L’histoire globale, ou Global History, d’inspiration anglo-saxonne, propose une analyse du rôle des mondes non-européens dans l’histoire de l’humanité pour sortir à la fois des histoires nationales et des histoires eurocentrées. La théorie des systèmes-monde est une orientation historiographique spécifique à l’intérieur du vaste programme de la Global History, développée par Immanuel Wallerstein.

Cette fiche complète une précédente réflexion visant à différencier les formes historiographiques de l’histoire globale.

Plan de la fiche

I. Le concept de « système-monde » d’Immanuel Wallerstein
a. Une première définition (synthétique)
b. Le système-monde est une économie-monde
c. Le système-monde wallersteinien : interprétations
d. Comment le système-monde capitaliste s’est-il autant étendu ? Comment est-on passé du féodalisme au capitalisme ?

II. Un concept critiqué
a. Une critique valorise le maintien de l’Etat-nation comme principale échelle d’analyse historique
b. Une critique porte sur les erreurs théoriques du modèle
c. Un critique marxiste de Wallerstein : Robert Brenner
d. Une critique contre l’eurocenstrisme maintenu par l’analyse des systèmes-monde
e. Un critique parmi les historiens qui ont inspiré Wallerstein : Andre Gunder Frank
f. Une critique inspirée de l’histoire interconnectée / Entangled History : l’histoire hémisphérique

III. Des systèmes-monde ont-ils existé avant le XVIe siècle ?
a. Plusieurs historiens font remonter les systèmes-monde à des périodes antérieures au XVIe siècle
b. Une économie-monde européenne capitaliste et conquérante
c. Une réinterprétation des économies-monde et des empires-monde avant l’époque moderne
d. Conclusion : élargir le système-monde d’Immanuel Wallerstein à partir de l’histoire de l’océan Indien

IV. Le système-monde repose sur un fonctionnement marxiste de type centre/périphérie
a. Le modèle centre/périphérie
b. La place des semi-périphéries au sein du système-monde
c. De l’analyse centre/périphérie à l’étude des réseaux : une manière de moderniser les systèmes-monde

 

I. Le concept de « système-monde » d’Immanuel Wallerstein

Immanuel Wallerstein (1930-2019) est l’un des pionniers de l’histoire globale. Il est sociologue de formation, économiste et proche de Fernand Braudel. Né en 1930 dans une famille d’immigrants juifs allemands politiquement ancrés à gauche, il grandit à New York et entre à Columbia en 1947 pour y étudier la sociologie.

Militant marxiste et altermondialiste impliqué dans les manifestations américaines de 1968, il a passé beaucoup de temps en Afrique subsaharienne après la phase des indépendances. Il utilise ses lectures (notamment de Kondratiev, d’Andre Gunder Franck et de Karl Polanyi), ses observations et ses réflexions développées aux côtés de Fernand Braudel pour écrire The Modern World-System, en 4 volumes, parus de 1974 et 2011 (disponibles en ligne : http://pombo.free.fr/wallersteini.pdf ; http://pombo.free.fr/wallersteinii.pdf ; http://pombo.free.fr/wallersteiniii.pdf ; http://pombo.free.fr/wallersteiniv.pdf), et affiner ses propos dans des ouvrages connexes (The Capitalist World Economy, 1450-1640, 1979 ; World-Systems Analysis : Theory and Methodology, 1982 ; Historical Capitalism, 1983 ; Antisystemic Movements, 1989 ; Transforming the Revolution : Social Movements and the World-System, 1990 ; After Liberalism, 1995 ; World-system Analysis : an Introduction, 2004).

a. Une première définition (synthétique)

La liste des travaux commentant et développant la pensée d’Immanuel Wallerstein est très importante. Avant de l’exposer en détails, il est possible de le résumer avec les propres mots de Wallerstein dans Comprendre le monde :

« Il est important de noter la présence du tiret dans les termes systèmes-monde, économies-monde et empires-monde. Son but est d’indiquer que nous ne parlons pas de systèmes, d’économies ou d’empires concernant le monde entier, mais de systèmes, d’économies et d’empires qui constituent un monde (lequel, en général, n’inclut pas le monde entier). Il est important de bien comprendre ce concept initial essentiel : il énonce que les « systèmes-monde » désignent chaque fois une zone spatiale/temporelle qui traverse nombre d’unités politiques et culturelles, et qui constitue une zone intégrée d’activités et d’institutions régies par certaines règles systémiques »1.

