Bonjour,

Voici le texte de la conférence que j’ai faite devant des élèves de khâgne du lycée Jules-Ferry de Paris, le 1er février 2013.

Comme il n’y a pas grand chose sur le sujet des prisonniers de guerre, mais que le programme sur les rapports que la société dans son ensemble entretient avec les conflits, du Second Empire à l’année 1945 les inclut directement, j’ai pensé que cela pouvait être utile aux Clionautes.

Je suis docteur en histoire contemporaine, j’ai fait ma thèse sur « L’image des prisonniers de guerre français de la Seconde Guerre mondiale, de 1940 à 2000 ».

http://clio-cr.clionautes.org/spip.php?article4265

Votre programme s’interroge sur les rapports que la société dans son ensemble entretient avec les conflits, du Second Empire à l’année 1945. Voici un angle de vue particulier, celui d’un groupe de soldats, les prisonniers de guerre : des combattants faits prisonniers par l’ennemi.
En quoi l’évolution des réactions de l’opinion publique à l’égard des prisonniers de guerre est-elle significative des changements de la société française confrontée à trois conflits en 75 ans ?

  1. La société française et la captivité durant la guerre de 1870
  • la captivité de capitulation

La première capture de prisonniers de guerre (PG) c’est lors de la capitulation de Sedan, en septembre 1870, 80 000 soldats français deviennent prisonniers. C’est un nombre énorme qui surprend les Prussiens qui les parquent dans la presqu’île d’Iges, dans un des bras de la Meuse : ils y restent une semaine, sans nourriture, et dans des conditions très difficiles.

« (…) Mais, à la tombée du jour, la pluie recommença. C’était un désastre. Quelques soldats avaient envahi les rares maisons abandonnées de la presqu’île. Quelques autres étaient parvenus à dresser des tentes. Le plus grand nombre, sans abri d’aucune sorte, sans couverture même, durent passer la nuit, au plein air, sous cette pluie diluvienne. (…) Et la journée du lendemain, et la journée du surlendemain, furent vraiment abominables, sous les continuelles ondées, si drues et si fréquentes, que les vêtements n’avaient pas le temps de sécher sur le corps. La famine commençait, il ne restait plus un biscuit, plus de lard ni de café. Pendant ces deux jours, (…) on vécut de pommes de terre volées dans les champs voisins. »
(Émile Zola , La Débâcle. Les Rougon-Macquart, histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire, Paris : Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, tome V, 1967, pages 756- 757.)

Un mois plus tard, c’est la capitulation de Metz, en octobre 1870 : 137 000 soldats (il faut attendre Stalingrad pour qu’autant de soldats soient prisonniers en une fois). 370 000 soldats en tout dans l’armée (+ 80 000 dans les dépôts) , 18 000 décédés en Allemagne. (58%)
Ils sont acheminés à pied vers les gares, puis en train de marchandises vers des lieux de captivité multiples : Stettin, île de Wesel près de Cologne, Silésie, Elbe, Bavière…
– les officiers peuvent rentrer chez eux s’ils renoncent à faire la guerre ; comme de nombreux refus sont enregistrés, ils sont assignés à résidence dans des villes. Ils reçoivent du gouvernement allemand une demi-solde de captivité.
– Les officiers subalternes : leur solde de captivité insuffisante, leur famille les aide
– Les soldats : placés dans des camps qu’ils construisent eux-mêmes, dans des baraques en planches, ils souffrent d’un manque d’hygiène et d’alimentation. Le travail n’est pas obligatoire mais est indispensable pour ceux qui veulent manger ! Ils effectuent des travaux de terrassement , de déblaiement, ils sont bûcherons.

Officiellement, la libération doit intervenir après la ratification du traité de paix, mais le rapatriement commence après le préliminaire de paix, soit en mars 1871 (l’essentiel des libérations). Une interruption intervient en avril, puis les libérations reprennent le 10 mai 1871, après la signature du traité de Francfort. La captivité a duré 10 mois.

  • 2 l’opinion publique soutient les prisonniers de guerre.
    – la population qui habite sur les lieux des combats est d’abord émue et affligée ; puis les habitants des régions traversées par les convois de prisonniers sont confrontés aux captifs, puis la population toute entière. Sont observés :
    * des actes et dons individuels pour aider les prisonniers de guerre
    * des souscriptions sont lancées par des journaux qui publient des listes, donnent des indications : c’est un immense élan national.
    * des prélats comme l’évêque de Genève (Mgr Mermillod) ou celui de Paris (Mgr de Ségur), orientent et répartissent les dons des catholiques.
    * des banquiers privés comme Graffenried et la Compagnie de Berne proposent le transfert gratuit de lettres et d’argent.

– Les prisonniers écrivent aux journaux français pour se plaindre (de l’Empereur, de Bazaine)

  • Des prisonniers de capitulation soutenus et honorés par la société jusqu’en 1914
  • a) l’armée, donc la France, ont été trahies. La France est fière de son armée qui sort grandie de cette guerre. Charles de Gaulle, dans ses Mémoires, raconte que lorsqu’il est enfant :
    « Rien ne m’émouvait autant que le récit de nos malheurs passés : rappel par mon père de la vaine sortie du Bourget et de Stains, où il avait été blessé; évocation par ma mère de son désespoir de petite fille à la vue de ses parents en larmes : « Bazaine a capitulé ». »
    (Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2000, 1505 pages, p. 6)

Ils sont des prisonniers de capitulation et non de combat. La preuve : beaucoup réintègrent l’armée dès leur libération en mars contre la Commune.
la France est soucieuse de leur sort, ils obtiennent des avantages : par exemple les officiers qui, à cause de leur détention n’ont pas eu de promotions, obtiennent de l’Assemblée nationale la rétrogradation d’un tiers des officiers promus pendant la captivité des autres.

La commémoration de cette guerre commence vers 1872-1873 : il a fallu attendre 2 ans (normal c’est une défaite) mais à partir de là :

en 1872 Victor Hugo les évoque dans l’Année terrible.

Victor Hugo, L’Année terrible, « Sedan », 1872.

