Le temple de Jupiter Capitolin vu par Plutarque : religion romaine et enjeux de pouvoir autour du dieu Très Bon Très Grand

« Ce temple de Jupiter Capitolin, c’est d’abord Tarquin, fils de Démarate, qui avait fait vœu de l’élever lorsqu’il était en guerre contre les Sabins, mais ce fut Tarquin le Superbe, fils ou petit-fils de celui qui avait fait le vœu, qui le construisit. Il n’eut pas le temps de le dédier, mais il restait peu de choses à faire pour l’achever, lorsque Tarquin fut expulsé. Lors donc qu’il fut entièrement achevé et décoré comme il convenait, Publicola ambitionnait d’en faire la consécration. Mais il était jalousé par beaucoup de citoyens puissants qui supportaient moins bien ce titre d’honneur que les autres qu’il s’était justement acquis comme législateur et comme général, et qui ne croyaient pas devoir y ajouter ce dernier, qui ne lui revenait pas spécialement. Aussi engagèrent-ils vivement Horatius à lui disputer cette consécration. À ce moment, Publicola fut contraint de partir en expédition, et ses envieux, persuadés qu’ils ne l’emporteraient pas si Publicola était présent, firent voter aussitôt que la consécration serait faite par Horatius, et ils le conduisirent au Capitole. Quelques-uns disent que, les consuls ayant tiré au sort, Publicola fut désigné malgré lui pour commander l’expédition et son collègue pour dédier le temple. Mais on peut, à ce propos, conjecturer comme les choses se passèrent d’après ce qui arriva lors de la consécration. Le jour des ides de septembre, qui correspond à peu près à la pleine lune du mois Métageitnion, comme tout le peuple était assemblé au Capitole, Horatius, une fois le silence établi, après avoir accompli tous les rites et mis, suivant l’usage, la main sur la porte, prononçait les formules habituelles de la consécration, lorsque le frère de Publicola, Marcus, qui s’était longtemps à l’avance placé près de la porte et guettait le moment, lui dit : « Consul, ton fils est mort de maladie à l’armée. » Cette nouvelle affligea tous ceux qui l’entendirent, mais Horatius, sans manifester aucun trouble, se contenta de répondre : « Jetez donc son corps où vous voudrez ; moi, je ne prends pas le deuil », et il acheva la consécration. Mais la nouvelle était fausse, et Marcus avait commis ce mensonge pour détourner Horatius de ce qu’il faisait. Celui-ci montra dans cette occasion une fermeté admirable, soit qu’il eut aussitôt reconnu la tromperie, soit que, croyant la nouvelle vraie, il n’en eut pas été ému.

Ce qui était arrivé pour la dédicace du premier temple semble s’être reproduit pour celle du second. Le premier, bâti, comme je l’ai dit, par Tarquin et dédié par Horatius, fut détruit par le feu pendant les guerres civiles. Le second fut construit par Sylla, mais il mourut avant d’en faire la dédicace, et c’est le nom de Catulus qu’on y inscrivit. Ce temple ayant été détruit à son tour dans les troubles qui eurent lieu sous Vitellius, Vespasien, heureux de ceci comme en tout le reste, le releva (ce fut le troisième) depuis le fondement jusqu’au faîte et le vit terminé, sans être témoin de sa destruction quelque temps après. Il fut ainsi plus favorisé du sort que Sylla, d’autant plus que Sylla mourut avant d’avoir dédié son ouvrage, et lui avant de voir le sien détruit ; en effet, comme Vespasien venait de mourir, eut lieu l’incendie du Capitole. Le temple actuel, le quatrième, fut bâti complètement et consacré par Domitien. On dit que Tarquin avait dépensé pour les fondements de son temple quarante-mille livres d’argent ; mais tous les biens du plus riche particulier de Rome ne suffiraient pas à payer la dorure du temple actuel, qui a coûté plus de douze mille talents. Les colonnes ont été taillées en marbre pentélique et leur diamètre parfaitement proportionné à leur hauteur, car je les ai vues à Athènes. Mais on les a retaillées et polies à Rome, et ce qu’elles ont gagné en polissure ne compense pas ce qu’elles ont perdu en fait de belles proportions, car elles paraissent grêles et maigres. »

Plutarque, Vie de Publicola, XIV-XV, 5 (trad. R. Flacelière, E. Chambry, M. Juneaux, Paris, CUF, 1968)

 

Le premier moment historique et attesté de la République romaine est la dédicace d’un temple, celui de Jupiter Optimus Maximus, le grand dieu de l’État romain. Cette constatation, faite par de nombreux chercheurs souvent critiques sur les périodes les plus anciennes de l’histoire de Rome, invite à examiner plus en détail la relation que les Romains entretenaient avec ce dieu et son temple. Les témoignages, souvent reconstitués, au sujet de l’édifice ne manquent pas dans la littérature antique et notamment chez Plutarque qui propose, dans sa Vie de Publicola, une digression sur l’évolution du temple depuis la royauté jusqu’à son temps. L’auteur, né à Chéronée en Béotie vers 46, a passé la plupart de sa vie entre la Grèce et Rome où il se rend pour la première fois sous Vespasien. Sa vaste science héritée de son enseignement platonicien et son érudition complétée par ses bonnes connaissances sur Delphes où il est prêtre d’Apollon lui confèrent une certaine expertise pour écrire des traités philosophiques et des œuvres morales teintées d’histoire. Parmi ces dernières, les Vie parallèles, écrites à partir de 100 et jusqu’à sa mort en 125, invitent à comparer un Grec et un Romain après en avoir détaillé l’existence. Publius Valerius Publicola est ainsi le deuxième consul romain, à la fois général et législateur, comparé à Solon, le grand homme de loi athénien. Les mérites du Romain dans la fondation de la République et l’effacement de la royauté sont vantés dans une perspective morale que doivent suivre les lecteurs ou auditeurs. Ces vertus laissent parfois la place à des digressions, entre autres sur le cas du temple de Jupiter Capitolin depuis sa construction jusqu’à Domitien, présenté comme un homme malade et sans goût au regard de ses lointains contemporains. Plutarque donne ainsi à voir une sorte d’histoire moralisée des constructions et reconstructions du temple du Capitole, non sans quelques anachronismes qui informent sur le déroulement des travaux ou la manière de consacrer l’édifice.

Ce texte est donc un témoignage essentiel pour comprendre les enjeux de la construction du temple du grand dieu romain dont l’histoire se confond avec celle de Rome. Il est question de démonstrations de pouvoir et de gloire qui s’appuient sur des problématiques religieuses. Le temple est en effet inauguré en 509, détruit à plusieurs reprises et reconstruit selon le même plan entre Sylla et Domitien. Il est le résultat d’un projet royal, s’inscrit dans la tradition républicaine, souffre des conflits et des incendies. Chaque reconstruction doit donc être analysée dans son contexte, celui de la Rome archaïque, celui du conflit entre Sylla et les populares, celui de l’année des quatre empereurs et enfin la fin du règne de Titus et le début de celui de Domitien. À ce premier filtre viennent se greffer les observations contemporaines de Plutarque qui écrit sous Trajan, l’optimus princeps qui s’oppose totalement à Domitien. Il faut enfin prendre en compte les manipulations historiques pratiquées par les auteurs qui servent de source à Plutarque et plaquent sur les temps les plus reculés des enjeux qui leur sont contemporains, comme les questions de compétition aristocratique face aux actes de dévotion qui ont mis en lumière par A. Ziolkowski et plus récemment par E. Orlin[1]. Le temple de Jupiter en serait un paradigme partiellement réinventé pour les périodes anciennes, mais plus assuré pour la fin de la République et le premier siècle de l’Empire. De plus, les recherches archéologiques ajoutent à la somme d’information sur ce temple capital des renseignements précieux sur les modalités de construction et de mise en valeur de ceux qui assurent les travaux[2].

