Dipesh Chakrabarty est sans aucun doute l’un des plus grands penseurs postcoloniaux. Il est un historien indien et professeur émérite à l’Université de Chicago. Il a contribué aux études postcoloniales et aux Subaltern Studies. Son livre a été traduit en français en 2023 (Gallimard) sous le titre : Après le changement climatique, penser l’histoire. Ce livre est l’accomplissement d’une réflexion engagée depuis une dizaine d’années sur les effets du changement climatique : changement de la discipline historique elle-même, du rapport de l’homme au temps et au monde, et finalement de la condition humaine. Il explore comment la crise climatique mondiale modifie notre compréhension de l’histoire humaine et de la place de l’humanité dans un cadre planétaire. Il propose une distinction conceptuelle entre le globe (lié à la mondialisation et aux institutions humaines) et la planète (un système géophysique et écologique qui dépasse les actions humaines). C’est ce que l’on a nommé « l’Anthropocène », et que Chakrabarty appelle « l’entrée dans l’âge planétaire ».

Cette fiche de lecture a été produite avec l’aide d’une intelligence artificielle, chapitre par chapitre, à partir d’un pdf de l’ouvrage. La proposition générée par IA a ensuite été relue par mes soins et modifiée, améliorée et densifiée avec d’autres apports issus d’autres lectures personnelles sur l’Anthropocène. J’ai aussi inclus des liens internes et externes vers d’autres fiches présentes sur Clio-prépas et sur des sites scientifiques. 

De nombreux liens sont faits entre les chapitres, autour de thèmes importants pour l’auteur, comme la définition des différences entre le « globe » et la « planète », les concepts eurocentrés (comme le Progrès ou la Liberté), les contradictions de la « modernité », la « pensée conjointe », le récit historique qui intègre autant les Humains que les non-Humains, les dangers du « capitalisme fossile », l’opposition entre les pays développés et le reste de la planète, la justice écologique et sociale, l’urgence climatique, une éthique élargie aux non-humains, la solidarité intergénérationnelle.

Il n’est donc pas nécessaire de lire tous les chapitres. Il est possible de se concentrer sur un ou deux chapitres pour comprendre la pensée de l’auteur.

Thèses principales :

  • L’humanité est à la fois une espèce divisée (inégalités, colonialisme, genres) et une force géologique unifiée dans l’Anthropocène. Cela crée une tension entre justice sociale et responsabilité écologique.
  • Le « planétaire » décentre l’humain, introduisant des échelles et des temporalités qui transcendent les récits historiques traditionnels.
  • Les concepts politiques modernes, hérités des Lumières, doivent être révisés pour inclure les relations avec le non-humain et l’urgence climatique.

En somme, l’ouvrage constitue une réflexion profonde sur la transition vers une conscience planétaire, où l’histoire humaine et les forces géophysiques doivent être pensées ensemble.

Première Partie: The Globe and the Planet

Dipesh Chakrabarty examine la distinction fondamentale entre les concepts de « globe » et de « planète », tout en explorant les implications de cette distinction pour l’histoire humaine et les sciences sociales.

Chapitre 1 : Four Theses

Dipesh Chakrabarty expose quatre thèses majeures qui structurent son analyse de l’impact de l’Anthropocène sur l’histoire humaine et ses récits. Ces thèses établissent les bases conceptuelles de l’ouvrage en confrontant les idées traditionnelles des sciences humaines à la réalité du changement climatique et des temporalités planétaires.

1. Première thèse : Les explications anthropiques du changement climatique signifient l’effondrement de la distinction humaniste séculaire entre histoire naturelle et histoire humaine

Contexte traditionnel

Dans les sciences humaines et sociales, l’histoire humaine est traditionnellement séparée de l’histoire naturelle. Par exemple, les philosophes et historiens comme Giambattista Vico ou R.G. Collingwood voyaient l’histoire humaine comme distincte des processus naturels, car elle reposait sur des actions intentionnelles et conscientes, contrairement à la nature perçue comme un ensemble de processus automatiques et externes.

Effet de l’Anthropocène :

Chakrabarty souligne que cette séparation devient obsolète dans l’Anthropocène, une ère où les actions humaines (comme l’utilisation des combustibles fossiles ou la déforestation) ont un impact géophysique à l’échelle planétaire.

Les histoires humaine et naturelle se superposent désormais :

  • L’augmentation des gaz à effet de serre modifie les cycles climatiques.
  • Les activités humaines influencent les processus naturels autrefois autonomes (comme la biodiversité ou le climat).
  • En conséquence, l’histoire humaine doit inclure les forces naturelles comme des agents dans ses récits.