« (…) Ce suicide prit nos fiers soldats, l’armée
De France devant qui marchait la renommée,
Et sans canons, sans pain, sans chefs, sans généraux
Il conduisit au fond du gouffre les héros.(…) « .

Victor Hugo, L’Année terrible, « A Prince Prince et demi », 1872.

« (…) Qu’il vous plaise ou non d’être à genoux dans la boue
Qu’importe! et l’on vous fouille, et l’on vous couche en joue.
Nous sommes dix contre un, tous armés jusqu’aux dents,
Et si vous résistez, vous êtes imprudents.
Obéissez! Ces voix semblent sortir d’un antre.
Que faire ? on tend sa bourse, on se met à plat ventre
Et pendant que, le front par terre, on se soumet,
On songe à ces pays que jadis on nommait
La Pologne, Francfort, la Hesse, le Hanovre.
C’est fait! relevez-vous! on se retrouve pauvre
En pleine Forêt -Noire, et nous reconnaissons,
Nous point initiés aux fauves trahisons,
Nous ignorants dans l’art de régner, nous profanes,
Que Cartouche faisait la guerre à Schinderhannes. »

Le premier extrait montre la surprise de la capitulation. Ils sont qualifiés de héros. Le second extrait est choisi pour vous montrez comment Hugo décrit le moment de la capture. Schinderhannes est, comme Cartouche, un brigand très populaire en son temps. Cartouche est exécuté en 1721, Schinderhannes, sorte de Robin des Bois très populaire outre Rhin, est guillotiné en 1803.

En 1873, la presse et l’opinion publique réclament un conseil de guerre à l’encontre de Bazaine, « la brebis galeuse » accusé d’avoir livré aux Allemands, sans résistance, un nombre considérable de soldats. Son procès dure du 25 septembre au 10 décembre 1873, les journaux reproduisent in extenso les débats. Il est condamné à la peine de mort, commuée en 20 ans de détention.

Les souvenirs écrits par les prisonniers durant ou après la captivité sont publiés alors qu’ils n’intéressaient pas à la fin de la guerre.

Les désastres sont transformés en actes de résistance. Le souvenir de la capitulation de Sedan est enfoui sous l’image d’un haut lieu d’une défense désespérée, la maison « des dernières cartouches » à Bazeilles, au sud de Sedan, créant ainsi un mythe.

La défaite des soldats français est expliquée, outre la trahison, par une infériorité numérique réelle face aux troupes « allemandes » (430 000 hommes auxquels s’ajoutent 160 000 hommes dans les dépôts et 190 000 dans la Landwehr).

  • 1892 : C’est dans ce contexte (qui se prolonge 10 ans après la guerre) que Zola publie La Débâcle, d’abord en feuilleton dans La Vie populaire, du 21 février au 21 juillet 1892. Il utilise des témoignages multiples, écrits et oraux, se déplace sur les lieux des combats, écoute les souvenirs des habitants de Sedan. D’anciens prisonniers lui envoient spontanément des manuscrits. L’accueil est mitigé, les critiques sont bonnes mais tout un pan de l’opinion, militariste découvre que ce roman ne cadre pas avec les mythes de l’armée, construits depuis 1871 (il montre l’incapacité des officiers) et organise une campagne de dénigrement contre Zola. Mais l’autre partie de l’opinion publique s’attache plus à la description des malheurs et des souffrances des populations et donc des prisonniers de guerre.
  • la guerre de 1870 reste à l’ordre du jour jusqu’en 1914 :

-des cérémonies grandioses sont organisées pour le 40 ème anniversaire, en 1911.
– un livre, Le Drame de Metz, évoquant le siège de cette ville, écrit par un professeur de religion au lycée de Metz , l’abbé Pierre Weiter, rédigé en 1911, fait l’objet de trois tirages successifs. C’est le siège au quotidien par ceux qui l’ont vécu, recueillant des témoignages de soldats et de témoins.

– les souvenirs de prisonniers de guerre sont continuellement publiés.

– Sedan passe dans le langage courant comme un synonyme de catastrophe mais sous la responsabilité de Napoléon III : le soldat a fait son devoir.

  • la captivité durant la Grande Guerre
  1. La capture durant la guerre de mouvement :

Tous les Français pensent que la captivité n’est pas à l’ordre du jour, car la captivité est le fait d’une trahison. Or l’armée française est une armée forte, bien commandée, animée d’un esprit de revanche, donc ne comptant pas de traître en son sein.
Mais en août 1914, c’est la reddition de la garnison de Maubeuge, 50 000 hommes deviennent prisonniers de guerre.

Ainsi s’explique l’ordre général n° 28, donné par le général Joffre, chef d’État-Major et généralissime, le 28 novembre 1914 :
« Tout soldat fait prisonnier par suite de son insouciance ou de sa négligence, tout chef, qui, par manque de fermeté, laisse prendre une partie de sa troupe par l’ennemi, commet une faute des plus graves. Le commandant en chef décide que tout militaire non blessé fait prisonnier sera, à son retour de captivité, l’objet d’une enquête à l’effet de déterminer s’il y a lieu de prendre, envers lui, des sanctions disciplinaires (..) notamment pour capitulation, désertion à l’ennemi ou abandon de poste en présence de l’ennemi. »

(Service Historique de la Défense, Armée de terre, 16 N2477).

Un peu moins de 600 000 soldats français sont faits prisonniers (les chiffres varient selon les historiens), surtout capturés en 1914, puis en 1918, c’est-à-dire pendant la guerre de mouvement. L’armée française compte 1,7 million d’hommes, 35% sont faits prisonniers. Ces captifs représentent 1,4% de la population française, qui s’élève alors à 41,6 millions d’habitants.