Il faudra donc se demander pourquoi le temple de Jupiter Capitolin, par son importance capitale, reflète sur le temps long les enjeux de pouvoir liés à la construction, à la consécration et à la dédicace d’un édifice de culte. Dans un premier temps, il sera question de la chronologie et de l’aspect des temples construits de l’époque archaïque à Domitien. Un second temps de la réflexion portera sur les questions de compétitions entre membres de la nobilitas romaine autour de la consécration de l’édifice. Enfin, il s’agira que les reconstructions de Sylla à Domitien témoignent des conflits et des nouveaux paradigmes d’expression du pouvoir entre le dernier siècle de la République et l’Empire

 

I)                 Les temples successifs de Jupiter Optimus Maximus sur le Capitole : un enjeu romain

 

Le temple de Jupiter Optimus Maximus a la vie longue puisqu’il fait partie des édifices les plus anciens de Rome et remonte à l’époque de la royauté étrusque. Il est reconstruit quasiment à l’identique par Sylla après un incendie, puis à nouveau par Vespasien puis Titus et Domitien pour des raisons similaires. Ces reconstructions sont l’occasion de mettre en valeur la demeure du grand dieu comme celui qui assure les travaux.

A)   Le temple archaïque de Tarquin le Superbe

 

La construction d’un temple à Jupiter Capitolin est le produit d’un vœu contracté par Tarquin l’Ancien et poursuivi par Tarquin le Superbe. Il s’agit très probablement d’une reconstitution a posteriori des raisons de la consécration, bien que l’édifice soit attesté archéologiquement.

Le premier temple est l’œuvre des rois étrusques de Rome, puisque « Tarquin, fils de Démarate » (l. 1) est à l’origine de sa construction. Ce dernier n’est autre que Tarquin l’Ancien dont le père était un réfugié corinthien, membre de la famille aristocratique des Bacchiades, qui s’était enfui à Tarquinia en 627 av. n. è. après la prise de pouvoir du tyran Kypsélos de Corinthe. Son fils, Tarquin émigre vers Rome vers 620, avant de devenir roi de la ville en 616 selon la tradition. Il assure ensuite un long règne jusque dans les années 580. Sa décision d’élever un temple à « Jupiter Capitolin » (l. 1) s’inscrirait d’abord dans un mouvement d’aménagement de la ville de Rome qu’il commence à assainir en construisant la Cloaca Maxima, afin d’entreprendre le premier pavage du Forum Romanum archéologiquement attesté. Il est aussi à l’origine de la réorganisation du Capitole, toujours selon la tradition, qui était alors encombré de nombreux autels et monuments légués par ses prédécesseurs.

La deuxième raison de la construction s’explique par un votum : « il avait fait vœu de l’élever lorsqu’il était en guerre contre les Sabins » (l. 1-2). Il s’agit là très probablement d’une projection dans le passé d’une pratique républicaine bien attestée que Plutarque a trouvé dans une de ses sources qu’il partage également avec d’autres auteurs plus anciens[3]. Dès son élection, Tarquin l’Ancien s’affirme comme un roi guerrier en attaquant les Latins d’Apioles, puis en repoussant un premier assaut des Sabins. Le deuxième conflit contre ce peuple montagnard du nord-est de Rome aboutit à la prise de butins et de prisonniers, mais surtout à la formulation d’un vœu à Jupiter Optimus Maximus en cas de victoire contre les adversaires. Le principe d’un votum est de promettre, par une formule stéréotypée, ritualisée et public, un don à un dieu en échange d’une faveur, souvent résumé par l’expression do ut des[4]. L’acquittement du vœu est une obligation pour celui qui le formule, qu’il s’agisse d’un magistrat ou d’un simple particulier. Dans le cas réinventé de Tarquin l’Ancien, le votum implique la construction d’un temple au grand dieu romain. Cette pratique est bien attestée à l’époque républicaine et dérive souvent d’un vœu sur le champ de bataille. C’est le cas par exemple de C. Cornelius Cethegus qui fait le votum de consacrer un temple à Junon Sospita s’il remporte la victoire contre les Gaulois en 197[5]. Il faut cependant noter que tout votum n’implique pas la construction d’un temple, mais peut aussi déboucher sur des ludi ou une offrande matérielle. Le roi Tarquin n’est pas non plus soumis au contrôle et au vote du Sénat des patres pour l’acquittement de son vœu.

« Ce fut Tarquin le Superbe, fils ou petit-fils de celui qui avait fait le vœu, qui le construisit » (l. 2-3). Sans rentrer dans les problèmes de chronologie, Tarquin le Superbe ne peut pas être le fils ou le petit-fils du premier roi étrusque de Rome. Cette mention est cependant nécessaire chez Plutarque pour expliquer la poursuite des travaux puisqu’un votum non acquitté par le père doit l’être par le fils ou un descendant. Ainsi, M. Claudius Marcellus fait le vœu d’élever un temple à Honos et Virtus dès 222, puis à nouveau en 211, mais sa mort en empêche l’accomplissement et c’est son fils qui se charge de la dédicace du temple de la Porte Capène[6]. Cette pratique permet d’acquérir une certaine gloire pour le fils, mais aussi d’illustrer sa pietas en accomplissant les devoirs filiaux. À l’époque républicaine, c’est un excellent moyen pour entrer en politique. Seulement « il n’eut pas le temps de le dédier, mais il restait peu de choses à faire pour l’achever, lorsque Tarquin fut expulsé » (l. 3-4), Tarquin le Superbe a donc entrepris la grande majorité des travaux, mais n’a pas pu dédier le temple. Archéologiquement, son entreprise est bien attestée, mais rien ne permet véritablement de faire remonter les travaux à Tarquin l’Ancien, bien que le projet ait pu s’étaler sur la longue durée étant données ses dimensions. L’édifice de tradition étrusque est un temple aérostyle hexastyle de 53 x 63 m en bois et cappellaccio dont les fondations sont encore visibles dans les Musées Capitolins. Il était décoré d’acrotères, notamment Jupiter en quadrige et couvert de tuiles, mais son aspect général est souvent déduit des reconstructions postérieures. C’est, pour la fin du VIe siècle, le plus grand temple étrusque connu. Derrière trois rangées de colonnes formant le pronaos, une triple cella abritait la statue de Jupiter au centre, de Minerve à sa droite et de Junon à sa gauche, la triade protectrice de la cité. « On dit que Tarquin avait dépensé pour les fondements de son temple quarante-mille livres d’argent » (l. 32-33), la décoration et la dimension s’expliquent par un fort investissement humain et matériel, probablement issu du pillage de cités voisines, notamment Suessa Pometia et peut-être Apioles.

Cet édifice de très grande dimension et archéologiquement attesté offre à Plutarque un moyen de reconstituer le processus qui amena à sa construction. L’inscription de l’édifice dans la logique d’un vœu effectué sur le champ de bataille est une pratique républicaine bien connue. Cependant, comme le remarque l’auteur, le temple n’est pas dédié par le dernier roi de Rome, mais par les premiers représentants de la République nouvellement créée. Il n’est cependant pas celui qu’a pu voir Plutarque à Rome.

B)    La reconstruction syllanienne

 

Le temple de Jupiter Capitolin est la première réalisation républicaine, mais son état n’est pas demeuré inchangé puisqu’il connaît une reconstruction sous Sylla. Cette dernière permet à la fois d’en moderniser l’aspect, mais aussi d’en conserver l’antique plan et la structure.

« [Le temple] fut détruit par le feu pendant les guerres civiles » (l. 25-26). Le temple de Tarquin le Superbe et du début de la République a été épargné de tout incendie, malgré de menus dommages au cours du temps et quelques restaurations. Cependant, lors de la guerre civile entre Marius et Sylla, puis entre les populares et ce dernier, le temple est ravagé par un incendie. Dans sa Vie de Sylla, Plutarque rappelle les circonstances de l’événement en montrant l’ascension du général liée à des prodiges, mais aussi à des pratiques divinatoires qui annoncent sa victoire et les événements attenants[7]. En effet, après de multiples prodiges et l’examen des exta qui prennent la forme d’une couronne de laurier à Tarente après son débarquement, Sylla voit accourir un esclave inspiré par Bellone qui lui prédit la victoire, mais aussi l’incendie du Capitole le 6 juillet 83 s’il ne se presse pas d’entrer dans Rome. Les opérations prennent du retard et Sylla ne parvient à entrer dans Rome qu’en novembre 82 après la bataille de la Porte Colline qui clôt la guerre civile. Le Capitole a alors bien brûlé, probablement par négligence des gardiens et seul le trésor qu’il contient est sauvé des flammes par le fils de Marius[8]. Le reste de son contenu, notamment la statue archaïque de Jupiter et les livres sibyllins (livres d’oracles) disparaissent. Plutarque établit finalement un parallèle entre les différents incendies, bien que les raisons de leur déclenchement soient différentes. Il relie à des temps de crise les différentes destructions.

