Les auteurs :
Valérie Theis : Après avoir obtenu l’agrégation d’histoire en 1998, elle fait un doctorat en histoire médiévale à l’Université Lumière Lyon 2. Sa thèse, soutenue en 2005, s’intitule : Le gouvernement pontifical du Comtat Venaissin vers 1270-vers 1350. Entre 2006 et 2017 elle est MCF à Paris-Est Marne-la-Vallée. Elle est actuellement professeur d’histoire médiévale à l’ENS-Ulm. Elle soutient son HDR en 2016 portant sur les « Pratiques de l’écrit, pratiques de l’espace. Recherches sur les techniques de gouvernement en Europe occidentale, XIe-XVe siècle », avec un mémoire inédit intitulé Le monde de la Chambre apostolique (XIe-XIVe s.). Ordonner les archives, penser l’espace, construire l’institution. Elle est spécialiste d’histoire politique et sociale de l’Europe (du MA à l’époque moderne) et s’intéresse particulièrement aux dvps des usages de l’écrit pour gouverner (surtout au niveau des comptabilités et des enquêtes) grâce aux archives pontificales et aux archives des communautés locales dans le Midi de la France et l’Italie.
Étienne Anheim : Après avoir obtenu l’agrégation d’histoire en 1996, il obtient son doctorat en 2004 en soutenant sa thèse intitulée : « Culture et pouvoir pontifical sous le règne de Clément VI (1342-1352) », sous la direction de Jacques Verger. Entre 2002 et 2006 il est membre de l’École française de Rome et s’intéresse aux financements et organisations des chantiers de peinture pontificaux au XIVe siècle. En 2006, et jusqu’en 2016, il est maître de conférence à l’université de Versailles. Il soutient son HDR en 2015 sur la « Sociologie historique de la culture en Occident, XIIIe-XVe s. ». Depuis 2016 il est directeur d’étude à l’EHESS. Il s’intéresse d’abord à la culture savante à la fin du MA (scolastique, musique, peinture, production littéraire et théologique). Il concentre ses recherches, pour sa thèse, sur la cour d’Avignon sous le règne de Clément VI (pape de 1342 à 1352). Actuellement il s’intéresse à l’histoire globale de la peinture et plus largement à l’histoire des pratiques de l’écrit entre le XIIIe et le XVe siècle.
Élydia Barret : Elle est conservatrice des bibliothèques au service de la documentation de l’Université des Antilles. Elle obtient son diplôme de conservateur des bibliothèques en 2014. Elle est une ancienne élève de l’école nationale des chartes. En 2004 elle y soutient sa thèse intitulée : « Les « vergers » de la papauté d’Avignon : Avignon, Pont-de-Sorgues et Villeneuve (1316-1378) ». Elle s’intéresse aux jardins aménagés près du palais des papes d’Avignon et aux jardins des résidences pontificales de Pont-de-Sorgues et de Villeneuve. Pour bâtir cette étude elle utilise les archives de la comptabilité produite par la Chambre apostolique. Elle met alors en parallèle les images transmises sur ces jardins, par l’iconographie et par la littérature du MA,à la réalité des sources.
Philippe Généquand : Depuis 2011 il est professeur agrégé au département d’Histoire de l’Université de Montréal et membre du Centre d’étude Médiévales. Il est docteur en Histoire du MA. Ses travaux ont porté sur la cour pontificale à la fin du XIVe siècle. Grâce aux documents de la pratiques (comptes, lettres, quittances …) il a pu saisir des parcours individuels (prosopographie) qui lui ont permis de mettre en évidence les structures gouvernementales et les filières de carrière et de promotion à la cour. Actuellement il travaille sur la relation entre l’évolution des systèmes de gouvernement et le recours à la politique de la grâce. Pour bâtir son étude il s’intéresse aux archives de la pénitencerie apostolique. En parallèle il s’intéresse aussi à la réception du MA dans les sociétés contemporaines.