Commenté par Philippe Norel2, Philippe Beaujard3, Chloé Maurel4, Patrick Manning5, Laurent Berger6, le « système-monde » de Wallerstein se mettrait efficacement en place à partir du XVIe siècle, lorsque l’expansion de l’espace géographique des Européens permet une division globale du travail au profit des puissances mercantilistes, coloniales et militaires.

La théorie générale des systèmes-monde (Chloé Maurel, Manuel d’histoire globale, p. 42-43)

« La théorie des systèmes-monde est une approche multidisciplinaire à l’échelle macro. Elle affirme que ce sont les systèmes-monde (et non pas les États-nations) qui devraient être l’unité de base pour la division internationale du travail. Cette dernière diviserait le monde en pays du centre, de la semi-périphérie et de la périphérie. Les pays du centre se caractérisent par un haut niveau de qualification et une production intensive en capital, et le reste du monde se caractérise par un faible niveau de qualification, une production intensive en travail, et l’extraction de matières premières. Cela renforce constamment la domination des pays du centre sur les pays de la périphérie. Toutefois, ce système est en constante évolution, des États peuvent rejoindre le centre ou le quitter au fil du temps. Pour une certaine période, certains pays deviennent hégémoniques. Au fil des derniers siècles, ce statut a été détenu par les Pays-Bas, le Royaume-Uni puis les États-Unis.
Wallerstein a, dans les années 1970-1980, retracé l’émergence du système-monde à partir du XVe siècle, quand l’économie européenne féodale a souffert d’une crise et a été transformée en économie capitaliste (une théorie majeure de Karl Marx, redéveloppée notamment par Perry Anderson en 1974). L’Europe a alors gagné le contrôle sur toute l’économie mondiale.
Pour Wallerstein, l’analyse par systèmes-mondes est avant tout un mode d’analyse qui vise à transcender les structures de savoir héritées du XIXe siècle. Il souhaite dépasser le cloisonnement entre le domaine social, économique et politique.
Wallerstein souligne comme caractéristique du système-monde l’accumulation incessante du capital, la division transrégionale du travail, les phénomènes de domination entre « centre » et « périphéries », l’alternance de périodes d’hégémonie exercées par une puissance et l’existence de cycles ».

L’intérêt de cette théorie est double : elle permet de dépasser à la fois les approches nationales et l’eurocentrisme de l’historiographie classique. D’abord, l’Etat-nation n’est plus le cadre « normal » des études historiques car il est trop restreint ; puis, la mise en relation de différentes aires régionales démontre que l’Europe n’est pas à l’origine de toutes les innovations technologiques, culturelles, économiques, sociales que l’on a voulu lui reconnaître.

b. Le système-monde est une économie-monde

Pour Wallerstein, les systèmes-monde sont le fruit d’une réflexion de nature économique. Le sociologue cherche à montrer les conditions particulières qui auraient fait naître le capitalisme en Europe au XVI siècle. Il évoque alors des « économies-monde » (un concept développé par Fernand Braudel dans Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècles en 1979) considérées comme d’importantes zones géographiques au sein desquelles il existe une division internationale du travail et du capital qui permet d’unir et de consolider ses parties.

Une « économie-monde » est un vaste territoire, dynamique, limité dans l’espace, qui se suffit à lui-même, et polarisé par un centre qui diffuse son influence. L’« économie-monde » braudélienne insiste sur l’unicité du centre et accorde à la structuration des échanges la primauté sur la dimension idéologique et politico-militaire. Il s’agit d’un « morceau de la planète économiquement autonome, capable pour l’essentiel de se suffire à lui-même et auquel ses liaisons et ses échanges intérieurs confèrent une certaine unité organique ». Une économie-monde est donc un monde en soi, mais aussi une subdivision du monde, qui forme un Tout économique par-delà les frontières politiques et linguistiques.

Pour Braudel, l’économie-monde vénitienne des XIIIe-XVe siècles est définie par un certain nombre de traits caractéristiques. Ces caractéristiques (existence d’un centre clairement hégémonique et de périphéries bien délimitées, espace relativement circonscrit quoique ouvert, lenteur des transformateurs structurelles) ont inspiré la théorie de Wallerstein.

c. Le système-monde wallersteinien : interprétations

Résumons le modèle d’Immanuel Wallerstein.

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