L’aspect de ce second temple est mieux connu. Plutarque mentionne que « les colonnes ont été taillées en marbre pentélique et leur diamètre parfaitement proportionné à leur hauteur, car je les ai vues à Athènes » (l. 35-36) au sujet du temple reconstruit par Domitien, mais ce dernier ne fait que reproduire un aménagement syllanien. En effet, après sa victoire sur Mithridate et la soumission d’Athènes en 86, Sylla se rend à de multiples reprises dans la cité attique et s’empare de colonnes de l’Olympieion, probablement en 84, alors qu’il prévoit déjà de restaurer le temple de Jupiter Optimus Maximus qui n’a pas encore subi l’incendie[9]. Il n’est pas possible qu’il s’agisse des colonnes de la peristasis, mais plutôt celles de la cella d’ordre dorique et plus adaptées aux dimensions du temple capitolin. La reconstruction de ce dernier est donc entreprise avec du marbre pentélique, mais le plan de l’édifice archaïque est repris à l’identique, à l’exception probable d’une exhaustion du podium pour corriger les proportions du temple. Les acrotères sont également remplacés après leur disparition dans l’incendie, tout comme la statue de culte imitant celle de Zeus Olympien. L’aspect de l’édifice à trois cellae en cours de travaux, puis achevé, peut être restitué grâce à un denier de Marcus Volteius de 78[10] et un autre de Petilius Capitolinus de 43[11]. L’œuvre de Sylla est donc à la fois conservatrice, mais aussi fondamentale pour garantir le maintien de l’État romain.

Le temple reconstruit sous Sylla a un plan identique, mais est plus conforme aux goûts architecturaux de son temps du point de vue de la statuaire et de l’emploi des matériaux. La reconstruction permet d’asseoir la puissance romaine et de conserver la pratique des vœux et du triomphe après un incendie accidentel, mais annoncé par les dieux, ce qui montre le lien privilégié de Sylla avec les divinités, entre autres Bellone. Ce second temple est cependant à son tour la proie des flammes au premier siècle de l’Empire.

 

C)    Les temples des Flaviens

 

Le nouvel incendie du Capitole en 69 détruit le temple syllanien et pousse Vespasien à une reconstruction. Cette dernière ne dure que peu de temps puisque le feu ravage la colline en 80, donnant lieu à une nouvelle construction achevée sous Domitien.

« Ce temple ayant été détruit à son tour dans les troubles qui eurent lieu sous Vitellius » (l. 27-28), le récit du deuxième incendie du Capitole est connu en détail, notamment par la description qu’en fait Tacite[12]. Le 19 décembre 69, Vitellius est au pouvoir à Rome après une année qui a vu se succéder déjà trois empereurs, Galba, mort en janvier au pouvoir depuis juin 68 après l’assassinat de Néron, Othon qui conspire contre le précédent et obtient sa mort, puis Vitellius qui vainc son adversaire en avril. Depuis juillet, Vespasien remporte peu à peu les victoires et l’adhésion populaires. T. Flavius Sabinus, frère de Vespasien et préfet de la ville s’oppose à Vitellius, mais est contraint de se réfugier avec son armée sur la colline du Capitole où il est assiégé par les troupes vitelliennes. La suite des événements est assez confuse, mais un incendie éclate depuis les portiques et atteint le toit du temple qui finit par s’embraser. En fonction des auteurs, le parti pris est souvent de faire remonter l’origine du feu aux assauts vitelliens, mais Tacite souligne que les troupes de Sabinus ont pu tenter de se défendre en déclenchant l’incendie. Quoi qu’il en soit, Sabinus est tué et le temple brûle entièrement[13]. Plutarque ne prend pas parti ne nommant pas l’auteur de l’incendie.

« Vespasien, heureux de ceci comme en tout le reste, le releva (ce fut le troisième) depuis le fondement jusqu’au faîte et le vit terminé » (l. 28-29). La reconstruction est votée très rapidement après la mort de Vitellius, pour les raisons déjà évoquées plus haut. Vespasien est alors empereur de Rome et doit disposer d’un temple achevé pour célébrer son triomphe lors de la guerre de Judée avec son fils Titus. C’est chose faite en 71 comme en témoigne un sesterce représentant sur son revers le nouvel édifice[14]. La restauration conserve le plan initial à triple cella, mais remplace le vieil ordre toscan par un ordre corinthien. Les statues de culte sont également refaites à neuf, tandis que le fronton répète l’ordonnancement des cellae, avec Jupiter trônant, Minerve et Junon. La reconstruction est aussi un symbole fort pour les habitants de l’Empire et le peuple romain qui voit s’effacer le spectre de la guerre civile des années 68-69.

« En effet, comme Vespasien venait de mourir, eut lieu l’incendie du Capitole » (l. 31-32). Plutarque télescope les événements. En effet, Vespasien meurt en juin 79, laissant la place à son fils Titus. Ce n’est qu’en 80 qu’éclate un incendie sur le Champ de Mars qui ravage une grande partie des édifices de la zone, puis s’étend jusqu’au Capitole où il détruit l’ensemble des bâtiments[15]. Cet événement est l’occasion pour Titus de faire montre de compassion et de munificence en prenant à sa charge l’ensemble des pertes et en faisant voter par le Sénat le début des travaux sur un nouveau temple de Jupiter Capitolin. Le règne de l’empereur étant cependant très court, Plutarque passe immédiatement à Domitien qui lui fournit un bon modèle antimoral sur lequel il souhaite s’étendre. « Le temple actuel, le quatrième, fut bâti complètement et consacré par Domitien » (l. 31-32), les travaux sont en effet achevés sous Domitien et la dédicace du temple a probablement lieu en 82. « Mais tous les biens du plus riche particulier de Rome ne suffiraient pas à payer la dorure du temple actuel, qui a coûté plus de douze mille talents. Les colonnes ont été taillées en marbre pentélique et leur diamètre parfaitement proportionné à leur hauteur, car je les ai vues à Athènes » (l. 33-36), Domitien ne recule devant aucune dépense pour achever ce temple qui participe aussi au renforcement de son pouvoir. Il témoigne à la fois de sa piété et de ses moyens considérables en faisant couvrir les portes d’or et en ajoutant des tuiles de bronze doré sur le toit. S’y ajoutent des acrotères de Mars et Vénus, en plus du quadrige du Jupiter, représentés sur un relief du Louvre très endommagé[16]. L’aspect général de ce temple corinthien en marbre du Pentélique peut être reconstitué grâce à une monnaie de Domitien célébrant la dédicace du temple[17].

Le dernier temple décrit par Plutarque est en fait le deuxième temple des Flaviens. Jupiter Optimus Maximus prend une certaine place dans l’idéologie de cette nouvelle dynastie qui doit justifier son accession au pouvoir en se rattachant à l’héritage augustéen. Le grand temple est donc embelli pour démontrer l’intérêt porté à l’État et à son devenir. Il semble de toute façon que le temple de Jupiter Capitolin se confonde en quelque sorte avec la prospérité de la République, puis de l’Empire. Après la dédicace qui suit le départ des Tarquins et la reconstruction syllanienne, il semble évident que tant que le temple de Jupiter Capitolin dure, Rome se maintient également. Ces multiples investissements dans la construction des temples successifs ne doivent cependant pas occulter les enjeux religieux et politiques de sa dédicace et de sa consécration.

 

II)              Consécration du temple de Jupiter Capitolin et compétition aristocratique sous la République

 

Consacrer ou dédier un temple au dieu de l’État romain est souvent affaire d’ambitions politiques à l’époque républicaine, ce que Plutarque restitue en projetant une situation vraisemblable de compétition aristocratique dans un passé lointain. Il livre alors des informations sur les modalités de la cérémonie de consecratio, mais aussi sur les conflits qui peuvent émerger pour associer son nom à l’édifice. La stratégie rapportée par Plutarque pour faire abandonner Horatius ne doit pas masquer que la consécration d’un temple est avant tout affaire de droit en respectant un rituel précis.