Armand Jamme : Il est agrégé d’histoire. Il soutient sa thèse de doctorat en 2000. Elle est réalisée sous la direction de P. Contamine et intitulée « Pouvoir, honneur ou profit : les milieux laïcs d’Outremont dans l’Italie pontificale (deuxième moitié du XIVe siècle) ». Il y développe une recherche prosopographique sur les laïcs « français » au service du pape en Italie. Il est membre de l’École française de Rome. Il soutient son HDR en 2011 et elle est consacrée à la « Papauté, Pouvoirs et Cultures Politiques ». A. Jamme est directeur de recherche au CNRS de Lyon depuis 2012 au sein de l’UMR « Histoire et archéologie des mondes chrétiens et musulmans médiévaux ». Il est spécialiste de l’histoire de la souveraineté pontificale et du gouvernement de l’espace chrétien et de l’Italie à la fin du MA. Il consacre aussi ses travaux à saisir l’histoire des pratiques de l’écrit dans le but d’éclairer le fonctionnement des institutions (notamment de comptabilité) entre le XIIe et le XIVe siècle.
La comptabilité des dépenses de la papauté au XIVe siècle : structure documentaire et usages de l’écrit : Valérie Theis, Étienne Anheim, pp. 165-168.
Résumé raisonné :
Ce premier article fait figure d’introduction au Mélanges. Cet ensemble d’articles est issu des interventions présentées lors d’une table ronde organisée les 28 et 29 juin 2003 à l’École française de Rome. Cette table ronde est consacrée aux problèmes de diplomatique et d’édition des sources comptables pontificales du XIVe siècle.
Les auteurs rappellent que l’historiographie des travaux sur la Chambre apostolique au XIVe siècle se divise en trois temps :
– Première moitié du XXe (1910-SGM) : travaux qui posent les bases de l’étude de la Chambre apostolique (menées par des Allemands, des Français et des Italiens en concertation au sein des instituts étrangers de Rome). Point de départ : édition organisée par l’antenne romaine de la Görres-Gesellshaft et publication de 8 volumes de sources,émanent de la Chambre apostolique avignonnaise, entre 1910-1972 (trois volumes sont réalisés par K.H. Schäfer).
– Deuxième moitié du XXe (ap SGM) : raréfaction et fractionnement des enquêtes mêlées à un enclavement national. On retient les grandes figures de B. Guillemain et de J. Favier, mais leurs travaux n’ont pas eu de postérité immédiate. On constate un renouveau des études à la fin des 70’s et début des 80’s grâce aux travaux de chercheurs italiens et allemands.
– Début du XXIe siècle : Regain d’intérêt envers les sources comptables de la papauté du XIVe siècle (à retenir S. Weib, chercheur allemand, synthèse en 2003). Mais dans ce contexte se pose la question de l’actualité des éditions de K.H. Schäfer(début XXe siècle) dont le but était d’offrir aux chercheurs le plus grand nombre d’informations prosopographiques et économiques sur la cour d’Avignon (faisant fi de la nature des sources ou des procédures d’écriture). Les questionnements sont aujourd’hui différents : remplacement de l’usage quantitatif des sources vers une réflexion qualitative sur les usages et la culture de l’écrit au MA. Ces questionnements se dvp depuis les années 70 au croisement des travaux de J. Goody sur la « culture graphique », d’A. Petrucci, P. Cammarosano, M. Clanchy et H. Keller . La France est en retard, le champ de recherche sur l’écrit, représenté aujourd’hui par P. Chastang ou L. Morelle, s’est ouvert grâce à l’étude de la documentation du MA central.
Le but de cette table ronde : Réflexion sur la pratique de l’« écrit pragmatique » dans le contexte d’une cour importante au XIVe siècle. Le but est, dans la lignée du renouveau de la fin des 90’s, de contribuer à une introduction aux archives comptables mais aussi de mêler à l’étude économique et financière une approche sociale et culturelle (genèse et structures des procédures d’enregistrement, vision du monde et mise en ordre du réel, mutations institutionnelles et bureaucratique, pratiques).
