Vers l’épisode 6

 

CHAPITRE 7 : La question environnementale dans les espaces ruraux

La prédominance du végétal peut laisser penser que les environnements ruraux sont plus « naturels » que les espaces urbains ; ils sont pourtant entièrement anthropisés, cad transformés par l’action des sociétés. La mise en valeur des ressources et l’aménagement des espaces ruraux ont, dans la plupart des cas, une histoire pluriséculaire, que l’on peut lire dans la dynamique des paysages, définis comme l’étendue vue par un observateur. Les pressions sur l’environnement rural s’accroissent et les demandes se diversifient.

Ces dernières décennies, les environnements ruraux ont été fragilisés par les activités humaines, à l’échelle locale (dégradation des ressources par des logiques productivistes d’exploitation) et globale (changement climatique). L’atténuation (actions en amont des changements climatiques potentiels pour les éviter ou les réduire au max) et l’adaptation (réponse aux changements climatiques une fois qu’ils ont eu lieu), la nécessaire protection des milieux biophysiques, les demandes nouvelles des sociétés en développement obligent les acteurs locaux à changer leurs pratiques et à repenser le développement rural, et le développement agricole en particulier, sur de nouvelles bases.

Quelles sont les menaces qui pèsent sur les environnements ruraux ? Dans quelles mesure la prise en compte de leur protection amène un changement des pratiques, notamment agricoles ? En quoi les paysages ruraux portent-ils la marque des évolutions passés et des mutations actuelles ?

  • Transformation des usages de l’espace et dynamiques des paysages ruraux.

Les paysages ruraux sont très anthropisés, façonnés par les interactions entre les hommes et leurs activités d’une part, et les milieux « naturels » d’autre part. Leurs dynamiques sont le fait de facteurs à la fois endogènes (mutations des activités rurales) et exogènes (extension de l’urbain).

  • Les grandes dynamiques des paysages ruraux.

Par définition, les espaces ruraux sont marqués par les paysages à prédominance végétale. Parmi ceux-ci, on peut distinguer paysages agricoles et paysages arborés. On peut ranger ces derniers sur un gradient allant des formations herbeuses parsemées d’arbres, aux forêts denses. Sur le temps long de l’histoire, des phases d’avancement des espaces agricoles sur les formations herbeuses et arborées, alternent avec des phases de recul. Ces mouvements sont un indicateur du dynamisme démographique et économique des espaces ruraux.

FOCUS : Les dynamiques des paysages forestiers et agricoles dans le temps long de l’histoire de France

La forêt a longtemps largement dominé les espaces peu densément peuplés de ce qui allait devenir la France (la forêt couvre 3/4 de la Gaule au moment de la conquête romaine). Entre le XIème et le XIIIème, le rythme de défrichement atteint son maximum historique, environ 30.000 à 40.000 hectares sont défrichés(action de transformer une formation naturelle pour pouvoir cultiver les sols) par an. Il est le signe d’une prospérité économique et d’une vitalité démographique retrouvées des campagnes qui connaissaient alors une nouvelle révolution agricole. La forêt ne couvre que 13 millions d’hectares à la fin du XIIIème (25% du territoire actuel). Après une période de stabilité, les défrichements reprennent au XVIIIème sous l’effet de l’extension des terres agricoles, et de la demande en bois d’œuvre et de chauffage. La forêt française atteint son maximum historique à la veille de la révolution de 1789 avec 6 à 7 millions d’hectares (12% du territoire). Les dynamiques s’inversent à partir du XIXème. La déprise agricole (abandon durable des cultures ou de l’élevage qui se signale par le recul des superficies cultivées. Elle est une composante majeure d’un phénomène plus large, la déprise rurale, qui se traduit par un déclin démographique et économique) est alors un des signes les plus tangibles de la déprise rurale. Les paysages se ferment : enrichissement, reboisement, dans le meilleur des cas réaffectation des espaces agricoles à d’autres usages (touristiques, aires protégées…) Tout au long des XIXème et XXème, la forêt ne cesse de regagner du terrain sur les surfaces agricoles et atteint aujourd’hui 15 millions d’hectares (28% du territoire).

Sur le temps court des dernières décennies, les dynamiques paysagères se sont accélérées sous le fait de l’étalement urbain et du changement d’usage des espaces ruraux, qui conduit à une matérialisation des paysages végétaux proches des grandes villes.

