Angéline Escafré-Dublet enseigne à l’université Lyon II et elle est commissaire scientifique de l’exposition Paris-Londres. Music Migrations (1962-1989) au Musée national de l’histoire de l’immigration. Elle est spécialiste d’histoire culturelle et étudie les politiques culturelles liés à l’immigration.
La conférence s’est tenue dans le cadre d’une formation ayant pour thème « Ordre et désordres » organisée par la DAAC de Paris et le Musée national de l’histoire de l’immigration.
I. Laissez-nous twister : police et jeunesse dans le Paris des années 1960
Dans les années 1960, la musique est un vecteur de rassemblement. La jeunesse forme une nouvelle classe d’âge qui se constitue autour d’éléments de structuration
comme les modes vestimentaires et la musique. L’émergence d’une culture de masse donne lieu à des événements, comme le concert de la nation en 1963, qui se tient suite à un appel de Salut Les Copains. Le concert gratuit rassemble 150.000 jeunes, place de la Nation, à Paris. L’événement est encadré par 3 000 policiers et suscite des interrogations et des inquiétudes (peur de la jeunesse, des blousons noirs…).Emission de France Inter avec Pascal Ory sur le concert de la nation Les oubliettes du temps
II. Une immigration méditerranéenne et internationale à Paris
Cette immigration est à replacer dans le contexte des indépendances, obtenues en 1962 pour l’Algérie et la Jamaïque.
Ces revendications indépendantistes se sont développées à la fin de la Seconde Guerre mondiale. La France et la Grande-Bretagne avaient créé un statut de citoyen des colonies, qui permet, contrairement au statut de sujet colonial, de bénéficier d’une libre circulation. Cependant, l’immigration des Algériens et des Jamaïcains n’est pas souhaitée. Ceux qui se sont installés dans la métropole ne rentrent pas tous au moment de la décolonisation.
Paris devient un haut-lieu des luttes pour l’indépendance algérienne. Entre 1954 et 1962, se pose la question de la surveillance des Algériens alors que le FLN organise des levées de fonds dans les lieux culturels et musicaux. L’immigration est diverse dans la capitale française : l’émigration méditerranéenne, qu’elle soit d’Europe ou du Maghreb, représente 50 % des migrants. Une carte de l’installation des Algériens à Paris en 1968, présente dans l’exposition, permet de localiser les Algériens dans le Nord-Est de Paris intra-muros ainsi que dans la première couronne, notamment dans le bidonville de Nanterre, à Gennevilliers et à Saint-Denis.
III. Les années 1970 en France : un nouvel investissement de la rue
Les immigrés pendant Mai 68 ont fait l’objet de travaux récents qui ont mis en évidence la même proportion de jours de grève chez les ouvriers immigrés que chez le reste des ouvriers. Cependant, ils sont beaucoup moins présents dans les manifestations, de peur d’être arrêtés.
De mai 68, naît un mouvement de défense des travailleurs immigrés. Il concerne d’abord leurs conditions de travail, puis le logement et les conditions de vie, de manière générale. Ce mouvement prend la forme de festivals comme le premier festival des travailleurs immigrés à Suresnes en 1975. La 3e édition se tient dans plusieurs villes dont Paris où il se tient à la salle de la Mutualité.
IV. La mobilisation des quartiers populaires et des banlieues françaises
Jusqu’en 1981, la législation envers les immigrés reste très répressive, notamment sous Valéry Giscard d’Estaing. Avant 1974, un étranger pouvait s’installer en France, trouver un travail puis se faire régulariser. Le climat change, même si les expulsions restent relativement rares. Une série de concerts « Rock Against Police » est organisée en région parisienne et en province. Série documentaire en 6 épisodes sur « Rock Against Police : Documentaires sonores
La Marche pour l’égalité a lieu en 1983 et la musique y tient une place centrale, via les walkmans des marcheurs, illustrant les liens entre protestation et musique rock. Les violences racistes sont dénoncées. Le problème est national, des portraits des victimes des crimes racistes et des violences policières sont montrées pendant la Marche. Le crime du Paris-Vintimille, lors duquel un touriste algérien, Habib Grimzi, est défenestré du train par trois candidats à la Légion étrangère a lieu au même moment et contribue à la médiatisation du mouvement.
SOS Racisme organise le concert des potes en 1985, place de la Concorde à Paris. Renaud participe à la Marche et au concert.
Angeline Escafré-Dublet a évoqué la volonté de ces mouvements de s’autonomiser vis-à-vis des partis politiques et des syndicats. Les liens internationaux des partis politiques, notamment ceux du PCF, ont pu poser problème.
De nouveaux moyens de diffuser la musique apparaissent, notamment les sound-systems lors du Carnaval de Notting-Hill, qui fait référence aux carnavals des Caraïbes comme moyen de résistance à l’oppresseur. Serge Gainsbourg reprend la Marseillaise, qui est une chanson de combat et acquiert la partition originale, prêtée par Charlotte Gainsbourg pour l’exposition.
Beaucoup de ressources à explorer sur le site de l’exposition :
Site de l’exposition Paris-Londres
Jennifer Ghislain pour les Clionautes
