La fiche de lecture du vaste ouvrage Le temps de la guerre de Cent Ans dans la collection « Histoire de France » des éditions Belin. Une somme, très pratique pour commencer à entrer dans la question d’histoire médiévale-moderne.
Elle peut être accompagnée, afin d’élargir la maîtrise de la chronologie du sujet, à une fiche sur l’Italie, les îles britanniques et les Espagnes au Moyen-Age, d’une fiche sur l’Atlas de la France médiévale: hommes, pouvoirs et espaces, du Ve au XVe siècle (Antoine Destemberg – Fabrice Le Goff, Guillaume Balavoine), d’une fiche sur Le temps des Valois (1328-1515) par Claude Gauvard et d’une fiche sur La construction de l’Etat monarchique en France de 1380 à 1715 (chapitre 7 – 8 – 9), dirigé par Christine Bousquet-Labouérie et Valérie Sottocasa.
Sur les sources
On divise les sources de l’historien en deux parties : textuelles et matérielles. A partir du VIIIe, les sources écrites se multiplient, mais reste parcimonieuses jusqu’au XIIe siècle. Pour ces périodes où l’écrit se fait rare, il faut avoir surtout recours à la documentation matérielle. Puis les rapports s’inversent.
La documentation écrite dont peu disposer l’historien ne cesse de s’étoffer à partir du XIIe. Mais si la documentation est rare avant, ce n’est pas parce qu’on ne sait pas écrire : c’est que cette civilisation est dominée par une culture qui valorisait l’oral au détriment de l’écrit. Il s’en est suivi un recul de l’alphabétisation des élites, et par conséquence un reflux des sources écrites. Cette période coïncide aussi avec une anémie de la civilisation urbaine, des échanges.
A l’inverse, essor économique et démographique à partir du XIe. Enrichissement général de la population. Cet essor favorise l’émergence des villes, des écoles, des échanges marchands et intellectuels. Le XIIe est le siècle de la renaissance de la culture savante, qui aboutit à la création de l’Université au XIIIe. Diffusion aussi de la pratique de l’écrit au-delà des milieux savants, même si celle-ci reste largement aux mains des clercs.
La fin du Moyen-Age profite de cet élan. Poursuite de l’urbanisation et de l’enrichissement. Apparition d’une classe moyenne de paysans et d’artisans aisés, de bourgeois et de petits nobles qui suscite une demande croissante de la scolarisation.
L’usage de l’écrit devient un enjeu de pouvoir. Exigences assez bien satisfaites dans les grandes villes et même dans les campagnes de certaines provinces riches comme la Champagne (écoles paroissiales).
L’alphabétisation est donc très inégale. Elle concerne avant tout les garçons, citadins et enfants des classes aisées. Mais les filles n’en sont quand même pas exclues.
L’enseignement reste largement sous tutelle ecclésiastique, mais les maîtres sont parfois des laïcs. Par ailleurs, une grande partie de l’enseignement primaire se déroule au sein de la famille, soit quand la mère apprend à lire aux enfants, soit quand le père paie un précepteur.
Ce phénomène d’alphabétisation touche près de 10-15% de la population française au XIVe.
L’usage de l’écrit est donc devenu banal pour les classes moyennes et supérieures
Le savoir est devenu une valeur pour les laïcs. Christine de Pizan appelle Charles V « le sage », c’est-à-dire le savant. La plupart des nobles savent lire et une grande partie d’entre eux sait aussi écrire et compter. Ils tiennent des registres, écrivent sur leur livre d’heure, livres de raison (qui écrivent les mariages, décès, alliances…) lettres privées, même si ces sources sont mal conservées. L’écrit pratique est devenu banal.
Il est devenu normal, partout en France, à la fin du Moyen-Age, de passer devant un notaire pour établir en droit une transaction économique : achat, vente, prêt, bail, dot, contrat de mariage. Ce notaire rédige les actes et les donne aux parties, mais il en conserve un résumé, la minute, dans ses archives personnelles. Ces registres sont des sources précieuses pour l’histoire économique et sociale.
Deux conséquences : la diffusion massive du papier, moins cher que le parchemin ; diffusion du français au détriment du latin.