FOCUS : l’Afrique de l’Ouest : « la brousse est finie »

Jusque dans les années 60, la savane et la forêt claire étaient omniprésentes dans la bande soudanienne de l’Afrique de l’Ouest. Dans de grandes régions en Guinée, au d-sud du Mali et du Burkina Faso, au nord de la Côte d’Ivoire et du Ghana… des noyaux villageois de quelques centaines d’âmes, au centre de petites clairières cultivées, étaient séparés les uns des autres par des dizaines de km de pistes traversant la brousse. A partir des années 70, toutes ces régions, à un rythme et une intensité différents, voient l’arrivée de nombreux migrants et l’ouverture de fronts pionniers agricoles. En deux ou trois décennies, les populations villageoises décuplent et défrichent intensément. Aujourd’hui, le constat de ce basculement paysager est maintes fois répété dans les villages : « la brousse est finie ».

  • Les facteurs endogènes de recomposition paysagère

Les paysages agricoles marquent la plupart des espaces ruraux, même quand l’activité agricole est devenue minoritaire en termes économiques et d’emplois. Ils renseignent sur les philosophies politico-éco qui sous-tendent les modes de production, et notamment le caractère intensif ou non en travail humain. Ainsi, par-delà leur diversité, on peut y percevoir la dualité fondamentale qui caractérise les systèmes agraires à l’échelle mondiale.

D’un côté, dans les régions touchées par une révolution agricole, l’espace a été « rationnalisé » pour permettre d’accroitre la productivité du travail. Les haies entourant les parcelles dans les bocages (paysage rural formé par des parcelles agricoles dont les limites sont marquées par des haies végétales) ont été arrachées, les talus antiérosifs arasés ; les mares et prairies humides drainées et intégrées aux parcelles. Quand cela était nécessaire, des opérations de remembrement (modif profonde du parcellaire visant à réorganiser et à améliorer le fonctionnement des exploitations agricoles en luttant contre la dispersion des parcelles) ont abouti à la réorganisation du parcellaire : les parcelles de petites tailles ont été regroupées en de plus grandes, aux formes rectangulaires

Ailleurs, les parcelles sont dessinées en fonction de l’irrigation, en cercles pour les pivots et en rectangles longs et peu larges pour les rampes d’arrosage. LA spécialisation des bassins de production restreint drastiquement l’agro biodiversité (diversité des plantes cultivées). Partout, l’espace a été adapté à la moto-mécanisation et aux exigences du productivisme. Dans les grandes plaines d’Europe, de Russie et des d’Amérique du Nord, les paysages qui en résultent sont assez monotones, constitués de vastes parcelles de céréales séparées par des routes et des chemins d’exploitation rectilignes.

Vue aérienne de champs circulaire dans le désert du Qatar, dessinés par les pivots d’irrigation

D’un autre côté, les paysages des « petites » agricultures frappent par leur diversité : bocage du bourbonnais dans l’Allier, du pays bamiléké au Cameroun, ou bocages lithiques de Méd. ; terrasses des versant himalayens… Tous ces paysages ont peu de choses à voir entre eux, si ce n’est qu’ils sont tous le résultat d’agricultures peu productives mais intensives en travail. On peut y lire les soins de générations de paysans qui aménagent et entretiennent terrasses, canaux d’irrigation, haies et cultivent des petites parcelles dans des conditions difficiles, qui ne permettent, au mieux, qu’une légère motorisation de l’outillage. Ces paysages donnent à voir des logiques économiques bien différentes de celles de l’agriculture productiviste.

La diversification des activités rurales impose également sa marque paysagère. Dans les campagnes des provinces littorales de l’est de la Chine, l’industrialisation diffuse s’accompagne d’une augmentation de la taille des bourgs ruraux et bouleverse le paysage des rizières. Ailleurs, le développement du tourisme vert conduit à la patrimonialisation des paysages dits « remarquables ».

  • Les facteurs exogènes de recomposition paysagère

Depuis une cinquantaine d’années, les paysages ruraux, surtout ceux des espaces périurbains, sont affectés par l’extension de l’urbain. A la périphérie des villes, la minéralisation des paysages et l’artificialisation des sols progressent sous l’effet de l’extension des zones d’habitat, d’activités commerciales et des infrastructures. Les espaces agricoles, et notamment les ceintures maraichères qui entouraient les villes et fournissaient en fruits et légumes de proximité les marchés urbains, disparaissent. Le mitage rompt l’harmonie paysagère. Dans les espace sous forte pression foncière, il est le résultat de réglementation qui, quand elles existent, ne sont pas appliquées.