 

A)   L’ambition de Publicola et d’Horatius

 

L’affaire de la consécration du temple de Jupiter est avant tout une question, certes reconstituée, de compétition aristocratique entre deux patriciens, qui sert d’exemple moral, mais aussi de démonstration du lien entretenu entre Jupiter Optimus Maximus et les Romains.

« Publicola ambitionnait d’en faire la consécration » (l. 5), le départ de Tarquin et le début de la République sont des événements plus éloignés dans le temps que ne le laissent croire les auteurs. Plutarque se contente de reprendre une ancienne tradition littéraire sur les premiers temps de Rome qui sert aussi d’explication quasiment étiologique pour l’importance que Rome donne à Jupiter Capitolin. Publius Valerius Publicola est alors le troisième consul de la République après l’exil de Collatin. Il descend d’une vieille famille sabine, les Valerii, venus s’établir à Rome sous le règne commun de Romulus et Titus Tatius. Historiquement, ce personnage est attesté par l’inscription de Satricum qui mentionne un Poplioso Valesioso autour des années 500[18]. Publicola est un consul considéré par Plutarque comme un législateur, bien qu’il soit très éloigné de son parallèle, Solon, excellent général qui combat contre Tarquin, puis contre les Véiens. Apprécié du peuple, qui lui donne son cognomen, il est donc tout à fait indiqué pour faire la dédicace du temple laissé par le dernier roi de Rome. « Horatius » (l. 8) est son collègue au consulat en 509 après la mort de Brutus et de Spurius Lucretius Tricipitinus. Sa gens, les Horatii, est parmi les plus anciennes de Rome puisque ses premiers membres accompagnaient Romulus. Comme Publicola, il a joué un rôle dans la chute de Tarquin le Superbe, mais sa renommée est moins grande que celle de son collègue. Selon Cicéron, cependant, M. Horatius Pulvillus est un pontife lors des événements relatés par Plutarque[19]. Il existe aussi des débats antiques sur la datation de l’événement qui oscille entre 509 et 507, ce qui encourage à parler d’une reconstitution a posteriori, probablement effectuée dans les annales pontificales[20].

« Mais il [sc. Publicola] était jalousé par beaucoup de citoyens puissants qui supportaient moins bien ce titre d’honneur que les autres qu’il s’était justement acquis comme législateur et comme général, et qui ne croyaient pas devoir y ajouter ce dernier, qui ne lui revenait pas spécialement » (l. 5-8). Publicola semble avoir attiré la jalousie des autres patriciens qui semblent lui reprocher d’accumuler les honneurs. En effet, le consul a tout d’abord fait voter, selon la tradition, les premières lois constitutives de la République, les Leges Valeriae Publicolae. Les auteurs modernes ont depuis longtemps démontré leur anachronisme, mais elles permettent néanmoins de montrer la personnalité du consul qui édicte d’abord ses lois et leur donne son nom avant de procéder aux élections de son collègue[21]. En fait, Publicola s’impose comme un législateur conservateur modéré dont l’image a souvent servi de modèle républicain lors des affrontements des guerres civiles[22]. C’est aussi un chef de guerre puisqu’il affronte la coalition étrusque réunie par Tarquin en 509 et la défait, obtenant ainsi le droit de triompher ; c’est le premier triomphe républicain[23]. D’une part, donc, Publicola est bien placé pour consacrer le temple au dieu du triomphe romain, mais, d’autre part, en tant que modèle politique, il attire les accusations de ses adversaires, notamment d’aspirer à la royauté[24]. Puisque le temple de Jupiter Capitolin n’a pas été édifié par lui, il ne semble pas opportun de lui donner davantage d’honneurs en lui assurant la consécration.

« Aussi engagèrent-ils vivement Horatius à lui disputer cette consécration » (l. 8). Deux possibilités s’offrent pour étudier cette rivalité. Dans un cas, le consul Horatius est pressenti comme un candidat moins ambitieux et dangereux, dont la gens est en rivalité avec les Valerii, mais cette hypothèse, étudiée par J. Gagé, n’a pas de fondement historique[25]. Si Horatius est plutôt membre du collège des pontifes, il est en mesure d’interdire ou d’autoriser la dédicace, mais il ne peut pas l’effectuer lui-même. L’époque républicaine ne manque pas de situations où les grandes gentes s’affrontent pour empêcher la consécration d’un temple. L’affaire de la dédicace du temple d’Honos et Virtus à la Porte Capène est révélatrice de ces conflits puisque Fabius Maximus y consacre un temple à Honos, avant que Marcellus veuille y adjoindre Virtus à la suite d’un vœu. La gens Fabia et la gens Claudia étant en conflit, Fabius Maximus fait tout, en tant que pontife, pour empêcher ses adversaires de s’approprier une divinité qui lui est associée[26]. L’affaire se clôt en faveur de Marcellus, mais témoigne bien des rivalités aristocratiques à Rome. Il est probablement plus simple de voir dans cet épisode une projection de Plutarque. « À ce moment, Publicola fut contraint de partir en expédition » (l. 9) montre cependant que chez le moraliste, Horatius est bien consul au moment de la consécration et que son collègue, titulaire de l’imperium militiae, est en campagne. Horatius, en tant que magistrat à imperium maius est alors le plus en mesure de mener la cérémonie de consecratio.

Le choix du magistrat chargé de la consécration du temple de Jupiter Optimus Maximus est donc reconstitué par Plutarque et montre combien les grandes gentes sont attachées aux enjeux liés à la mémoire de la dédicace, à la gloria et à la pietas. Malgré les rivalités, la cérémonie est confiée à Horatius qui doit alors la mener à bien, selon un rituel codifié.

 

 

 

B)    La cérémonie de consecratio des origines

 

Plutarque ne s’étend que peu sur la cérémonie de la consecratio, mais il livre tout de même des informations sur la procédure suivie à l’époque républicaine qui peuvent être comparées à d’autres récits.

« Quelques-uns disent que, les consuls ayant tiré au sort, Publicola fut désigné malgré lui pour commander l’expédition et son collègue pour dédier le temple. » (l. 11-12). La mention du tirage au sort est problématique dans la mesure où le choix de consul chargé de mener les opérations militaires est défini par un vote populaire. En cas de désaccord entre deux consuls ou deux potentiels dédicants, ce vote permet aussi de trancher qui devrait avoir l’honneur de la consécration[27]. En cas d’absence de magistrat cum imperio, des duumviri aedi dedicandae peuvent être nommés par vote des assemblées du peuple pour consacrer le temple[28]. Le tirage au sort n’est donc pas une pratique attestée et semble être une invention de Plutarque pour atténuer une version plus commune de l’affaire. « Persuadés qu’ils ne l’emporteraient pas si Publicola était présent, firent voter aussitôt que la consécration serait faite par Horatius, et ils le conduisirent au Capitole. » (l. 9-11) montre d’ailleurs que la version du vote populaire a aussi été retenue par Plutarque, mais qu’elle nécessité l’absence de Publicola, plus populaire. Selon Denys d’Halicarnasse, Horatius aurait en fait triché de manière à retenir Publicola à la guerre et s’assurer ainsi la gloria[29]. Plutarque lisse donc le récit pour le rendre plus conforme à ses visées moralistes.

« Mais on peut, à ce propos, conjecturer comme les choses se passèrent d’après ce qui arriva lors de la consécration. » (l. 13-14). Pour Plutarque, il s’agit bien de restituer l’événement qu’il raconte à partir des récits qu’il a pu entendre. « Le jour des ides de septembre, qui correspond à peu près à la pleine lune du mois Métageitnion, comme tout le peuple était assemblé au Capitole, Horatius, une fois le silence établi, après avoir accompli tous les rites et mis, suivant l’usage, la main sur la porte, prononçait les formules habituelles de la consécration » (l. 14-16). Il est d’abord question de la date de la dédicace le 13 septembre 509, soit le jour des ides dans le calendrier romain. La connaissance exacte semble assurée par la pratique du clavus annalis qui consistait pour un magistrat archaïque, le praetor maximus, à planter un clou dans la paroi du temple de Jupiter Capitolin, le nombre de clous fixant le nombre d’années depuis la dédicace du temple[30]. Comme le début de la République coïncide à peu près avec cette date, cette pratique liait de fait l’État romain avec le temple de Jupiter. Le peuple est aussi invité à prendre part à la cérémonie, tout comme les sénateurs qui ont mené Horatius au Capitole. La pratique de consecratio est très résumée par Plutarque, mais elle est détaillée pour la consécration du temple de Jupiter Capitolin après l’incendie de 69, sous Vespasien[31]. Il faut avant tout purifier l’espace, tandis que le templum, l’espace sacré, a déjà été inauguré.

