L’histoire globale, ou Global History, d’inspiration anglo-saxonne, propose une analyse du rôle des mondes non-européens dans l’histoire de l’humanité pour sortir à la fois des histoires nationales et des histoires eurocentrées. La théorie des systèmes-monde est une orientation historiographique spécifique à l’intérieur du vaste programme de la Global History, développée par Immanuel Wallerstein. Ses successeurs, spécialistes d’économie et d’anthropologie ont complexifié ce schéma d’analyse en argumentant qu’il n’existe qu’un seul système-monde qui ne fait que s’étendre à l’échelle de la planète depuis le IVe millénaire avant J.C.
Cette fiche se concentre donc sur la qualité des apports transdisciplinaires entre anthropologie et système monde. Elle approfondit et complète une précédente réflexion qui introduit à l’analyse des systèmes-monde développée par Immanuel Wallerstein.
Plan de la fiche
I. Les successeurs de Wallerstein approfondissent le modèle
II. La thèse continuationniste
III. La « globalisation structurelle » et les « sociétés interconnectées »
IV. Les « hégémonies »
V. Les cycles systémiques »
VI. Les « cycles systémiques d’accumulation »
VII. Les « transitions hégémoniques »
◦ Giovanni Arrighi et Beverly Silver
◦ Christopher Chase-Dunn/Thomas Hall, Kajsa Ekholm/Jonathan Friedman
VIII. Contre les hégémonies et en faveur d’un système monde de longue durée : la « civilisation centrale » (David Wilkinson)
IX. La hiérarchie cœur/périphérie du système monde
X. Les « efflorescences »
XI. Conclusions : il existe deux approches (les systèmes-monde et la Théorie du Système Monde)
◦ Les systèmes-monde d’Immanuel Wallerstein et le fonctionnement réticulaire de l’organisation du monde
◦ La Théorie du Système Monde construit le schéma d’un unique système qui se renouvelle constamment
I. Les successeurs de Wallerstein approfondissent le modèle
Comme démontré dans l’introduction aux systèmes-monde, le modèle centre-périphérie est bien au cœur des systèmes-monde : Wallerstein s’est inspiré de la soumission du Tiers-Monde (périphérie) par le camp impérialiste (cœur)1. Mais ce schéma a été étoffé et complexifié depuis 40 ans, notamment par des anthropologues, des économistes et des historiens de l’économie : Andre Gunder Frank Barry Gills, Jack Goldstone, Giovanni Arrighi, Christopher Chase-Dunn, Thomas Hall, William Thomson, Kajsa Ekholm, Jonathan Friedman, Philippe Norel, afin d’affiner les recherches historiques sur l’origine du capitalisme2.
L’importance de leurs travaux démontre à quel point l’histoire économique peut encore être un support des réflexions globales et de la modernisation de l’historiographie.
II. La thèse continuationniste
Dans les années 1990, Andre Gunder Frank et Barry Gills ont défendu l’idée selon laquelle les systèmes-monde auraient existé bien avant le XVIe siècle3. Leur proposition s’articule autour de 4 idées majeures :
- l’extraction et le transfert des surplus existe depuis l’âge du Bronze et il est lié au développement des cités-Etat (les palais et les temples étant à l’origine d’une forte demande d’approvisionnement et de services) ;
- avec le temps, de nouveaux secteurs d’activités (publics et privés) apparaissent, dont le développement dépend des transformations des formes de l’extraction et du transfert des surplus ;
- ces transformations des formes de l’extraction et du transfert de surplus sont cycliques et permettent d’identifier de longs cycles séculaires d’expansion (A) et de contraction (B) des échanges ;
- l’interpénétration des échanges entre l’Afrique et l’Eurasie sont à l’origine d’une synchronisation progressive de ces cycles tout au long du premier millénaire avant J.C.