Le français apparaît comme langue écrite aux côtés du latin, timidement au XIIIe, puis largement à la fin du XIVe. Le latin reste la langue des savants et de l’administration ecclésiastique, mais cède peu à peu la place à la langue vernaculaire, ennoblie par la littérature et l’histoire dès le XIIIe, puis par le droit et le savoir (dans les traductions) au XIVe. A la suite de l’adoption du régime de la preuve écrite devant les tribunaux au XIIIe, le français devient aussi promu au rang de langue juridique. Elle est aussi la langue utilisée par la chancellerie sous les Valois. La fragilité de la légitimité de cette dynastie et la nécessité de négocier l’impôt a conduit à multiplier les chartes en vernaculaire pour se concilier les administrés. Jusqu’à l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1532 qui interdit formellement l’usage du latin dans l’administration.
L’adoption du français a contribué à en faire une langue nationale. « Le français se déploie donc partout où le roi exerce sa souveraineté et tend à faire coïncider cette langue du pouvoir avec les limites du royaume ». Ce français est d’abord celui parlé en Ile-de-France, avec des ajouts de néologismes d’origine latine, de mots empruntés aux dialectes régionaux, y compris de la langue d’oc. En outre, cette langue est écrite, mais n’est pas la langue parlée ! Dans les régions, on parle encore largement les langues locales. Ce n’est que la IIIe République qui impose le français dans l’enseignement primaire !
Christine de Pizan première femme de lettres de l’histoire de France, fin XIVe. Elle s’inscrit dans le vaste mouvement de laïcisation du savoir. Cela lui permet d’avoir un public, à condition d’écrire en français, pour un lectorat curieux, puisqu’il l’Histoire n’est pas enseignée à l’Université.
L’apparition d’un public pour l’histoire nationale se conjugue avec les besoins de propagande des monarchies contestées pour favoriser la diffusion d’une histoire écrite à l’ombre du trône. L’enjeu en France est déjà bien compris au XIIIe : les rois commandent la traduction des histoires de France produites jusque-là en latin par les moines de Saint-Denis : ainsi commencent les Grandes chroniques de France. Ce potentiel politique est ensuite bien compris par Charles V qui confie à son chancelier Pierre d’Orgemont (un laïc) la continuation des Grandes chroniques pour l’histoire de son règne. 1437 Charles VII crée la charge d’historiographe du roi, confiée à Jean Chartier, appointé et ayant prêté solennellement serment au roi. L’histoire se fait alors clairement propagande.
Ajouter d’autres sources : les journaux personnels, les discours (Jean Petit), les sermons (Gerson), les traités politiques (Songe du verger), les œuvres littéraires (Eustache Deschamps)…
Révolution archivistique au XIVe. Ne concerne pas que les personnes privées à travers l’enregistrement des minutes notariales ou le souci récent pour certains seigneurs laïcs ou des marchands de tenir des comptes de gestion de leur domaine ou de coucher leurs états d’âme sur le parchemin ; elle touche aussi et surtout les chancelleries ! Depuis le XIIe, le dvp des Etats a gonflé le volume des sources écrites et les a diversifiées. L’enquête, la mise par écrit et l’enregistrement de l’information sont autant de moyens de connaître et de dominer.
C’est la chancellerie pontificale qui l’a fait la première, dès 1198, avant l’Angleterre. En France, il faut attendre Philippe le Bel. La masse archivistique est énorme. Il faut classer les archives royales pour les rendre utilisables. Leur centralisation à Paris date de la première moitié du XIIIe, après le désastre de 1194. Elles sont installées dans la seconde moitié du XIIIe dans une annexe de la Sainte Chapelle, mais le premier garde officiel du « Trésor des Chartes » apparaît seulement en 1307, avec les registres de la chancellerie. Le fonds est remanié sous Charles V : le garde du Trésor des chartes divise en coffres (ou layettes), dans lequel on range les chartes volantes, et registres, dans lesquels on copie en double les actes expédiés ou reçus.
La justice royale produit aussi une masse considérable d’archives. Les plus anciens jugements conservés du Parlement de Paris remontent à 1254, mais leur enregistrement systématique ne commence vraiment que vers 1300-1310. Les archives judiciaires forment aussi un corpus énorme.
