Introduction
Le décès d’un opposant au barrage de Sivens, dans le Tarn, lors d’affrontements avec les forces de l’ordre le samedi 25 octobre 2014, a placé au cœur du débat national ce projet d’aménagement local : barrage de 12,5 m de haut, retenue de 1,5 millions de m3 avec un lac réservoir de 2km de long sur 300m de large. En France, on démantèle aujourd’hui plus de barrages qu’on en construit et des aménagements comme celui de Sivens, sur le Tescou, affluent du Tarn et donc appartenant au bassin du fleuve Garonne, sont devenus très rares. Il s’agissait ici d’apporter de l’eau d’irrigation à quelques dizaines d’exploitations agricoles et de soutenir les débits d’étiage de ce petit cours d’eau, ce qui fut la logique centrale de toutes les retenues construites par la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne, désignée comme maître d’œuvre de ce projet, voté par 43 voix sur 46 par le Conseil général du département. On dénombre dans le bassin de la Garonne environ 1900 ouvrages retenant 750 millions de m3 (seuls ceux dont la capacité est de plus de 20 000 m3 sont recensés), construits. Beaucoup ont été construits par la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne, société d’économie mixte créée en 1959 pour soutenir la modernisation de l’agriculture et développer l’irrigation dans le bassin aquitain. Ces logiques utilitaristes, qui prévalaient il y a un demi siècle, ne sont plus à l’ordre du jour, la restauration de la continuité des écoulements et des zones humides des vallées étant devenue la préoccupation principale des pratiques officielles. Pour les aménagements hydrauliques, comme pour tout aménagement d’ailleurs, les espaces concernés sont rapidement occupés par des « zadistes », venus d’un peu partout protéger les « zones à défendre » et qui constituent l’expression radicale et militante d’une opinion désormais majoritairement convaincue que la « protection de la nature » doit prendre le relais d’une artificialisation qui a culminé pendant les « Trente Glorieuses ».
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Le fleuve est le collecteur principal d’un bassin hydrographique qui a une embouchure (delta ou estuaire) sur son réceptacle définitif qui est la mer. Avoir le statut de fleuve n’est donc pas une question de taille mais d’organisation de l’écoulement des eaux en un lieu donné. L’adjectif grand, nous évite cependant à ne prendre en compte que les collecteurs principaux, Loire, Seine, Garonne, Rhône et Rhin, sachant que les affluents dont ils sont tributaires et donc l’ensemble des cours d’eau du bassin versant sans lequel le fleuve n’existerait pas, seront évidemment inclus dans nos analyses. La Corse et l’Outre-mer ne comptent aucun grand fleuve, le Golo s’étendant sur 190 Km et les plus importants de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion ne dépassant pas 40 Km. La Guyane fait exception avec le Maroni (600 Km) et l’Oyapock (400 Km), mais on peut considérer que, sauf très localement (un pont vient d’être construit entre la Guyane et le Brésil sur l’Oyapock), ils ne font l’objet d’aucun aménagement (le Barrage hydroélectrique de Petit Saut est édifié sur le Sinnamary qui mesure 260 Km). Ainsi que l’indique le Dictionnaire de la Géographie de J. Lévy et M. Lussault aux Éditions Belin, « Il y a plusieurs natures dans le débat public contemporain », chacun et chaque communauté selon ses sensibilités propres met dans le mot nature le sens qui lui convient le plus. En tout cas, la nature n’est plus seulement « le monde physique qui existe en dehors des populations et des œuvres humaines », comme la géographie physique classique l’a entendu pendant longtemps. Pour reprendre les termes du Dictionnaire de la géographie déjà évoqué, on pourrait dire que la « nature correspond au monde biophysique, pour autant qu’il concerne la société. » La nature est donc une représentation projetée par une société sur le monde physique qui l’entoure et peut être ainsi, pour le citadin français la campagne et la forêt sont « la nature », bien qu’étant des productions humaines. Définir le terme « société » est sans doute un peu plus simple. On peut le comprendre comme un groupe humain lié par des institutions, des règles, des relations et des modes de vie communs et partageant une identité territoriale, qu’il s’agisse de populations rurales ou urbaines, ou du territoire de l’État, où vit l’ensemble de la population nationale.
Tous les fleuves français sont artificialisés, bien qu’à des degrés très divers.
Depuis longtemps, les sociétés ont cherché à se protéger contre les risques d’inondation puis, les fleuves ont été aménagés pour des usages divers : conquête de terres mais aussi d’espaces à urbaniser dans les lits majeurs, navigation, fourniture d’eau pour les besoins agricoles, domestiques et industriels, production hydroélectrique enfin. Rectification des lits, endiguements, barrages ont ainsi fait des fleuves et de leurs vallées alluviales des axes en général fortement anthropisés : une carte de la répartition des fortes densités en France, correspond assez précisément au dessin du réseau hydrographique du pays. Il s’agit bien là d’aménagements, entendus au sens « d’actions volontaires et réfléchies d’une collectivité sur son territoire, soit au niveau local, soit au niveau régional, soit au niveau national » (Les mots de la géographie, Roger Brunet). Le niveau supranational est aussi à prendre en compte : en effet le bassin Rhin – Meuse est transfrontalier et fleuves et rivières sont des éléments clés dans la politique de protection de la nature de l’Union européenne. Par ailleurs, la France est signataire de diverses conventions internationales dont la Convention RAMSAR visant à la protection des zones humides dont beaucoup de trouvent dans le lit majeur des cours d’eau. La prise de conscience qu’une artificialisation trop poussée des fleuves et de leur lit , pouvait avoir des conséquences environnementales et aggraver les risques lors des grandes crues, impose progressivement les principes d’une gestion durable : il s’agit de satisfaire les besoins des sociétés actuelles, tout en préservant l’hydro système fluvial pour les générations futures. Une gestion raisonnée est d’autant plus nécessaire que les fleuves sont l’objet de conflits d’usage entre de nombreux acteurs qui se les sont appropriés et qu’ils sont un élément clé de la qualité des ressources en eau, tout en constituant de riches réservoirs de biodiversité et des milieux fragiles du fait de leur position d’interface entre le domaine aquatique et terrestre (écotones). À ce titre, en raison des services écologiques qu’ils rendent, du fait de leurs «fonctions de nature», les fleuves sont le maillon central de la « Trame verte et bleue » qui se met en place et qui impose à tout document et programme d’aménagement d’importantes servitudes. Comment et pourquoi le rapport fleuve société a-t-il évolué, reconsidérant à toutes les échelles territoriales les pratiques d’aménagement ?