  • Nouveaux enjeux autour des paysages ruraux.

Les paysages ruraux sont devenus des objets de consommation, supports du développement du tourisme vert. Certains d’entre eux sont vus comme porteurs des identités territoriales locales, comme les alpages parsemés de chalets à rondins de bois des Alpes suisses. Les acteurs locaux, prenant conscience de la valeur paysagère de leur territoire, cherchent à en tirer profit. Les paysages sont alors mis en représentation, soit directement, à partir de sites aménagés et répertoriés pour leur « point de vue remarquable » ou de circuits, soit indirectement. C’est ainsi que l’on retrouve leurs éléments iconiques sur les brochures touristiques, étiquettes des produits locaux, cartes postales et objets de l’artisan locale.

Cette prise de conscience a également conduit à la patrimonialisation des paysages « remarquables », dans le but d’éviter les atteintes de la périurbanisation, du mitage ou de toute autre pollution visuelle. Plusieurs pays se sont dotés d’un arsenal juridique permettant la protection des paysages. Au niveau mondial, l’UNESCO classe depuis 1992 des « paysages culturels », reconnaissant dans la valeur exceptionnelle de certains paysages ruraux le résultat du travail des hommes sur la nature. Figurent sur la liste des vignobles, des plantations, des cultures en terrasses, des pâturages, des espaces sacrés.

L’appréhension des paysages est le fruit de regards subjectifs qui diffèrent entre les individus et les groupes sociaux, et qui peuvent se trouver en contradiction. Les acteurs économiques jaugent dans le paysage le potentiel productif de l’espace, les néoruraux recherchent un cadre de vie plus « naturel » qui tranche avec l’environnement urbain, les touristes sont en quête de points de vue remarquables, les écologues s’intéressent avant tout à l’intérêt faunistique ou floristique. Ces intérêts sont souvent contradictoires. Les conflits se cristallisent autour d’un aménagement ponctuel, comme un hangar agricole en tôles, l’arrachage de haies, l’implantation d’éoliennes…

Toutefois, dans un contexte de multifonctionnalité croissante des campagnes, les acteurs locaux se retrouvent de plus en plus souvent autour d’une même table de négociation pour discuter de projets de territoires conciliant fonctions productives et récréatives des paysages.

  • Des environnements ruraux fragilisés.
  • Pollutions et dégradations des milieux biophysiques

L’agriculture est l’activité la plus largement présente dans les espaces ruraux à l’échelle mondiale, et celle qui a l’impact négatif le plus important sur les milieux biophysiques, bien qu’elle ne soit pas la seule responsable de leur dégradation. Elle en perturbe le fonctionnement sur plusieurs aspects. Les sols, subissent de nombreuses formes de dégradation affectant l’une ou l’autre de leurs multiples fonctions.

Les habitats naturels sont dégradés à cause de l’assèchement des zones humides, de l’arrachage des haies, de l’apport excessif de pesticides. La fragilisation des habitats naturels et de certaines espèces stratégiques (abeilles par ex.) perturbe le fonctionnement des écosystèmes et entraîne une perte de biodiversité dans les espaces cultivés. Les eaux souterraines et de surface sont contaminés par des excès d’azote, provenant du lisier animal et des engrais chimiques. Enfin, la sélection d’un nombre de plus en plus réduit d’espèces végétales et animales sur des critères de performances économiques restreint drastiquement l’agro biodiversité. Sur 400.000 espèces végétales recensées sur la planète, 600 ont été sélectionnées comme cultivables, mais seules certaines sont couramment utilisées. Les premiers affectés de ces choix sont les agriculteurs eux-mêmes, qui ont par endroits de plus en plus de mal à maintenir la fertilité de leurs champs et à lutter contre les maladies. D’autres conséquences, encore mal connues, concernent la santé des producteurs et des consommateurs.

Les activités forestières sont l’autre grande source de dégradation des milieux biophysique ruraux. L’exploitation du bois, notamment dans les forêts tropicales, se fait souvent à un rythme trop rapide qui ne permet pas la régénération de ces milieux. Sur les pourtours de l’Amazonie, dans les forêts équatoriales congolaises etc, l’avancée des fronts pionniers agricoles se traduit par une déforestation massive aux conséquences locales et globales.