Ils sont acheminés à pied ou wagons à bestiaux vers Allemagne et retenus dans 120 camps entourés de barbelés, qu’il s’agisse de simples soldats ou d’officiers, car depuis les traités de La Haye en 1899 et 1907, la captivité est encadrée par le droit international. Il est interdit de faire travailler les officiers. En effet, les premières préoccupations humanitaires en temps de guerre datent de la deuxième moitié du XIXème, plus préciséement des guerres de Crimée (1854-1856) et de Sécession (1861-1865). La photographie en est à ses débuts, on photographie les morts et on envoie les photos à l’arrière. Les civils s’en préoccupent alors de même que les préoccupations sociales à l’égard des problèmes sociaux ou des pauvres se développent. Aider les blessés devient une idée importante. Henri Dunant , fonde la Croix rouge (1864) avec l’idée géniale selon laquelle des neutres prennent en charge les blessés sans s’occuper de leur nationalité. Mais on ne parle pas encore des prisonniers de guerre. Ils apparaissent pour la première fois lors de la guerre russo-japonaise (1904-1905) durant laquelle des listes de prisonniers de guerre sont échangées. C’est dans ce mouvement qu’il faut inscrire les conférences de la Haye (1899 puis 1907) qui constituent un embryon de système de protection légale en faveur des prisonniers (civils ou militaires). La Croix Rouge a créé l’Agence internationale des prisonniers de guerre qui a pour objet de dresser la liste des prisonniers de guerre, trouver leur lieu de captivité, dans quel état ils se trouvent et prévenir la famille qui peut alors leur écrire et leur envoyer des colis.

Les soldats, affectés dans des Kommandos de travail, remplacent les Allemands dans les tâches quotidiennes, perçoivent un salaire inférieur à celui d’un ouvrier, subissent la faim, les maladies, les punitions, les évadés étant envoyés dans des camps « de mesure de sûreté ». Au début de l’année 1917, des prisonniers de guerre français sont envoyés en représailles à huit kilomètres des premières lignes de feu françaises. Les conditions de vie sont très dures et 20 000 prisonniers de guerre français meurent en Allemagne (3%). Mais les conditions d’internement variaient en fonction des autorités du camp et des représailles que les Allemands veulent exercer, et évoluent parallèlement aux conditions de détention que les prisonniers de guerre allemands subissent en France.

  • Des prisonniers de guerre instrumentalisés par le gouvernement durant la guerre
  • début de la guerre :
    – les autorités militaires présentent les prisonniers de guerre comme des déserteurs qui doivent absolument s’évader pour reprendre le combat.
    – les journaux français évoquent les conditions de détention des prisonniers de guerre, comme par exemple le journal Le Matin, daté du 9 janvier 1915 :

« (…) Les prisonniers français transportés en Allemagne sont presque toujours injuriés voire même brutalisés le long de la route, tant par leurs gardiens que par la population postée sur leur passage. (…) On a emmené quantité de nos soldats, sans doute pour aggraver leur situation, jusque dans ces lointaines et tristes régions de la Poméranie ou du Brandebourg, où le climat d’hiver est très dur, même pour les Allemands qui y sont accoutumés. Le froid est d’autant plus pénible à supporter pour les prisonniers français que l’autorité allemande ne s’est pas préoccupée de leur habillement. La plupart n’ont pour se protéger, que les effets qu’ils portaient sur eux au moment où ils ont été emmenés en captivité (un grand nombre ont été pris au mois d’août). (…) A la moindre faute, ou plutôt sous le moindre prétexte, nos soldats sont mis au pain et à l’eau. De plus, les Allemands ont inventé un châtiment, dont il a été question dans la presse de ces jours derniers, et qui consiste à attacher les « coupables » à un poteau – comme autrefois on attachait les criminels au pilori, dans la cour du dépôt ou au milieu du camp. On les laisse là deux ou trois heures durant, surtout s’il fait très froid, exposés à toutes les intempéries. »

(L’Année 1915. 11 novembre 1995. Quatre-vingtième anniversaire de l’année 1915, Ministère des Anciens Combattants, pages 45 à 48.)

ATTENTION, il s’agit d’un texte de propagande, l’Agence des prisonniers de guerre de la Croix-Rouge (traité de La Haye) enquête et signale des progrès réalisés par les Allemands dès 1915.

– des associations réunissent des familles de prisonniers et font pression sur le Gouvernement afin qu’il accepte l’ouverture de négociations pour obtenir le retour de prisonniers captifs depuis de nombreuses années -sans succès-.

  • 1917-1918 : les prisonniers de guerre deviennent des victimes. Cette idée est reprise par le gouvernement pour montrer la barbarie des ennemis : il s’agit donc d’instrumentalisation des prisonniers de guerre. Selon le gouvernement, ils sont des éléments essentiels de l’armée, continuant le combat en sabotant le travail ou en pratiquant une résistance passive, des soldats au même titre que les Poilus.
  • Des prisonniers de guerre réhabilités tardivement :
  • à la fin des années 1910 :
    – Ils sortent des préoccupations du Gouvernement. L’État les craint car ayant vécu chez l’ennemi, ils peuvent avoir été retournés et être des espions -cette suspicion s’étend même aux prisonniers évadés-. L’Etat ne prend que très peu en charge leur retour.
    Ce sont des organismes privés qui s’occupent d’eux -ces mêmes organismes qui, pendant la guerre, envoyaient des colis de vivres et de vêtements-. Après la guerre, ils regroupent les anciens prisonniers pour obtenir une réhabilitation.
    – Le nom des prisonniers de guerre morts en captivité n’apparaît pas sur les monuments aux morts.

– Les prisonniers n’ont pas leur place dans les fêtes organisées pour célébrer la victoire, car c’est le sacrifice que les Poilus étaient prêts à consentir pour défendre le sol de la patrie qui est valorisé : or les prisonniers étaient retenus hors du territoire national, à la différence des Poilus qui se sont enterrés dans les tranchées, qui parfois y sont morts. Ce sacrifice a permis la résurrection du pays et le culte attaché aux morts devient une véritable religion civile. Le mythe de la guerre, construit autour du culte des morts, de la camaraderie née dans les tranchées et de l’héroïsme, permet de justifier et d’accepter la mortalité exceptionnelle durant la Grande Guerre. Les prisonniers n’entrent pas dans ce schéma et sont donc rapidement oubliés. Le prisonnier devient rapidement quelqu’un à qui il a manqué à un moment donné l’énergie, le courage nécessaire pour échapper à l’ennemi. Ils sont considérés comme démobilisés à partir du jour de leur capture, et ne peuvent donc bénéficier des primes qui leur sont dues. Leur participation à la guerre est niée dans tous les domaines.