Résumé de l’exemple des « Grands Livres » filé sur plusieurs articles : Valérie Theis montre que l’étude de certains registres de la Chambre apostolique permet d’éclairer la mise en place d’une nouvelle équipe comptable autour des trésoriers Adémar Ameilh et Gasbert de Valle, sous l’impulsion du pape Jean XXII (1316-1334) dès son élection en 1316. Elle repère un phénomène d’importation de techniques, venues de la gestion épiscopale, à une échelle plus grande qui produit un tournant. En témoigne l’apparition d’une nouvelle documentation : « les Grands Livres ». Ce sont des registres annuels de comptes, divisés en recettes et dépenses, organisés en rubriques thématiques et composés par les clercs de la Chambre à partir des quittances et des cahiers de reddition de comptes des officiers. Les Grands Livres sont les principales archives comptables pour les décennies suivantes (conservés en plusieurs exemplaires). Les procédures comptables distinguent plusieurs phases dans la confection de ces Grands Livres : séparation en séquences successives des données comptables dans des rubriques au fur et à mesure de l’année, vérification des calculs, copie définitive -> explique les trois exemplaires conservés entre 1320-1340. Puis il y a une évolution, comme le montre les travaux d’ElydiaBarret. Dès la première moitié du XIVe siècle, les Grands Livres sont complétés par les « journaux », des livres de comptes enregistrés chronologiquement et par les rouleaux surtout mensuels, qui sont un abrégé chronologique des Gds Livres. Progressivement grâce aux réformes du système instaurées sous Innocent VI (1352-1362),la mensualisation des comptes vient se substituer aux Grands Livres à partir des années 1360. « P. Généquand étudie les effets de cette évolution entre les années 1370 et le milieu des années 1390 ». Il montre bien, dans le contexte troublé du Grand Schisme à compter de 1378, la transformation de l’enregistrement qui conduit à « l’effacement des Grands Livres, à la simplification des procédures et au triomphe de l’enregistrement chronologique ».
La réforme comptable de la Chambre apostolique et ses acteurs au début du XIVe siècle – Valérie Theis, pp. 169-182.
Résumé raisonné :
Valérie Theis montre que l’étude de certains registres de la Chambre apostolique permet d’éclairer la mise en place d’une nouvelle équipe comptable autour des trésoriers Gasbert de Valle et Adémar Ameilh, sous l’impulsion du pape Jean XXII dès son élection en 1316. Gasbert de Valle serait le penseur de la nouvelle comptabilité mais son rôle n’est pas si clair … Cependant les sources indiquent qu’il est trésorier à partir de 1316 (donc sous la domination du camérier de la Chambre apostolique) puis camérier entre 1319 et sa mort en 1347. Adémar Ameilh est considéré comme le co-trésorier … là encore sa position « inférieure » par rapport à Gasbert de Valle, issue de la tradition historiographique, est remise en cause par V. Theis. Selon les sources il devient trésorier à partir de 1319, en remplacement de Gasbert de Valle, jusqu’en 1333 (date de sa mort).
Sous Boniface VIII (pape de 1294 à 1303) la Chambre apostolique est seulement un instrument de contrôle et d’enregistrement des comptes. Les paiements sont acceptés et effectués par trois familles de banquiers, qui se relayent.Ils rendent des comptes ensuite au camérier. Le système d’enregistrement est peu élaboré mais semble suffisant. La structure des comptes de Clément V (pape de 1305 à 1314) est proche de celle de Boniface VIII.
K.H. Schäfer et même encore S. Weib, constatent une rupture nette entre la comptabilité et l’organisation de la Chambre apostoliquesous Boniface VIII et Clément V et celle sous Jean XXIImais sans l’expliquer. SelonV. Theis cette rupture n’est pas si nette. D’une part il existe déjà une rupture entre le pontificat de Boniface VIII et l’élection de Clément V. Changement majeur, les banquiers ne gèrent plus l’argent. Cette gestion est confiée aux officiers de la cour. D’autre part la mise en place d’une nouvelle comptabilité par Gasbert de Valle et Adémar Ameilhmontre un phénomène d’importation progressive de techniques d’enregistrementvenues de leur propre gestion épiscopale (Adémar Ameilh était l’agent financier de l’évêque de Fréjus, futur Jean XXII, dès 1307), à une échelle plus grande, celle de la Chambre apostolique. C’est cette importation de techniquesqui produit, à ce moment, un tournant net. En témoigne l’apparition d’une nouvelle documentation, « les Grands Livres », inspirés de la comptabilité mise en place par l’équipe de travail autour du futur Jean XXIIà partir de la fin de l’année 1316. Ces documents sont des registres définitifs annuels de comptes divisés en recettes et dépenses, organisés en rubriques thématiques stéréotypées (titre, date, chronologie, totaux, brèves descriptions des dépenses et recettes) et composés par les clercs de la Chambre à partir des quittances et des cahiers de reddition de comptes des officiers. Les Grands Livres sont les principales archives comptables pour les décennies suivantes (conservés en plusieurs exemplaires). Les procédures comptables avignonnaisesdistinguent plusieurs phases dans la confection de ces Grands Livres : séparation en séquences successives des données comptables dans des rubriques au fur et à mesure de l’année, vérification des calculs, copie définitive. Ce phénomène, déjà constaté dans la tenue des comptes d’Adémar Ameilh avant 1316, explique la conservation de trois exemplaires de chaque comptabilité entre 1320-1340.