D’autres activités ont des conséquences néfastes à la fois plus ponctuelles et plus anecdotiques, mais aussi plus massives sut les environnements ruraux à l’échelle locale. Les exploitations minières et d’hydrocarbures, en plus de déstructurer les économies locales, portent atteinte aux paysages, aux sols, aux cours d’eau et aux nappes phréatiques. Le cycle d’exploitation dure au mieux quelques décennies, mais ses conséquences sur l’environnement sont bien plus durables, même si des répartitions et des compensations sont promises. Des environnements fragiles sont ainsi profondément dégradés, à l’instar du delta du Niger au Nigeria où l’exploitation des hydrocarbures a rendu la pêche très difficile.

Les espaces ruraux sont considérés comme des espaces de relégation pour les villes qui rejettent activités polluantes, activités dangereuses et déchets dans leurs périphéries rurales, proches ou plus lointaines. Ce phénomène est encore plus sensible dans les pays pauvres qui n’ont pas les moyens de traiter convenablement ces nuisances ? Les déchets ménagers et industriels y sont ainsi entreposés dans des décharges à ciel ouvert plus ou moins encadrées.

Ce sont donc les habitats naturels, la faune et la flore des milieux biophysiques ruraux qui sont massivement affectés partout dans le monde par les activités des hommes.

  • Participation et vulnérabilité des espaces ruraux au changement climatique.

Avec 10 milliards de tonnes équivalent CO2 en 2014, l’agriculture et la foresterie sont responsables de près d’un quart des émission mondiales de GES. C’est le deuxième secteur économique émetteur au monde, derrière la production de chaleur et l’électricité, mais devant l’industrie et les transports.

En 2014, les émissions liées à l’agriculture représentaient à l’échelle mondiale, 6,3 milliards de tonnes équivalent CO2 (+13% depuis 2000) et la déforestation 3 milliards (-40% depuis 2000). Les ruminations desanimaux produisent un tiers des GES de l’agriculture. Cela provient notamment du fait que le méthane produit par les flatulences des bovins a un pouvoir réchauffant 28 fois supérieur au dioxyde de carbone. Viennent ensuite la gestion des déchets organiques des animaux en stabulation, l’épandage du fumier, et les déchets des ruminants sur les pâtures qui dégagent du protoxyde d’azote, au pouvoir réchauffant 310 fois supérieur au CO2.

Très dépendantes du climat, les activités rurales sont aussi très vulnérables aux conséquences multiples du changement climatique. Les impacts sur le peuplement, les conditions de vie et les modes de production sont difficiles à prévoir car ils dépendant de chaînes de causalités complexes aux effets localement variables. Le changement climatique pourrait affecter les espaces ruraux par deux grandes voies : d’une part l’intensification d’événements extrêmes responsables de catastrophes qui affectent subitement systèmes agraires et infrastructures avec des conséquences sur plusieurs années, et d’autres part des changements progressifs sur plusieurs décennies des températures et précipitations moyennes.

Les conséquences concrètes sont difficiles à prévoir. Quel sera l’effet de la hausse des températures sur la diffusion des épidémies ou des épizooties par exemple ? La variation moyenne des précipitations sera très différente selon les régions. Mais la variation des moyennes ne dit rien sur la répartition saisonnière de ces pluies, élément crucial pour l’agriculture. Finalement, de grandes incertitudes demeurent sur l’ampleur des changements à venir et leurs conséquences locales.

Le GIEC conclut à une probable diminution des rendements des principales cultures (blé, maîs, riz) au niveau mondial, qui pourrait avoir des conséquences sur la sécurité alimentaire. Les espèces cultivées souffriront d’une des plus grandes irrégularités des pluies, des décalages saisonniers, et d’un stress hydrique plus intense à cause de la hausse des températures et de l’évapotranspiration des plantes. La baisse des précipitations dans certaines régions et la plus forte demande pourraient entraîner des pénuries d’eau de surface et souterraines, avec des effets sur l’accès à l’eau des populations et sur l’agriculture irriguée. Ces effets pourraient accentuer l’exode rural des campagnes encore très peuplées.

Les impacts du changement climatique seront d’autant plus délétères qu’ils seront rapides, ne laissant pas aux sociétés et aux systèmes productif le temps de s’adapter. La question se pose avec une forte acuité dans les Suds, où les populations rurales sont souvent très vulnérables. Les coûts sociaux et financiers de l’adaptation sont pour elles difficilement surmontables.