Afin de répondre à cette question, nous montrerons dans un premier temps que les fleuves ont été artificialisés pour satisfaire de nombreux usages, avec des conséquences importantes sur l’hydro système. Nous verrons ensuite que l’approche techniciste de l’aménagement fluvial a vécu et qu’aujourd’hui les politiques et les outils d’aménagement visent à une gestion durable des cours d’eau, la conciliation étant souvent difficile en raison des conflits d’acteurs. Nous pourrons enfin procéder à une différenciation car les situations sont loin d’être égales sur le territoire national.
I – DES FLEUVES SOUS INFLUENCE
1 – Pas de véritable unité
Les 5 grands bassins fluviaux Français couvrent une superficie de 370 000 Km2, soit 67% du territoire national. Il s’agit par ordre de celui de la Loire (115 000 km2, 1012 km), du Rhône (90 000 km2, 520 km de long depuis sa sortie du Lac Léman), de la Seine (78 000 km2, 776 km), de la Garonne (56 000 km2, 575 km) et du bassin Rhin – Meuse (31 000 km2 et 190 et 500 km). Il apparaît que les cinq grands fleuves nationaux présentent des spécificités assez fortes, celles des deux grands fleuves guyanais qui traversent la forêt dense amazonienne l’étant encore plus. Les contrastes des fleuves hexagonaux sont déjà lisibles dans leur longueur et la taille des bassins, que nous venons d’évoquer. On observe aussi de fortes différences entre les bassins versants, les vallées s’inscrivant dans des ensembles de reliefs très hétérogènes. Les sections amont du Rhône et de la Garonne sont en haute montagne, Alpes et Pyrénées, celle de la Loire en moyenne montagne, alors que Seine et Rhin – Meuse sont principalement caractérisés par des plateaux et des plaines, d’où des profils en long et en travers des lits bien différents. Les caractéristiques hydrologiques différencient également ces fleuves, par l’abondance des écoulements d’abord : 450 m3/s pour la Seine, 625 pour la Garonne, 1050 pour la Loire et 1800 pour le Rhône. Les régimes aussi sont assez contrastés, la Seine ayant les écoulements les plus pondérés (régime pluvial atlantique), celui du Rhin et de la Meuse étant un peu plus contrasté. La Loire et la Garonne sont plus irrégulières, avec des étiages marqués en été, de même que les hautes eaux de décembre à mars. Quant au Rhône, son alimentation est très composite, glaciaire et nivale en haute montagne, pluviale pour son principal affluent, la Saône et méditerranéenne dans la basse vallée, ces influences se complétant de manière à ce que le fleuve ait un écoulement toujours relativement abondant.
La pression humaine sur ces vallées est aussi assez inégale. Si le bassin versant de la Seine compte 16 millions d’habitants, soit 205 habitants au km2, près de 2 fois la moyenne française, celui de la Loire n’en a que 78, avec ses 9 millions d’habitants, contre 110 pour le territoire métropolitain. Le bassin de la Garonne, avec 5 millions, soit 90h au km2, contre 110 pour le territoire métropolitain. Le bassin du Rhône, avec 10 millions d’habitants soit 111 h au km2 est à la moyenne nationale, alors que l’ensemble Rhin Meuse avec 4,3 millions d’habitants et 139 h au km2, affiche une densité supérieure à celle du pays. Une des caractéristiques communes de ces fleuves est de regrouper la majorité des grandes métropoles françaises, à l’exception de Lille et de Marseille, avec des densités très fortes pour les aires métropolitaines : 1000h au km2 pour l’Île-de-France et encore plus fortes pour les villes centres, la densité de Paris intra muros dépassant 20 000 habitants au km2
Les fleuves français sont aussi très inégalement aménagés, bien que leurs degrés d’anthropisation soient souvent présentés de manière un peu simplificatrice. Ainsi, la qualification de « dernier fleuve sauvage d’Europe », qu’on attribue en général à la Loire, et qui est utilisée par les régions riveraines comme une image de marque forte, est quelque peu usurpée. Bien que les projets de barrages de Serre de la Fare et de Chambonchard aient été abandonnés et 1994 et 2001, et que deux autres retenues aient été démantelées, le bassin de la Loire (y compris ses affluents donc), compte toujours une vingtaine de barrages. Par ailleurs, les turcies, levées latérales au lit mineur de la Loire, érigées depuis le XIIe siècle et qui ont fait l’objet de renforcements continus depuis et certaines dépassent 10 m de hauteur. Elles ont rétréci le lit mineur du fleuve et accéléré la vitesse d’écoulement et donc l’érosion. Le cours de la Loire est donc artificialisé dans toute la moyenne et la basse vallée, l’endiguement étant comme partout la règle dans toute la traversée des villes. Bien sûr, la Loire paraît assez « naturelle », en comparaison du Rhône, dont le bassin compte une centaine de barrages importants, une vingtaine étant situés sur le fleuve lui même (dont 14 au barrages de basse chute équipés de centrales au fil de l’eau). Le lit mineur du fleuve est rectifié et bardé de digues, la plaine d’inondation a été largement asséchée, (mais des bras morts, les lônes sont actuellement remis en eau), des canaux de dérivation ont été aménagés à des fins diverses, et le fleuve est décrit comme un des plus corseté du monde. Nous n’allons pas décrire tous les fleuves mais simplement situer ceux qui restent par rapport à ces deux cas. La Seine est sans doute la moins aménagée après la Loire, bien que d’importants barrages de rétention des crues aient été construits sur les vallées moyennes de ses affluents (la Marne notamment), et qu’elle soit endiguée dans les villes comme le sont tous les fleuves. La Garonne vient ensuite, certains de ses affluents (Dordogne, Lot) étant très aménagés et l’ensemble de son bassin compte une centaine de barrages. Quant à l’ensemble Rhin – Meuse, il est celui qui se rapproche le plus du Rhône, le Rhin étant aménagé par des barrages au fil de l’eau et dérivé à l’Ouest par le canal d’Alsace. La Moselle, affluent du Rhin a été canalisée sous l’égide de la CECA et compte de nombreux barrages et écluses, la Meuse étant dans une situation intermédiaire.