– Les Français ne connaissent pas les conditions de la capture -souvent massives, dues à des erreurs tactiques- mais ayant en tête l’image de la captivité après capitulation, comme en 1870, ils savent que ce n’est pas le cas ici et pensent que la capture –surtout si elle n’est pas accompagnée d’une blessure- résulte d’une attitude individuelle : les soldats faits prisonniers ont-ils voulu combattre jusqu’au bout ?

b) durant les années 1920 :
– les prisonniers de guerre ont droit à la mention « mort pour la France » en 1922. Cette décision provoque un impact moral auprès des anciens prisonniers de guerre et les enfants des prisonniers morts deviennent Pupilles de la Nation.

– ils sont reconnus comme des combattants, mais ne touchent pas la même solde que les autres avant 1930 : cette différence est dûe à la méfiance déjà écoquée mais aussi aux problèmes financiers de la France.

– Un seul roman décrit la captivité, Axelle, de Pierre Benoit (1928). Pierre Dumaine, est fait prisonnier avec sa compagnie –donc une capture massive- , est envoyé en camp de représailles en Prusse orientale après trois tentatives d’évasion. Là, il est affecté en Kommando dans un château, sympathise avec le châtelain dont les fils sont à la guerre et tombe amoureux de la fiancée d’un des fils du châtelain. Si la description de la captivité montre bien les difficultés d’existence des prisonniers, le retour du prisonnier Dumaine se révèle également très difficile. Ingénieur électrique, sa place est prise lorsqu’il rentre, mais la Compagnie le reprend néanmoins. Il doit cependant s’entendre dire que la captivité n’a pas dû améliorer sa valeur professionnelle. Pierre Dumaine regrette l’Allemagne et tente d’expliquer le mépris dont il est victime : il rentre désabusé. Sa place n’a pas été conservée dans la société, parce que les prisonniers n’ont rien réclamé, par honte d’être captif ou par passivité.