La normalisation des procédures d’enregistrement comptable sous Jean XXII et Benoît XII (1316-1342) : une approche philologique : Étienne Anheim, pp. 183-201.
Résumé raisonné :
Selon E. Anheim il est nécessaire de mettre en place une approche nouvelle, philologique, pour étudier la documentation issue de la Chambre apostolique. Il s’agit de contribuer à une analyse précise de la manière dont la documentation s’est constituée, pour aller vers une meilleure compréhension de l’information et éclairer les mécanismes de détail de l’enregistrement documentaire. Pour lui cette approche va permettre de comprendre le dvpment de la Chambre apostolique qui devient le cœur de l’administration pontificale au cours du XIVe siècle. La Curie se sédentarise, « achève de centraliser la fiscalité de l’Église et a recours à l’écrit pragmatique et à des techniques bureaucratiques dans des proportions jusque-là inconnues. ».
Grâce à cette étude philologique, l’auteur essaye de comprendre comment se réalise concrètement l’enregistrement des dépenses sous Jean XXII (1316-1334) et Benoît XII (1334-1342) du point de vue de la culture graphique et comptable. Pour cela E. Anheim utilise, entre autres, le cahier personnel d’Adémar Ameilh, personnage central de « l’école comptable » (V. Theis). Il en ressort que ce trésorier, même avant 1316, utilise différents documents pour les mêmes comptes avec une phase de brouillon puis une phase de copie définitive. Dans la phase de brouillon, les informations sont d’abord mentionnées de façon brute, dans un deuxième temps elles sont complétées et développées par des précisions nécessaires au contrôle (quantités, sommes). Cette opération est réalisée sur une année complète. Une seconde main procède à la préparation de la mise au propre finale sur le document brouillon (intervient dans la marge). Ces deux actions permettent de contrôler les sommes et les totaux, parfois à l’aide d’une documentation extérieure permettant de fournir des informations supplémentaires. Selon E. Anheim « la comparaison des deux versions confirme que toutes les modifications sont enregistrées, en même temps que le formulaire est standardisé (date, quantité achetée, identité du vendeur, prix unitaire, somme en monnaie de compte et en monnaie d’usage). On assiste à la mise en place d’une « chaîne d’écriture » avec différents scribes et différents documents (B. Praenkel).
Cependant il est difficile de connaître l’ordre d’apparition de chacun des documents conservés dans la chaine. Il semble que les calculs sont les plus complets et l’écriture la plus homogène quand le registre est une copie tardive dans la chaîne de production et inversement.
Selon E. Anheim les différentes techniques, expérimentées à l’échelle d’un évêché (Fréjus puis Avignon), sont donc reprises pour prendre la dimension bien supérieure de ce qui devient peu à peu une comptabilité « étatique ». La structure de la comptabilité d’Adémar se retrouve dans les archives plus tardives (ex : E. Anheim prend l’exemple de l’année 1341 où on retrouve dans les documents la survivance de la structure graphique mise en place sous Adémar).