Il s’agit enduite de marquer les limites de la construction. L’ensemble de cette procédure a déjà été effectuée en théorie sous Tarquin l’Ancien lorsque débute les travaux, avec une exauguratio de l’ensemble des bâtiments et autels déjà présents et une inauguratio du nouvel espace en intégrant éventuellement des édifices plus anciens qui n’ont pas été défaits de leurs augures. Les récits concernant cette opération sur le Capitole font état de nombreuses découvertes et prodiges, comme la découverte d’une tête attribuée à Aulus Vibenna, l’un des condottieri de l’époque royale et compagnon de Servius Tullius[32]. Lors de l’exauguratio, Mars et Terminus avaient refusé de changer de place et leurs autels avaient donc été intégrés dans le temple du grand dieu. Ces opérations ont déjà été effectuées auparavant, Horatius se contente donc d’effectuer des rites probablement de purification et de prononcer dans prières dans le silence, afin d’éviter tout vice de forme qui forcerait à recommencer la cérémonie. Le rituel veut ensuite que le magistrat qui consacre l’édifice mette la main sur la porte du temple ou sur l’autel[33] et, assisté d’un pontife, prononce la lex dedicationis qui stipule les modalités du culte et fait passer l’espace dans la propriété du dieu, ici Jupiter Capitolin. La formule en est partiellement connue grâce à une inscription retrouvée à Salona en Dalmatie et datée de l’année 137[34].

La cérémonie de consecratio décrite par Plutarque est abrégée, mais elle fournit un modèle pour l’ensemble des temples républicains postérieurs. Jupiter devient, à la suite de la cérémonie, propriétaire du lieu du fait de la parole performative d’Horatius qui prononce la loi de dédication. Cependant, cette entreprise est perturbée par un événement qui pourrait rendre caduque l’opération.

 

C)    Un problème juridique ?

 

Horatius est parfaitement en mesure de consacrer le temple, mais les partisans de Publicola tentent de faire échouer la cérémonie en y introduisant un potentiel vice de forme. Le consul échappe tout de même à la manœuvre qui pourrait déboucher sur un vice de forme.

« Le frère de Publicola, Marcus, qui s’était longtemps à l’avance placé près de la porte et guettait le moment, lui dit : ‘Consul, ton fils est mort de maladie à l’armée.’ » (l. 17-18). Il est notable que Plutarque mentionne que la tentative de faire échouer la consecratio ne soit pas le fruit de Publicola, mais de ses proches. Il parvient ainsi à conserver l’image idéale et morale de son sujet. En se tenant près de la porte, Marcus empêche de prononcer correctement la formule performative et peut donc amener à reprendre la cérémonie à son début ou à l’annuler. L’histoire relative à l’annonce de la mort du fils d’Horatius est en fait un exemplum bien connu à Rome qui fait office de paradigme pour l’ensemble des cérémonies postérieures de ce type. Pour Cicéron, Horatius est un modèle religieux dans la mesure où il ne se laisse pas impressionner par l’annonce qui tient presque du sacrilège[35]. « Cette nouvelle affligea tous ceux qui l’entendirent, mais Horatius, sans manifester aucun trouble, se contenta de répondre : ‘Jetez donc son corps où vous voudrez ; moi, je ne prends pas le deuil’ » (l. 19-20). En théorie, l’annonce de la mort de son fils rendrait Horatius impur, car sa famille serait funeste le temps que l’ensemble des rites funéraires soient effectués. Il faut en effet que l’ensemble des proches soient purifiés de la souillure provoquée par le mort. De nombreux rituels permettent de revenir à un statut normal[36].

« Et il acheva la consécration » (l. 20-21), à première vue, Horatius n’est pas en mesure de conclure la cérémonie puisqu’il est impur. La tentative des proches de Publicola est une affaire de droit religieux et d’orthopraxie finement reconstituée par Plutarque qui connaît les enjeux du délit religieux. Un être impurus peut en effet entraîner une rupture dans la pax deorum s’il préside à la consecratio. De plus, l’annonce de la mort rompt le silence qui était nécessaire aux rites. La prise d’auspice est par exemple soumise à un silence complet qui est valable dès l’époque archaïque et se retrouve également dans les Tables Eugubines datées entre le IIIe et le Ier siècle av. n. è.[37] Si Horatius était en règle au moment de la constitutio (la décision de consécration) et disposait des conditions requises, il devrait néanmoins s’arrêter et laisser à quelqu’un d’autre le soin de reprendre la cérémonie par l’inauguratio.

« Mais la nouvelle était fausse, et Marcus avait commis ce mensonge pour détourner Horatius de ce qu’il faisait. Celui-ci montra dans cette occasion une fermeté admirable, soit qu’il eut aussitôt reconnu la tromperie, soit que, croyant la nouvelle vraie, il n’en eut pas été ému. » (l. 21-23). Plutarque n’explique pas pourquoi Horatius a pu conclure la cérémonie. Son but est de fournir un modèle de fermeté, la fortitudo face à l’adversité, tout en montrant son intelligence face aux manœuvres de ses adversaires. En fait, il est plus probable qu’Horatius ait commencé à réciter la lex dedicationis au moment où Marcus fait son annonce. Si le consul s’était véritablement arrêté et avait pris le deuil, il aurait été considéré comme impur. En le refusant, il est en mesure d’assurer la continuité du rituel et demeure donc purus jusqu’à son accomplissement. Il existe par ailleurs un enjeu supplémentaire pour Horatius qui fait, dans le récit de Tite-Live, la dédicace du temple. Il s’agit pour lui d’apposer son nom sur l’architrave pour lui garantir la gloria et la memoria au sein du peuple romain. Denys d’Halicarnasse souligne que cette inscription existait alors sur le temple, mais il pourrait s’agir d’une reconstruction a posteriori[38]. Il est cependant vrai que la dédicace représente un excellent moyen de publiciser sa piété sur le long terme. Cette inscription, si elle a existé, devait être extrêmement simple, sans mention des consuls en fonction ou des magistratures exercées par le consul, puisque des débats antiques existent sur la date de fondation et sur la fonction d’Horatius[39].

La consécration du premier temple de Jupiter Optimus Maximus témoigne déjà des conflits entre aristocrates romains pour dédier un édifice. Plutarque a reconstitué en partie les événements et les a insérés dans une perspective moraliste, mais le contenu de son récit jette une certaine lumière sur la cérémonie de consecratio et sur les gestes et prières associées. La tentative de rendre l’opération caduque en introduisant un vice de forme fournit aussi un précédent pour la jurisprudence romaine en matière d’orthopraxie religieuse. Horatius échappe aux manœuvres de Marcus, car il poursuit le rituel jusqu’à son terme et, par sa parole performative de consul, déclare qu’il ne prend pas le deuil. Cet épisode des origines autour du temple de Jupiter Capitolin inaugure la série des compétitions aristocratiques et des enjeux de pouvoir jusqu’à Domitien.

 

III)          Jupiter Optimus Maximus et l’État romain : enjeux de pouvoir de Sylla à Domitien

 

Le récit de Plutarque propose un excursus sur des périodes bien renseignées et montre que les enjeux sur la dédicace d’un temple, et en particulier celui de Jupiter Capitolin, demeure importants, mais changent de nature à la fin de la République et sous l’Empire. La reconstruction syllanienne est avant tout affaire de gloire et de dédicace, tandis que Vespasien emploie le temple comme un moyen de légitimation. Finalement, Domitien met en scène son propre pouvoir et ses moyens, mais efface une partie du passé du temple, tout en étant sévèrement jugé par Plutarque.