  • durant les années 1930
    Pas de roman sur la captivité, et un seul film, La Grande Illusion. (1937). Le financement de ce film a été très compliqué et difficile car beaucoup pensent que cette histoire de prisonnier de guerre n’intéresserait personne. La situation se débloque parce que Jean Gabin, la valeur sûre du cinéma français, y croit ; un financier, Frank Rollmer, verse alors trois millions au nom de sa société de production, la RAC (Réalisation d’Art Cinématographique). Le tournage débute, le film est interrompu, les producteurs souhaitent visionner les scènes déjà tournées : ce qui gêne, ce qui n’est pas commercial, c’est l’idée de réfléchir sur la guerre en prenant l’état d’esprit des prisonniers de guerre.
    Contre toute attente, l’accueil du public est enthousiaste, le film réalise les meilleures recettes de l’année 1937. Mais, la campagne de promotion a été très bien organisée à partir du mois d’avril dans la presse spécialisée, de la fin du mois de mai dans la presse quotidienne, le film sortant le 9 juin. Présenté comme le clou de l’exposition universelle de Paris, qui se tenait alors, le film est projeté sans interruption de 10 heures à 2 heures du matin, et réalise à Paris des records de fréquentation, et l’unanimité de la presse, de droite comme de gauche. Les anciens prisonniers de guerre apportent leur caution au film, garantissent son authenticité documentaire. A l’automne, leurs associations président au lancement dans les villes de provinces, il est projeté dans 52 salles le 11 novembre. C’est ce film qui fait véritablement connaître la captivité : des hommes de 30 à 50 ans, des officiers. Les conditions de détention bien décrites, la vie quotidienne très organisée, l’ordinaire de l’alimentation est effectivement montré comme insuffisant, mais les colis familiaux permettent aux prisonniers de vivre à peu près correctement. Les fouilles sont fréquentes des chambres, certains prisonniers sont emprisonnés. Le film montre bien que ces hommes sont des soldats : certains ont été blessés, ils suivent les combats, chantent La Marseillaise, quand Douaumont est repris, essaient de s’évader sans arrêt (un camp de prisonnier, ça sert à s’évader, de Boëldieu-Pierre Fresnay). Ce ne sont pas des héros, certains ont peur de s’évader. Il ne s’agit pas d’un film de guerre, mais d’un film sur la guerre. Il montre le mélange des origines sociales dans l’armée : un acteur, un professeur, un fils de banquier devenu couturier, un ingénieur au cadastre, un noble. La Grande Illusion réhabilite l’image des prisonniers en construisant une image-type : des hommes, venus de milieux différents, blessés au combat, qui souffrent de la captivité. Ils sont patriotes, connaissent l’évolution de la guerre et ont pour obsession l’évasion : ils risquent leur vie pour s’évader et l’un se sacrifie pour les autres. Enfin la camaraderie des tranchées est remplacée par celle des chambrées.
  1. La captivité durant la Seconde Guerre mondiale
  • Les prisonniers de guerre sont des victimes (juin 1940- août 1941).
  • l’image de la capture
  • La captivité surprend la plupart du temps les soldats français qui découvrent brutalement que les Allemands les encerclent. Nombre de soldats sont faits prisonniers après l’armistice, sur une sorte de trahison, comme en 1870 ; d’autres ont été abandonnés par leurs officiers. 1,8 million d’hommes sont faits prisonniers, soit 37% des 5,5 millions de soldats de toutes les armes, mais 84% de l’Armée de terre. La France compte alors 41,5 millions d’habitants. Voici le témoignage d’Henri Calet :
  • « (…) A y réfléchir ceci surprend : pas une fois je n’ai pensé que je pouvais être fait prisonnier. Mort, oui – Mais prisonnier jamais. Et les copains, pas davantage. Comme si cette possibilité n’eût pas existé. En tout cas elle n’existait pas dans nos imaginations (…). Pour nous autres, un soldat français, cela devait combattre, vaincre ou périr. Sans autre choix. On nous l’avait enseigné à l’école primaire (…). Je ne veux pas dire qu’on avait exagérément envie de se battre, non. Je veux dire simplement qu’on n’a pas envisagé une seule fois de se rendre. Pourtant, on s’est rendus, et sans trop y mettre de façons ; il faut le reconnaître (…). La bonne volonté ne manquait pas. Il n’y avait qu’à nous expliquer parfaitement comment nous aurions dû nous y prendre pour mourir en braves, nous aussi. C’est les belles phrases qui font les beaux soldats. Au lieu de cela, rien, pas un mot ; on nous avait lâchés. Alors ? (…). ».
  • (Henri Calet, , Le Bouquet, Paris, Gallimard, l’Imaginaire, 2001, pages 57 et 58 . Henri Calet est fait prisonnier en juin 1940, il s’évade en 1941 et achève la rédaction de ce texte de mai à novembre 1942. Première édition chez Gallimard en 1947. Réédition en 1982.).
  • Aux vues des témoignages, l’image honteuse accolée à la captivité a disparu. Depuis la Grande Guerre, faire la guerre c’est être tué, pas être prisonnier. Donc les hommes sont globalement soulagés de la fin de la guerre, ce qui montre l’impact de La Grande Illusion. Mais aussi, à partir du moment où l’honneur a été sacrifié pour arrêter la guerre, la captivité n’est plus honteuse.
  • La plupart des hommes de moins de 40 ans sont retenus loin du pays. 1 580 000 hommes. Les Français se sentent concernés, ainsi que le prouve le contrôle postal.
  • – On les considérèe comme « de pauvres types qui se sont faits prendre », on n’observe aucune hostilité, « on ne voudrait pas être à leur place », « ils n’ont pas eu de chance ».
  • – Les Français font confiance à Pétain, qui prend en charge les prisonniers. On observe une adéquation entre l’image de victimes de prisonniers de guerre voulue par Pétain et ce que les Français pensent.
  • b) l’instrumentalisation des prisonniers de guerre par le gouvernement
  • Pétain va instrumentaliser les prisonniers de guerre :
  • – l’armistice est justifié notamment par la volonté d’épargner les vies des militaires français.
  • – Ies prisonniers de guerre permettent de justifier la collaboration car ils servent de caution. L’article 20 de la Convention d’armistice signée le 22 juin 1940 stipule qu’ « ils restent prisonniers jusqu’à la conclusion de la paix ». La Collaboration permet d’ « améliorer leur sort ». L’idée qu’il faut collaborer pour libérer les prisonniers de guerre est donc ancrée dans les pensées des Français
  • Or : Sur 1,5 million de prisonniers de guerre
  • * 600 000 libérés avant la fin ce qui est prévu par la Convention de Genève qui date de 1929 et qui constitue le texte de protection humanitaire et légale pour les prisonniers de guerre (à la différence des Conventions de La Haye qu’elle reprend et complète, la Convention de Genève ne concerne que les prisonniers de guerre militaires, pas les civils). Sont ainsi concernés les sanitaires (personnel médical), les anciens de la Grande Guerre et les pères de famille nombreuse. Sur les 600 000 libérés, 200 000 le sont grâce à Vichy.
  • Le gouvernement français met en place une administration pour s’occuper d’eux :
  • – un centre d’information pour aider et rassurer les familles (juillet 40) ; ce service installé à Vichy puis à Lyon (la direction du Service des prisonniers de guerre (DSPG) s’occupe du ravitaillement, de la localisation, du dénombrement et de la résolution des problèmes professionnels des prisonniers. Il y a une antenne à Paris. La DSPG envoie les colis Pétain, les prisonniers reçoivent aussi les colis de leur famille et ceux de la Croix-Rouge.
  • – le gouvernement français devient la puissance protectrice des prisonniers de guerre le 16 novembre 1940 et remplace les Etats-Unis, qui, alors puissance neutre, assuraient cet office qui consiste à vérifier l’application de la Convention de Genève. C’est le SDPG, Service diplomatique des prisonniers de guerre, qui exerce alors ce travail, appelé aussi Mission Scapini, du nom du chef du SDPG, Georges Scapini, blessé durant la Grande Guerre et resté aveugle à la suite de ses blessures, ce qui est perçu comme très symbolique par les prisonniers de guerre eux-mêmes, puisque c’est un aveugle qui est chargé de vérifier l’application de la Convention de Genève. Très symboliquement également, les bureaux de la Mission Scapini sont installés à Paris et à Berlin.
  • – En mai 41, le gouvernement crée la commission du retour pour permettre la réintégration rapide des rapatriés dans leur métier, une commission en zone occupée en décembre 1941, l’autre en zone libre en juin 1942. Cette commission est dirigée par un ancien prisonnier, Maurice Pinot,. En juillet 42, la commission change d’appellation et devient le commissariat général aux prisonniers de guerre et aux familles de prisonniers.
  • On voit bien que toutes ces créations manquent d’unité, les groupes sont mêmes concurrents et ne sont finalement pas très utiles pour les prisonniers quand ils sont rapatriés et pour les familles. Mais cela permet de montrer aux familles le soin que le gouvernement porte aux prisonniers de guerre. En voici quelques exemples :
  • – le mariage sans comparution personnelle est autorisé pour les captifs, ainsu que les procurations.
  • – des avantages en matière de logement sont octroyés aux familles de captifs.
  • – des campagnes pour collecter des livres, des partitions et instruments de musique sont lancées car les loisirs sont fondamentaux pour leur moral. Les dons sont déposés dans les écoles et dans les permanences de la Croix-Rouge. Les scouts, les chantiers de jeunesse s’occupent aussi de la collecte. Des campagne d’affichage sont organisées pour impliquer la population, des chanteurs vont se produire devant les prisonniers (Maurice Chevalier, lui-même prisonnier en 1914 ou Edith Piaf . Ils sont réquisitionnés par le gouvernement qui les menace d’une interdiction de se produire dans des salles de spectacle s’ils refusent – ce n’est pas, pas qu’ils ne voulaient pas voir les prisonniers de guerre mais cet acte les impliquait dans la collaboration). Edith Piaf a laissé aux prisonniers la totalité de ses cachets, elle a permis des évasions (en donnant des faux papiers), et Chevalier a obtenu la libération d’une dizaine d’entre eux. Assez vite, le gouvernement manque de fonds pour cette politique coûteuse à l’égard des prisonniers, et grâce aux affiches, appelle aux collectes. Les prisonniers de guerre sont dès lors affublés d’une image de nécessiteux qui s’étend à leur famille pour tous les Français : 80% des femmes de prisonniers travaillent ( contre 30% de femmes dans la population active dans les années 1930). Vichy n’a rien inventé, il reprend l’aide instaurée par la IIIème République pour les familles (même chose que pendant Grande Guerre). A partir du printemps 1941, le Maréchal aide plus les familles (allocations familiaires augmentées, loyer diminué …)
  • La société, les gouvernements et des images multiples des prisonniers de guerre (août 1941 à septembre 1944).