Tous les historiens partagent l’idée d’une synchronisation effective des cycles séculaires au cours du premier millénaire avant J.C. aboutissant à la constitution d’un vaste système-monde de l’Europe à l’Extrême-Orient. Pour eux, les types de processus sociaux qu’observe Wallerstein à partir d’une analyse matérialiste historique existaient donc à d’autres époques largement antérieures au XVIe siècle. A la suite de Frank et Gills, ils défendent donc une thèse « continuationniste » en supposant que le système-monde n’a pas 500 ans, mais est une réalité depuis près de 5000 ans.
L’énorme avantage de cette thèse est qu’elle permet de rompre définitivement avec l’eurocentrisme en ne reconnaissant pas à l’Europe la paternité du capitalisme ou de la mondialisation des flux. L’essor historique du capitalisme n’est pas un événement unique né en Europe, et encore moins un point de départ des processus d’accumulation ou d’échanges. Le paradigme est radicalement différent de Braudel et de Wallerstein.
Selon les auteurs, le système-monde que nous connaissons actuellement a été créé et soutenu par des routes de commerce et de communication planétaires qui sont établies depuis plusieurs millénaires à travers l’Eurasie (Mésopotamie, Afrique, steppes orientales, océan Indien, etc…). Les nations ne se développent pas de manière isolée autour de quelques cités-Etat ou d’Etat à auréoles concentriques de type mandala, mais plutôt au sein d’un système plus vaste qui façonne leurs expériences politiques, économiques, sociales et culturelles. Un seul système monde se serait constitué autour des cités sumériennes (vers 3 400 avant l’ère conventionnelle) puis égyptiennes (à partir de 3 100 avant l’ère conventionnelle) du Croissant Fertile et se serait étendu à d’autres régions depuis 3000 avant l’ère conventionnelle. Il aurait rencontré d’autres civilisations védiques, chinoises et viets en Asie centrale et extrême-orientale (vers 2 100 avant l’ère conventionnelle) qui se sont développées différemment. La fin du IIe millénaire avant l’ère conventionnelle et le début du Ier millénaire avant l’ère conventionnelle sont marqués par un refroidissement climatique généralisé, l’apparition du nomadisme pastoral dans les steppes d’Asie centrale, une augmentation des échanges et des transformations sociales qui conduisent à la disparition des routes du cuivre et de l’étain4. La partie occidentale du continent (Egypte, Anatolie, côte du Levant, Assyrie) voit se développer une métallurgie du fer qui permet la fabrication d’outils et d’armes nouveaux, assurant d’énormes progrès agricoles et le développement de nouvelles capacités guerrière. Les populations d’Asie centrale, grâce aux caravanes de chameaux, diffusent cette métallurgie du fer en Inde et en Chine au cours du Ier millénaire avant l’ère conventionnelle. Cet « âge du fer » est une période cruciale de l’expansion du système-monde puisque trois systèmes-monde se réunissent pour n’en former qu’un seul5.
Philippe Beaujard défend la vision d’un vaste système-monde afro-eurasiatique à partir du XVIe siècle (lui-même hérité de la constitution d’un système-monde eurasiatique à l’âge du fer). Dans Les mondes de l’Océan indien, il décrit comment le commerce à longue distance a unifié l’océan Indien en identifiant quatre cycles (chacun étant composé d’une phase d’expansion et d’une phase de contraction). Le premier cycle va du tournant de l’ère chrétienne au VIe siècle (marqué par l’essor et la chute, au sein des cœurs, des empires han, kushan, shâtavâhana, gupta, parthe, sassanide et romain), le second du VIe siècle au Xe siècle (pour les cœurs, empires des Tang, des Pallavas, des Râshtrakûtas, empires omeyyade puis abbasside, et empire byzantin), le troisième du Xe siècle au XIVe siècle (empires song puis yuan, chola, sultanat de Delhi, empires seljukide puis ilkhânide, et État égyptien), le quatrième du XVe siècle au XVIIe siècle (empire ming, sultanats du Gujarat, du Bengale, du Deccan, empire de Vijayanâgara, empires égyptien, ottoman, safavide et moghol).
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