2 – Des aménagements variés pour satisfaire de nombreux usages.
Les aménagements sur les fleuves et leurs lits sont de trois types :
Rectifications du lit et aménagements latéraux, dérivations et aménagements transversaux de type barrages, destinés à contrôler l’hydrologie,
Les travaux de rectification concernent le lit mineur et sont destinés à le fixer ou le stabiliser pour éviter les débordements, contrôler les actions morphologiques et éventuellement calibrer le chenal afin de le rendre navigable. Les aménagements principaux concernent le profil en travers et en long du lit afin de créer un chenal unique, pour assurer l’écoulement de la manière la plus régulière possible. Dans les hautes vallées à pente forte, il s’agit de contrôler la torrentialité et de limiter l’érosion. On transforme les sections à tresses en un chenal unique aux berges renforcées par des enrochements, voire des sections maçonnées ou bétonnées, on segmente le cours en gradins séparés par de faibles pentes afin de briser la puissance érosive du cours d’eau ; dans les sections assez larges et peu profondes on peut construire des épis latéraux régulièrement espacés qui protègent les rives de l’érosion. Dans les sections aval des moyennes et basses vallées, où la pente est plus faible, on façonne un lit de largeur et de topographie homogènes en calibrant le chenal et en régularisant le fond du lit. Les saillants rocheux sont supprimés, les hauts fonds alluviaux dragués, afin d’obtenir un couloir bien uniforme.
Dans les sections à méandres et anastomoses, cela suppose qu’on creuse un chenal artificiel qui recoupe les sinuosités. De tels aménagements ont lieu dans les cours d’eau que l’on veut rendre navigables. Ils s’opèrent par sections longitudinales successives que sépare une dénivellation équipée d’une écluse pour en permettre le franchissement. Tout ceci est indissociable des endiguements. On ne peut évidemment contrôler le fonctionnement hydrologique que si on cantonne l’écoulement dans un chenal bien délimité. Si dans les parties amont ou encaissées, là où la vallée est bien marquée et où il n’y a pas de plaine inondable pouvant être occupée, on peut se contenter d’aménager le fond du lit et de consolider les berges, dans les sections où existe une plaine d’inondation, il faut empêcher les débordements périodiques dans le lit majeur donc endiguer.
En effet, l’endiguement, dont les turcies de la Loire étaient une forme élémentaire a d’abord eu pour fonction de se prémunir des crues les plus fréquentes et, bien souvent d’assécher des espaces inondables du lit majeur afin de les mettre en valeur à des fins agricoles ou de les construire dans les villes. À partir du XVIIIe siècle, on construit des digues maçonnées et en pierre taillée, le béton prenant le relais dès l’Entre-deux guerres. Ces ouvrages modernes se sont d’abord imposés dans les villes, avant de se diffuser dans le reste des cours d’eau, notamment les sections de vallées à protéger des inondations, ou celles où on prévoit de conquérir des terres ou d’irriguer, ce qui se fera jusqu’à des périodes très récentes. Le Rhin est le fleuve qui a été endigué et rectifié le plus précocement, avec des premiers travaux dans les années 1820 et un aménagement quasiment achevé à la fin du XIXe siècle, accéléré à la suite des grandes crues de 1852 et de 1876. Il s’écoule alors dans un lit régularisé de 200 à 300 m de large dans sa moyenne vallée. Mais la canalisation moderne à vocation multifonctionnelle avec dérivation du cours n’aura lieu qu’entre 1932 et 1977.
