Le sujet d’agrégation début en 1884 et se termine en 1962. Il intègre donc une vaste période de difficultés du capitalisme occidental (Grande Dépression 1873-1896, Première Guerre mondiale, Krach boursier de Wall Street 1929, crise économique des années 1930, Seconde Guerre mondiale). De plus, l’accélération des découvertes des « blancs de la carte », la deuxième phase de l’impérialisme et la récurrence des concurrences militarisées entre les grandes puissances européennes révèlent une conception mercantile, limitée, voire finie, de la richesse planétaire. En d’autres mots, pour qu’une nation [européenne] devienne riche et puissante, il faut qu’elle appauvrisse et fragilise une autre terre [européenne ou coloniale] dans un jeu d’échanges à somme nulle. Une analyse originale des rapports entre la ruée prédatrice vers l’Afrique coloniale et le capitalisme de la finitude (d’après le dernier ouvrage d’Arnaud Orain) est proposée ici.
La fiche se compose de 7 parties :
I. Contexte : la fin du XIXe siècle est une période de « finitude »
II. La conférence de Berlin
III. En Afrique, la France applique un modèle économique fondé sur la plantation agricole capitaliste
IV. Les compagnies commerciales privées soutiennent cette entreprise
V. Cela engendre des rivalités coloniales
VI. Mais la colonisation et l’impérialisme protègent la métropole puisque cela permet l’externalisation des contraintes écologiques
VII. La responsabilité de la présence de la France dans l’empire colonial d’Afrique : la constitution d’un système-monde fondé sur l’échange inégal et le développement du sous-développement
I. Contexte : la fin du XIXe siècle est une période de « finitude »
Selon Arnaud Orain (Le monde confisqué. Essai sur le capitalisme de la finitude, XVI-XXIe siècle, Flammarion, 2025), depuis la naissance du capitalisme au XVIe siècle, celui-ci n’a connu que deux formes ont rythmé l’histoire du globe en se succédant l’un et l’autre à différentes reprises : le capitalisme « libéral » et le capitalisme « mercantiliste ».
Le premier est le mieux connu : c’est la forme smithienne du libre-échange et de la libre-concurrence, permettant le développement d’un commerce mondialisé et prétendument harmonieux (c’est le « culte du libre-échange » défendu par Richard Cobden au milieu du XIXe siècle et la « mondialisation heureuse » défendue par les héraults de l’américanisation du monde après 1945 et après 1991).
Le second a été mal interprété au cours de l’histoire et Arnaud Orain prend le temps de le redéfinir en introduction. Le mercantilisme a souvent été réduit au seul protectionnisme, et cantonné à l’époque moderne. Or, le mercantilisme est avant tout un capitalisme prédateur et destructeur qui se fonde sur l’idée selon laquelle la richesse étant limitée, bornée, finie, pour qu’un Etat ou une entreprise s’enrichisse, elle doit s’emparer d’un maximum de richesses le plus rapidement possible. Arnaud Orain en donne cette définition : « le capitalisme de la finitude est une vaste entreprise navale et territoriale de monopolisation d’actifs – terres, mines, zones maritimes, personnes esclavagisées, entrepôts, câbles sous-marins, satellites, données numériques – menée par des Etats-nations et des compagnies privées afin de générer un revenu rentier hors du principe concurrentiel ».
Après 1880 et jusqu’à 1945, le monde industriel libéral qui a connu son apogée avec l’industrialisation et les accords de libre-échange des années 1850, 1860 et 1870, se referme sous l’effet de la course à l’impérialisme qui remet en avant le sentiment de finitude de la planète. La Grande Dépression débute en 1873, parallèlement à la naissance de nouveaux empires centraux, dont l’Allemagne (1871). C’est à la fin du XIXe siècle que reprennent les expéditions de découverte : celles vers la Route du Nord-Ouest, vers l’Antarctique, vers le cœur de l’Afrique. Berlin organise la grande conférence visant au « partage de l’Afrique » en 1884-1885 (c’est la période du Scramble for Africa). Au Royaume-Uni, Benjamin Disraeli organise le couronnement de la reine Victoria devenue « Impératrice des Indes ». En France, Jules Ferry devient ministre des Colonies et défend une vision raciste de la civilisation, particulièrement en Indochine. Friedrich Ratzel puis Karl Haushofer créent le concept « d’espace vital ». Theodor Herzl définit le sionisme à Bâle en 1897, appelant à rendre au peuple hébreu la Terre d’où ils ont été expulsés au cours de leur histoire.