Des livres aux rouleaux : aspects de l’enregistrement comptable d’Innocent VI à Grégoire XI (1352-1378) :ÉlydiaBarret, pp. 203-219
Résumé raisonné :
À la fin du pontificat de Clément VI (1342-1352) on constate, dans les sources, l’existence de plusieurs types de livres de comptes qui coexistent tout au long du XIVe siècle : ceux qui émanent de la Chambre apostolique ->Grands Livres (compilés jusqu’en 1378), journaux (classement chronologique plus succin, apparaissent sous le pontificat de Benoit XII, mieux conservés que les Grands Livres dans la deuxième moitié du XIVe) et ceux qui émanent des services de la Curie ->cahiers de comptes. Ces cahiers n’ont pas bien été conservés, si bien qu’on a parfois conclu à leur disparition dans la seconde moitié du XIVe siècle (seuls quelques comptes d’œuvres sont conservés pour le pontificat de Grégoire XI). Ils sont différents des documents de la Chambre apostolique, rédigés soit en latin soit en langue vernaculaire, avec une écriture cursive, de petite dimension et peu soignés. Le classement est chronologique et mensuel. Les dépenses sont notées de manière très précise.
Le pontificat de Clément VI est considéré comme l’apogée de la papauté avignonnaise. Selon les historiens le pontificat de son successeur, Innocent VI (1352-1362), est terne et sans relief. Selon E. Barret l’historiographie suit cette tendance.En effet l’attention s’est concentrée sur les premières décennies du XIVe, marquées par la mise en place de nouvelles méthodes comptables, au détriment de la documentation de la deuxième moitié du siècle. Il y aurait une continuité dans la production de l’écrit entre ces deux périodes. Cependant E. Barret relève une mutation des pratiques de la Chambre apostolique avec l’apparition des rouleaux de comptesmensuelslongs (3-4 feuilles de parchemin cousues) ou courts (1-3 bandes de parchemin cousues) et annuels. L’apparition de ces rouleaux bouleverse aussi la tenue des livres de comptes. Les rouleaux mensuelslongs sont des abrégés des Grands Livres (ne comportent seulement que le nom et la somme payée ou la dépense effectuée), les totaux sont effectués rapidement pour fournir la balance. Les rouleaux mensuels courts sont encore plus succins : y figurent seulement les totaux. Grands Livres et livres chronologiques (rouleaux, journaux) se répondent et fonctionnent ensemble mais ils sont préparés séparément à partir des comptes des administrateurs. De la même manièreon utilisait les journaux pour réaliser les rouleaux mensuels, confectionnés en plusieurs temps. Ces rouleaux sont ensuite contrôlés et validés par les clercs de la Chambre. E. Barret constate que les rouleaux, au même titre que les Grands Livres, sont conservés en plusieurs exemplaires (plus ou moins achevés). En outre ils étaient réalisés en trois exemplaires identiques. Chaque copie était envoyée à un destinataire précis : une pour le pape, une pour le trésorier, une pour la Chambre apostolique. On est donc face à une multiplication des supports qui entraine alors une « hypergraphie » dans le second quart du XIVe siècle.
Les réformes d’Innocent VI ont abouti à la mise en place d’un nouveau système, allant vers la simplification, dans la seconde moitié du XIVe siècle. Dans un premier temps on voit l’instauration de contrôles mensuels pour les rouleaux à partir de 1356 (vont de pair avec la mensualisation des comptes) puis la valorisation des journaux et la marginalisation des Grands Livres à partir de 1361.
Grands livres et comptes annexes : l’ « épaisseur» comptable de la papauté d’Avignon : Philippe Généquand, pp. 221-245.
Résumé raisonné :
Cependant les Grands Livres, bien qu’issus de l’introduction et de la mise en place de nouvelles techniques comptables à la Chambre apostolique, ne peuvent être considérés comme une comptabilité au sens moderne car, selon la recherche, ils omettent toutes les dépenses faites de façon décentralisée par les collecteurs ou par des agents pontificaux . En outre l’auteur estime que ces Grands Livres ont tendance à « lisser la réalité, à camoufler le fonctionnement réel de la curie sous un vernis de régularité et de durabilité » (trait propre à toute administration). Tendance accentuée par le fait que les documents de travail utilisés pour la confection des Grands Livres n’ont été que très peu conservés. En tant que pièces probatoires ils n’ont pas eu vocation à être archivés. Autre limite de ce type de document, un tri d’information est effectué par les clercs et la trésorerie au moment de leur rédaction ce qui ne fait qu’amplifier le camouflage de la réalité. Les quelques pièces, issues de documents probatoires, qui nous sont connues permettent cependant d’esquisser le fonctionnement et les rouages de la cour avignonnaise. Elle repose sur trois principes : « responsabilité individuelle des officiers, contrôle épisodique mais approfondi de l’activité et, plus que tout, pragmatisme dans les décisions et dans les structures ».