Quelques mots sur les dérivations, équipements assez variés mais qui ont tous pour caractère de détourner une partie du fleuve sur une section plus ou moins grande, afin de l’utiliser comme un chenal indépendant du cours d’eau principal. Il y a donc là création d’un véritable canal, le plus ancien étant celui de Craponne creusé en 1554, qui, sur 50 Km, détourne une partie des eaux de la Durance pour alimenter Marseille, les 80 Km du canal de Marseille, achevé en 1854, venant compléter ce dispositif. Mais il peut aussi s’agir de conduites enterrées transférant l’eau vers des régions plus ou moins lointaines, sortes d’aqueducs modernes les anciens étant en général à l’air libre. Le canal de Provence, qui capte les eaux du Verdon, irrigue 80 000 hectares, alimente 8000 sites industriels et près de 3 millions d’habitants dans 116 communes est souterrain sur 140 Km, pour une longueur totale de 270. Les travaux ont commencé en 1964 mais certaines dérivations, à partir du Canal principal, sont encore en cours d’aménagement. De même, le Canal du Bas – Rhône – Languedoc, qui dérive 75 m3/s d’eau du Fleuve à partir de Beaucaire sur près de 80 Km, permet l’irrigation de près de 40 000 hectares, l’alimentation en eau de l’agglomération de Montpellier et les stations balnéaires de l’Est du Languedoc. On peut évidemment classer comme dérivations tous les canaux de navigation qui raccordent plusieurs affluents d’un même fleuve voire plusieurs bassins fluviaux entre eux, la France étant à cet égard doté d’un réseau très complet mais généralement inadapté à la navigation moderne marchande (2000 Km sur 8000 sont à grand gabarit). Les seules grandes voies fluviales navigables sont la Basse Seine (30 millions de tonnes de trafic annuel dont 20 pour les ports de Paris), le Rhin (15 Mt dont 8 pour le port de Strasbourg), l’axe Rhône – Saône étant en retrait avec moins de 7 Mt transportées par an. Certaines dérivations permettent de combiner la totalité des fonctions et usages de l’eau, comme le grand Canal d’Alsace qui double le Rhin ou les multiples dérivations du Rhône dans sa basse vallée : on trouve là sur le bras artificiel du fleuve des captages d’eau pour l’irrigation, des prises pour l’eau industrielle et urbaine, des usines hydroélectriques et des écluses pour assurer la navigation.
On en vient en effet aux équipements qui traversent le cours d’eau alors que les précédents le longeaient en quelque sorte. Ces équipements sont de deux nature écluses et barrages, les deux étant d’ailleurs associés mais pas nécessairement si les fleuves ne sont pas navigables. Les écluses sont destinées à permettre le franchissement de dénivellations dans le lit du fleuve. Il peut s’agir de dénivellations naturelles, liées à la pente topographique des fleuves ou à quelques accidents de terrain. Les écluses sont aussi nécessaires pour racheter les dénivellations que crée tout aménagement de cours d’eau avec retenues déterminant des plans d’eau successifs. Une bonne voie navigable est celle qui transforme le profil en long normal du lit en une succession de biefs séparés par de courtes dénivellations franchies par des écluses. Les écluses accompagnent donc tout aménagement intégral d’un cours d’eau, ce qui est le cas du Rhône et du Rhin. Le deuxième type d’équipement est évidemment le barrage, mais il est nécessaire de procéder là à quelques distinctions. Il est des barrages simples, qu’on a aménagé très précocement sur des sections peu profondes des fleuves, en renforçant le plus souvent une petite rupture de pente naturelle par des enrochements et des remblais. On tire profit d’une opportunité du lit fluvial, pour créer un plan d’eau dont on aura élevé le niveau, ce qui va permettre de disposer de réserves et éventuellement de tirer parti de la chute d’eau pour actionner des moulins (il y en avait 100 000 en France avant la révolution industrielle). Le barrage moderne est d’une autre ampleur et la Commission internationale des grands barrages (ICOLD, International Commission of Great Dams, qui siège à Paris), ne retient d’ailleurs que ceux qui sont élevés de plus de 15 m au dessus du point le plus bas de la fondation, ce qui limite leur nombre actuel à 460 en France. Les barrages-réservoirs sont d’abord destinés à réguler le débit du fleuve, l’eau étant retenue lors des crues et lâchée lors des étiages. Leur fonction comme aménagement destiné à prévenir les risques d’inondation et de sécheresse est donc centrale.
Les lacs de retenue du bassin de la Seine (Lac de la forêt d’Orient sur la seine, lac du der sur la Marne…), aménagés afin d’éviter de graves crues comme celle de 1910, mais aussi celle de 1924 et les graves sécheresses des années vingt n’avaient d’ailleurs pas d’autres fonctions à l’origine (ils ont permis le développement ensuite d’un important tourisme vert et lacustre). Cependant, la plupart des barrages et des lacs de retenue assurent aussi de multiples fonctions. Des prises d’eau de nature variable captent l’eau retenue et la dirigent vers diverses installations : stations de pompage pour l’eau d’irrigation et l’eau industrielle, usines de production d’eau potable pour l’eau domestique délivrée aux populations, sachant que les fleuves fournissent en moyenne 30% de l’eau potable consommée en France. On aménage aussi des évacuateurs de crue soit sur la crête du barrage afin de laisser passer une mince lame d’eau qui va glisser le long du mur de retenue, soit dans le corps même de l’ouvrage. Il y a enfin des systèmes de vidange de fond, qui permettent d’évacuer un débit très variable selon les besoins et une partie du limon qui se sédimente au fond du réservoir de retenue. Les autres équipements couplés au barrage sont des chaînes d’écluses latérales qui permettent de franchir la dénivellation (il faut plusieurs écluses successives en général) et, bien sûr, les centrales hydroélectriques. De nombreuses évolutions ont eu lieu en ce domaine. À l’origine, la centrale était une usine au pied du barrage, qui captait l’eau par des canalisations alimentant les turbines. Les industries consommant beaucoup de courant (électrométallurgie, électrochimie) se fixaient à proximité, car les pertes en ligne étaient importantes en l’absence de transport à haute tension. Aujourd’hui les blocs turbo – alternateurs son intégrés à la construction et disposés en série au pied du mur de retenue et l’électricité produite peut être transportée loin des barrages. Les centrales dites « au fil de l’eau, qui équipent la basse vallée du Rhône et celle du Rhin sont de ce type mais sans lac de retenue, la simple dénivellation créée sur le canal de dérivation qu’elles équipent permettant d’actionner les turbines. Bon an mal an, la France produit 70 milliards de kWh, soit 12 à 13% de sa consommation électrique.
3 – Les problèmes de l’hydro système maîtrisé
Outre le dépit des amateurs de crues (dont je suis), aimant contempler les catastrophes et méditer sur le sort des hommes réduits à l’état de fétus emportés par les flots tumultueux, ces aménagements ont des effets bien connus que vous avez en général bien développés dans vos copies, ce qui fait que je m’étendrai moins que pour la partie précédente.
