Plusieurs chapitres de cet ouvrage collectif (rassemblant des spécialistes de la question du travail en Europe occidentale) illustrent les liens entre le développement du syndicalisme ouvrier et des mouvements sociaux en Angleterre et en France. Certains chapitres sont plus spécifiquement britanniques (le luddisme ou le chartisme). D’autres chapitres abordent des sujets spécifiquement français tels que la révolte des Canuts de Lyon en 1831 ou la révolte de juin 1848.

Voir aussi Partie « Repères », chapitres 1, 2 et 3 dans Marion Fontaine, François Jarrige et Nicolas Patin (dir), Le travail en Europe occidentale (1830-1939), Atlande, 2019 et Le travail en Europe occidentale (ch. 1 à 10), Fabien Knitell (dir.), Armand Colin, 2020

Chapitre 5 : Le luddisme, refus de la mécanisation (François Jarrige)

Une pratique anglaise

Le luddisme est le nom donné en Angleterre à des mouvement sociaux qui se sont traduits par des bris de machines dans les usines entre 1811 et 1812. Le terme est peu à peu utilisé pour décrire d’autres protestations récurrentes en Europe jusqu’au milieu du XIXe siècle. Ces dernières questionnent les formes d’organisation du travail et de mécanisation des tâches.
Les émeutes du luddisme ne se limitaient pas au refus des machines, il s’agissait bien de protester contre les nouvelles méthodes de travail mécanique. Le mouvement n’est pas structuré et homogène. Là où le verlagssystem s’était déjà imposé les émeutes sont moins nombreuses que dans les zones de kaufsystem où subsistaient des petits artisans indépendants.

L’ombre européenne du luddisme

En Angleterre l’industrialisation a été précoce et marquée par la rapidité des bouleversements technologiques. En Europe continentale, au contraire, l’industrialisation modifie plus lentement le tissu proto-industriel, les bris de machine sont plus diffus, ponctuels et étalés dans le temps.
En France, des mouvements de destruction de machines éclatent en Normandie, dès la Révolution française. [industrie cotonnière] Ce type d’émeutes se reproduit de façon sporadique et dispersée dans les principales régions d’Europe conquises par le machinisme au XIXe siècle.
Dans l’espace allemand, les années 1840 sont émaillées de révoltes contre les premiers métiers à tisser mécaniques en Silésie et contre les filatures de lin à la machine en Westphalie.
La contestation ne se limite pas au secteur du textile. Les artisans des grands centres urbains protestent aussi contre la mécanisation. A Paris, les imprimeurs-typographes profitent des révolutions et de la vacance du pouvoir (1830 et 1848) pour briser les presses mécaniques.

Violences et grammaire de l’action collective

Dans l’ensemble, les luddites appartiennent au menu peuple des artisans et des compagnons, il ne s’agit en rien de l’action ne nouveaux prolétaires de l’industrie. Ces mouvements protestataires renvoient à une culture du métier et à des capacités d’organisation.
Ces actions renvoient à un répertoire d’action qui devait fournir aux travailleurs des moyens de négocier le changement technique. Ils recherchent toujours à légitimer le recours à la violence en recourant au langage du droit et de la morale.
Le recours à la violence dissimule la pluralité des modes d’action : envoi de pétitions, demandes d’intercession auprès des autorités, écriture de lettres de menace… Exemple : en 1848, les cloutiers des Ardennes exigent « la suppression des mécaniques ».
C’est seulement lorsque les stratégies pacifiques ont échoué que l’émeute collective surgit.

Mythes et imaginaire du luddisme

Le luddisme correspond à la fois à un mouvement social britannique limité dans le temps et l’espace et à une pratique contestataire récurrente dans l’Europe de la « révolution industrielle ».
Le terme est rapidement utilisé pour susciter l’effroi et disqualifier d’autres révoltes ouvrières. Peu à peu, le luddisme devient pour les élites synonyme d’une attitude rétrograde et ignorante.
Le terme « luddisme » vient symboliser une attitude de refus populaire à l’égard de l’industrialisation et la mécanisation du monde.
Le mot devient une bannière utilisée dans les luttes qui opposent les différentes lectures de la « révolution industrielle » :
– Chez les partisans de l’industrialisme et du progrès technique le luddisme incarne la sauvagerie des masses. C’est grâce à la machine que le prolétariat verra sa condition s’améliorer et son travail s’alléger.
– Chez les socialistes et les radicaux soucieux de promouvoir des réformes sociales et politiques considèrent aussi ces violences comme archaïques. Le luddisme est un chemin qui ne mène nulle part, une crise du mouvement ouvrier naissant.
– Chez les ouvriers, passage du refus brutal des machines à une recherche d’accommodements d’un phénomène jugé inéluctable.

Conclusion

Les émeutes luddites interrogent les logiques du processus d’industrialisation. Ce n’est que lorsque les formes d’actions pacifiques ou les négociations ont échoué que les formes extrêmes et violentes ont surgi.
Le luddisme fait partie du répertoire traditionnel de l’action collective et du registre des actes de justice populaire.
Le mouvement s’est essoufflé en Angleterre dans les années 1820-1830 et un peu plus tard en France pour plusieurs raisons :
– le changement de conjoncture économique ;
– l’affirmation du capitalisme industriel ;
– la recomposition interne du monde du travail et de ses modes d’action ;
– l’influence des courants radicaux (chartistes ou radicaux) qui postulent « l’affranchissement par les machines » ;
– le soutien dont pouvaient bénéficier les luddites parmi les élites locales et chez certains fabricants s’est effrité.
La formation progressive du consensus industrialiste et l’acceptation de la modernité comme inéluctable rend le luddisme du début XIXe siècle incompréhensible. Pdt deux siècle, c’est la définition disqualifiante du luddisme qui a triomphé.

Chapitre 6 : Le Chartisme (Fabrice Bensimon)

Le Chartisme est un mouvement politique ouvrier britannique.

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