A)   La gloria syllanienne et la dédicace du temple par Q. Lutatius Catulus

 

La construction du nouveau temple après l’incendie de 83 est en fait l’illustration des conflits qui agite les deux grandes factions romaines au cours du dernier siècle de la République.

« Le second fut construit par Sylla » (l. 26). L’incendie du Capitole offre au dictateur de Rome un moyen d’affirmer son rôle politique éminent. L’aspect symbolique de l’édifice consacré à Jupiter Optimus Maximus ne permettait pas à Sylla d’attendre, tout d’abord parce que le grand dieu romain était lié à l’État et que la disparition de sa demeure pouvait être interprétée comme la fin de Rome, mais aussi parce que ce Jupiter était le dieu du triomphe. Au début de chaque année, les consuls se réunissaient sur le Capitole afin de prononcer un vœu pour le salut et le maintien de l’État romain, lequel était acquitté l’année suivante en cas d’accomplissement[40]. Cette pratique se poursuit encore sous l’empire avec le rôle grandissant du princeps dont la salus doit aussi être garantie par Jupiter Optimus Maximus[41]. D’autre part, lors de la cérémonie du triomphe, le général vainqueur terminait son circuit dans Rome en montant au temple de Jupiter Capitolin pour y pratiquer un sacrifice. Dans la perspective d’un triomphe célébrant ses victoires en Orient, Sylla se devait de débuter la reconstruction du temple qui n’est cependant pas achevé en 81, au moment où il célèbre sa victoire du Mithridate. En 80, le jeune Cicéron en vient même à comparer Jupiter Optimus Maximus avec le dictateur Sylla[42].

Il s’agit aussi pour Sylla de réorganiser entièrement la zone du Capitole en créant un nouvel espace politique organisé autour du temple de Jupiter Capitolin et évoquant ses hauts faits.  En tant que dictateur, Sylla peut se permettre de réaménager l’espace urbain à sa convenance, tout en profitant de l’espace nouvellement dégagé. Sur la colline, à proximité du temple se trouvait un trophée commémoratif de sa victoire sur Jugurtha. Il s’agirait d’une des premières manifestations de l’art triomphal où Bocchus livre le roi numide au jeune questeur. Ce groupe statuaire s’accorde tout à fait avec la proximité du dieu du triomphe dans un nouveau temple, mais c’est aussi une manifestation d’hostilité envers les populares, puisque la victoire contre Jugurtha avait permis à leur ancien représentant, Marius, de triompher. Le trophée remplace un ancien monument du chef des populares. En plus de cet aménagement, Sylla construit ce que les modernes appellent le tabularium qu’il faut probablement replacer près du temple de Saturne. Le massif de fondations est plutôt, selon F. Coarelli, une substructio qui sert à accueillir trois temples dédiés au Genius Publicus, à Fausta Felicitas et à Venus Victrix[43]. L’investissement du temple de Fides qui reçoit les offrandes au grand dieu romain, en attendant la reconstruction du temple de Jupiter Capitolin, est un autre point qui complète la politique édilitaire et d’occupation de l’espace de Sylla.

« Mais il mourut avant d’en faire la dédicace, et c’est le nom de Catulus qu’on y inscrivit. » (l. 26-27) et « d’autant plus que Sylla mourut avant d’avoir dédié son ouvrage » (l. 30). Plutarque souligne toutefois que Sylla lance les divers projets sans pour autant les voir réalisés puisqu’il décède en 78. Il est probable que le temple soit achevé dans les années qui suivent et c’est un des partisans de Sylla qui est chargé de mener à bien la dédicace. La date de 69 est plutôt tardive cependant, car les populares ont tout fait pour retarder la cérémonie du représentant des optimates. D’ailleurs, il est probable que Q. Lutatius Catulus ait entrepris quelques ajouts dans l’architecture du temple en dorant les tuiles et en ajoutant des aigles en bois dorés[44]. G. Sauron a montré, en s’appuyant sur des extraits de Cicéron, Lucrèce et Varron, contemporains des événements, que ces ajouts devaient évoquer l’éther et la nature céleste du dieu du Capitole[45]. Ce choix architectural s’opposait aussi à la politique des populares en invoquant des préoccupations philosophiques conservatrices. Plus encore, Catulus réussit un coup de force en inscrivant son nom sur l’architrave, plutôt que celui du commanditaire du projet et renouvelle ainsi la tradition d’Horatius. Il réitère donc, selon Plutarque, le conflit de l’épisode de la première dédicace qui excluait Publicola, tout en s’inscrivant dans la continuité républicaine souhaitée par Sylla qui avait abandonné la dictature. Malgré toutes les tentatives postérieures et la proposition d’inscrire le nom de César à la place de celui de Catulus, il semble que ce dernier ait encore eu son nom sur le temple au moment de l’incendie de 69 de n. è.[46]

Sylla et Catulus ont donc mené un projet ambitieux de reconstruction du temple de Jupiter Capitolin et des espaces environnants. La gloire de Sylla tient cependant plus à la réorganisation du Capitole, tandis que celle de Catulus tient à la mémoire de sa dédicace. Dans tous les cas, les enjeux de la reconstruction du temple de Jupiter Optimus Maximus évoquent les affrontements entre factions du dernier siècle de la République. Vespasien sait aussi tenir compte de l’atout que constitue l’incendie du Capitole.

 

B)    Le temple de Jupiter Capitolin et les troubles sous les Flaviens

 

Vespasien puis Titus connaissent chacun un incendie du temple qui intervient dans un contexte agité. Le premier en particulier emploie le temple de Jupiter Capitolin dans une politique d’apaisement et de restauration religieuse après la guerre civile.

« Vespasien, heureux de ceci comme en tout le reste, le releva (ce fut le troisième) depuis le fondement jusqu’au faîte et le vit terminé, sans être témoin de sa destruction quelque temps après. » (l. 28-29). Les circonstances du vote qui suivent l’incendie le 21 décembre 69 sont assez compliquées. Il reste quelques partisans et sénateurs ambitieux au sein du sénat, mais Vespasien est absent, car il est encore à Alexandrie et prépare de nouvelles opérations dans la guerre des Juifs. D’après le récit de Tacite, Helvidius Priscus propose immédiatement la reconstruction du temple aux frais de l’État, avec l’assistance de Vespasien[47]. Cette manœuvre du préteur a une conséquence directe sur la dédicace, puisque l’inscription se trouverait devoir mentionner le sénat et Vespasien qui ne pourrait pas réclamer la reconstruction à ses frais. Une fois de plus, l’enjeu de memoria et de pouvoir est central dans cette querelle, d’autant que Vespasien est un plébéien et qu’Helvidius lui est hostile de nombreuses fois. L’intervention des tribuns de la plèbe permet cependant de remettre le projet entièrement entre les mains de l’empereur[48]. Il charge un chevalier de gérer la supervision des travaux, rompant ainsi partiellement avec les habitudes sénatoriales. Par ailleurs, l’empereur obtient aussi la victoire en Judée, ce qui en fait un candidat évident pour la dédicace, car il est le protégé de Jupiter Optimus Maximus.

« Depuis le fondement jusqu’au faîte » (l. 28-29), comme l’a déjà montré la comparaison avec le récit de Tacite plus haut, la reconstruction du Capitole invite aussi à une nouvelle consecratio complète[49]. Il s’agit pour Vespasien de refonder le temple des origines en montrant sa pietas. L’antique pierre de Terminus est ainsi replacée dans le temple, afin de rappeler l’édifice des premiers temps de la République. L’empereur respecte ainsi l’ancienne décision des augures et assure la continuité du culte. Ce processus de reconsécration a aussi pour but d’effacer les affres de la guerre civile. Bien que Plutarque fasse de nombreux parallèles entre Sylla et Vespasien : « Il fut ainsi plus favorisé du sort que Sylla, d’autant plus que Sylla mourut avant d’avoir dédié son ouvrage, et lui avant de voir le sien détruit » (l. 29-31), l’enjeu de la consécration est différent. Sylla tentait d’affirmer définitivement la victoire des optimates et des idéaux républicains conservateurs dans son entreprise de reconstruction, mais il n’effaçait pas les tensions de la précédente guerre civile. Vespasien, à l’inverse, tente de rétablir la concorde entre les citoyens en se référant aux premiers temps de la République et non aux événements récents. Ce projet politique trouve un écho dans la construction du Templum Pacis dans la continuité des fora impériaux[50]. Il s’agit aussi de montrer la continuité de l’État romain après les troubles qui ont suivi l’annonce de l’incendie du temple, par exemple en Gaule où certains voyaient dans l’événement la fin de l’Empire[51].