Les effets se font d’abord sentir sur le continuum fluvial d’amont en aval et sur les solidarités latérales qui liaient lit mineur et lit majeur. La création de retenues qui régularisent le débit ainsi que l’endiguement et la régularisation des lits contribuent à retenir une partie des sédiments d’une part et à accélérer les vitesses dans le chenal d’écoulement d’autre part. Les lits s’incisent dans les secteurs en pente relativement forte et, à l’inverse, ils ont tendance à s’exhausser dans les basses vallées à pentes faibles car les sédiments qui autrefois étaient décantés dans la plaine inondable lors des crues se déposent dans le fond du chenal d’écoulement unique aménagé. Il y a donc aggravation des risques lors des crues les plus excessives, crues centennales dont les aménagements fluviaux ne peuvent protéger la plaine d’inondation.
À l’aval, l’apport peut devenir insuffisant dans les deltas comme celui du Rhône dont certaines marges sont alors exposées à une érosion marine active.
Il faut ajouter à cela les effets écologiques plus généraux qui concernent essentiellement la disparition des zones humides des plaines d’inondation des cours d’eau. Les zones humides sont parmi les milieux les plus productifs et comptent parmi les grands réservoirs de biodiversité. Elles abritent de nombreuses variétés de plantes, aquatiques et hygrophiles et beaucoup d’espèces endémiques. Elles se caractérisent par de fortes concentrations d’oiseaux, dont beaucoup sont migrateurs, de mammifères, de reptiles, d’amphibiens, de poissons et d’invertébrés. En France, 30% des espèces végétales remarquables et menacées vivent dans les zones humides, environ 50 % des espèces d’oiseaux en dépendent et les deux tiers des poissons s’y reproduisent ou s’y développent. Les zones humides assurent des « fonctions de nature », essentielles au fonctionnement des écosystèmes terrestres. D’abord celles qui sont nécessaires à la vie des organismes qui y résident : fonction d’alimentation, de reproduction, d’abri, de refuge et de repos. Mais une de leur fonction principale tient à la place qu’elles occupent comme régulateur et espace tampon dans le cycle de l’eau. En période d’abondance (fortes précipitations, crues), les zones humides se gorgent d’eau, rechargent les nappes alluviales et écrêtent ainsi les excès hydriques saisonniers ou exceptionnels. Elles libèrent ensuite cette eau dans les périodes plus sèches, soutenant les étiages des cours d’eau, fonctions qu’elles ne remplissent plus quand le lit mineur, corseté de digues est coupé de la plaine d’inondation.
Ajoutons que l’une des fonctions importantes des zones humides est la filtration et l’épuration des eaux dont elles sont le réceptacle. Elles participent aussi à la régulation des microclimats et jouent un rôle non négligeable sur les précipitations et les températures locales. En dernier lieu, on peut évoquer un effet moins connu des aménagements et de la connexion des réseaux fluviaux par les canaux : la présence d’espèces allochtones invasives dans les cours d’eau français, qui modifient et parfois compromettent les équilibres écologiques.
Les effets induits par la création des lacs de retenue sont plus ambivalents. ils ont certes ennoyé une partie de la vallée et ont une tendance à se colmater du fait de la sédimentation, mais ils offrent aussi des plans d’eau très attractifs aux touristes, comme le montre le cas du lac de Serre-Ponçon, sur la Durance, premier lac de barrage de l’hexagone (le plus vaste est celui de Sinnamary en Guyane mais il est situé en pleine forêt tropicale). Quant aux pollutions des eaux, elles sont plus liées aux usages et à la gestion de cette ressource qu’aux aménagements fluviaux au sens strict. Dans la mesure où le fleuve est toujours apparu comme un réceptacle commode des effluents, il est exposé aux pollutions, qu’il soit aménagé ou pas et seul le traitement des eaux avant rejet peut éviter cela. Des progrès importants ayant été réalisés dans le traitement des eaux, notamment dans les villes, les pollutions organiques et industrielles, notamment par les métaux lourd ont été réduites, mais il n’en va pas de même en ce qui concerne les nitrates et les produits phytosanitaires, pollutions diffuses issues de l’agriculture. Si des progrès ont été réalisés ces dernières années concernant la teneur en pesticides et en engrais phosphatés, du fait notamment de l’interdiction de certains types de pesticides ces dix dernières par l’Union européenne (atrazine, glyphosate), il n’en va pas de même des teneurs en nitrates, restées stables en moyenne depuis 20 ans. Certaines régions sont particulièrement touchées, comme la Bretagne où la prolifération des algues vertes sur le littoral, liée aux apports de nitrates par les eaux fluviales et de ruissellement est un problème récurrent. La France a d’ailleurs été mise en demeure plusieurs fois pour non respect de la directive européenne « Nitrates » de 1991. On notera enfin que le niveau de pollutions des eaux de surface dans les régions tropicales de l’Outre-mer est plus alarmant qu’en métropole : le taux de traitement des eaux rejetées est deux fois moindre que dans l’hexagone, où il atteint 82% et les pollutions par les POP (polluant organiques persistants), dont la chlordécone, interdite depuis 1993 mais utilisée frauduleusement, en particulier pour la production de bananes, sont très élevés.
II – DE L’APPROCHE TECHNICISTE À LA GESTION PATRIMONIALE
1 – Jusqu’à la fin des « Trente Glorieuses » : domestiquer le fleuve.
Deux phases peuvent être dégagées avant le tournant des années 1970, concernant le rapport fleuves sociétés. Elles s’inscrivent dans une approche utilitariste et anthropocentrée du fleuve, qui prévaut aussi pour la forêt par exemple.