a) août 1941 à mai 1942 : les prisonneirs de guerre sont l’élite des Français
A partir d’août 1941, la situation évolue :
– Les familles et les Français ont compris que la captivité va être longue : la collaboration est justifiée par le retour des prisonniers de guerre or ils ne rentrent pas.
– Les Français sont pétainistes, c’est-à-dire ils font confiance au Maréchal, même si sa politique génère plutôt de la prudence : les premiers prisonniers rapatriés rentrent en mauvaise santé et ont des difficultés à reprendre la vie courante. Or les familles et les Français ne s’y attendaient pas car la guerre de 1870 avait été courte si bien que la santé des prisonniers avait été moins atteinte et les captifs de la Première Guerre mondiale sont peu nombreux, peu de Français les ont vu. En clair, il n’y avait pas de précédent pour habituer la population au fait que les prisonniers souffraient réellement dans les camps, d’autant que Pétain déclare s’occuper d’eux.

Pétain s’en rend compte et le montre lors du discours prononcé en août 1941, dit « discours du vent mauvais » :

« (…) de plusieurs régions de France, je sens se lever depuis quelques semaines un vent mauvais… l’inquiétude gagne les esprits, le doute s’empare des Français…Un véritable malaise atteint le peuple français. »

et contre-attaque, deux jours plus tard, en utilisant les prisonniers de guerre :

« Tant qu’un million de Français comprenant les éléments jeunes et vigoureux de la nation et la meilleure fraction de son élite demeureront en marge de l’activité de notre pays, il sera difficile de construire un édifice neuf et durable.

Pétain s’appuie ainsi sur les prisonniers qui sont les chefs de famille : sa Révolution nationale ne peut s’appuyer que sur eux pour réussir :