La Chambre des comptes, à partir de 1320, vérifie la comptabilité des officiers royaux et produit à son tour une masse considérable d’archives. Chaque compte doit être accompagné de pièces justificatives propres à expliquer les mouvements de fonds exercés par les agents du roi. Il ne reste malheureusement que des épaves dispersées de ce fonds qu’il a bien fallu organiser (disparues aussi lors de l’incendie de 1737).
C’est cette habitude d’écrire et de conserver qui permet à l’historien de créer des séries statistiques.
Famines, pestes récurrentes, conflits interminables, durant le siècle de la « Guerre de Cent ans ». Sentiment de vivre une période tragique pour les contemporains. Les historiens ont ensuite perpétué la vision pessimiste d’un « automne du Moyen-Age » (Johan Huizinga) avec désastres et désordres, déchirure de l’Eglise, folie du roi, sauvagerie des violences, foi exacerbée, divisions haineuses, apparition dans l’art de la Mort…
Boris Bove part du constat que le phénomène majeur de ce temps est l’affirmation progressive de l’Etat monarchique, une construction territoriale unifiée par la soumission directe à la souveraineté royale. Cet Etat s’édifie dans et par la guerre, qui constitue, avec la sacralité religieuse de la royauté, son instance principale de légitimation, en même temps qu’elle justifie l’instauration progressive d’une fiscalité générale.
L’établissement d’une fiscalité régulière et d’une armée permanente confère une solide assise à la monarchie, en outre maîtresse de l’Eglise du royaume et seule détentrice du pouvoir législatif, judiciaire et monétaire. Elle triomphe de ses ennemis extérieurs et intérieurs. La puissance du roi, sa majesté et son prestige particuliers, s’expriment dans le développement d’une cour nombreuse et fastueuse, aux usages de plus en plus codés. L’institution curiale focalise l’art et la littérature et elle définit des modes.
La mise en place et l’essor d’un appareil d’Etat suscitent des révoltes et des émeutes. Mais ce sont avant tout des protestations contre la guerre et ses réquisitions, contre les injustices de la répartition de l’impôt. Il reste un grand courant de dévotion et de respect du roi. Les princes territoriaux, quant à eux, souhaitent échapper à la tutelle royale, ou bien contrôler étroitement la monarchie et ses ressources financières.
La fin de la Guerre de Cent ans marque la stabilisation relative du nouveau régime. La machine étatique est installée.
Boris Bove renverse quelques idées reçues sur la « crise » des XIV-XVe. Il ne s’agit pas de nier les calamités ; mais il faut contester l’affirmation d’une décadence globale. Les loups n’entrent pas chaque soir dans Paris, la peste et la guerre demeurent sporadiques et intermittentes. Il y a quand même une progression de la production agricole et artisanale ; la dépopulation après la peste a permis la concentration des terres, ce qui a permis le développement économique, ainsi que l’essor du commerce du luxe. La veine macabre de l’art est en fort beaucoup plus limitée que ce que l’on a dit, la piété doloriste à l’égard de la Passion du Christ traduit l’approfondissement et la personnalisation du sentiment religieux.
La fin du Moyen Age est marquée par 3 phénomènes majeurs :
– Une phase de forte croissance de l’Etat XIIIe-XVe siècles
– Une crise économique d’origine agraire
– Une crise démographique avec la peste
Les deux premiers phénomènes sont l’effet du développement de la civilisation féodale au Moyen-Age central ; le dernier est exogène.
Depuis le XIe, croissance qui s’est traduite par un enrichissement général, y compris de l’Etat. C’est en s’appuyant sur la richesse de leur petit domaine francilien que les rois du XIIe réussissent à s’imposer sur leurs vassaux puis à financer l’administration au XIIIe. Croissance économique et genèse de l’Etat sont donc liées, mais à des rythmes différents. C’est quand l’économie s’essouffle, au XIIIe, que l’Etat s’affirme. Cette affirmation entraîne des ruptures avec le vieux système féodal, de même que l’imposition fiscale indispensable. Provoque la guerre, les révoltes, les répressions, ce qui ruine l’équilibre économique encore en place au début du XIVe.
Pour Boris Bove, « les turbulences politiques relèvent plutôt d’une crise de croissance de l’autorité publique qui accélère la gestation de l’Etat nation ».
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