On peut considérer que jusqu’au XVIII e siècle, la relation fleuve société relève de logiques de protection des populations riveraines et d’aménagements locaux destinés à des usages traditionnels. Ces derniers sont nombreux toutefois, allant de la conquête de nouvelles terres dans les vallées à l’aménagement de nombreuses petites retenues pour les moulins, à la dérivation des eaux pour la proto industrie (textile, forges, scieries, moulins à papier, travail du cuir…). Il y a un réel assujettissement des sociétés aux contraintes qu’impose le fleuve : on construit notamment villes et villages sur des hauteurs insubmersibles, rives concaves de méandres et hautes terrasses. À partir du XVI e siècle, de véritables politiques de l’eau permettent cependant des interventions plus poussées. Ainsi, grâce aux endiguements certains espaces nécessaires à l’extension urbaine peuvent être bâtis : à Paris, par exemple, le quartier du Marais a été conquis et loti à partir de 1559. On a aussi mentionné les premières grandes dérivations, comme le canal de Craponne en 1554. Quant au premier grand canal de navigation, celui de Briare, il fut percé entre 1605 et 1642, sur 54 Km, reliant la Loire à la Seine. On peut cependant considérer que, globalement, les fleuves ne sont que très peu anthropisés et que même si des logiques utilitaristes commandent la relation que les sociétés entretiennent avec eux, les moyens techniques de les aménager plus avant et de s’en affranchir font défaut.
À partir du XVIII e mais surtout du XIX e, de grands travaux sont conduits sous l’égide des représentants de l’État et on entre véritablement dans l’ère des ingénieurs et de l’artificialisation poussée des cours d’eau. Dans un premier temps, on cherche surtout à renforcer la navigabilité des fleuves, la navigation fluviale restant le mode principal de transport marchand jusqu’à ce que le transport ferroviaire l’emporte (il n’y a encore que 3000 Km de voies ferrées en France en 1850). Les opérations de rectification des lits mineurs, de recoupement des sections à méandres se multiplient, surtout avec l’usage d’explosifs modernes dont la dynamite, inventée en 1866. On perce aussi de nombreux canaux afin de relier les bassins fluviaux. Il y avait 1000 Km de canaux en 1789 et 3600 sont construits eu XIXe notamment le Canal du Rhône au Rhin, le Canal de Bourgogne, le Canal de la Marne au Rhin et de nombreux fleuves sont aménagés pour la navigation aux grands gabarits de l’époque. Freycinet qui a mis en œuvre son programme ferroviaire en 1879 s’intéresse aussi à la navigation fluviale et est même à l’origine d’un gabarit pour les péniches, avec une dimension des écluses permettant le passage de bateaux de près de 40 m de long et plus de 5 m de large, soit 300 à 350t. Ce gabarit correspond actuellement au gabarit européen de classe 1 et n’autorise pas le passage des grandes péniches de 1000 ou 1500 tonnes, ni évidemment des convois. Dès la fin du XIX e siècle, les équipements hydroélectriques vont constituer l’un des principaux aménagements hydrauliques à des fins énergétiques et industrielles. La centrale hydroélectrique de l’Argentière-la-Bessée, mise en service en 1909 pour alimenter une usine d’aluminium est alors la plus puissante du monde avec une puissance installée de 30 Mégawatts. À partir de l’entre-deux-guerres, les grands aménagements se multiplient avec la volonté de contrôler l’ensemble du bassin versant, donc du fleuve lui même et de ses grands affluents. On contrôle le fleuve dans les villes ou en amont (réservoirs contre les crues), dans un souci de sécurité civile et afin de limiter l’exposition au risque des personnes et des biens. Les grands barrages modernes sont aussi destinés à fournir de l’eau et de l’énergie et on constate qu’à partir des années 50, les périphéries en retard de développement seront les principales bénéficiaires de ces aménagements (Alpes du Sud, Massif central, bassin de la Garonne). Ces grands aménagements ont été permis par une implication croissante de l’État, par le biais de sociétés d’économie mixte, mises en place pour conduire des programmes d’aménagement précis : Compagnie Nationale du Rhône (CNR), créée en 1921, Société du canal de Provence (1957), Syndicat mixte d’aménagement de la vallée de la Durance (1976).
La période 1850-1970-80 est désignée comme la phase productiviste du rapport société fleuve en particulier et société environnement en général. Elle correspond à une période de fort développement urbain lié à la croissance démographique et à l’industrialisation : le fleuve est aménagé, transformé, instrumentalisé. Les rapports utilitaires dominent, allant même jusqu’à une exploitation prédatrice avec fleuve pollué, rives largement vouées à l’industrie et aux transports, et encombrées d’infrastructures et d’un habitat informel plus ou moins spontané. C’est la période où, dans les quartiers d’activité des agglomérations, la société urbaine se coupe de son fleuve, ce qui se percevra d’autant plus quand les abords de ces derniers se transformeront en friches industrielles avec le recul et parfois la disparition des industries de première génération (textile, sidérurgie et métallurgie, papeterie, charbonnages). L’axe fluvial offre alors l’image d’une succession d’usines et d’entrepôt désaffectés, longés par des routes et une voie de chemin de fer, ce qui limite considérablement l’accès aux rives. C’est de ces atteintes de toutes sortes à la « nature » du fleuve et à la « nature » en général, que va naître une nouvelle approche, avec une gestion plus raisonnée, voire durable des cours d’eau. Au cours des années 1980-1990, le rapport société fleuve connaît alors une véritable bifurcation.
2 – Acteurs, législation, politiques
La diversité des usages classiques agricoles, industriels, énergétiques, immobiliers, et la montée en puissance de nouvelles valeurs, récréatives, depuis déjà longtemps et aujourd’hui environnementales et patrimoniales, ont multiplié les acteurs intervenant sur les fleuves et leur vallée et entraîné des conflits d’usage de plus en plus nombreux.