Il est aussi important pour Vespasien de légitimer son accession au pouvoir en usant des fonctions traditionnelles du temple de Jupiter Capitolin. Ce lieu servait de dépôt aux archives impériales dont Vespasien s’empresse de faire une copie pour remplacer les tables en bronze qui ont probablement brûlé dans l’incendie. Parmi les traces de ces documents officiels figure peut-être aussi des lois ajoutées sous le principat de Vespasien comme la lex de imperio Vespasiani qui fixe les modalités de son accession au pouvoir[52]. Le nouvel empereur rompt cependant en partie avec les derniers julio-claudiens, notamment Néron, et se rattache au fondateur de l’Empire en faisant de nombreux rappels à Auguste qu’il tente d’imiter. Ainsi, le processus de consecratio présente de nombreuses pratiques archaïques ou rappelant les origines, ce qui n’est pas sans rappeler le retour de l’Âge d’or, un thème augustéen de prédilection[53]. Auguste avait manifesté une certaine dévotion envers le grand dieu romain puisque le premier princeps avait restauré entièrement le temple à ses frais et sans y inscrire son nom[54]. Il était aussi supposé dialoguer avec Jupiter Capitolin dans son sommeil[55]. Son père l’avait vu en songe sur les genoux du grand dieu et d’autres personnages célèbres, dont l’anachronique Q. Lutatius Catulus, avaient eu des songes similaires[56]. La diminution de l’intérêt porté à Jupiter Capitolin par les empereurs suivants offre encore une autre opportunité à Vespasien pour se donner l’image d’un empereur dont le modèle est Auguste et qui rattrape les manquements julio-claudiens jusqu’à sa mort.

La reconstruction du temple de Jupiter Capitolin va de pair avec la politique d’apaisement de Vespasien et de légitimation de sa dynastie nouvellement accédée au pouvoir. Il s’inscrit dans la memoria collective comme un empereur pius. L’incendie du nouveau temple quelques années plus tard donne l’occasion à Domitien d’adopter une stratégie toute différente.

 

C)    Domitien et la gloire de la reconstruction du temple

 

La particularité de la reconstruction de Domitien est qu’elle efface totalement le règne de Titus et se caractérise par son opulence. Cette démesure est finalement le reflet moral de la personnalité de son dédicant qui semble s’inscrire dans la lignée de Tarquin le Superbe.

« Le temple actuel, le quatrième, fut bâti complètement et consacré par Domitien » (l. 31-32). En dédiant le temple en 82, Domitien ne fait pas mention sur l’architrave du nom de son frère décédé qui avait pourtant insisté pour entamer la reconstruction à ses frais. Il efface ainsi la mémoire de Titus pour faire valoir sa dévotion envers Jupiter. En tant qu’empereur philhellène, il s’entoure notamment de poètes et d’artistes qui travaillent à faire ressembler Rome à un centre de la culture hellénique, mais aussi à rapprocher Jupiter de Domitien. Chez Silius Italicus, les Argonautiques, la Thébaïde et surtout les Punica font de Domitien un glorieux descendant d’Hercule, de Jupiter et de Scipion l’Africain. Une prophétie du grand dieu annonce cette illustre descendance. Domitien devient le vice-régent et le représentant du dieu sur terre[57]. Son père avait même reçu le char de Jupiter Optimus Maximus des mains de l’empereur Néron dans un rêve de ce dernier[58]. Suétone souligne aussi que le jeune Domitien avait trouvé refuge dans le temple de Jupiter Optimus Maximus au moment des guerres civiles[59]. Enfin, Jupiter Capitolin garde et protège Domitien comme il protège l’État romain[60].

« Mais tous les biens du plus riche particulier de Rome ne suffiraient pas à payer la dorure du temple actuel, qui a coûté plus de douze mille talents. Les colonnes ont été taillées en marbre pentélique et leur diamètre parfaitement proportionné à leur hauteur, car je les ai vues à Athènes. » (l. 33-36). La dépense de Domitien s’inscrit dans une logique de démonstration de sa puissance et de ses moyens, mais rappelle aussi les projets des souverains hellénistiques. Le temple du Capitole se teinte ainsi de marbre pentélique, rappelant Athènes et l’Olympieion, et plus généralement, Jupiter Optimus Maximus est rapproché du Zeus Olympien. Domitien instaure ainsi des jeux Capitolins tous les cinq ans, ce qui les rapproche du rythme pentétérique des concours d’Olympie[61]. Ils se composent de gymnastique, de musique et d’équitation, mêlant ainsi la tradition romaine à celle des grands Jeux olympiques. Domitien y assiste avec des statues de Jupiter, Minerve et Junon, mais habillé à la grecque. À côté de cette politique culturelle, Domitien n’oublie cependant pas les vielles traditions romaines en célébrant un triomphe sur les Sarmates, mais son offrande à Jupiter est très limitée[62].

« Mais on les a retaillées et polies à Rome, et ce qu’elles ont gagné en polissure ne compense pas ce qu’elles ont perdu en fait de belles proportions, car elles paraissent grêles et maigres. » (l. 36-38). Domitien est cependant atteint, selon Plutarque, d’une démesure maladive qui le dessert. Les immenses colonnes athéniennes, supposées proportionnées au nouveau temple, ont cependant dû être retaillées pour correspondre au temple aérostyle. Domitien est un imitateur dont le comportement témoigne plus de la démonstration que d’un véritable bon goût. Un peu loin dans le texte, Plutarque souligne aussi la disproportion de son palais. Le modèle moral de ses prédécesseurs n’est pas poursuivi, car Domitien n’est pas Q. Lutatius Catulus ou son père, mais est plutôt comparé dans ses dépenses à « Tarquin » (l. 33) qu’il dépasse amplement. Domitien est donc un nouveau tyran qui manque de frugalitas et dépasse les règles admises de la pietas. Jupiter et Domitien semblent ne faire plus qu’un, mais il faut cependant prendre garde à la tendance des auteurs antiques comme Tacite, Plutarque ou Suétone à vilipender l’empereur, alors qu’ils vivent sous une autre dynastie, les Antonins, qui a pris ses distances par rapport aux Flaviens.

Plutarque décrit donc une succession qui paraît logique entre les grands temples, chaque fois ravagés par un incendie. Sans rentrer dans le détail des ambitions de chaque reconstructeur ou dédicant, il insiste sur des points de ressemblance ou de dissemblance. Sylla et Vespasien diffèrent en tout point quant à leur manière d’appréhender la consecratio du temple de Jupiter Capitolin, tandis que Domitien est finalement une sorte de nouveau Tarquin, un tyran parfois marqué par l’hybris. Ces images morales ne doivent cependant pas masquer que Jupiter Optimus Maximus joue pour chacun un rôle éminent dans une politique plus générale qui est liée à un contexte de guerre civile ou à la glorification de l’œuvre d’un individu.