  • * C’est eux qu’il faut former à la Révolution nationale . Il faut donc développer une propagande dans les camps de prisonniers en Allemagne, par l’intermédiaire des Cercles Pétain, qui ne donneront jamais de vrais résultats.
  • * Le dynamisme des captifs est mis en valeur par une exposition des œuvres réalisées dans les camps. En février 1942, les morts en captivité sont assimilés aux morts au combat (mêmes pensions pour les familles, mêmes honneurs militaires) ; des brochures sont éditées pour faire connaître la captivité aux Français ; l’émission radiophonique « pour nos prisonniers » est diffusée tous les jours sauf le dimanche de 18h à 18h05. Cette propagande s’accélère avec le retour de Laval au pouvoir le 18 avril 1942.
  • * mais en attendant que cela porte ses fruits, une politique à l’égard des familles est renforcée: distribution gratuite de marchandises, aides financières prises sur la vente de la canne du Maréchal par Jean Nohain, sur les recettes de l’exposition le Juif et la France en octobre 1941, et qui met les prisonniers mal à l’aise.
  • Cette politique fait des prisonniers de guerre les « Chouchou » du Maréchal, isole les captifs du reste des Français. En réalité, les Français n’adhèrent pas à cette politique car elle considère que les prisonniers souffrent comme elle et font moins confiance à Pétain. Peu à peu, à partir de l’automne, la vie devient de plus en plus difficile, l’indifférence au sort des prisonniers de guerre apparaît.
  • Mai 1942 – septembre 1944 :
  • de mai 1942 à novembre 1943 : une campagne de propagande est organisée pour obtenir de la main d’œuvre. Laval est revenu au pouvoir en avril 1942. Les Allemands ont besoin de main d’œuvre pour leur économie et exigent que le gouvernement français s’en occupe, et transfert vers l’Allemagne des ouvriers qualifiés. Des opérations de propagande sous forme de cinq campagnes d’affichage sont alors placardées dans toutes les villes de France. Laval annonce cette politique, la Relève, dans le discours du 22 juin où il indique « je souhaite la victoire de l’Allemagne) : trois ouvriers qualifiés partant en Allemagne permettent le retour d’un prisonnier de guerre. Cette collaboration idéologique échoue auprès des Français mais fait renaître ponctuellement l’intérêt pour les prisonniers de guerre dans la population.
  • Il faut dire que les Français sont sans arrêt confrontés aux prisonniers de guerre :
  • – dans les affiches de propagande, les collectes, les timbres. Les éditions « signe de piste » ont intégré parmi leur héros un prisonnier, Christian.
  • – A la radio, à partir de 1943, une émission de radio, « l’Alphabet des Familles » diffuse chaque dimanche à 12h50, un feuilleton mettant en scène une famille dont le père, prisonnier, n’apparaît qu’au travers d’un portrait sur le buffet et de ses lettres, lues aux trois enfants par la mère, Françoise Morhange, le grand père, Pierre Larquey, ou l’oncle Pierre Charpin (ces deux derniers sont des acteurs très connus à l’époque).
  • – au cinéma : par l’intermédiaire des Actualités cinématographiques, diffusées avant les films, les reportages sur les prisonniers de guerre sont très fréquents.
  • – Nombreux prix littéraires décernés à des prisonniers : Francis Ambrière, Les Grandes Vacances, Prix Goncourt 1940 ; Henri Pourrat, Vent de mars, Prix Goncourt 1941 ; Robert Gaillard, Les Liens de Chaîne, Prix Renaudot 1942.
  • – Mais les prix littéraires n’étant pas gage de succès populaire, voici un exemple de gros succès : Léo Malet écrit 120, rue de la gare, en 1943. Il a été lui-même prisonnier de guerre au Stalag XB et crée le personnage de Nestor Burma, détective privé de l’agence « Fiat Lux », qui vient d’être libéré d’un Stalag où il s’occupait de l’immatriculation et va résoudre une sombre histoire dans laquelle est impliqué un autre prisonnier de guerre. Pas moins de cinq personnages de ce roman ont été prisonniers de guerre
  • – Marcel Aymé, dans son recueil de nouvelles Le Passe-Muraille, publié en 1943, consacre plusieurs nouvelles aux prisonniers ou à leur famille :
  • * « En Attendant » : 14 personnages font la queue devant une épicerie dont trois femmes de prisonniers. « Mon mari est en Silésie, dans un Kommando. Il a 28 ans, moi 25, la guerre ne finira jamais. »
  • * « Le Décret » : une paysanne fait un colis pour son fils prisonnier ; un homme meurt en réclamant ses deux fils prisonniers de guerre. Les Prisonniers sont plaints.
  • * « La Carte » : des femmes de prisonniers sans emploi sont décrites comme des proies faciles pour les malhonnêtes.
  • De décembre 1943 à septembre 1944, l’image des prisonniers de guerre-victimes revient. Pétain n’a plus de pouvoir, Laval nomme les ministres et fait les lois. Le gouvernement recentre sa politique sur l’aide aux prisonniers, les femmes de prisonniers ont leur émission à la radio
  • La société veut réintégrer rapidement les prisonniers de guerre (novembre 1943- 1945)
  • le gouvernement provisoire de la République française/
  • Le GPRF se préoccupe des prisonniers de guerre dès novembre 1943 : le commissariat aux prisonniers est confié à Henri Frenay (prisonnier évadé, fondateur du mouvement de Résistance Combat). Son premier travail est de gérer le ravitaillement, l’envoi de colis et la propagande.
  • De Gaulle parle dès la fin de l’année 1943 du front des barbelés, pour montrer que les prisonniers de guerre sont des résistants/combattants. Il faut dégager les prisonniers de cette image de protégés de Pétain.
  • En décembre 1943 est créé le commissariat aux prisonniers, déportés, réfugiés (PDR). Tout est prévu pour le rapatriement avant le débarquement de juin 1944 afin d’éviter pas la migration humaine de plus de 2 millions de Français vivant en Allemagne, car cela va perturber le ravitaillement des troupes alliés, va poser un problème de ravitaillement et également par peur des épidémies comme la grippe espagnole en 1918. L’idée est de les rassembler dans des camps de passage en Allemagne, puis d’organiser le rapatriement en 150 jours.
  • b) Durant les premiers mois de l’année 1943 ; mouvements de Résistance prisonniers de guerre
  • – Le plus important est le RNPG, rassemblement national des prisonniers de guerre également appelé mouvement Pinot-Mitterrand, en février, qui regroupe les anciens cadres du commissariat au reclassement des prisonniers rapatriés et qui est lui-même le regroupement de différents réseaux prisonniers. Le RNPG est financé par l’organisation de résistance de l’armée -ORA- et par le mouvement « Combat » à partir de septembre 1943.
  • – Le deuxième mouvement est le MRPGD, mouvement de résistance des prisonniers de guerre et déportés : né au Stalag XI B, il se structure réellement en France à partir du printemps 1943, lorsque les principaux membres du groupe ont été rapatriés à la suite de Michel Cailliau, neveu du général de Gaulle, dont le pseudonyme, « Charrette », donne son nom au réseau.
  • – Le troisième mouvement, moins important dans la Résistance, surtout créé pour occuper le terrain en prévision de la Libération, est le CNPG, comité national des prisonniers de guerre, créé par le Parti communiste. Il débute à l’automne 1943, sous la férule de Robert Paumier, évadé en juin 1943 et membre du Parti communiste.
  • La fusion entre les deux premiers mouvements, en projet dès la fin du mois de novembre 1943, aboutit le 12 mars 1944 avec la création du MNPGD : mouvement national des prisonniers de guerre et déportés, qui accueille aussi le CNPG. Les prisonniers de guerre étaient donc largement représentés au sein de la Résistance, puisqu’en avril 1944, le MNPGD adhère aux Forces françaises de l’intérieur.
  • En ce qui concerne la résistance littéraire, les Éditions de Minuit accueillent très largement les écrits des prisonniers de guerre, qu’il s’agisse en mai 1944 d’un ouvrage intitulé Europe , qui regroupe les textes de vingt auteurs, parmi lesquels Pierre Seghers, Robert Desnos, Aragon, Paul Éluard. En juin 1944, paraît La Marque de l’homme que Claude Morgan commence en captivité en janvier 1941 et dans lequel il rapporte des conversations de prisonniers, et durant l’été sont édités A l’appel de la liberté de Georges Adam, qui décrit les lendemains de la bataille et un camp de prisonniers et La Haute Fourche de Pierre Bost : ils sont tous deux prisonniers de guerre
  • c) le retour des prisonniers de guerre.
  • Les Français trouvent que les élections en octobre 1945 arrivent trop tôt et se demandent si les prisonniers de guerre vont être tous rentrés. En Juin 1945, une collecte de fonds a pour but de financer les infrastructures et la nouvelle image créée (les prisonniers résistants) pour que la réintégration soit rapide.
  • Les camps sont ouverts à partir de la fin de l’année 1944, mais ils rentrent à partir du printemps 1945. Les journaux leur indiquent tout de suite comment s’inscrire sur les listes électorales. Des mesures exceptionnelles sont prises pour leur réintégration :
  • – Les études faites dans les camps et leurs diplômes sont validés.
  • – Les emplois sont garantis.
  • – L’attribution de prêts est facilitée.
  • – Dans certains métiers, ils récupèrent l’avancement pas réalisé à cause de la captivité.
  • – Ils sont tout de suite inclus dans les commémorations (au Mont Valérien, parmi les dépouilles des 15 Français morts à l’ennemi symbolisant les héros de la guerre et de la Résistance, il y a un prisonnier : Maurice Debout, condamné à mort pour refus d’obéissance, malade, il ne pouvait travailler, il est fusillé en mars 1944.
  • – L’image des prisonniers prend deux aspects : le résistant ou l’évadé. (en fait 4,37% ont réussi l’évasion). De Gaulle, fut lui-même prisonnier durant la Grande Guerre, mais il n’apprécie pas cet épisode de sa vie qu’il qualifie de « lamentable exil ». L’image des prisonniers qu’il construit a pour but de réintégrer au plus vite ces Français dans la vie d’après-guerre.
  • Les Français ont hâte de retrouver les prisonniers. De leur côté les prisonniers sont inquiets de la façon dont on va les accueillir :
  • – individuellement : leur famille : certains parents sont morts, des enfants ont grandi loin d’eux, ne les reconnaissent pas à leur retour.
  • – Collectivement : qu’est-ce que les Français pensent d’eux ? les captifs y ont pensé pendant toute leur captivité.
  • Les Français les accueillent mais sont vite énervés par les prisonniers de guerre qui réclament l’argent qu’on leur doit, un costume gratuit… et organisent de grandes manifestations. Certes ils ont souffert, mais tous les Français ont souffert. Cet énervement culmine à l’été 1945.

