Un article de Charles-Robert Ageron qui interroge le sens de l’Exposition Universelle Coloniale organisée au bois de Vincennes en 1931.

Plusieurs ressources extérieures à Clio-prépas :

Sur le site du Palais de la Porte Dorée: https://monument.palais-portedoree.fr/le-contexte-colonial/l-exposition-coloniale-de-1931

Sur Gallica: https://gallica.bnf.fr/html/und/enregistrements-sonores/exposition-coloniale-internationale-de-paris-1931?mode=desktop

Autres: https://www.archivesdepartementales.puy-de-dome.fr/n/l-exposition-coloniale-internationale-de/n:30 et https://www.expositions-universelles.fr/1931-exposition-coloniale-vincennes-.html

Introduction

L’apogée de l’idée coloniale en France ainsi que l’apothéose de l’Empire se serait situé autour de 1930/1931. Les Fêtes du Centenaire de l’Algérie et l’Exposition coloniale de Paris auraient manifesté ce triomphe. L’auteur avance l’idée qu’il s’agit aujourd’hui davantage de dates et lieux de mémoire de la IIIème République.
L’article ne traite que de l’Exposition Coloniale ; quel fut son rôle ? Eut-elle une influence réelle sur La perception qu’avaient les participants de « l’aventure coloniale » ?

I. La tradition de l’exposition coloniale

Celle de 1931 n’est pas la première ; il y en eut même sous le Second Empire.
En 1889, c’est la première où les colonies eurent le droit à une représentation au sein de l’Exposition internationale universelle. Mais c’est une échec pour la propagande coloniale ; l’exotisme l’emporte sur la vision coloniale.
((Définition « exotisme » = fascination pour une culture étrangère, est surtout un jugement de valeur de la part d’un groupe dominant (endogroupe) qui pointe du doigt les différences (réelles ou imaginaires), motifs de discrimination, avec un groupe dominé (exogroupe). Voir STASZAK J.-F., Qu’est-ce que l’exotisme, 2008))

En 1900, Eugène Etienne, patron du parti colonial, aide à présenter l’œuvre coloniale dans le jardins du Trocadéro pour la Grande Exposition Universelle. Elle devait être une propagande commerciale et éducative, mais elle sacrifia encore une fois beaucoup à l’exotisme.
Pour pallier ces problèmes récurrents, Le Comité national des expositions coloniales est créé en 1906. Il intervient dans toutes les expositions françaises organisées en métropole ou à l’étranger :
Ex : Exposition franco-britannique de Londres en 1908.

II. Le projet d’exposition coloniale internationale de 1913 à 1927

L’influence de Louis Brunet (membre actif du parti colonial) est de plus en plus importante. Il encourage l’élaboration d’un programme en 1913 pour mettre sous les yeux des visiteurs les résultats de l’entreprise coloniale.
Ce projet a l’ambition de créer deux expositions : une première à Marseille en 1916, et une seconde à Paris en 1920. La Première guerre mondiale freine bien sûr le processus, mais on reprend les travaux de préparation quand revient la paix.
La loi du 7 mars 1920 accélère le processus et consacre le principe d’une exposition coloniale internationale.
Les dates sont plusieurs fois repoussées. Celle de Marseille a lieu en 1922. Celle de Paris, plus ambitieuse, ne cesse d’être reportée. Pour donner une direction stable au projet et arrêter une date, Lyautey est nommé commissaire général de l’Exposition.

III. Les conceptions de Lyautey

3 objectifs :

– Il a la volonté de réaliser une « grande leçon d’action réalisatrice, un foyer d’enseignement pratique » (d’après les propres mots de Lyautey), en bref il ne s’agit plus d’une simple œuvre rendant hommage à l’apothéose colonial, elle doit aussi pouvoir s’adresser aux commerçants, hommes d’affaires, industriels français ou étrangers.

– Il veut également y retracer l’histoire de France depuis les premières Croisades, le but étant de restituer ses dimensions nationales à l’effort colonial français.

– L’exposition doit enfin être une manière de tourner la page de la Première guerre mondiale pour pays européens, de rappeler que l’Europe ne renonce pas à sa tâche civilisatrice, qu’elle est à la pointe du combat contre l’ignorance et la maladie.

Toutefois, peu de pays répondent présent.
Seuls cinq Etats européens construisent des pavillons nationaux et coloniaux, ce qui est bien en deçà des espérances de Lyautey. Cela rend l’Exposition d’autant plus francocentrée.
Elle devient une occasion de faire le point sur l’entreprise coloniale française ; on y synthétise les réalisations de la France dans son empire colonial, ainsi que les apports des colonies à la Métropole.
Avril 1930 : le ministère des Colonies publie un ouvrage définissant les « But et organisation de l’Exposition » : « [L’Exposition] sera une justification et une réponse ».
Parti colonial pratique lobbying intense, notamment pour doper le budget communication ; parvient le 18 mars 1931 à obtenir 12 millions en plus des 5 initialement prévus.

