre du monde connu au XVIe siècle. Pour lui, les sociétés n’existent pas et seuls existent les rapports sociaux. Sa pensée peut être résumée en citant André Burguière  : « les cultures n’existent pas. Seuls existent les contacts et les échanges culturels. Les cultures isolées, repliées sur elles-mêmes, sont des fictions ou des cultures condamnées. Car une culture a besoin de contacts et d’échanges pour exister, comme notre corps d’oxygène pour survivre. Les cultures peuvent s’appréhender comme des ensembles différenciés qui font système par leur intelligibilité globale et leur capacité à se reproduire. Mais ce sont des ensembles mouvants qui n’existent que par les rapports qu’ils entretiennent entre eux ».
En fait, pour Braudel, la culture n’est jamais une structure fixe : elle se transforme en permanence par les contacts qu’elle entretient avec d’autres cultures, et elle n’a pas d’autre futur que sa propre disparition si elle n’a aucun contact avec les autres cultures. Pour durer, une culture doit s’obliger à sortir d’elle-même et à se confronter pour se transformer. Influencé par l’ethnologie et l’anthropologie, Braudel préfère donc évoquer des « civilisations » plutôt que des « cultures », et conçoit donc la « mondialisation » comme un processus d’interconnexions, avec des phases d’intensité et de nature variées, façonnées par de nombreux facteurs. La notion de « civilisation » est donc fondamentale, et nous retenons que les civilisations ne peuvent exister que parce qu’elles se croisent et s’enchevêtrent, s’empruntent les uns aux autres. Pour Braudel, les « civilisations » ont une qualité de permanence qui leur accorde stabilité et originalité. Les civilisations peuvent avoir des centres de gravité géographiques, elles n’ont cependant aucune frontière les unes avec les autres et se mêlent en permanence.

C. L’unité de la région « Méditerranée » (une forme d’Area Study)

La cohérence de la Méditerranée en tant que région tient d’abord à sa géographie. Elle se compose de différents milieux qui sont connectés entre eux par des mouvements d’hommes, d’animaux, de marchandises et de capitaux. L’agriculture sédentaire est au cœur de l’économie des milieux méditerranéens (beaucoup plus que la transhumance et le nomadisme). L’artisanat et les industries urbaines produisent tous les types de produits (qu’ils soient indispensables, nécessaires ou bien de luxe). Cependant, cette économie est limitée : elle a besoin d’un commerce à longue distance, qui relie ainsi la Méditerranée au reste du monde. A partir du XVIe siècle par exemple, l’élément nouveau qui permet la circulation commerciale en Méditerranée est constitué par l’argent des Amériques. Pour Braudel, ce sont les flux monétaires qui ont créé des connexions entre les rives septentrionales de la Méditerranée et le reste du monde, puisque l’argent espagnol a permis d’acheter les produits orientaux, mais aussi les produits asiatiques arrivant du Levant . Mais il va plus loin : c’est une aire de rencontre, de confrontation, de partage et d’hybridation. C’est donc une « aire culturelle ». Mais cette aire culturelle n’est ni latine, ni byzantine, ni ottomane ; ni chrétienne, ni musulmane : elle est tout cela à la fois. Ce qui fait l’unité de la Méditerranée en tant que « région » et qu’« aire culturelle », c’est la présence simultanée de différentes cultures et religions.
De ce point de vue, Braudel est évidemment l’un des créateurs des Area Studies. Au même moment, William Skinner propose une autre forme de structure spatiale : les « macro-régions » . Skinner se concentre en particulier sur la Chine. Pour lui, dans les macro-régions, les hiérarchies urbaines forment l’ossature autour de laquelle s’organisent les populations engagées dans différentes formes d’interactions. Elles se définissent donc d’abord par une concentration des populations et des ressources dans des zones centrales (les « noyaux régionaux ») qui rayonnent sur leurs périphéries. Comme pour Braudel, la macro-région est animée par les interactions entre les hommes, les animaux et les marchandises.

D. L’économie-monde

Les Clionautes multi-écran

Vous souhaitez lire la suite ?

Actifs dans le débat public sur l'enseignement de nos disciplines et de nos pratiques pédagogiques, nous cherchons à proposer des services multiples, à commencer par une maintenance professionnelle de nos sites. Votre cotisation est là pour nous permettre de fonctionner et nous vous en remercions.