Implication philosophique

L’effondrement de cette distinction oblige les historiens à repenser la définition même de l’histoire : elle ne peut plus se limiter à la sphère humaine. Les récits doivent incorporer les dynamiques géophysiques et biologiques.

2. Deuxième thèse : L’humanité comme force géologique à l’ère de l’Anthropocène, la nouvelle époque géologique où les humains existent en tant que force géologique

Une nouvelle vision de l’humanité

Chakrabarty introduit l’idée que l’humanité n’est pas seulement une entité culturelle ou politique, mais aussi une force géologique capable de modifier les systèmes terrestres.

Par exemple :

  • Les émissions massives de dioxyde de carbone ont modifié la composition chimique de l’atmosphère.
  • L’agriculture intensive et l’urbanisation ont transformé les écosystèmes et les cycles hydrologiques.

Concept de l’agence géologique

L’Anthropocène révèle une nouvelle forme d’agence humaine :

  • Collective et non intentionnelle : Contrairement à l’agence individuelle des récits historiques, l’agence géologique découle des actions combinées de milliards de personnes sur des décennies ou des siècles.
  • Impersonnelle : Elle ne résulte pas de décisions conscientes, mais d’accumulations d’actions humaines (industrialisation, consommation, etc.).

Tension avec les récits humanistes

Cette conception entre en conflit avec les traditions humanistes qui mettent en avant l’autonomie et la conscience humaine dans les récits historiques. Elle force les historiens à intégrer des processus inconscients et globaux dans leurs analyses.

3. Troisième thèse : L’hypothèse géologique concernant l’anthropocène nous oblige à mettre en conversation les histoires globales du capital avec l’histoire des espèces humaines

Globalisation et capitalisme fossile

Chakrabarty relie la crise climatique à la mondialisation, qui repose sur une dépendance historique aux combustibles fossiles. Depuis la révolution industrielle, la globalisation économique a :

  • Favorisé une croissance rapide des émissions de gaz à effet de serre.
  • Créé des inégalités socio-économiques profondes, amplifiant les vulnérabilités face au changement climatique.

Conflit entre justice sociale et limites planétaires

Les récits traditionnels de la globalisation mettent l’accent sur des problèmes comme les inégalités, le colonialisme ou l’injustice économique. Chakrabarty reconnaît leur importance, mais affirme qu’ils sont insuffisants pour aborder la crise climatique :

  • Les exigences de justice sociale (développement, industrialisation des pays du Sud) sont en tension avec la nécessité de réduire les émissions globales.
  • Le défi climatique transcende les divisions humaines traditionnelles (classes, nations, genres), en posant des limites planétaires qui affectent toute l’humanité.

4. Quatrième thèse : Le croisement de l’histoire des espèces et de l’histoire du capital est un processus de sonde des limites de la compréhension historique

La double temporalité de l’Anthropocène

Chakrabarty explique que l’Anthropocène force les historiens à conjuguer deux temporalités distinctes :

  • Le temps humain : Les récits historiques traditionnels couvrent des décennies ou des siècles (par exemple, l’histoire des empires, des révolutions ou des mouvements sociaux).
  • Le temps géologique : Les processus naturels, comme le réchauffement climatique ou l’évolution, s’inscrivent dans des échelles de temps beaucoup plus longues, souvent sur des milliers ou des millions d’années.

Effet sur la perception historique

Cette superposition des temporalités crée une tension dans la manière de penser le présent et le futur :

  • Les récits historiques doivent intégrer des conséquences à long terme, bien au-delà des générations humaines actuelles.
  • Les choix humains d’aujourd’hui (par exemple, l’utilisation des énergies fossiles) auront un impact sur des millions d’années.

Nécessité d’une révision des méthodes historiques

Chakrabarty appelle à une « histoire négative universelle », une approche qui intègre les limites imposées par les cycles naturels dans les récits humains.

Voir aussi le livre d’Alan Weisman, The World Without Us :

  • Weisman imagine un monde où les humains disparaissent subitement, laissant derrière eux des traces géologiques et écologiques.
  • Cette réflexion montre comment l’histoire humaine est inséparable de son impact sur la nature et souligne le paradoxe de l’Anthropocène : pour imaginer l’avenir, nous devons penser un monde où l’humain ne serait plus central.

Chapitre 2: Conjoined Histories

Dans ce chapitre, Dipesh Chakrabarty approfondit l’idée que les récits historiques traditionnels, centrés sur l’humain, ne suffisent plus à comprendre les crises planétaires actuelles. Il appelle à une approche intégrant les forces humaines et non humaines dans une histoire « conjointe », qui relie les dynamiques sociales, économiques et géophysiques.

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