L’auteur se penche sur la comptabilité de six officiers domestiques (œuvrant pour la cire, la cuisine, la paneterie) dans une démarche prosopographique. Il analyse les différents documents de comptes,situés en amont des livres de comptes mensuels ou annuels, abordant alors « l’épaisseur » comptable dans le but de saisir les pratiques des différentes activités pontificales.
Sous Clément VII (1378-1394) l’auteur constate qu’il n’y a quasiment plus de Grands Livres, l’ensemble conservé est majoritairement constitué de journaux (organisation chronologique des dépenses, d’usage facilité). Mais l’auteur estime que ce sont les aléas de la conservation plus qu’une réforme des pratiques. Le mot d’ordre est la continuité. En étudiant la mise en page des registres on observe cependant une tendance nette à la confusion entre dépenses et recettes dans un même document et à la mise en place d’une chronologie mensuelle. Chaque fin de mois est l’occasion d’une récapitulation méthodique.
Du journal de caisse au monument comptable : les fonctions changeantes de l’enregistrement dans le Patrimoine de Saint-Pierre (fin XIIIe-XIVe siècle) : Armand Jamme, pp. 247-268.
Résumé raisonné:
Après les premiers articles du Mélanges consacrés aux évolutions des pratiques et des écrits de la Chambre apostolique (qui fait figure de comptabilité centrale), A. Jammechange de focale et pose le problème de la comptabilité des États de l’Église pendant l’époque avignonnaise. Il rappelle que « l’État pontifical » est composé de cinq provinces gouvernées par des recteurs : Romagne, Marche d’Ancône, Duché de Spolète, Patrimoine de Saint-Pierre, Campagne et Maritime et de cinq districts urbains : Bologne, Pérouse, Rome, Ferrare, Enclave du Bénévent.
Après le conflit entre Guelfes et Gibelins se succéda une multiplication des logiques de construction étatique (adoptées progressivement par la majorité des communes du centre-nord). Le pape y répond en affirmant son autorité (fin XIIIe début XIVe siècle). Entre 1353 et 1377 on voit se mettre en place un processus d’appropriation du territoire par le pouvoir pontifical. Il est alors logique qu’entre la fin du XIIIeet la fin du XIVe siècle les méthodes de gouvernement et notamment les systèmes de valorisation des ressources et de contrôle des mécanismes financiers soit expérimentaux et multiples. L’auteur va alors s’intéresser aux types de registres produits et à leur évolution.
Un constat est clair : il existe une variété des pratiques entre la fin du XIIIe et la fin du XIVe siècle. L’article d’A. Jamme souligne l’existence d’expériences comptables quelques peu innovantes(ex : En Romagne, comptabilité d’État organisée pour les recettes autour des ressources domaniales, pour les dépenses en incluant les principales charges (salaires, frais de garde et de guerre)). Cependant l’auteur confirme aussi les différentes hypothèses sur l’action décisive de Jean XXII, qui fixa une véritable méthodologie comptable ordonnée et continue, reliant progressivement les trésoreries provinciales à l’administration centrale.Par ce lien il est alors possible de penser qu’il y eu une diffusion des pratiques du centre vers la périphérie.Notammentavec la redéfinition du rôle du Trésorier de la province, qui devient alors un agent de la Chambre apostolique en détachement, et par la volonté de Jean XXII de disposer de registres annuels précis des recettes et des dépenses de la province. Ses successeurs manifestent cependant un intérêt moindre à la réalisation annuelle de livres de comptes. Sous Clément VI, ils sont réalisés à la demande de la Chambre quand le besoin se présente. A. Jamme fait le constat que progressivement, à partir de la seconde moitié du XIVe, on voit apparaitre l’existenced’une tension entre précision comptable et narrativité des mentions et une évolution progressive qui conduit à « une dissociation entre, d’une part, un registre qui est un véritable monument comptable et, de l’autre, son abréviation dans un compte bref qui permet la vérification »(dans les années 1370).