II. La conférence de Berlin
La colonisation de l’Afrique a connu une forte accélération dans la deuxième moitié du XIXe siècle. La course aux empires bat son plein entre la France, le Royaume-Uni (puissances coloniales traditionnelles), mais aussi les nouveaux Etats-nations (Allemagne, Belgique, Italie). L’impérialisme européen ultra-concurrentiel engendre des tensions et les risques de conflit armé deviennent de plus en plus importants dans les années 1880. Bismarck invite donc les plénipotentiaires européens à se réunir autour d’une table de négociations à Berlin à partir de novembre 1884.
Au départ, il s’agit seulement de régler les tensions à propos du commerce dans le bassin du fleuve Congo, convoité par les Portugais, les Anglais, les Allemands et les Français.
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Dans la théorie des systèmes-monde, cet effet est bien connu : les pays du centre imposent des relations asymétriques qui limitent le développement des périphéries. Frank va plus loin en montrant comment l’entropie est un facteur clé de cette dynamique.
Bien que Frank et Wallerstein partagent une vision structurelle du capitalisme mondial, il y a quelques différences dans leur approche :
Critère | Andre Gunder Frank | Immanuel Wallerstein |
Vision du capitalisme | Le capitalisme est un système mondial qui existe depuis des siècles (avant 1500). | Le capitalisme moderne émerge au XVIᵉ siècle avec l’économie-monde européenne. |
Concept clé | Développement du sous-développement (les périphéries sont activement sous-développées par le centre). | Division du monde en centre, semi-périphérie et périphérie, avec des mobilités possibles. |
Méthode d’analyse | Insiste sur le commerce multilatéral et le déplacement de l’entropie. | Analyse les structures de production et l’évolution du système sur le long terme. |
Ainsi, Frank adopte une approche plus radicale que Wallerstein :
- Il considère que l’exploitation du Sud par le Nord est un processus plus ancien et global.
- Il met en avant l’aspect énergétique et écologique du commerce inégal, ce que Wallerstein n’aborde pas directement.
En tous les cas, ces propositions de lecture des relations entre la France en tant que métropole et son empire colonial en Afrique permettent de déplacer le regard et apportent une série d’analyses originales du sujet d’agrégation :
- La concurrence entre les empires est née d’une entente entre les puissances pour équilibrer cette concurrence (conférence de Berlin, 1884-1885)
- Dans les années 1870-1900, les puissances européennes se sont engagés dans une conquête territoriale en Afrique dans un contexte particulier : une phase B des cycles de Kondratieff et une période de « capitalisme de la finitude » (Arnaud Orain)
- L’Etat français a financé et appuyé les missions d’exploration de l’Afrique
- Il s’est associé aux intérêts privés des planteurs, négociants, compagnies concessionnaires, pour renforcer son emprise et son contrôle foncier en Afrique
- La fin du XIXe siècle voit refleurir les compagnies à charte et les techniques mercantiles d’une époque que l’on pensait révolue après la période de libre-échange du XIXe siècle (1815-1880)
- La métropole s’est constituée comme le centre d’un système-monde impérial
- Ce système-monde lui a permis d’externaliser ses contraintes économiques, politiques, sociales, dans les colonies (le principe d’entropie, le colonialisme écologique, le commerce écologique inégal)
- Un nouveau commerce et une consommation de produits coloniaux s’est accrue avec des manufactures et des magasins de métropole qui ont mis le café, le chocolat, le thé, à disposition des clients métropolitain ; cela a accéléré la globalisation du monde
- Ce système-monde a produit l’inégalité de développement que nous connaissons aujourd’hui, car il s’est appuyé sur une relation asymétrique d’échange inégal qui a entraîné un « développement du sous-développement »
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