  • Les mutations des espaces ruraux pour répondre aux enjeux environnementaux

 La prise en compte par les sociétés des enjeux environnementaux (protection des milieux locaux et adaptation au changement climatique global) est un facteur d’évolution des activités rurales. Les agricultures en particulier, en plus des enjeux alimentaires et de sortie de la pauvreté, doivent répondre à trois autres exigences qui sont :

-le respect des écosystèmes locaux et la préservation des ressources dans un souci de durabilité

-les demandes des consommateurs en produits plus « sains »

-l’adaptation au changement climatique.

L’ampleur des changements attendus appelle une nouvelle révolution agricole.

  • Aires protégées, développement rural et concurrence des usages

L’instauration des périmètres de protection dans les espaces ruraux a longtemps été placé sous le signe du paradigme environnemental dit « radical » ou préservationniste, selon lequel l’homme est nuisible pour les milieux « naturels », il faudrait donc l’exclure des aires protégées. Essentiellement appliqué dans les pays anglo-saxons et dans les colonies, il a dominé la pensée écologiste des années 1940 aux années 1970. Il constitue aujourd’hui un héritage fort qui doit être géré dans le cadre du développement rural. Les réserves intégrales et beaucoup de parcs nationaux suivent encore ces préceptes. La stricte ségrégation spatiale entre milieux à protéger et espaces exploités, entraînant des déplacements de populations dans les cas extrêmes, provoque de nombreux conflits. Les populations riveraines subissent sans l’avoir choisi des règles qui restreignent leurs activités. Cette approche préservationniste (paradigme environnemental qui entend favoriser une protection maximale de l’environnement en excluant les sociétés des espaces protégés) a particulièrement attisé les tensions en Afrique sub. Et en Amérique du Sud. Appliqué au départ par les administrations coloniales et poursuivie aux Indépendances sous la pression de grandes ONG environnementales d’origine européenne ou nord-américaine, sans concertation avec les populations locales, elle a été critiquée comme une nouvelle forme d’impérialisme « environnemental ».

Le paradigme sous lequel sont créées et gérées les aires protégées depuis les années 70 est dit « intégrateur ». La protection de l’environnement suit une approche conservationniste (environnement aussi une ressource pour les sociétés, qu’il faut maintenir, au besoin en intervenant dans le fonctionnement des écosystèmes) : les sociétés sont intégrées dans les territoires protégés, elles peuvent y mener leurs activités à la condition d’observer quelques règles relativement souples. Les écosystèmes sont cogérés par les autorités des aires et les producteurs ruraux locaux. La création de ces périmètres (limites, règles) est discutée avec les acteurs locaux et non les plus imposée par l’Etat, comme les Parcs naturels régionaux (PNR) français qui résultent d’une participation volontaire des communes.

Les parcs nationaux du RU, très étendus et relativement densément peuplés, aux règles peu coercitives, et qui visent autant la protection des écosystèmes et la protection des paysages que la promotion du tourisme, ont été précurseurs dans cette approche. Les logiques de protection épousent ainsi de plus en plus les niveaux de densités, seuls les espaces ruraux très faiblement peuplés pouvant faire l’objet de politiques de conservation plus rigoureuses.

Les territoires de protection de la nature du paradigme intégrateur sont ainsi vus par les pouvoirs publics comme des outils de développement rural, particulièrement pour les régions défavorisées. Elles doivent permettre l’essor du tourisme et la promotion des produits locaux. C’était par exemple le but affiché des Naturpark, en Allemagne, promus après la réunification, et qui devaient contribuer au développement des espaces ruraux en crise dans les nouveaux Länder de l’es Allemagne de l’est.

Dans les faits, les moyens pour atteindre cet objectif sont difficiles à mettre en œuvre. Les populations ne sont pas forcément prêtes à changer leurs pratiques pour qu’elles soient plus respectueuses des milieux biophysiques, et la protection de ceux-ci est alors relative. D’un autre côté, les retombées économiques liées au tourisme ne profitent qu’à une toute petite partie de la population. La diffusion du paradigme intégrateur n’aboutit pas toujours à la diminution des conflits autour de la question environnementale.

  • Le tournant environnemental des territoires ruraux : vers une nouvelle révolution agricole ?