Durant l’été 1945 a lieu le procès du Maréchal Pétain. On s’aperçoit à cette occasion que le mythe des Français résistants est fini, le procès de Pétain est un peu celui des Français car ils ont longtemps gardé une grande admiration pour lui. Un transfert de culpabilité s’opère alors et les prisonniers de guerre vont être mis en accusation, traités de pétainistes et accusés de s’être mal battus, en fait non. Cette offensive provient d’un journal FFI et de l’armée de 1945. Les collaborateurs ont subi l’épuration, il ne reste que les prisonniers. Or, ils ont organisé des commissions d’épuration spontanément dès leur retour pour exclure de leurs rangs les prisonniers collaborateurs. Les attaques contre les prisonniers durant l’été 1945 sont donc ponctuelles, car ils réagissent, à la différence de ceux de 1918. Mais elles les ont beaucoup choqué.
Ils obtiennent la carte du combattant en 1949.

Conclusion : En quoi l’évolution des réactions de l’opinion publique à l’égard des prisonniers de guerre est-elle significative des changements de la société française confrontée à trois conflits en 75 ans ?

  • – Elle est significative des changements de recrutement : pas de service militaire obligatoire en 1870. La captivité peut ensuite toucher tout le monde.
  • – Elle est significative des évolutions militaires : trahison en 1870, erreurs stratégiques en 1914, demande d’armistice en 1940.
  • – Les réactions de l’opinion publique évoluent en fonction du nombre de prisonniers de guerre par rapport à l’effectif militaire : 58% de soldats prisonniers en 1870, 35% en 1914, 84% de l’Armée de terre en 1940. Durant la Première Guerre mondiale, seules les familles de prisonniers de guerre s’occupent des prisonniers de guerre, toute la population se sent concernée pendant la guerre de 1870 et Seconde Guerre mondiale.
  • – Elle montre le rôle des gouvernements : les prisonniers de guerre sont toujours instrumentalisés, même en 1870, ils montrent la différence entre l’ancienne et la nouvelle armée.
  • – Elle montre le rôle des média : presse, cinéma, radio, actualités et le rôle des écrivains.
  • – Chaque souvenir de la captivité s’additionne à l’autre : avant 1870, ce sont les Pontons de l’époque napoléonienne, que les Français ont en mémoire, une image atroce, mais une guerre d’un autre temps. Les causes de la captivité sont fondamentales pour l’image qui en ressort.
  • Bibliographie

Ouvrages spécialisés sur les prisonniers de guerre
– sur la guerre de 1870 : pas d’ouvrage spécifique sur les prisonniers de guerre. Des renseignements dans :
ROTH, François, La guerre de 70, Paris : Fayard, 1990, 778 pages.
– Sur la Première Guerre mondiale :
ABBAL, Odon, Soldats oubliés. Les prisonniers de guerre français, Bez-et-Esparon : Études et Communications éditions, 2001, 262 pages.
– Sur la Seconde Guerre mondiale :
* DURAND, Yves, La Captivité. Histoire des prisonniers de guerre français. 1939- 1945, Paris : Fédération nationale des combattants prisonniers de guerre et combattants d’Algérie-Tunisie-Maroc, 1980, 542 pages.
* DURAND, Yves, Prisonniers de guerre dans les Stalags, les Oflags et les Kommandos. 1939-1945, Paris : Hachette, collection La Vie quotidienne, 1987, 305 pages.
* GAYME, Evelyne, Les prisonniers de guerre français. Enjeux militaires et stratégiques (1914-1918 et 1940-1945), Paris : Economica, 2010, 185 pages.

Livres écrits par des prisonniers de guerre et parus durant la Seconde Guerre mondiale
– Ambrière, Francis, Les Grandes Vacances, 1940. Prix Goncourt.
– Aymé, Marcel, Le Passe-Muraille, 1943.
– Gaillard, Robert, Les Liens de Chaîne, 1942. Prix Renaudot.
– Malet, Léo, 120 rue de la Gare, 1943.
– Pourrat, Henri, Vent de mars, 1941. Prix Goncourt
– Aux éditions de Minuit :
• Adam, Georges, A l’appel de la liberté, 1944
• Bost, Pierre, La Haute Fourche, 1944
• Morgan, Claude, La Marque de l’homme, 1944

Romans concernant les prisonniers de guerre :
– Benoit Pierre, Axelle, 1928.
– Calet, Henri, Le Bouquet, 1947.
– Zola, Emile, la Débacle Emile Zola , 1892

Poésie sur les prisonniers de guerre
– Hugo, Victor, L’Année terrible, 1872.

Filmographie
La Grande Illusion, Jean Renoir, 1937.