Une excellente fiche de lecture de l’ouvrage de Dominique Iogna-Prat, qui éclaire ou propose des rappels toujours nécessaires sur la culture du christianisme, le développement du monachisme clunisien, les rapports entre le christianisme, les autres monothéismes et les mouvements considérés comme hérétiques, ainsi que les relations entre les abbés de Cluny et le renforcement de l’Eglise pontificale à partir du XIe siècle. Pour cela, l’auteur s’appuie sur l’analyse et le commentaire de plusieurs textes de l’abbé de Cluny Pierre le Vénérable (1122-1156).
L’auteur : Dominique Iogna-Prat (né en 1952) est un historien médiéviste français, qui introduit l’ecclésiologie (étude de l’Église) dans le champ des sciences sociales. Ses travaux s’efforcent de penser le fonctionnement de l’Église comme fabrique sociale et l’emprise du religieux sur le social au Moyen-Âge. Il a notamment travaillé sur la construction du christianisme par l’exclusion (Ordonner et exclure, 1998) et sur les lieux de culte et la spatialisation du sacré dans l’Occident latin (La Maison Dieu, 2006). Il recourt aux outils de la sociologie et de l’anthropologie, notamment en matière d’échanges, de définition des biens et des liens sociaux…
Démarche de l’ouvrage
Problématique : comment émerge la « Chrétienté » en tant qu’espace dans lequel s’inscrit la communauté des disciples du Christ, sous l’égide de l’Église, institution dont la fonction est d’inclure et de structurer la société au cours des XIème et XIIème siècles ?
Comprendre comment la Chrétienté se structure à la fois comme une institution affirmant ses différences face à l’extérieur (hérétiques, judaïsme, islam) et une utopie universaliste accompagnant, justifiant et aiguillant l’expansion de l’Occident latin aux XIème-XIIème siècles.
Comprendre comment la persécution et la diabolisation de l’Autre ont pu devenir une « nécessité structurale » (R.I. MOORE) pour la société chrétienne au cours des XI-XIIème siècles
Origine des problématiques
Rappel :
– Dans le contexte romain, le pape Gélase Ier (492-496) distingue l’autorité (auctoritas, détenue par les clercs) et le pouvoir (potestas, détenu par les souverains)
– À partir des années 1050, cette dyarchie évolue dans le sens d’une « subordination du pouvoir à l’autorité » (p. 11).
– Dans cette dynamique, la « Chrétienté » devient une structure à caractère social et temporel, dotée d’un centre (Rome) et de limites qu’il faut défendre et étendre
Citation : Le Décret de Gratien (v. 1140) affirme que « les prêtres du Christ doivent être considérés comme les pères et les maîtres des rois et de tous les fidèles ». |
Positionnement historiographique/épistémologique :
– Ne prétend pas faire une histoire dite « religieuse », mais une histoire sociale = étude du fonctionnement de la société à une époque et un espace où les productions idéelles étaient du ressort exclusif des clercs
Méthode :
– Étude menée à travers le prisme de l’ordre de Cluny et plus précisément de l’œuvre de son neuvième abbé, Pierre le Vénérable (1122-1156)
– Le choix de se centrer sur la figure de Pierre le Vénérable ne signifie pas que cette vision est celle de toute l’Église
Pourquoi se centrer sur Cluny ?
– Au XIIème siècle, l’ordre est devenu un puissant réseau se dilatant dans toute la Latinité, étendu jusqu’aux avant-postes de la Chrétienté face à l’Islam (péninsule ibérique, Terre Sainte…)
– Progressivement, les Clunisiens confondent leur Église avec l’Église universelle
– Ordre clunisien rapidement placé sous l’autorité directe de Rome
– Réforme grégorienne -> changements dans le monachisme qui se met de plus en plus au service de la défense de l’Église : participe à la mise en ordre de la Chrétienté
Pourquoi Pierre le Vénérable ?
– 9ème abbé de Cluny, particulièrement actif à défendre l’Église dans les 1120-1150s
– Écrit à la fois contre ennemis de « l’intérieur » (hérétiques) et de « l’extérieur » (juifs, musulmans) -> triptyque théologique : Contra Petrobrusianos (hérétiques), Aduersus Iudeos (Juifs), Contra sectam sarracenorum (musulmans)
Ouvrage qui suit un schéma en 3 parties
1) La confusion progressive entre l’ordre de Cluny et la chrétienté
2) La chrétienté face aux ennemis intérieurs
3) La chrétienté face aux ennemis extérieurs/infidèles (Juifs et Sarrasins)
Partie 1 : Les moines et l’ordre du monde
Chapitre 1 : La mise en « ordre » de la Chrétienté
=>Récit de la division de la société chrétienne en « ordres »
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