Les limites environnementales du modèle agricole productiviste alimentent des débats politiques intenses dans les sociétés des pays des Nords et interrogent les pays des Suds sur le modèle de développementagricole qu’ils doivent suivre. La demande sociale pour un changement des pratiques est de plus en plus forte. En réponse, deux voies sont suivies :

Un « verdissement » du modèle productiviste. Sans en changer la logique, il s’agit de mieux prendre en compte les contraintes environnementales. Qu’on l’appelle « agriculture durable », « agriculture raisonnée » ou plus récemment, dans le contexte français, « agriculture à haute valeur environnementale », les principes sont similaires. Les agriculteurs sont encouragés (par des aides publiques, comme la conditionnalité environnementale de la PAC) ou contraints (par des obligations réglementaires), à optimiser les traitements phytosanitaires et l’irrigation, à diversifier leurs stratégies de fertilisation, dans le but de diminuer les intrants.

Une remise en cause radicale des fondements du modèle productiviste. Les techniques diffèrent entre agriculture biologique, écologiquement intensive, agroécologie, permaculture, biodynamie… Mais le point commun entre toutes ces pratiques réside en un abandon de l’objectif de maximisation des rendements et de productivité du travail.  L’idée n’est plus de domestiquer les écosystèmes par un apport massif d’intrants extérieurs, mais plutôt de s’adapter à leurs logiques de fonctionnement pour répondre aux besoins de production alimentaire. Les exploitations s’inspirant de l’une ou l’autre de ces philosophies sont encore très minoritaires dans le monde, mais elles ont un rôle majeur en expérimentant des logiques de production qui pourraient être les bases d’une nouvelle révolution agricole. La demande des consommateurs pour des aliments plus « sains » encourage la très forte croissance de certains de ces modes de production, comme l’agriculture biologique.

Le changement des techniques culturales à l’échelle de la parcelle ne suffit pas à enclencher une révolution. Il ne faut pas seulement raisonner en agronome, mais aussi en géographe, pour envisager un tournant environnemental à l’échelle des territoires. Dans les pays des Nords comme ceux des Suds, la structure mondialisée des systèmes agricoles est remise en cause. S’il est illusoire de vouloir créer des territoires autosuffisants et de mettre fin aux échanges internationaux de produits alimentaires, les consommateurs et les politiques publiques poussent désormais dans le sens d’une relocalisation d’une partie de la production. Les bénéfices attendus sont multiples : diminution des couts économiques liés à la multiplication des intermédiaires, diminution des émissions des GES liées au transport à longue distance, qualité gustative accrue, meilleure traçabilité sanitaire, création d’emplois locaux non délocalisables.

L’agriculture de proximité est ainsi amenée à jouer un rôle majeur dans la recomposition des territoires ruraux, aussi bien pour répondre aux nouvelles demandes paysagères qu’au resserrement géographique des réseaux producteurs-consommateurs par la mise en place de circuits-courts.

  • Les espaces ruraux face à l’atténuation et à l’adaptation au changement climatique

Les activités rurales, et en premier lieu l’agriculture, deuxième source d’émission des GES, ont un rôle majeur dans l’atténuation du changement climatique, d’une part en réduisant les émissions et d’autre part en améliorant la capacité de stockage des puits de carbone.

Sur le premier volet, de multiples solutions techniques sont en phase d’expérimentation pour s’attaquer aux principales sources d’émission de GES (changement de l’alimentation des bovins pour réduire les émissions de CH4…) Sur le second volet, les meilleures pistes concernent l’amélioration de la gestion des sols, qui constituent, à l’instar des océans et des forêts, des puits à carbone très important et la reforestation (les forêts ont absorbé 1,8 milliard de tonnes eq. CO2 en 2015)

CONCLUSION :

Les milieux ruraux, loin d’être naturels, sont les produits d’une anthropisation faite d’adaptations pluriséculaires. La coévolution des sociétés rurales et de leurs environnements peut se lire dans les paysages. Les équilibres qui en ont résulté sont singuliers puisque chaque société en un territoire et en un temps donnés a produit des adaptations au milieu différentes. Les changements environnementaux actuels, notamment le changement climatique global, sont toutefois si intenses et si rapides, que les coûts de cette adaptation deviennent très élevés. Les changements de pratiques, qui peuvent être accompagnés et facilités par des évolutions techniques, restent socialement, financièrement mais aussi environnementalement coûteux, et ce d’autant plus qu’ils pèsent sur des sociétés déjà vulnérables.