 

Conclusion

 

Le temple de Jupiter Capitolin, ses reconstructions, consécrations et dédicace reflètent donc les enjeux de pouvoir sur la longue durée tout d’abord parce qu’il mobilise une charge symbolique importante. En tant que grand dieu de Rome, Jupiter est le garant de la continuité de l’État depuis l’époque républicaine. C’est le dieu du triomphe qui est donc rattaché aux commandants militaires. Il est donc compréhensible que de Tarquin à Domitien, les reconstructeurs aient insisté pour donner au projet une dimension grandiose, tout en respectant cependant le plan le plus ancien. Chacun exploite cependant la consécration dans une perspective différente. Il s’agit de marquer son attachement aux valeurs de la République romaine ou à la préservation de l’Empire, mais aussi de récolter la gloire et d’inscrire sa pietas dans la mémoire collective romaine. L’enjeu de dédicace est alors encore plus important, car il permet d’apposer son nom sur l’architrave du temple au cœur de Rome. Il est aussi possible d’exploiter la consécration dans le cadre du contexte et de ses intérêts. Jupiter Optimus Maximus devient ainsi le dieu des optimates et du parti syllanien, celui qui met fin aux guerres civiles de l’année des quatre empereurs, ou bien un dieu quasiment personnel et identifié à Domitien. D’éventuelles stratégies pour empêcher cette instrumentalisation peuvent être mises en place par les adversaires, qu’il s’agisse de retarder la dédicace ou de l’empêcher en introduisant des vices de forme religieux. Il n’en demeure pas moins que la première consecratio constitue une sorte de paradigme pour celles qui suivent. Enfin, il s’agit pour Plutarque d’exploiter un événement redondant, l’incendie de ce grand temple, pour mettre en valeur des archétypes moraux comme leurs contraires. Le temple de Jupiter Optimus Maximus est au fond un moyen de souligner la pérennité de l’Empire et les ambitions des grands personnages face au temple central de Rome, tout en fournissant une sorte de modèle pour d’autres affrontements idéologiques relatifs aux politiques édilitaires religieuses.

 

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[1] Ziolkowski A., The Temples of Mid-Republican Rome and their Historical and Topographical Context, Rome, L’Erma di Bretschneider, 1992 ; Orlin E. M., Temples, Religion, and Politics in the Roman Republic, Boston- Leyde, Brill, 2002².

[2] de Angeli S., Tagliamonte G., : « Iuppiter Optimus Maximus Capitolinus », in Steinby E. M., LTUR III, Rome, Quasar, 1996, p. 144-153 ?

[3] Cicéron, De Rep., II, 36, 5 ; Denys d’Halicarnasse, III, 69, 1 ; IV, 59, 1 ; Tite-Live, I, 38, 6 ; Tacite, Histoires, III, 72, 2 ; sur la pratique du vœu : Aberson M., « Dire le vœu sur le champ de bataille », MEFRA, 122, 2, 2010, p. 493-501.

[4] Versnel H. S., « Votum », OCD, en ligne : https://oxfordre.com/classics/view/10.1093/acrefore/978019938113 5.001.0001/acrefore-9780199381135-e-6862, 2016.

[5] Tite-Live, XXXII, 30 ; XXXIV, 53 ; cf. Ziolkowski A., The Temples of Mid-Republican Rome and their Historical and Topographical Context, Rome, ‘L’Erma’ di Bretschneider, 1992, p. 195-203 ; Orlin E. M., Temples, religion and politics in the Roman Republic, Boston-Leiden, Brill, 2002, p. 45-74.

[6] Tite-Live, XXIX, 11, 13.

[7] Vie de Sylla, XXVII.

[8] Tacite, Histoires, III, 72, 2.

[9] Pline, HN, XXXVI, 45.

[10] RRC, 385/1.

[11] RRC, 487/1.

[12] Tacite, Histoires, III, 69-72.

[13] Morgan G., The Year of Four Emperors, Oxford, OUP, 2006. p. 243-247 ; Cosme P., L’Année des quatre empereurs, Paris, Fayard, 2012.

[14] RIC, II, 886.

[15] Suétone, Vie de Titus, VIII, 7 ; Dion Cassius, LXVI, 24.

[16] Michon E., « ‘Extispicium’ devant le temple de Jupiter Capitolin (Musée du Louvre) », Monuments et mémoires de la Fondation Eugène Piot, 32, 1-2, 1932, p. 61-80.

[17] RIC, II, 841.

[18] Aa. Vv., Satricum, una città latina, Florence, Alinari, 1982.

[19] Cicéron, Sur sa maison, 139.

[20] Denys d’Halicarnasse, V, 35, 3.

[21] Denys d’Halicarnasse, II, 8.

[22] Pallud A., « Publius Valerius Publicola. Ami du peuple et fondateur d’une république oligarchique », Hypothèses, 5, 1, 2002, p. 217-224.

[23] Richard J.-C., « À propos du premier triomphe de Publicola », MEFRA, 106, 1, 1994, p. 403-422.

[24] Plutarque, Publicola, X ; Dion Cassius, III, 28.

[25] Gagé J., La Chute des Tarquins et le début de la République romaine, Paris, Payot, 1976, p. 98-105.

[26] Valère Maxime, I, 1, 8 ; cf. Jacotot M., Question d’honneur : Les notions d’honos, honestum et honestas dans la République romaine antique, Rome, Publication de l’EFR, 2013, p. 507-540.

[27] Tite-Live, II, 27, 5.

[28] Tite-Live, II, 42, 5 ; cf. Wissowa G., « Dedicatio », RE, IV, 1901, col. 2356-2359.

[29] Denys d’Halicarnasse, V, 35 ; cf. Ogilvie R. M., A Commentary on Livy, I-V, Oxford, Clarendon, 1965, p. 254.

[30] Tite-Live, VII, 3 ; Festus, s. v. « clavus annalis ».

[31] Tacite, Histoires, IV, 53.

[32] Tite-Live, I, 55, 5 ; V, 54, 7 ; Arnobe, VI, 7 ; Servius, Commentaire à l’Énéide, VIII, 345.

[33] Servius, Scholie aux Géorgiques, III, 16.

[34] CIL III, 1933.

[35] Cicéron, Sur sa maison, 139.

[36] Varron, La langue latine, V, 53 ; Cicéron, Des lois, II, 55 ; Tite-Live, XLVII, 10 ; Aulu-Gelle, IV, 6, 8.

[37] Guittard C., « L’expression du délit dans le rituel archaïque de la prière », in Torelli M. et al., Le Délit religieux dans la cité antique (table ronde, Rome, 6-7 avril 1978), Rome, EFR, 1981, p. 9-21.

[38] Denys d’Halicarnasse, V, 35, 3.

[39] Ogilvie R. M., A Commentary on Livy, I-V, Oxford, Clarendon, 1965, p. 253.

[40] La procédure est décrite dans Ovide, Pontiques, IV, 4.

[41] Formule conservée par Pline le Jeune, Lettres, X, 100-101.

[42] Cicéron, Pour Roscius, 131.

[43] Coarelli, F., « Substructio et tabularium », PBSR, 78, 2010, p. 127-129 ; cf. Sauron G., Quis deum ? L’expression plastique des idéologies politiques et religieuses á Rome á la fin de la République et au début du Principat, Rome, EFR, 1994, p. 169-248.

[44] Aulu-Gelle, II, 10, 2-3 ; Pline, NH, XXXIII, 57 ; Tacite, Histoires, III, 71.

[45] Lucrèce, VI, 205 ; Varron (apud Macrobe, Saturnales, III, 4, 8) ; Cicéron, Sur son consulat, II, 1 ; cf. Sauron G., « Le suicide de Catulus et la naissance du deuxième style théâtral », Helmantica, L, 151-153, 1999, p. 677-696 ; Ibid., Quis deum ? L’expression plastique des idéologies politiques et religieuses á Rome á la fin de la République et au début du Principat, Rome, EFR, 1994, ch. II et III.

[46] Suétone, Divus Iulius, XV.

[47] Tacite, Histoires, IV, 9

[48] Ibid.

[49] Tacite, Histoires, IV, 51-53.

[50] Coarelli F., Roma, Bari, Laterza, 201810, p. 151-155.

[51] Tacite, Histoires, IV, 54.

[52] CIL VI, 930 ; Suétone, Vespasien, VI, 5.

[53] Townend G., « The Restoration of the Capitol in A.D. 70 ». Historia : Zeitschrift Für Alte Geschichte, 36, 2, 1987, p. 243-248 ; Lindsay H. « Vespasian and the city of Rome : the centrality of the Capitolium », Acta Classica, 53, 2010, p. 165-180.

[54] Res gestae, IV, 9.

[55] Suétone, Vie d’Auguste XCI, 3.

[56] Suétone, Vie d’Auguste, XCIV, 8-14.

[57] Martial, Épigrammes, IX, 20, 9-10.

[58] Suétone, Vespasien, V, 6.

[59] Suétone, Domitien, I, 2.

[60] Silius Italicus, Punica, III, 609-610.

[61] Suétone, Domitien, IV, 8.

[62] Suétone, Domitien, VI, 2.

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