Il y a bien sur les acteurs institutionnels, l’État, les collectivités territoriales, notamment depuis la politique de décentralisation des années 1982-83, qui délègue une partie des attributions de l’État en matière de gestion fluviale aux régions, aux départements et aux communes. C’est un véritable mille-feuilles administratif dont les décisions doivent être conformes aux directives sur l’eau, l’environnement, les pollutions, la biodiversité, qui exercent un primat sur la législation nationale. Il y a aussi les acteurs privés, agriculteurs, promoteurs, entreprises, pêcheurs, chasseurs, touristes, défenseurs de l’environnement, activistes plus ou moins radicaux d’une préservation des espaces jugés « naturels ». Dans tout projet d’aménagement ou de réhabilitation, on observe ainsi les interventions souvent actives de nombreux mouvements associatifs qui vont des fédérations de pêche aux associations de tourisme fluvial, en passant par des sociétés naturalistes ou de protection de la nature à vocation plus générale. Il existe aussi des d’associations spécifiques à un bassin fluvial, comme l’Association Loire vivante ou l’Association Maison du fleuve Rhône, qui sont en général partie prenante dans les programmes et accords cadres de gestion fluviale.
La multiplicité de ces acteurs induit des conflits d’usage porteurs de nombreux différends. Certaines situations sont simples, comme le barrage de Sivens, cité en introduction, qui oppose agriculteurs, militants anti-barrages, et défenseurs des zones humides et donc, sur le fond, adeptes de l’aménagement et adeptes de la préservation. On peut aussi évoquer le conflit opposant chasseurs et pêcheurs contre les organismes de protection des phoques en Baie de Somme, les touristes qui viennent voir ces colonies étant aussi partie prenante dans cette affaire. Les premiers accusent les suivants d’avoir provoqué une proliférations des phoques responsable d’une raréfaction des poissons qu’ils consomment avidement et donc d’une réduction du gibier d’eau qui s’en nourrit. D’autres conflits sont plus complexes comme la modernisation et l’extension du port du Havre, au Nord de l’estuaire de la Seine qui a fait l’objet du programme « Le Havre 2000 », lequel a vu se confronter à peu près tous les types d’acteurs imaginables. Le Havre est en effet le 2e port français en matière de trafic total et le 1er port pour le trafic de conteneurs. L’extension de ses capacités, jugée comme nécessaire au plan national et dans un contexte de forte concurrence européenne a heurté beaucoup de sensibilités. L’estuaire est un milieu particulièrement complexe et riche du point de vue des écosystèmes et de la biodiversité et la rive sud a des vocations essentiellement agricoles, piscicoles et touristiques, avec, notamment, la ville de Honfleur, autant de fonctions porteuses d’oppositions entre les tenants d’une Seine puissante et concurrentielle de Paris à son estuaire et d’une Seine préservée dans ces mêmes limites.
Une législation très étendue et des outils d’aménagement fort diversifiés donnent des cadres et des limites au règlement de ces conflits. Mais, là encore, on observe un empilement parfois inextricable de textes, de compétences et de responsabilités. Les lois génériques sur l’eau de 1964 et de 1992, qui intéressent évidemment les fleuves, ont été remplacées par la Loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006, dite loi LEMA.
Cette dernière inscrit dans le droit français les consignes de la DCE, directive cadre sur l’eau, adoptée par l’Union européenne en octobre 2000 et à laquelle tous les États membres doivent se conformer. Les « Contrats de rivière », institués depuis 1981, et qui concernent actuellement 150 cours d’eau doivent évidemment se conformer aux normes édictées par La DCE. Les instances qui interviennent dans cette affaire, toujours en accord avec les principes de la DCE, sont très nombreuses. Au niveau de l’État, l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA), agit en parallèle ou en concertation avec le Comité National de l’Eau (CNE). Pour chaque bassin, au nombre de six, existent des Comités de bassin et des Agences de l’eau qui n’ont pas les mêmes compétences. Ces organismes sont soumis à l’autorité de divers ministères, celui e l’environnement bien évidemment, aussi celui de l’agriculture, des transports, de l’intérieur (pour ce qui concerne les risques), du tourisme etc. Les politiques de l’eau sont donc des cascades successives qui essaient d’adapter les actions effectivement entreprises aux exigences de ce qui a été fixé au niveau scalaire supérieur : la commune doit se conformer à ce qui a été décidé par le département, la même procédure étant nécessaire pour ce dernier vis-à-vis de la région, pour cette dernière vis-à-vis de l’État et pour celui ci vis-à-vis de l’Europe. Heureusement, des documents de planification territoriale ayant force de loi permettent de spatialiser les interventions ; tout en étant le fruit de compromis complexes, dont la conclusion a parfois nécessité beaucoup de temps. On aboutit ainsi à une cartographie et à des zonages de plus en plus précis des espaces du fleuve et de sa vallée, qui sont intégrés aux documents territorialisant les actions et les projets. Au niveau local, il s’agit des PLU (Plans locaux d’urbanisme) et des PPRI (plans de prévention du risque d’inondation). Au niveau régional il s’agit des SCOT (Schémas de cohérence territoriale) et des SAGE, Schémas d’aménagement et de gestion des eaux. Il apparaît donc que l’arsenal de gestion des fleuves et de leur bassin est très complet et semble adapté au débat citoyen mais que cela se traduise par une lenteur et des surcoûts dans la conduite des actions.
3 – Vers un aménagement durable des fleuves ?