IV. La propagande anticoloniale

Les anticolonialistes du Part Communiste sont poussés par le Komintern à davantage d’activité.
La Ligue française contre l’impérialisme présente ainsi une « contre-exposition » au pavillon des Soviets baptisée « La vérité sur les colonies ». On y dénonce les profits des entreprises capitalistes réalisés dans les colonies, on montre des photos des guerres coloniales, ainsi que des clichés du bonheur des peuples asiatiques libérés par la révolution soviétique.
Elle est aussi un échec, ne rencontrant que l’indifférence des visiteurs.

V. Une lecture de l’Exposition

Voir La France, puissance mandataire

L’Exposition se veut internationale dans les faits, mais se limite à une œuvre d’éducation nationale qui s’apparente à un plaidoyer passéiste.
En référence à Jules Verne, elle devait être un « Tour du monde en quatre jours ».

Beaucoup de réalisations de l’Exposition ne sont pas réalistes, exagèrent les couleurs et l’architecture.
Ex : Palais rouge de Madagascar flanqué d’une tour surmontée de têtes de bœuf, ce qui est une invention complète des organisateurs de l’Exposition !

On note également l’organisation d’un grand nombre de spectacles, souvent très ambitieux.
Ex : processions rituelles des génies villageois de l’Annam, cérémonie religieuse dans une pagode du Laos. Orchestres africains, musiciens de café maures, ballets annamites… Ces représentations sont apparemment de bonne qualité, beaucoup de moyens sont engagés.

Dans l’optique d’affirmer le rôle civilisateur de la colonisation, l’Exposition rend un hommage appuyé aux missionnaires et militaires, ce dont témoignent les pavillons des missions catholiques et protestantes au centre de l’avenue des Colonies françaises.

On essaie surtout de limiter la dimension exotique de l’Exposition, qu’exècre les coloniaux.
Mais impression d’opulence et de richesse, bien loin de la réalité, de la misère. Donc cette Exposition est elle aussi une illusion.

Lyautey voulait aussi attirer l’attention sur les progrès permis par la politique indigène en termes de santé publique et d’infrastructures. Cependant, les pavillons avec le plus de succès (de loin) sont ceux qui présentent des arts décoratifs.

Les hommes politiques sont d’ailleurs peu nombreux à rendre hommage dans leurs discours aux grands noms de la conquête coloniale. Gambetta n’est même jamais évoqué.

VI. Bilan matériel et moral de l’Exposition

En 193 jours, du 6 mai au 15 novembre 1931, on dénombre plus 33 498 000 entrés !
Le parc zoologique, surtout, est le point d’orgue, avec un total de 5 288 462 entrées.
En prenant en compte le fait que plusieurs tickets par personne étaient nécessaires pour accéder à toutes les attractions, le nombre de visiteurs est estimé à 8 millions ; 4 millions de Parisiens, 3 millions de provinciaux et 1 million d’étrangers.

Quand au bilan moral, il est difficile à estimer ?
Les responsables estiment que le monde colonial est maintenant moins nébuleux, plus tangible, dans l’esprit des Français… Mais ils doutent que le sentiment impérialiste ait fait son chemin jusqu’à eux.
Beaucoup ne sont pas d’accord entre eux. Léon Blum aurait voulu une Exposition avec « moins de festivités et de discours et plus d’intelligence humaine ».
A son terme, il semblait y avoir consensus autour de la noblesse de la mission civilisatrice de l’Europe en général, et de la France en particulier.

Mais le Parti Colonial n’est pas satisfait. L’Exposition a certes frappé l’imagination des visiteurs, mais elle n’a pas fixé l’importance de l’Empire dans les esprits.
Lyautey pense d’ailleurs de même façon. Elle est certes un succès, mais seulement matériel. Elle n’a pas changé les mentalités.
Même chez les politiques, le silence autour du monde colonial est assourdissant.

En réalité, un sondage réalisé en 1949 montre que l’apogée de l’idée coloniale en France n’était même pas en 1931, mais après la Seconde Guerre mondiale. Bien après l’Exposition de Vincennes donc…
C’est après la fin de l’ère coloniale que naît ce mythe erroné de l’Exposition de 1931 comme apogée de l’idée coloniale. On a ainsi oublié existence d’autres Expositions postérieures telles que Salon de la France d’Outre-mer de 1933, l’Exposition du Tricentenaire du rattachement des Antilles à la France de 1935 ainsi que le quarantenaire de la conquête de Madagascar, l’Exposition Internationale de 1937……
L’auteur perçoit donc la Coloniale de 1931 comme un événement assez mineur, mais largement amplifié avec le temps, notamment ressuscitée par le droite nationaliste pour dire que 1931 était un apogée ; cela aurait permis de passer sous silence un certain nombre de points gênants en lien avec les années 40 ; on oublie le refus de Vichy de continuer de lutter via l’Empire, on n’explique pas pourquoi l’armistice a été signée sans même consulter les territoires d’outre-mer, …

D’après l’auteur, le véritable apogée se situerait plutôt le 25 avril 1946, lorsque la proposition de Lamine Guèye (député du Sénégal) est votée à l’unanimité par l’Assemblée constituante et permet d’accorder la citoyenneté à tous les ressortissants des territoires d’outre-mer.