Les années 80 ont été le théâtre d’une prise de conscience environnementaliste globale qui a touché tous les aspects de la « nature », écosystèmes en général, air, eaux, bien sûr et donc fleuves, la préoccupation écologiste s’interrogeant même sur le statut de l’homme dans ses rapports à la nature. On est donc passé d’une approche anthropocentrée à une approche écocentrée dans la relation de l’homme à son environnement. En ce qui concerne les fleuves, les graves pollutions accidentelles du Rhône, par déversements de produits chimiques à l’aval de Lyon, en 1976, 1982 et 1988, la pollution du Rhin suite à l’incendie de l’usine Sandoz à Bâle en 1986, ont été des éléments déclencheurs. C’est dans ces mêmes périodes, en 1987, que les principes du développement durable ont été édictés dans le rapport des Nations Unies, « Notre avenir à tous », rédigé sous la direction de Gro Brundtland, ex-ministre norvégienne de l’environnement.
Les résultats de cette prise de conscience, des réorientations politiques et législatives, adoptées à tous les niveaux de gouvernance, nationaux et européens ont été rapides, avec par exemple, en 1994 et 2001, l’abandon des projets de barrages de Serre de la Fare et de Chambonchard sur la Loire, que nous avons mentionnée en introduction. De nombreuses dispositions ont ensuite favorisé l’amélioration de l’état des fleuves : lutte contre les pollutions (assainissement de l’eau, confinement des industries à risques), remise en eau de sections inondables des vallées qui avaient été asséchées (Lônes du Rhône), aménagements d’échelles à saumon dans les barrages, réintroduction de l’esturgeon en Gironde… On a même démantelé deux barrages dans le bassin de la Loire (mais c’est une affaire compliquée et coûteuse). La politique de protection des zones humides a aussi joué un rôe clé, car beaucoup de ces espaces concernent les vallées fluviales de l’amont à l’aval. Les mesures ponctuelles de protection des zones humides sont parfois anciennes, divers espaces présentant des intérêts écologiques particuliers ayant été classés depuis parfois longtemps, comme la Camargue par exemple, classée réserve naturelle dès 1927.
Mais il a fallu attendre les années 70 pour qu’une prise de conscience globale se fasse jour et aboutisse à la mise en place de véritables politiques de protection, voire de restauration et à des programmes de gestion intégrée permettant de souscrire peu à peu aux objectifs du développement durable. Le traité RAMSAR, adopté dans la ville iranienne éponyme en 1971 a été négocié tout au long des années 1960 par des pays et des organisations non gouvernementales préoccupées par la perte et la dégradation croissantes des zones humides qui servaient d’habitats aux oiseaux d’eau migrateurs. Le traité est entré en vigueur en 1975 et, en dehors du traité de l’Antarctique au caractère un peu spécifique, il est le seul traité mondial concernant l’environnement qui porte sur un écosystème particulier. Les zones humides sont protégées ponctuellement comme réserves naturelles, comme ZNIEFF (Zones Naturelles d’Intérêt Écologique Faunistique et Floristique), ou comme périmètres inclus dans des parcs naturels nationaux ou régionaux. À l’échelle européenne, les directives « Oiseaux » et « Habitat » (1992), et le réseau des sites écologiques « Natura 2000 » qu’elles mettent en place concernent particulièrement les zones humides, avec pour double objectif de préserver la diversité biologique des territoires, tout en tenant compte des activités sociales, économiques, culturelles et régionales qu’ils abritent. Ces mesures de protection portent sur des échelles multiples, allant du biotope abritant une espèce protégée à un espace d’échelle régionale comme la Camargue.
Au total, on a pu parler de « renaturation » des cours d’eau, tant la volonté de rétablir la continuité hydrologique et les équilibres écologiques ne s’es pas démentie. Il faut ajouter à toutes ces mesures les politiques de reconquête des fronts d’eau et des rives fluviales dans les villes, qui ont été conduites par les municipalités, avec souvent l’aide de l’États et des Fonds structurels européens. Dans beaucoup de villes, Troyes, Tours, Lyon, Bordeaux, les rives du fleuve sont ainsi devenues des lieux convoités d’habitat et de récréation. Ces opérations de réconciliation de la ville et du fleuve se poursuivent toujours, comme en témoigne le programme encore inachevé de Lyon Confluence entre Saône et Rhône. Il est difficile, cependant, de revenir sur tout ce qui a été fait et ce qui a été fait n’est pas forcément mauvais. Ainsi, l’escalier de centrales au fil de l’eau qui aménage le Rhône permet à la CNR de produire une énergie « 100% verte ». Cette production hydroélectrique bénéficie depuis 2002 du label européen TÜV SÜD certifiant son caractère 100 % renouvelable. Ce qui permet à la CNR de disposer de certificats verts, qu’elle peut vendre sur le marché européen des émissions de CO2 aux entreprises qui dépassent leurs quotas : ce label a été renouvelé en 2011.
III – DIFFÉRENCIATION HIÉRARCHISÉE
Sachant qu’aucun des grands fleuves français, ni même des fleuves tout court n’est naturel, on peut hiérarchiser les fleuves des moins artificialisés à ceux qui le sont le plus. Afin de ne pas recouper ce qui est dit dans la 1, insister sur l’intérêt territorial, économique, environnemental, patrimonial de chaque axe. On peut aussi moins détailler certains points de présentation des fleuves dans le 1er chapitre
1 – La Loire, le plus naturel des fleuves français
2 – La Seine et la Garonne, des situations intermédiaires
3 – Le Rhin et le Rhône : des axes majeurs très artificialisé
Il y a, bien sûr, la solution de traiter trois études de cas emblématiques, sur lesquelles il ne faudrait alors pas insister dans le corps du devoir. Les solutions sont nombreuses, mais autant les choisir sur 3 fleuves différents et dans un registre différent quant à la nature des actions entreprises.
1 – La renaturation du ried rhénan
2 – Le programme « Lyon confluence »
3 – Port 2000 et l’estuaire de la Seine